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Les élections en République démocratique du Congo : La crédibilité fait cruellement défaut

Les élections générales en RDC initialement prévues pour le 23 décembre, avec deux ans de retard, sont confrontées à des problèmes de crédibilité graves. Les répercussions d'un vote défectueux pourraient limiter davantage les perspectives d'amélioration de la sécurité et de la stabilité dans la région et éroder les normes démocratiques à travers le continent.


DRC election officials prepare to count ballots in the 2011 election. (Photo: MONUSCO/Myriam Asmani)

Des responsables des élections en RDC se préparent à compter les votes lors de l’élection de 2011. (Photo: MONUSCO/Myriam Asmani)

Les élections générales en RDC font face à un déficit important de crédibilité.  Initialement prévues pour le 23 décembre, et reportées depuis, elle se tiendront deux ans après la fin du mandat du Président Joseph Kabila. Les améliorations éspérées en termes de stabilité et de sécurité, qui auraient pu être acquises avec l’élection d’un gouvernement légitime, risquent de ne pas voir le jour. Les répercussions de l’instabilité grandissante en RDC, le plus grand pays d’Afrique sub-saharanienne, sont importantes pour chacun de ses neuf voisins.

Pourquoi ces élections sont-elles si importantes?

Joseph Kabila est devenu président après l’assassinat de son père, le Président Laurent Kabila, en 2001. Ce dernier avait pris le pouvoir grâce à une insurrection soutenue par le Rwanda, qui avait renversé le dictateur Mobutu Sese Seko. Le jeune Kabila a ensuite été élu à la présidence en 2006 et ensuite réelu, dans un scrutin très controversé, en 2011. En raison d’une limite à deux mandats, des élections étaient sensées avoir lieu en 2016 mais le gouvernement a tout fait pour empêcher leur tenue. Kabila a ensuite utilisé ce retard pour se maintenir au pouvoir.

Par conséquent, de nombreux Congolais considèrent comme illégitime le gouvernement actuel. Son maintien au pouvoir a favorisé la formation d’environ 70 groupes armés à travers le pays.  Étant donné la faiblesse de l’État congolais, une augmentation des combats serait d ‘autant plus déstabilisante et durable. Il est à rappeler que durant les guerres du Congo des années 90 et 2000, environ 5.4 million de personnes ont été tuées et 8 pays avoisinants sont intervenus. Des élections crédibles sont percues comme l’une des dernières chances de pallier à cette menace.

Le régime de Kabila est par ailleux largement percu comme corrompu. Transparency International classe le Congo 161ème sur 180 dans son Index de perception de la corruption de 2017. Kabila et ses proches contrôlent une grande partie des importantes resources minières du pays. Selon Global Witness, plus de $750 millions de revenus miniers ne sont jamais arrivés dans les coffres de l’État entre 2013 et 2015. Simultanément, une partie importante de cet argent se serait retrouvée sur des comptes de proches du régime.

Jeter les bases d’une issue prédéterminée

Cela fait des années que Kabila se prepare afin de maintenir son influence et de s’assurer une issue favorable à ces élections. Juste avant les élections de 2011, la loi a été changée pour adopter un scrutin uninominal à un tour, permettant au candidat avec une pluralité de voix de se déclarer vainqueur. Ce système sera crucial en 2018, en raison de divisions persistantes au sein de l’opposition, qui compte 19 candidats.

Kabila a aussi maintenu son contrôle sur le processus de transition. Après la fin de son mandat en décembre 2016, les citoyens sont descendus dans la rue, non seulement à Kinshasa, mais aussi à Boma, Goma, Matadi, et Lubumbashi, pour demander la tenue d’élections et que Kabila quitte son poste. Les forces de sécurité ont violemment reprimé ces manifestations, tuant plus de 100 civils.

Certains observateurs disent que le système en place permettra à Kabila, 47 ans, d’installer Shadary pendant un mandat, avant de redevenir Président pour un troisième mandat.

Pour éviter la déstabilisation, l’importante Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO), un conseil d’évèques Catholiques, a negocié l’ Accord de la Saint Sylvestre entre le parti au pouvoir et l’opposition. L’accord appelait à une periode de transition avant la tenue d’élections en décembre 2017. La transition devait être dirigée par un premier ministre issu de l’opposition. Mais Kabila a su retarder, s’accaparer le processus pour finalement l’annuler purement et simplement, poussant la CENCO de s’en retirer en mars 2017.

Kabila a aussi tenté de  pervertir le scrutin en sa faveur en changeant les règles d’éligibilité afin d’empêcher la participation des candidats de l’opposition les plus populaires. Ce processus a permis l’exclusion de six candidats, y compris l’ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, et l’ancien chef d’un groupe rebelle, Jean-Pierre Bemba.

En août 2018, il a annoncé comme son dauphin Emmanuel Ramazani Shadary, un ancien ministre de l’Intérieur sous sanctions de l’UE pour avoir violemment réprimé l’opposition. Kabila compte rester Président de son parti, le parti du peuple pour la reconstruction et la democratie (PPRD). Certains observateurs disent que le système en place permettra à Kabila, 47 ans, d’installer Shadary pendant un mandat, avant de redevenir Président pour un troisième mandat, permis par la constitution qui n’interdit pas de 3ème ni de 4ème mandat si ceux-ci ne sont pas consécutifs au deux premiers.

Les obstacles à la tenue d’élections légitimes, libres et justes

Il y a de multiples obstacles à la tenue d’élections crédibles. L’ambiguïté qui en résulte donne au pouvoir d’autant plus de chances de lui garantir une issue favorable au scrutin.

Le premier est la sécurité. Des douzaines de groupes armés menacent la capacité d’une partie des 46 millions d’électeurs de se rendre aux urnes, en particulier dans l’est et le centre du pays. Avec la campagne commencée, les forces de sécurité empêchent les candidats de l’opposition de voyager et réunir leur partisants. Le 12 décembre par exemple, deux personnes ont trouvé la mort quand les forces de sécurité ont tiré à balles réelles sur des partisans du candidat de l’opposition Martin Fayulu. Le 11, à Lubumbashi, les forces de sécurité ont aussi dispersé ses partisans avec des canons à eau et des gaz lacrymogènes. L’avion de Fayulu s’est aussi vu plusieur fois refusé le droit d’aterrir. Le 19 décembre, le gouverneur de Kinshasa, membre de la coalition présidentielle, a annoncé que la campagne dans la capitale serait suspendue pour des raisons de sécurité, empêchant ainsi Fayulu de tenir un rassemblement très attendu.

Tôt le 13 décembre, un incendie s’est délaré dans un entrepôt de la CENI à Kinshasa, un bastion de l’opposition. Les flammes ont détruit le matériel necessaire à la tenue du scrutin dans 19 des 25 circonscriptions de la ville. L’incendie a détruit, selon un communiqué de presse de la CENI publié tout juste six heures après le sinistre, 8000 machines à voter sur les 10 368 réservées pour Kinshasa et plus 3 774 sur 8 887 des isoloirs nécessaires. En justifiant un nouveau délai du scrutin, le président de la CENI a expliqué que, bien que les machines aient été remplacées dès le 20 décembre, le codage des nouvelles machines nécessiterait quelques jours supplémentaires. De plus, certains bulletins de vote en papier et le reste des feuilles de dépouillement n’arriveraient que le 22 décembre et devraient ensuite être déployés dans tout le pays.

Les défis logistiques associés à l’organisation d’élections en RDC sont nombreux et le gouvernement les a aggravés, notemment en refusant l’aide internationale, en particulier l’aide logistique de la MONUSCO. En 2006 comme en 2011, les missions de l’ONU (MONUC en 2006 et MONUSCO en 2011) ont joué un rôle essentiel dans l’ouverture et la gestion des bureaux de vote, ainsi que la livraison des bulletins de vote par avion. Pour chaque scrutin, la mission a ouvert plus de 60 000 bureaux de vote. Cette fois ci, le gouvernement et la CENI disent qu’ils s’en chargeront eux-mêmes.

Le manque de transparence dans le processus de l’organisation du scrutin a aussi été aggravé par le fait que le gouvernement Kabila a refusé de permettre aux observateurs externes, notamment ceux de groupes d’observation traditionnels tels que le Centre Carter, le National Democratic Institute, l’UE et l’Afrique du Sud. Le régime a toutefois permis à l’UA, à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), et à la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) d’en envoyer.

DRC voting machine

Une machine à voter en RDC. (Photo: Africanews)

Le gouvernement a aussi permi à la Commission justice et paix de l’église catholique et à une coalition de la société civile, la Synergie des missions d’observation citoyenne électorale, de déployer 40,000 et 20,000 observateurs chacun.  Cependant, même s’ils sont tous déployés, leur nombre est insuffisant pour les plus de 80 000 bureaux de vote du pays. D’autant plus que l’UA et la SADC sont perçues comme favorisant le régime. L’OIF quant à elle n’a pas deployé d’observateurs depuis des décennies et n’a donc offert à  la place que la formation d’un petit nombre de Congolais pour remplir cette mission.

Certains observateurs ont aussi exprimé leur inquiétude quant au nombre, selon eux insuffisant, de machines à voter achétées, ainsi qu’au fait que chaque bureau de vote n’en aura qu’une de rechange. Les observateurs ont aussi exprimés leur vives inquiétudes quant à  l’absence  d’alternatives dans le cas où les machines ne fonctionneraient pas. De plus, étant donné la participation anticipée, chaque électeur n’aura pas plus d’une minute pour valider ses choix entre les différents candidats pour les postes de président et de représentants au parlement. Comme les Congolais n’ont jamais utilisé de telles machines auparavant, la confusion est plus que propable. Les critiques rajoutent que ce manque de connaissance du vote électronique, pourrait remettre en cause la confidentialité du vote.

La police et l’armée, qui sont chargées de sécuriser les bureaux de vote pourraient aussi influencer les électeurs. En effet, les forces de sécurité sont largement percues comme politisées et il est impossible de compter sur leur neutralité, comme on avait pu auparavant compter sur celle des forces de l’ONU. Comme les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) sont liées aux réseaux clientélistes du gouvernement, elles ont intérêt à maintenir le statu quo.

Manque de confiance dans la CENI et dans sa capacité à organiser des élections crédibles, libres et justes

The DRC electoral commission, CENI

La commission électorale de la RDC (CENI). (Photo: Africanews)

L’indépendance de la CENI est mise en doute étant donné son histoire et sa composition. Son Bureau de six membres reste le principal organe opérationnel. Si elle a été  conçue  pour être équitable, selon les termes de l’accord de la CENCO, Kabila a réussi à coopter plusieurs de ses membres issus de l’opposition, s’en appropriant ainsi le contrôle dans la pratique. Le Président de la CENI, Corneille Nangaa est perçu comme un loyaliste de Kabila. Un sondage récent du Groupe de recherche sur le Congo a remarqué que 64 % ne font pas confiance à la CENI et 74 % ne font pas confiance à son Président.

Les observateurs indépendants critiquent aussi la précision de la liste électorale et le moyen de voter. Dans son audit de la liste électorale de mai 2018, l’OIF a conclu qu’elle pourrait être améliorée de manière significative. Une autre analyse, celle-ci faite par des organismes internationaux d’observation des élections, estime qu’entre 6 et 14 millions d’électeurs inéligibles pourraient voter illégalement, en particulier si la CENI, comme elle l’a fait en 2006 et en 2011, décide de permettre aux électeurs de voter ailleurs que dans leurs bureaux de vote habituels. Ceci aurait des effets multiples, en particulier dans un pays qui n’as pas eu de recensement de la population depuis 1984, puisque le nombre d’électeurs détermine le nombre de sièges au parlement que chaque province obtiendra et de combien de sièges les parlements régionaux seront composés. En gonflant la liste, en particulier dans les régions d’une certaine appartenance politique, la légitimité du parlement pourrait être mise en cause.

De plus, la decision de la CENI d’utiliser des machines à voter, dans ce cas des tablettes qui impriment aussi un bulletin papier, a diminué la confiance dans les élections, en particulier au sein de l’opposition qui affirme que les machines faciliteront la fraude. L’opposition a aussi critiqué le contrat d’acquisition des machines, un processus très controversé.

Les observateurs et l’opposition craignent donc qu’un de ces facteurs, ou plusieurs d’entre eux, puissent être utilisés par le gouvernement pour changer le résultat des élections au bénéfice du parti au pouvoir.

Conséquences potentielles et le renforcement des normes électorales

La CENCO, qui est perçue comme l’un des organes les plus légitimes de la société civile congolaise, a aussi exprimé son inquiétude quant aux élections et a demandé à ce que des experts nationaux et internationaux en certifient les résultats. Elle a aussi demandé à ce que les machines à voter ne soient utilisées que pour identifier les électeurs et qu’un décompte manuel des votes soit également fait. Par ailleurs la CENI devrait afficher les résultats dans chaque bureau de vote et les compiler entièrement le 23 décembre afin de garantir la transparence, la vérification et pour réduire l’ampleur des manipulations.

La réponse des organisations régionales et des acteurs internationaux aura des implications non seulement pour la sécurité et la stabilisation de la RDC mais aussi pour les normes de gouvernance à travers l’Afrique.

Les acteurs régionaux, en particulier l’Afrique du Sud, l’Angola, l’UA et la SADC ont chacun joué un rôle différent dans la période pré-électorale. Ainsi l’UA et la SADC sont perçues comme favorisant le régime puisque ni l’une ni l’autre n’ont encouragé Kabila à démissionner à la fin de son mandat, ni demandé la mise en place d’une administration de transition jusqu’à l’organisation d ‘élections, ni même simplement le menacer de sanctions suite à son refus de respecter la constitution. L’Afrique du Sud et l’Angola ont en revanche joué un rôle plus public, déclarant qu’ils ne soutiendraient pas une nouvelle candidature de Kabila. L’Afrique du Sud en particulier a par deux fois invité les membres de l’opposition à se réunir afin de choisir un candidat unique pour l’opposition. Cette initiative a representé un changement de position, puisque jusqu’à l’arrivée de Cyril Ramaphosa à la présidence, le pays soutenait davantage Kabila. L’Angola a de son côté publiquement poussé Kabila à démissionner et a aussi déclaré que s’il se maintenait au pouvoir, cela augmenterait l’instabilité.

Mais les autres parties prenantes ont aussi un rôle à jouer quant à la protection de la place dont la société civile a besoin pour surveiller les élections et faire un décomptage parallèle du scrutin. Par ailleurs, les médias et les observateurs devraient apprendre les lecons des élections récentes au Kenya et au Zimbabwe et prendre leur temps avant de valider les élections et de les appeler justes et libres. Les acteurs internationaux doivent aussi se garder d’accepter ces élections sur une note “suffisante pour l’Afrique” et de leur appliquer les mêmes standards attendus dans d’autres parties du monde.

Les observateurs indépendants devraient aussi inclure dans leurs rapports les résultats des candidats qui n’atteindraient pas le seuil de 1 % requis pour être officiellement reconnus au parlement. Ceci permettra de savoir plus exactement quel pourcentage du vote total l’opposition a réellement obtenu.

Les sondages comme celui  d’Afrobaromètre montrent qu’une grande majorité de citoyens Africains préfèrent la démocratie comme type de gouvernement.

Dans l’éventualité d’une victoire de Shadary, pour lequel les sondages ne prévoient que 16% du vote, il est presque certain que les Congolais descenderont dans la rue pour manifester leur colère. Si les manifestations qui ont eu lieu suite au refus de Kabila de démissionner servent de prévision, elles seront tout aussi violemment réprimées par les forces de sécurité. Les acteurs internationaux, y compris l’UA, la SADC, l’OIF, l’UE et les principaux partenaires bilateraux, devront donc réfléchir à comment ils répondront à un processus si défectueux. Les positions qu’ils prendront formeront les perceptions de leur engagement pour la démocratie. Ceci est particulièrement vrai pour l’UA qui semble ne plus s’accrocher aussi solidement à son engagement aux principes démocratiques articulés dans la Charte Africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, qui a été signée et ratifiée par 31 de ses membres.

La réponse des organisations régionales et des acteurs internationaux aura des implications non seulement pour la sécurité et la stabilisation de la RDC mais aussi pour les normes de gouvernance à travers l’Afrique. Au fil des ans, du progrès avait été fait pour assurer que les élections y étaient libres et justes. Cependant, les partis au pouvoir sont devenus de plus en plus chevronnés à maintenir l’apparence de “bonnes” élections tout en en contrôlant le résultat. Ceci perpétue une dynamique d’instabilité et d’illégitimité.

Le contrepoint de cette dynamique est que les sondages comme celui  d’Afrobaromètre montrent qu’une grande majorité de citoyens Africains préfèrent la démocratie comme type de gouvernement. Ceci reflète leur expérience de l’instabilité générée par des systèmes politiques basés sur l’exclusion et l’inegalité qui maintiennent indéfiniment au pouvoir certains dirigeants. La question reste donc de savoir si ces aspirations démocratiques peuvent aboutir en RDC grâce à un scrutin démocratique ou autrement.

Experts du CESA


Ressources complémentaires