Les élections présidentielles et législatives de 2024 au Mozambique se définissent par le sentiment croissant d’avoir droit et d’impunité du parti au pouvoir, le Frente de Libertação de Moçambique (FRELIMO).
Les élections municipales d’octobre 2023 donnent un aperçu de ce qui pourrait se produire. La Commission électorale nationale a déclaré que le FRELIMO avait remporté 64 des 65 scrutins, balayant même des zones connues pour être des bastions du parti Resistência Nacional Moçambicana (RENAMO). Des décomptes parallèles effectués par un consortium d’observateurs électoraux indépendants, dirigé par l’Église catholique, ont cependant montré que le RENAMO avait remporté une poignée de municipalités, dont Maputo, pour la première fois.
Les manifestations dans les bastions du RENAMO ont fait l’objet d’une réponse policière musclée qui a fait au moins quatre morts. La police a fait une descente au siège du RENAMO à Maputo, arrêtant des dizaines de partisans.
L’ancien candidat RENAMO à la mairie de Maputo, Venâcino Mondlane, se présentera en candidat indépendant après que la Cour Constitutionnelle a retiré en août dernier l’inscription de son parti, l’Alliance pour la coalition démocratique. Mondlane est populaire parmi les jeunes et est largement considéré comme ayant gagné la dernière élection à la mairie de Maputo, du moins selon le décompte parallèle des voix qui avait été effectué. Enfin, Lutero Simango sera le porte-étendard du parti MDM et mène campagne sur une plateforme qui promeut le développement.
Le recours du RENAMO aux tribunaux a abouti à l’annulation de certains résultats électoraux par une douzaine de tribunaux de district et à la demande d’un recomptage des voix ou d’un nouveau scrutin pour d’autres. Toutefois, ces jugements ont été annulés par le Conseil constitutionnel nommé par le FRELIMO, qui a jugé que les juridictions inférieures n’étaient pas compétentes pour annuler ou ordonner le recomptage des voix. Finalement, le Conseil constitutionnel a déterminé que le FRELIMO avait remporté 56 municipalités, que le RENAMO en avait remporté 4 (contre 8 auparavant) et que le parti Movimento Democrático de Moçambique (MDM) en avait remporté 1. Un nouveau scrutin devait être organisé dans quatre autres municipalités.
Le système multipartite du Mozambique n’est de plus en plus que de nom.
Les élections municipales montrent que le système multipartite du Mozambique n’est de plus en plus que de nom. Le FRELIMO a manifestement calculé qu’il pouvait procéder à des manipulations électorales flagrantes avec peu de répercussions de la part de ses partenaires nationaux ou internationaux.
Les élections présidentielles de 2019 avaient également été marquées par des rapports crédibles faisant état de bourrage d’urnes, d’intimidation d’observateurs électoraux, de graves divergences dans les listes électorales et d’irrégularités dans la tabulation. La Commission électorale nationale avait déclaré le président Filipe Nyusi vainqueur avec un score improbable de 73 % des voix. La société civile et les observateurs internationaux avaient qualifié ces élections des moins équitables depuis le retour à des élections multipartites en 1994. Une mission de suivi des élections de l’Union européenne en 2022 avait constaté que la mise en œuvre des 20 recommandations émises à la suite des élections problématiques de 2019 n’avait guère progressé.
Les élections législatives de 2019 ont permis au FRELIMO d’accroître sa majorité à l’Assemblée de la République, qui compte 250 sièges, de 144 à 184 sièges, aux dépens du RENAMO et du MDM. Le FRELIMO a de même obtenu l’ensemble des 10 gouverneurs de province.
Tel est l’environnement politique dans lequel se dérouleront les élections de 2024.
Le FRELIMO domine la politique mozambicaine depuis le retour des élections multipartites en 1994, après une guerre civile dévastatrice de 15 ans avec le RENAMO, qui a fait environ 1 million de morts.
Lors des élections de 1994 et 1999, après que le RENAMO s’est transformée en parti politique, il a obtenu 45% et 47 % des sièges parlementaires respectivement, avant de voir ce chiffre chuter à 20 % en 2009. Le RENAMO a accusé le FRELIMO d’avoir manipulé les résultats des élections, ce qui a déclenché un conflit de faible intensité entre 2011 et 2016, qui n’a pris fin qu’après un nouvel accord de paix en 2019.
L’effronterie du FRELIMO à obtenir des résultats électoraux déséquilibrés reflète apparemment son sentiment d’avoir le droit de gouverner le Mozambique à perpétuité. Il s’agit d’une attitude observée par d’autres partis de libération en Afrique australe et orientale, qui s’est manifestée lors des récentes élections au Zimbabwe et en Ouganda. Elle renforce également les efforts visant à normaliser les systèmes de partis dominants en Afrique, sur le modèle du parti communiste chinois.
L’absence d’un système multipartite compétitif élimine un élément central de l’autocorrection démocratique. Elle favorise également un sentiment d’impunité de la part du FRELIMO, développé après des années de contrôle des principales institutions de l’État, qui lui permet de faire ce qu’il veut sans grand risque de perdre le pouvoir. Cela a contribué à la sous-performance persistante du Mozambique au cours des dernières années.
Les Mozambicains ont vu leur produit intérieur brut (PIB) par habitant stagner au cours de la dernière décennie, malgré les revenus abondants tirés des ressources naturelles. L’économie a été entravée par la persistance d’une corruption de haut niveau dont le scandale des « obligations thon », d’une valeur de 2 milliards de dollars et qui a conduit le Mozambique à un défaut de paiement de sa dette souveraine, est la preuve la plus évidente. On estime que la fraude a coûté au pays 11 milliards de dollars, soit l’équivalent de son PIB annuel.
Cette sous-performance et ce manque de responsabilité se retrouvent également dans l’incapacité du Mozambique à assurer la sécurité de ses citoyens face à l’insurrection islamiste militante qui a balayé le Cabo Delgado en 2017. Cette menace a finalement nécessité l’intervention de la Communauté de développement de l’Afrique australe (CDAA) et des forces rwandaises. Les forces mozambicaines à Cabo Delgado sont confrontées à une grande méfiance et à une réputation d’enlèvement contre rançon, d’extorsion et de vol de biens.
Le modèle du parti dominant favorise une volonté politique limitée de poursuivre les réformes.
Le modèle du parti dominant favorise une volonté politique limitée de poursuivre les réformes visant à améliorer les moyens de subsistance des citoyens. Cette situation est amplifiée par le contrôle des médias publics par les partis, ce qui occulte l’analyse objective des politiques. La liberté de la presse au Mozambique s’est dégradée ces dernières années. Les journalistes d’investigation qui s’obstinent à dénoncer la corruption sont intimidés, détenus et certains subissent une mort prématurée. L’absence de médias dynamiques réduit à néant le rôle éducatif et galvanisant que la presse peut jouer dans la poursuite des réformes.
Un modèle de gouvernance qui prive systématiquement les citoyens de leurs droits tout en leur laissant peu de recours juridiques ne peut qu’accroître les perspectives d’instabilité, avec des effets dévastateurs pour le pays et des implications à long terme pour la région.
Malgré ce terrain de jeu inégal, le RENAMO compte participer aux élections présidentielles et législatives de 2024 dans l’ensemble du pays. Son porte-étendard sera Ossufo Momade, qui dirige le parti depuis 2018 après le décès du dirigeant de longue date du RENAMO, Afonso Dhlakama. Momande était un général du RENAMO pendant la guerre civile et s’était présenté à la dernière élection présidentielle. Il avait abuse signé l’accord de paix de 2019.
Le 6 mai 2024, le FRELIMO a annoncé que Daniel Chapo serait son candidat pour l’élection présidentielle. Chapo, un ancien animateur de radio est actuellement le gouverneur de la province de Inhambane, dans le sud du Mozambique. Il y avait été élu par 94 % des voix avant de devenir le candidat du parti dans les prochaines élections. Né en 1977, Chapo fait partie d’une nouvelle génération de dirigeants du FRELIMO et est le premier candidat du parti né après l’indépendance du Mozambique en 1975. L’annonce met fin aux rumeurs selon lesquelles le président Nyusi se présenterait pour un troisième mandat. Il y aurait soi-disant sérieusement réfléchi, même si une limite de mandat aurait dû l’y empêcher.
À bien des égards, les efforts des acteurs de la société civile qui continuent à défendre les réformes pour l’intégrité électorale, l’indépendance des médias et la transparence des finances publiques, seront plus importants que ceux des candidats. Étant donné que les règles du jeu électoral sont très inégales, leur taux de progression pourrait être le baromètre le plus révélateur pour les élections de 2024 au Mozambique. En tant qu’une des institutions les plus respectées du pays, l’Église catholique continuera à jouer un rôle essentiel en tant que conscience morale et source de redevabilité pour les fonctionnaires. Une fois de plus, ses efforts parallèles de totalisation des votes seront indispensables pour discerner les véritables préférences des électeurs, faisant de la crédibilité le mot-clé à surveiller lors de ces élections.