Rapport d'analyse N° 6 : Renforcer le professionnalisme militaire en Afrique

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Les obstacles au professionnalisme militaire en Afrique

Par Centre d’Études Stratégiques de l’Afrique

12 mars 2020


L’héritage du colonialisme

Les raisons et les modalités de l’ingérence fréquente de nombreuses forces armées africaines dans les affaires économiques et politiques ont leur origine dans l’héritage colonial du continent. Construites sur les cendres des forces coloniales, les armées africaines ont hérité des graines de préjugés ethniques semées par les colonisateurs, ouvrant la voie à un déficit de professionnalisme. Afin de contrebalancer les ethnies historiquement plus puissantes, les forces armées coloniales étaient en général composées pour la plupart d’ethnies minoritaires. Par exemple, avant l’indépendance, la minorité tutsie du Burundi et du Rwanda et les éleveurs minoritaires du nord du Ghana, du Nigeria et du Togo étaient prédominants dans les forces coloniales françaises et britanniques.

Ce parti pris ethnique initial a eu un effet majeur sur l’édification des post-coloniales. Les nombreux coups d’État qui ont limogé certains des premiers régimes postindépendance ont très souvent été menés par des officiers de ces minorités ethniques. Parmi ces dirigeants, citons Étienne Eyadéma du Togo en 1963, Sangoulé Iamizana du Burkina Faso (alors connu sous le nom de Haute-Volta) en 1966, Jean Bédel Bokassa de la République centrafricaine en 1966 et Idi Amin Dada de l’Ouganda en 1971. Ces armées dirigées par des minorités avaient reconnu que leur position privilégiée serait menacée par la règle de la majorité, et n’avaient donc aucune raison de soutenir le changement démocratique. Entre-temps, les forces coloniales avaient estimé que de préparer les officiers africains à une transition de pouvoir était sans intérêt. Ces armées avaient donc peu d’officiers qualifiés pour en assumer le commandement.

Cinquante ans plus tard, l’héritage du colonialisme ne peut cependant plus justifier le manque persistant de professionnalisme de tant d’armées africaines. Après l’indépendance, les gouvernements dirigés par des Africains ont eu l’occasion de construire des armées nouvelles et véritablement nationales en réformant la structure, les opérations et les méthodes de recrutement héritées du colonisateur. Mais les dirigeants postindépendance ont plutôt choisi d’exploiter ces lacunes pour créer et maintenir des systèmes politiques autocratiques. Cela a conduit à une myriade de défis permanents pour le professionnalisme militaire en Afrique, y compris les préjugés ethniques et tribaux dans les forces armées, la politisation persistante de l’armée et la faible capacité opérationnelle.

Préjugés ethniques et tribaux

Une armée organisée autour de préjugés ethniques ou tribaux n’est pas en mesure de défendre la république et encore moins la population. Au contraire, elle ne peut défendre que les intérêts de son groupe ethnique ou de sa tribu. Elle ne bénéficie pas de la confiance populaire, de la légitimité et de la compétence d’une force basée sur le mérite, ce qui nuit à son efficacité. Malheureusement, dans de nombreux pays africains, la structure des forces armées est toujours basée sur des considérations ethniques ou tribales.

L’armée mauritanienne est notamment divisée par des clivages raciaux, ethniques et culturels. Bien que minoritaires et représentant moins d’un tiers de la population, les arabo-berbères dominent les institutions politiques, économiques et militaires depuis l’indépendance26. En 1987, après que des allégations d’un complot de coup d’État à caractère ethnique ont menacé cette domination, le président mauritanien Ould Taya a entrepris une « arabisation » presque complète de toutes les branches des forces armées mauritaniennes.

Au Tchad, la composition ethnique des forces armées ne reflète pas non plus celle du pays. Les Zaghawas, l’ethnie du président Idriss Déby, dominent l’armée et les postes militaires clés depuis 1990, date à laquelle ils ont chassé Hissène Habré du pouvoir. Les forces armées togolaises en sont un autre exemple puisque 77 % des soldats viennent du nord du pays. Parmi eux, 70 % sont des Kabyé, l’ethnie du président et 42 % d’entre eux viennent même du village natal du président, Pya. Pourtant, les Kabyé ne représentent que 10 à 12 % de la population du Togo27.

La pratique de recruter des militaires issus en majorité de l’ethnie du président est trop courante en Afrique, même si elle crée une chaîne de commandement qui est de facto plus loyale envers le chef de l’État qu’envers la constitution. Cette pratique sape par ailleurs les normes professionnelles militaires tout en dressant les corps habillés les uns contre les autres sur une base ethnique. Ces divisions ont été exposées de manière frappante lorsque des combats internes ont soudainement éclaté au Soudan du Sud en décembre 2013, retardant davantage le processus de renforcement des institutions du secteur de la sécurité dans le plus jeune pays d’Afrique.

En revanche, une armée diverse et composée de troupes issues de toutes les communautés du pays crée un véritable socle sur lequel un État démocratique peut être édifié. Une force diversifiée crée également des conditions favorables à la professionnalisation des forces armées, car les promotions ont plus de chances d’être fondées sur le mérite plutôt que sur l’appartenance ethnique. Par ailleurs l’allégeance se fait à la nation dans son ensemble plutôt qu’à une ethnie particulière. La Tanzanie est un exemple d’une armée ethniquement diversifiée et plus représentative de sa société.

Lors de la levée du 6e bataillon des King’s African Rifles par les administrateurs britanniques à la fin de la Première Guerre mondiale, les soldats furent recrutés parmi les diverses ethnies du pays, y compris ceux qui avaient servi l’armée coloniale allemande, ennemi du Royaume-Uni. Aucune ethnie n’était dominante28. La Tanzanie (alors connue sous le nom de Tanganyika) n’étant pas considérée comme propice au développement colonial, les Britanniques ne furent aucun effort pour créer une armée ethniquement biaisée afin de contrôler la population majoritair29. À l’indépendance, le premier président du Tanganyika, Julius Nyerere, avait volontairement maintenu une distance professionnelle avec l’armée, qu’il considérait comme un outil de répression coloniale. Nyerere ne changea d’avis qu’en 1964 avec l’unification du Tanganyika et de Zanzibar et la formation de la Tanzanie. En effet, l’armée fut alors confrontée à une mutinerie de soldats réclamant de meilleurs salaires et le renvoi des officiers britanniques. Nyerere entrepris alors de créer une identité nationale au sein de l’armée afin d’éviter toute ingérence politique déstabilisante30.

En Zambie voisine (alors connue sous le nom de Rhodésie du Nord), les Britanniques avaient aussi recruté une armée composée de différents groupes ethniques à travers le pays, et aucune ethnie ne dominait donc l’armée zambienne. Cependant, contrairement à Nyerere, le futur président de la Zambie, Kenneth Kaunda, avait dès le début collaboré étroitement avec les officiers africains de l’armée coloniale. Ainsi, à l’indépendance de la Zambie en 1964, il y avait peu de méfiance entre les dirigeants civils et militaires. Après l’indépendance, Kaunda poursuivit une politique d « équilibrage tribal » à tous les niveaux du gouvernement, reconnaissant ainsi l’influence que des déséquilibres ethno régionaux auraient sur l’ingérence politique des militaires en Afrique subsaharienne31.

Un exemple moderne d’une armée devenue plus inclusive est la Force nationale de défense sud-africaine (South African National Defence Force (SANDF)). Un effort concerté postapartheid a permis de créer une armée composée d’hommes et de femmes issus des anciennes forces belligérantes. Sous la pression d’une transition politique, l’armée s’est transformée pour représenter et refléter la diversité du peuple sud-africain. Le gouvernement, l’armée et la société civile continuent de maintenir l’inclusivité comme un élément clé de la politique de sécurité nationale du pays.

Le Burundi, dans l’objectif que son armée reflète davantage sa population, a également entrepris une vaste intégration de son armée, mettant en place des quotas et instaurant un âge de retraite. Après le cessez-le-feu de 2003, les dirigeants burundais ont fortement encouragé l’armée à intégrer dans l’armée jusqu’alors dominée par les Tutsis, les rebelles principalement hutus. Cette intégration s’est produite à tous les niveaux de l’armée, les soldats de diverses ethnies vivant depuis dans les mêmes casernes et s’entraînant aussi ensemble. En trois ans, les préjugés ethniques dans l’armée ont été réduits de façon spectaculaire, en particulier parmi les jeunes militaires du rang et l’armée burundaise a ainsi gagné en cohésion32.

Politisation du militaire et militarisation de la politique

La politisation des militaires est la partie émergée d’un iceberg qui cache très souvent une compétition active entre les politiciens pour obtenir un soutien militaire. En effet, la majorité des coups d’État militaires qui ont eu lieu en Afrique étaient soutenus par des acteurs politiques concurrents. Lorsque ces intérêts concurrents se trouvent au sein du parti au pouvoir, des « révolutions de palais », plutôt qu’une interruption complète de l’ordre constitutionnel, sont plus susceptibles de se produire. Au Togo par exemple, à la mort du président Gnassingbé Eyadéma en 2005, ce dernier fut remplacé par son fils Faure Gnassingbé après que des généraux fidèles à son père eurent empêché l’investiture, pourtant prévue par la constitution, du président l’Assemblée nationale en tant que chef de l’État.

Certains partis politiques tenteront de trouver des sympathisants au sein de l’armée dans le but d’usurper le pouvoir en période de crise. Fait révélateur, le coup d’État militaire de 2012 au Mali a obtenu le soutien de plusieurs partis politiques malgré la condamnation unanime de la communauté internationale. En Côte d’Ivoire, les partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo ont continué à s’assurer du soutien de sympathisants au sein de l’armée pour aider à saper l’autorité du président Alassane Ouattara33. Ces imbroglios politico-militaires sont l’illustration d’un thème commun en Afrique : les acteurs politiques s’appuient sur le soutien des militaires plutôt que sur celui de la population.

Alors que les niveaux élevés du professionnalisme militaire dans certains pays occidentaux ont rendu obsolète l’idée selon laquelle une personnalité politique pourrait subvertir l’appareil sécuritaire, la manipulation des allégeances militaires reste toujours monnaie courante dans de nombreux pays africains. Mais une telle approche est intrinsèquement instable. L’expérience de la Côte d’Ivoire en est une illustration frappante. Lorsque le premier président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, prend le contrôle du secteur de la sécurité, il en réduit la taille et créé une milice fidèle au parti, composée principalement de Baoulé, sa propre ethnie. En outre, il manipule l’armée en versant aux militaires un salaire plus élevé que celui des aux autres fonctionnaires, et il accorde par ailleurs d’autres avantages aux officiers supérieurs ainsi que des postes au sein de son parti34.

Ce patronage déséquilibré met en marche la spirale d’instabilité politique et d’insécurité qui a suivi en Côte d’Ivoire. À la mort d’Houphouët-Boigny en 1993, le président de l’Assemblée nationale, Henri Konan Bédié, prend le pouvoir avec l’aide de quelques gendarmes issus de sa tribu. Par cet acte, sans précédent dans l’histoire politique et constitutionnelle de la Côte d’Ivoire, les forces de sécurité abandonnent leur image d’unité et de neutralité et deviennent, dès lors, des acteurs centraux du jeu politique35. Cette même gendarmerie, par la suite mieux équipée et entraînée que le reste des forces armées ivoiriennes, installera Laurent Gbagbo à la magistrature suprême à l’issue des élections de 2000 où son rival, le défunt général Robert Guéï, s’était proclamé vainqueur. Comme dans d’autres pays africains, des éléments des forces de sécurité étaient donc devenus faiseurs de roi.

Une armée plus partisane et moins professionnelle aux yeux de la société est le résultat de ces relations, ce qui diminue le respect pour l’institution – un prérequis pour recruter des soldats engagés, disciplinés et talentueux. Puisque les politiciens ont aussi besoin du soutien de l’armée, ils sont souvent disposés à tolérer, voire à encourager, que les chefs militaires utilisent les ressources publiques pour leur enrichissement personnel. Cette réalité constitue non seulement une politisation de l’armée mais aussi une « militarisation » de la politique.

Les gardes présidentielles : Une force derrière les régimes non démocratiques

Les gardes présidentielles sont un acteur politique majeur en Afrique. Lors de la mutinerie de 2011 au Burkina Faso, la situation était relativement sous contrôle jusqu’à ce que des membres de la garde présidentielle se joignent aux manifestants. Par la suite, le Premier ministre Tertius Zongo et son gouvernement furent contraints de démissionner, les principaux chefs militaires limogés et les demandes de certains mutins satisfaites. Grâce à ces concessions, la même garde présidentielle mis un terme ferme et définitif à la mutinerie.

Les événements au Burkina Faso illustrent le rôle important joué par les gardes présidentielles dans la sécurité et la stabilité d’un régime africain. Dans la pratique, les gardes présidentielles servent de contrepoids au reste de l’armée et jouent fréquemment un rôle central dans les différents coups d’État et contre-coups lancés en Afrique. En Mauritanie, le général-président Ould Abdel Aziz a commandé le Bataillon autonome de la sécurité présidentielle (BASEP) pendant plus de 15 ans. À la tête de cette unité d’élite de l’armée mauritanienne, il a déjoué deux tentatives de coup d’État avant d’en mener un lui-même en 2008. Dans de nombreuses armées africaines, le pouvoir réel se trouve donc entre les mains de la garde présidentielle.

En Afrique, les gardes présidentielles sont généralement mieux équipées, formées et surveillées que le reste des forces armées. La plupart des gardes présidentielles africaines n’étant pas contrôlées par le ministère de la Défense ou le chef d’état-major des forces armées, elles sont généralement considérées comme une armée au sein d’une armée. Souvent très politisées et pour certaines composées d’un fort penchant ethnique, elles présentent de ce fait tous les signes du manque de professionnalisme que l’on peut observer dans les forces armées africaines, tout en étant dans une position encore plus influente par rapport au pouvoir politique. Dotées d’un rôle central et donc allergiques à toute réforme qui pourrait remettre en cause ce privilège, les gardes présidentielles sont ainsi régulièrement à l’origine de la mauvaise gouvernance du secteur de la sécurité. Puisqu’elles sont sous le contrôle direct du chef de l’État, elles ont un effet dissuasif sur le reste des forces armées.

Certaines de ces gardes présidentielles ont usé de la répression pour permettre permis aux régimes africains à se maintenir au pouvoir. Lors des élections de 2012 en République démocratique du Congo par exemple, la garde présidentielle a arrêté les principales figures de l’opposition, désavouant ainsi la légitimité du processus. Mais dominer par la répression n’est pas une solution durable. Au contraire, ces actions sapent la confiance du public et l’intégrité institutionnelle jusqu’à ce que le gouvernement s’effondre, comme ce fut par exemple le cas au Niger, où en 1999, le président Ibrahim Bare Mainassara est assassiné par sa garde présidentielle. C’est son commandant, Daouda Mallam Wanké qui prend, dans la foulée, le contrôle du pays. Les élections de la même année portent au pouvoir un officier de l’armée lui aussi soutenu par la garde présidentielle, Mamadou Tandja. Dix ans plus tard, en 2010, après avoir suspendu le gouvernement et annoncé qu’il gouvernerait par décret, le président Tandja est lui aussi chassé du pouvoir par un coup d’État mené non pas par la garde présidentielle, qui lui était restée fidèle, mais par un officier de l’armée, le commandant Salou Djibo.

En reconnaissance du fait que leur pouvoir dépend du chef de l’État, de nombreuses gardes présidentielles en Afrique sont loyales et dévouées à la cause de leur bienfaiteur, indépendamment de la constitutionnalité de ses actions. Elles ne se sentent généralement pas concernées par les contraintes légales et leurs abus des droits humains sont tolérés sous le couvert de la sécurité nationale. En Guinée, par exemple, les manifestations de l’opposition en 2009 contre le chef de la junte militaire, le capitaine Moussa Dadis Camara, se sont terminées par un bain de sang après que des membres de sa garde présidentielle ont ouvert le feu sur des manifestants non armés rassemblées dans le stade national. Au moins 157 personnes ont été tuées, environ 1 200 blessées et au moins 63 femmes violées36. Camara sera lui-même par la suite victime d’une tentative d’assassinat perpétrée en l’occurrence par le chef de sa garde présidentielle.

Faible capacité opérationnelle : Un signe d’une armée sans mission

Le professionnalisme d’une armée repose sur des systèmes de commandement et de contrôle, des compétences et des ressources efficaces pour mener à bien ses missions. La faible capacité opérationnelle de nombreuses armées africaines les rend incapables de jouer ce rôle, remettant même en cause leur pertinence. La déroute de l’armée malienne par les rebelles islamistes en 2012, la prise de Goma par le groupe rebelle M23, aujourd’hui disparu, en République démocratique du Congo la même année, et la désintégration de l’armée centrafricaine après la conquête rapide et facile de Bangui par les forces rebelles de la Seleka en 2013, illustrent la faible capacité opérationnelle de nombreuses armées subsahariennes. Parmi la multitude de raisons pouvant expliquer cette inefficacité, les problèmes suivants se distinguent : des lacunes dans la chaîne de commandement entraînant l’indiscipline, un contrôle inadéquat des pratiques de passation de marchés, une faible gestion des ressources qui diminue la capacité opérationnelle, un moral bas et une mission mal alignée ou obsolète.

Des lacunes dans la chaîne de commandement conduisant à l’indiscipline. Une chaîne de commandement fonctionnelle est une condition préalable à toute institution militaire puisqu’elle reflète un bon leadership, une bonne discipline et favorise la redevabilité. Malheureusement, les rapports provenant de toute l’Afrique donnent l’image de militaires dont la main gauche ne semble pas savoir ce que fait la main droite. De plus, les liens entre la politique militaire officielle et les actes des soldats du rang n’existent apparemment presque pas. En effet, dans le nord du Nigeria des civils ont accusé des soldats luttant contre les insurgés de Boko Haram d’atrocités à leur encontre37. Les hauts gradés de l’armée nigériane ont été incapables d’expliquer ces actes, bien qu’ils aient bien compris les effets aggravants que des mesures de sécurité intérieure trop brutales peuvent avoir sur les populations locales.

La grande majorité des armées africaines sont régies par des textes législatifs, tels que le statut du personnel des forces armées et le code ou règlement de discipline militaire. Cependant, en raison de lacunes dans la chaîne de commandement et dans le protocole disciplinaire, les actes criminels commis en dehors des casernes restent souvent impunis, perpétuant l’idée que les soldats sont parfois au-dessus des lois. Cela renforce une culture de l’impunité qui sape la réputation de l’armée et favorise un comportement déviant parmi la troupe.

En Côte d’Ivoire, sous Laurent Gbagbo, aucune sanction n’a été prise à l’encontre des auteurs présumés d’un massacre en 2000, lorsque des soldats fidèles au président sont accusés d’avoir tué des civils qui contestaient la légitimité de son élection. Il n’y a pas eu non plus d’obligation de rendre des comptes pour les meurtres commis lors de manifestations en 2004. Après l’arrivée au pouvoir du régime démocratique d’Alassane Ouattara en 2011, ces soldats ont été inculpés. Cependant, le gouvernement Ouattara n’a pas encore enclenché de procédures à l’encontre de soldats accusés d’avoir commis des crimes sous son autorité au lendemain des élections contestées de 2010.

Il existe incontestablement des exceptions. Au Bénin, la justice a arrêté plusieurs fois des officiers de police judiciaire, de la gendarmerie et de la police après qu’ils ont emprisonné illégalement et mal traité des citoyens en garde à vue. Au Burkina Faso, 566 soldats impliqués dans la mutinerie de 2011 ont été renvoyés de l’armée, et 217 leaders de la mutinerie ont été arrêtés, poursuivis par un tribunal militaire et emprisonnés pour avoir déshonoré les forces armées, causé des troubles à l’ordre public et bafoué les droits humains38.

Contrôle insuffisant des pratiques de passation de marchés. Un aspect de la mauvaise gouvernance dans l’armée se manifeste dans l’acquisition de fournitures et d’équipements. La plupart des soldats se plaignent d’habiter dans des casernes inhospitalières et d’avoir salaires dérisoires sans aucune possibilité d’avancement. Le budget de l’armée est pourtant souvent plus important que celui de la plupart des autres services publics. Au Nigeria, par exemple, de nombreuses casernes militaires restent dans un état de délabrement avancé, même après que l’armée a dépensé près de 12 milliards de nairas (environ 76 millions de dollars) pour leur réhabilitation et la construction de nouvelles casernes39. Les allégations de corruption, dans l’achat d’équipements qui s’avèrent être de qualité inférieure et le détournement de matériel vers Boko Haram ont encore érodé la confiance dans l’armée nigériane et directement compromis son efficacité.

L’une des raisons de cette déconnexion est que le Département des affaires financières et administratives des ministères de la Défense n’est généralement qu’une coquille vide, manquant cruellement de personnel et de moyens pour mener à bien ses missions. Le faible contrôle des contrats de passation de marchés par les ministères de la Défense qui en résulte engendre à la fois une corruption généralisée et un problème de gouvernance. Dans une évaluation de 19 secteurs africains de la défense, Transparency International a notamment constaté que 90 % d’entre eux se situaient dans les deux quintiles inférieurs en matière de transparence du cycle de passation des marchés (voir tableau 2). Même si les procédures administratives sont respectées dans les premières phases du processus d’élaboration du budget, il suffit d’apposer la mention « secret » ou « classifié » sur ces appels d’offres pour échapper aux contrôles des bureaux des finances publiques. Et si certains marchés militaires doivent être confidentiels pour des raisons de sécurité nationale, cela n’est pas nécessaire pour la grande majorité d’entre eux.

Tableau 2. Notes anticorruption de certaines catégories d’affaires financières et administratives du secteur de la défense dans 19 pays africains, 2013 (4 = forte transparence, 0 = faible transparence)

Source: Programme de défense et de sécurité de Transparency International, 201340. Les notes anticorruptions sont basées sur une évaluation des scores dans 77 catégories de risque de corruption.

Dans beaucoup de pays, les décisions en matière de passations de marchés militaires sont concentrées entre les mains d’une oligarchie politique et militaire alliée à des partenaires commerciaux nationaux et étrangers. Résultat, ces marchés sont davantage fonction des intérêts commerciaux ou de l’enrichissement personnel que de la satisfaction des besoins réels des forces armées. En 2007, les pots-de-vin pour les fournitures de matériel militaire en Afrique représentaient environ 10 % de la valeur d’un contrat41.

La corruption et les pots-de-vin conduisent généralement à l’acquisition d’équipements trop chers, défectueux ou inadaptés aux besoins des forces armées. En Ouganda, par exemple, le général Salim Saleh, ancien guérillero et demi-frère du président Yoweri Museveni, a été impliqué dans plusieurs scandales de financement politique avant de quitter son poste de conseiller principal du président pour la défense et la sécurité42. Il a fourni à l’armée ougandaise non seulement des rations alimentaires avariées, mais aussi des chars T-54 et T-55, des hélicoptères et des avions de chasse MiG-21 défectueux et inutilisables. En contrepartie, les échelons supérieurs de l’armée ont reçu un flux constant de pots-de-vin43. En 2010, l’ancien ministre de la Défense du Cameroun (de 2004 à 2009), Rémy Ze Meka, a été arrêté pour détournement de fonds pendant son mandat. Cet argent était destiné à des opérations militaires et à des projets de développement. En 2013, le gouvernement du président sud-africain Jacob Zuma tentait toujours de répondre aux accusations relatives aux preuves de pots-de-vin et de corruption associés à divers marchés militaires pour certains remontant à 1999, avec des entreprises de défense internationales, dont les couts trop onéreux avaient atteint plus de 6 milliards de dollars.

Certains pays africains ont mis en place des mécanismes internes de contrôle de la gouvernance. En effet, la majorité des pays francophones d’Afrique ont créé un bureau de service d’inspection au sein de leur ministère de la Défense. Ce dernier est chargé de surveiller, de conseiller et de tester la mise en œuvre de la politique gouvernementale et de la capacité opérationnelle des forces armées. Les principales tâches d’un tel bureau sont de :

  • Contrôler l’application des lois, des règles et des décisions ministérielles concernant les aspects administratifs et financiers des forces armées,
  • Participer à l’élaboration et à la mise en œuvre de la doctrine militaire, et
  • Soumettre des rapports périodiques sur la gestion des ressources humaines, l’équipement, la formation et les besoins des forces armées.

Si les services d’inspection constituent une innovation institutionnelle importante, ils peuvent être facilement contournés s’ils ne sont pas habilités de pleins pouvoirs. Cela se produit quand ces services n’existent que pour compléter l’organigramme d’un ministère de la Défense et que les nominations à cette fonction sont considérées comme des postes de fin de carrière ou de « garage » pour les anciens chefs d’état-major des forces armées ou les officiers militaires de haut rang. Ces nominations créent par ailleurs des conflits d’intérêts. En effet, l’inspecteur général peut devoir examiner des contrats et des décisions prises par lui-même ou par des proches collègues dans l’exercice de leurs fonctions. Dans certains cas, les relations personnelles ou l’ego influencent l’approche au travail de l’inspecteur général, ce qui sape l’impartialité de cette fonction de surveillance et a un impact négatif sur la capacité opérationnelle.

Il est très rare en Afrique que le pouvoir législatif ou la société civile remettent en question les dirigeants militaires ou s’impliquent dans les processus opaques de passations de marchés. En général, dans la plupart des pays africains, les parlements ne contrôlent pas les dépenses militaires car ils considèrent qu’une telle enquête nuirait à la sécurité nationale. Par exemple, alors que le Kenya se classe au septième rang des pays africains en termes de dépenses budgétaires de défense44, ce n’est qu’en 2012 qu’il a promulgué une loi obligeant l’armée à soumettre ses rapports financiers au parlement et au président et à soumettre ses comptes à un audit.

D’autres pays africains dont les niveaux de dépenses militaires sont relativement élevés, comme l’Angola et l’Algérie, ont mis en place des lois exigeant un contrôle parlementaire, mais ils ne semblent pas les appliquer pleinement. Au Ghana, le parlement compte trois commissions spéciales chargées des questions de sécurité et des questions militaires, et la commission de la défense et de l’intérieur est présidée par le chef du plus grand parti d’opposition. Cela devrait permettre de vérifier le processus de formulation du budget de la sécurité. Pourtant, apparemment, lorsque la question du budget est abordée, une objection à sa discussion pour des raisons de « sécurité nationale » est couramment soulevée sans être contestée45. Au Togo, 25 % du budget est généralement alloué à l’armée, ce qui en fait la dépense la plus importante du pays, tout en étant la moins sujette à un contrôle externe46. Dans d’autres pays comme le Nigeria, le budget opérationnel est décentralisé, l’armée de terre, la marine et l’armée de l’air étant chacune habilitée à gérer ses propres passations de marchés pour les dépenses récurrentes47. Cela rend le contrôle encore plus difficile et crée davantage de possibilités de détournement de fonds.

En revanche, des pays comme le Sénégal et l’Afrique du Sud disposent d’une structure de gestion civile solide au sein de leurs ministères de la Défense, ce qui contribue à un degré relativement élevé de redevabilité pour l’utilisation des fonds48. Au Burkina Faso, en Afrique du Sud et en Ouganda, il existe un contrôle législatif actif dans la formulation du budget du ministère de la Défense pour adoption. Et dans des pays comme le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Ouganda, lorsque des ingérences politiques compromettent le ministère ou le parlement, la société civile se fait entendre pour rappeler le gouvernement à l’ordre. En 2012, par exemple, la ministre sud-africaine de la Défense et des vétérans militaires, Lindiwe Sisulu, a été licenciée après que le public a appris qu’elle avait secrètement négocié un contrat de 2 milliards de rands (environ 200 millions de dollars) pour l’achat de jets d’affaires pour le président Zuma et le vice-président Motlanthe.

La faiblesse de la gestion des ressources diminue la capacité opérationnelle. Une administration efficace est indispensable au succès des opérations militaires. Seul un système de gestion solide peut exploiter les maigres ressources des armées africaines et les utiliser de manière optimale. L’absence de ces capacités est évidente à tous les niveaux de la gestion des armées africaines, que ce soient des ressources humaines, des équipements ou de la logistique.

Les promotions basées sur des critères politiques et ethniques ont bouleversé la pyramide des grades des officiers dans certains pays. Avant la crise de 2012, l’armée malienne comptait ainsi plus de 50 généraux pour environ 20.000 hommes, soit 1 général pour 400 hommes. Le Niger voisin comptait un général pour 600 hommes49. En revanche, une brigade d’infanterie typique de l’OTAN compte environ 3.200 à 5.500 hommes et est généralement commandée par un seul général de brigade, voire un colonel. Cette disproportion entre les gradés et les soldats est un problème commun aux armées africaines. En général, plus le rapport entre les officiers et les soldats du rang est élevé, plus une armée est inefficace. L’inflation dans les effectifs d’officiers est une source d’inefficacité dans le commandement et constitue une charge supplémentaire pour le budget de la défense. Elle est également source d’indiscipline au sommet de la hiérarchie car elle engendre la frustration des colonels-seniors (anciens) qui, voyant les promotions accordées à d’autres officiers pour des raisons politiques plutôt que professionnelles, désobéissent parfois ou refusent d’accepter les ordres des nouveaux généraux, semant ainsi les graines de la désobéissance et de l’indiscipline parmi la troupe. La chaîne de commandement est ainsi rompue. L’ascension rapide dans les rangs du fils du président ougandais Museveni, le général de brigade Muhoozi Kainerugaba (qui est devenu commandant du commandement des forces spéciales d’élite ougandaises après seulement 15 ans de service), par exemple, a soulevé le spectre du népotisme et des manigances politiques50.

Le délabrement du matériel roulant et leur entretien inadéquat ont également contribué à la paralysie croissante des forces armées africaines. Les armées de l’air africaines disparaissent. Les partenaires internationaux ne soutiennent plus une maintenance technique trop coûteuse, qui, associée à une forte réduction des allocations budgétaires de la défense, a cloué au sol la plupart des appareils. La majorité des pilotes de chasse ont par conséquent quitté l’armée. Les plus chanceux sont devenus pilotes commerciaux pour les vols VIP, qui sont par ailleurs devenus la mission principale des armées de l’air subsahariennes. De même, seule l’Afrique du Sud dispose encore d’importantes capacités maritimes opérationnelles « d’eau bleue ». Cette évolution n’est pas nécessairement négative, car la principale menace maritime à laquelle les pays africains sont confrontés se situe dans presque tous les cas dans les eaux côtières et les zones économiques exclusives (les eaux situées à moins de 200 milles nautiques du littoral)51. Toutefois, les petites marines comme celles du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Gabon, du Kenya, du Sénégal et de la Tanzanie souffrent d’obsolescence et de problèmes de maintenance du matériel52.

Un déclin majeur de la capacité opérationnelle de nombreuses armées subsahariennes s’est produit dans les années 1990, à la fin de la guerre froide. Les armées d’avant la guerre froide n’étaient plus pas professionnelles, mais, elles disposaient au moins du strict minimum d’équipements utilisables, donnés et entretenus dans le cadre d’accords de coopération généreux destinés à soutenir la rivalité permanente entre les superpuissances. Or, la fin soudaine de la Guerre froide a sonné le glas de ces dépenses. Privées du soutien des blocs occidental et oriental, les armées subsahariennes n’ont pu maintenir l’illusion de cohésion et de capacité opérationnelle. Au Burkina Faso par exemple, 1999 a sonné le glas des programmes de coopération allemands qui avaient renforcé le corps du génie militaire. Le retrait de ce financement a considérablement réduit les activités de cette unité qui avait largement contribué au désenclavement des zones rurales du Burkina Faso en construisant et en réhabilitant des routes.

Le conflit au Mali en 2012-2013 a révélé les défis de gestion au sein des armées des États voisins. Malgré son expérience passée en matière de maintien de la paix dans la région, la CEDEAO n’a pas pu mettre en place et déployer une force fiable pour bloquer l’avancée rapide des forces djihadistes. Après avoir constaté les hésitations de la CEDEAO à déployer ses forces en attente, la France est intervenue, soutenue par la résolution 2085 du Conseil de sécurité des Nations unies, pour restaurer l’intégrité territoriale du Mali et empêcher les groupes militants de renforcer leurs positions dans la région. La vérité est que peu de pays d’Afrique de l’Ouest avaient la capacité logistique de déployer eux-mêmes un bataillon sans soutien extérieur.

Toutes les armées africaines ne se trouvent pas dans un tel état d’obsolescence. Les forces armées de l’Algérie, du Maroc et de l’Afrique du Sud sont généralement efficaces et bien entraînées, capables de mener des opérations combinées (interarmées) et de fournir un soutien logistique à un conflit. Il faut également saluer les forces armées de la mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM). Composée de contingents d’Ouganda, du Burundi, de Djibouti, d’Éthiopie, du Kenya et de Sierra Leone, l’AMISOM a rétabli l’ordre et stabilisé les principales villes de Somalie53.

De même, les forces armées tchadiennes ont pu déployer sur court préavis 2.000 soldats formés dans le désert pour engager les forces islamistes militantes dans la région de l’Adrar des Ifoghas au nord du Mali lors de l’intervention multinationale de 2012. Tout comme les forces nigérianes qui ont joué un rôle essentiel dans l’effort de stabilisation du nord du Mali. La Brigade d’intervention de la force des Nations Unies en République démocratique du Congo (RDC), forte de 3.000 hommes et composée de soldats d’Afrique du Sud, de Tanzanie et du Malawi, a joué un rôle décisif dans la défaite, en 2013, des rebelles du M23, qui constituaient une force de déstabilisation majeure dans l’est de la RDC.

Un moral bas. Les armées africaines regorgent d’officiers très compétents et professionnels formés dans les meilleures écoles militaires du monde. Malheureusement, ces officiers ont du mal à s’épanouir dans un environnement où leur compétence et leur professionnalisme ne sont pas récompensés par une promotion ou un avancement de grade. L’inactivité et la stagnation professionnelle qui en résultent rongent la motivation des officiers, même bien formés et compétents. Cela sème les graines des mutineries récurrentes parmi les soldats qui se sentent sans direction et abandonnées par leurs chefs militaires et civils.

Le moral est vital sur le champ de bataille. Sans lui, la défaite est inévitable. Le manque de motivation des troupes maliennes à combattre les islamistes militants et les séparatistes Touaregs en 2012-2013 était dû à une combinaison de facteurs, notamment l’instabilité politique causée par le coup d’État militaire, les allégations de corruption aux niveaux supérieurs de la chaîne de commandement, et le soutien et l’équipement minimaux aux troupes de première ligne chargées de combattre les militants.

La corruption au sommet de la chaîne de commandement sape le moral des soldats, les rendant de plus en plus enclins à participer à la corruption ou à la tolérer eux-mêmes54. Dans les pays où les salaires sont minimes et irréguliers, les soldats sont tentés d’extorquer de l’argent ou des paiements en nature à la population locale ou de se tourner vers des activités plus lucratives pour survivre. Comme dans d’autres armées africaines, les officiers maliens auraient « recruté » plus de soldats qu’il n’en existait réellement, tout en vendant simultanément leur équipement et en empochant la solde versée à ces soldats « fantômes »55. Parfois, les soldats se mettent tout simplement en grève. En RDC par exemple, les médias ont établi un lien entre le non-paiement des soldats déployés à l’est du pays et la corruption au sommet. Ces soldats, à leur tour, n’ont pas pu protéger les villages contre les incursions de l’Armée de Résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army) de l’Ouganda56.

Les soldats les plus irréfléchis ne sont que trop enclins à se tourner vers le crime organisé. Après le non-paiement des soldes dans les années 1990, les hauts gradés de l’armée bissau-guinéenne ont commencé à vendre des armes et des mines antipersonnel aux rebelles de Casamance, avant de s’engager dans le trafic de drogue. Les bouleversements politiques et militaires et les règlements de comptes sanglants qui déstabilisent la Guinée-Bissau depuis lors sont étroitement liés au trafic de drogue qui a corrompu le gouvernement et les chefs militaires.57

Les mêmes cartels de trafiquants de drogue ont infiltré d’autres pays d’Afrique de l’Ouest et compromis leurs dirigeants politiques et militaires. L’ancien dirigeant malien, Amadou Toumani Touré, a tenté d’exploiter les bandes criminelles organisées afin d’exercer une influence dans le nord du pays58. Des soldats de l’armée malienne ont été proposés pour diriger temporairement les milices privées des contrebandiers59. Parfois, les fonctionnaires maliens étaient même directement impliqués dans les affrontements entre les syndicats criminels60. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un motif pour déposer un gouvernement démocratiquement élu, les liens des autorités avec la criminalité organisée ont entrainé sa perte de légitimité et l’érosion de son efficacité.

Mission mal définie ou obsolète. Stanisław Andrzejewski a postulé « qu’une armée désœuvrée, sans menace extérieure à traiter, est plus susceptible de s’ingérer dans la politique intérieure »61.

Cela sonne juste pour l’Afrique, où de nombreuses armées souffrent d’un manque de vision et d’objectif clair. Ainsi, le matériel roulant obsolète et les soldats mal préparés et non motivés ne sont que les symptômes d’un plus vaste défi. Seul un nombre limité de pays africains dispose d’une stratégie de sécurité nationale définie, bien qu’une telle stratégie soit cependant essentielle pour aligner les ressources avec les priorités nationales identifiées, coordonner les efforts interministériels et favoriser une compréhension commune des rôles et responsabilités de toutes les branches du gouvernement au profit de l’État, de l’armée et de la société civile.

Pour la majorité des armées africaines, la doctrine directrice de l’armée demeure fondée sur la défense de la nation contre un ennemi étranger. Pourtant, peu de conflits interétatiques se sont produits en Afrique au cours des dernières décennies. En outre, les États africains sont parvenus à utiliser les mécanismes internationaux tels que la Cour internationale de justice de La Haye pour résoudre pacifiquement les différends frontaliers. Cette dernière a notamment résolu les désaccords frontaliers entre le Nigeria et le Cameroun, le Burkina Faso et le Mali, ainsi que le Bénin et le Niger.

Les menaces qui pèsent sur l’Afrique sont en revanche presque entièrement d’ordre intérieur. Boko Haram et le Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger défient depuis des années les autorités nigérianes. Les gouvernements de l’Angola et du Sénégal luttent depuis des décennies pour vaincre respectivement les forces séparatistes tenaces des provinces de Cabinda et de Casamance. Les séparatistes Touaregs, aidés par un assortiment de groupes islamistes militants, ont profité de l’incertitude politique à Bamako pour progresser dans leur lutte pour le contrôle du nord du Mali. Le seigneur de guerre ougandais Joseph Kony et ses forces irrégulières ont commis des crimes odieux contre les populations ougandaises, congolaises et centrafricaines pendant des décennies malgré les efforts de leurs armées nationales respectives. Le groupe extrémiste violent Al Shabaab continue de menacer la stabilité en Somalie.

Ces insurrections d’origine locale mettent en exergue le décalage entre les mandats militaires et les menaces réelles pour la sécurité. Dans certains pays, les forces irrégulières qui affrontent les forces gouvernementales sont mieux équipées, plus mobiles et ont une meilleure connaissance du terrain62. Les forces de sécurité africaines doivent donc devenir manifestement plus compétentes et professionnelles pour gagner. Tant que les dirigeants africains n’auront pas défini une mission claire pour leurs institutions de sécurité, et qu’ils ne l’auront pas intégrée dans leurs processus de planification stratégique, ils ne pourront pas fournir des ressources et former leurs soldats pour relever les véritables défis de sécurité auxquels ils sont confrontés.


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