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Les enjeux cruciaux des élections en Afrique du Sud

Les factions rivales de l’ANC et les autres partis politiques ont des visions extrêmement différentes pour traiter des questions sensibles telles que la corruption, l’expropriation des terres et le rétablissement de la confiance en Afrique du Sud.


Jacob Zuma et Cyril Ramaphosa

Jacob Zuma et Cyril Ramaphosa. (Photo: GCIS)

Les sixièmes élections de l’Afrique du Sud depuis la fin de l’apartheid ont le potentiel de reconfigurer le paysage politique de l’afrique du Sud. L’African National Congress (ANC), le parti politique au pouvoir, est déchiré par une  lutte interne acharnée en ce qui concerne sa future trajectoire. Deux factions s’efforcent de contrôler le parti : l’une d’elles est alignée à l’ancien président Jacob Zuma, qui pratiquait le favoritisme politique à outrance, et l’autre est alignée sur son successeur, le président Cyril Ramaphosa, qui propose un programme de réforme, de renouvellement et de redevabilité. Les partisans de Jacob Zuma soutiennent des politiques populistes qui attirent les électeurs de l’aile gauche de ANC, comme l’expropriation de terres sans compensation et la nationalisation de la South Africa Reserve Bank (la banque centrale). Ils se méfient de la plateforme de Cyril Ramaphosa : ils ont essentiellement boycotté les principaux événements de la campagne. De nombreux politiciens de l’ère Zuma, qui ont été impliqués dans l’enquête judiciaire en cours sur la mainmise sur l’État (State Capture) sont des candidats de l’ANC pour des sièges au parlement et dans les provinces, ce qui alimente les inquiétudes qu’ils empêcheront la mise en œuvre du programme de réforme de Cyril Ramaphosa si celui-ci est élu.

Le soutien de la population pour l’ANC est tombé au niveau le plus bas de l’histoire en raison des détournements systématiques des ressources de l’État lors de la présidence de Jacob Zuma. Ceci est détaillé dans les rapports intitulés State of Capture and Secure in Comfort. Le parti de gauche Economic Freedom Fighters (EFF), qui s’est séparé de l’ANC en 2013, a acquis de nombreux partisans dans des bastions de l’ANC, et c’est maintenant le troisième parti du pays – bien qu’il soit aussi le plus jeune. L’état périlleux de l’ANC a été révélé dans un rapport interne accablant qui a été présenté aux membres du parti lors de sa 54e conférence nationale en décembre 2017. Son évaluation stratégique globale du parti avait été très sombre : « Nous sommes aujourd’hui confrontés à un douloureux défi, où l’ensemble du mouvement de libération est projeté comme corrompu. »

The Stakes

Cette élection constitue le test le plus sérieux de la stabilité de l’ANC.

Cette élection constitue le test le plus sérieux à la stabilité de l’ANC. Dans un sondage réalisé entre mai et juin 2018, Ipsos a constaté que 54 % des Sud-Africains étaient d’accord pour dire que « l’avenir de l’ANC est incertain en raison des problèmes de leadership au sein du parti ». En janvier 2019, un autre sondage Ipsos a révélé que bien que six électeurs inscrits sur dix ont indiqué qu’ils voteraient pour l’ANC, quatre sur dix ont dit qu’aucun des partis ne représentait leurs opinions. Un sondage interne indépendant réalisé à la demande de l’ANC a constaté que son soutien dans la province de Gauteng, dont la contribution au  et où se trouve la concentration la plus élevée de jeunes professionnels sud-africains noirs – un segment de l’électorat crucial pour l’ANC – était tombé à 50 %.

Pour attirer ces électeurs, les alliés de Cyril Ramaphosa ont demandé l’inclusion dans le manifeste du parti de politiques qui avaient longtemps été associées aux vieilles icônes adorées et influentes de la lutte contre l’apartheid – populairement connues sous le nom de « stalwarts » (les piliers) – et qui avaient permis à Cyril Ramaphosa de devenir président du parti. Ces politiques visaient à restaurer la confiance de la population dans les institutions publiques et à « protéger l’intégrité et l’éthique du leadership de l’État ». En revanche, les dirigeants de haut niveau associés à Jacob Zuma affirment que les allégations de corruption ne sont qu’une diversion et que le vrai problème est le « capitalisme monopolistique blanc », qui ne pourra être éliminé selon eux que par un programme politique révolutionnaire. Les « stalwarts » ont rejoint le camp de Cyril Ramaphosa et de ses alliés. Ils se sont positionnés comme étant la conscience du parti, en disant que tous les partis politiques, y compris l’ANC, sont salis par des scandales. Lors d’un événement national organisé en mars 2019 pour marquer le deuxième anniversaire de la mort de l’ancien dirigeant de l’ANC Ahmed Kathrada, les « stalwarts » se sont engagés à bloquer la nomination comme membres du cabinet de dirigeants de l’ANC qui avaient été impliqués dans des crimes.

Faisant encore plus monter les enjeux, les dirigeants associés au programme de réforme de l’ANC ont critiqué la réduction de la présence des fidèles de Jacob Zuma dans les campagnes politiques, en les accusant de miner le parti de l’intérieur pour affaiblir Cyril Ramaphosa. Les « stalwarts » estiment qu’une victoire décisive des réformistes pourrait faire pencher la balance du pouvoir en leur faveur au sein de l’ANC, car elle démontrerait un soutien national substantiel, bien au-delà de la maigre majorité qui les soutenait depuis que Cyril Ramaphosa a pris le contrôle du parti. Si, par contre, les réformistes de l’ANC n’obtiennent pas de bons résultats, le factionnalisme au sein du parti pourrait s’intensifier et miner les priorités de réformes stratégiques de l’Afrique du Sud. De plus, il y a même des rumeurs selon lesquelles les opposants de Cyril Ramaphosa pourraient chercher à le démettre de ses fonctions.

Yet another development that makes this election different from previous ones is the emergence of alternatives to the ANC. In the 2016 local government elections—widely seen as a barometer for the national election—the ANC lost several key municipalities to the opposition, including the administrative, legislative, and economic capitals of Pretoria, Cape Town, and Johannesburg; the industrial city of Port Elizabeth; and Nelson Mandela Bay in the Eastern Cape Province—all previously ANC strongholds.

Les résultats de l’ANC lors des élections sud-africaines

Election Pourcentage du scrutin obtenu
1994 62%
1999 66%
2004 70%
2009 66%
2014 61%

De nombreux citoyens désabusés ont donné leur soutien à l’Alliance Démocratique libérale (Democratic Alliance, DA), le principal parti d’opposition en Afrique du Sud, et au parti marxiste-léniniste EFF. Les efforts du DA pour mettre fin à son image de parti blanc semblent avoir porté leurs fruits, car son soutien a augmenté au sein de l’électorat noir. II contrôle maintenant 33 municipalités, dont certaines sont dirigées par des coalitions avec l’EFF. Il s’agit d’alliances contre nature, en raison de la plateforme populiste de l’EFF, qui est en faveur de la confiscation de terres et de la nationalisation des mines et des banques, ce qui est aux antipodes des politiques économiques libérales du parti DA, un parti qui considère que la confiscation de terres et l’expropriation sont des attaques contre les droits à la propriété.

En dépit de leurs positions idéologiques diamétralement opposées, les deux partis ont en commun la volonté de rendre l’ANC redevable de ses actions et ils ont soutenu plusieurs efforts des parlementaires visant à destituer Jacob Zuma et à effectuer des réformes. Le populisme de l’EFF attire de nombreux électeurs de l’ANC et certaines de ses politiques ont été adoptées par l’ANC pour essayer de reprendre le contrôle de son électorat. Un récent sondage du South African Institute of Race Relations a révélé que « le déclin général de l’ANC depuis 2014 peut être presque exclusivement attribué à l’EFF ». Par conséquent, le résultat de l’élection permettra de fixer les normes de gouvernance de l’Afrique du Sud pour les prochaines années, au minimum.

Les problèmes

Affiches de campagne des élections municipales de 2016 en Afrique du Sud.

Affiches de campagne des élections municipales de 2016 en Afrique du Sud.(Photo: Bl1zz4rd-editor)

L’abus du pouvoir, mis en lumière par les révélations accablantes de l’enquête sur le « State Capture », est au cœur de cette élection. Les autres points de désaccord sont la redevabilité et l’intégrité, la fourniture des services publics, la réforme agraire et l’état des institutions sud-africaines. Un sondage d’avril 2019 par l’Afrobaromètre a révélé que les deux-tiers des Sud-Africains disent que la corruption a augmenté au cours de l’année passée. Bien qu’il s’agisse d’une amélioration par rapport aux 83 % qui le pensaient en 2015, seulement un citoyen sur six estime que la corruption a diminué. Il est alarmant de constater que si la majorité des Sud-Africains (58 %) pensent que les gens ordinaires peuvent lutter contre la corruption, 63 % d’entre eux affirment qu’en agissant ainsi, ils risquent des représailles.

La désillusion à l’égard des politiciens dans leur ensemble s’est répandue plus que jamais depuis la transition vers la démocratie en 1994. Cinquante-trois pour cent des personnes interrogées dans un sondage de 2018 par l’Afrobaromètre ont répondu qu’elles ne s’identifiaient à aucun parti politique, la proportion la plus élevée depuis 2000. Un sondage de l’Université de Johannesburg montre que la qualité des services fournis par les institutions indépendantes permet maintenant d’anticiper dans une large mesure les préférences des électeurs, ce qui est différent des élections précédentes lors desquelles la fidélité à l’ANC comptait plus que la performance du gouvernement. Ceci constitue une autre menace pour l’ANC, puisque 60 % des Sud-Africains désapprouvent de la façon dont le gouvernement gère l’économie, qui est entrée en récession en septembre 2018.

Le chômage, la criminalité et la pauvreté sont également des préoccupations importantes de la population, comme l’indiquent des sondages conduits par l’Association for Free Research and International Cooperation (AFRIC) en octobre 2018 et en février 2019. Selon l’Afrobaromètre, la proportion des Sud-Africains vivant dans des conditions de pauvreté a atteint 38 %– le niveau le plus haut depuis que cette organisation a commencé à faire des sondages en 2002.

Les promesses

Les favoris aux prochaines élections proposent des approches différentes pour répondre à ces préoccupations.

L’ANC a fait campagne en mettant en lumière ses accomplissements depuis la Conférence nationale de 2017, y compris des actions visant à assurer la redevabilité de Jacob Zuma pour ses agissements. Depuis 2016, il avait ignoré plusieurs ordres du Protecteur du citoyen et de la Cour constitutionnelle demandant l’établissement d’une commission judiciaire d’enquête concernant la  « State Capture ». Après avoir surmonté une forte résistance interne, les alliés de Cyril Ramaphosa ont forcé Jacob Zuma à créer la commission avant de le destituer de la présidence. Il doit se présenter devant des tribunaux pour répondre à de multiples accusations de blanchiment d’argent, de racket et de trafic d’influence.

Les partisans des réformes au sein de l’ANC indiquent également certains succès ayant déjà été remportés en ce qui concerne le redressement de certaines des institutions les plus discréditées d’Afrique du Sud. De nouvelles personnes ont été nommées à la tête de la prestigieuse direction spéciale de la National Prosecuting Authority (NPA) chargée des enquêtes prioritaires, du Trésor public et d’entreprises publiques. Une évaluation des services sud-africains du renseignement, qui sont utilisés depuis longtemps au service d’une faction politique ou d’une autre, a été réalisée par un panel indépendant d’universitaires et d’experts de la société civile. Par ailleurs, un examen de la politique étrangère de l’Afrique du Sud a été effectué afin de restaurer le leadership moral que l’Afrique du Sud exerçait mais avait perdu en Afrique et dans le reste du monde. Le manifeste de l’ANC comprend un engagement à rétablir une politique étrangère éthique axée sur l’Afrique et ancrée dans les droits humains et la bonne gouvernance. L’ANC a promis aux électeurs d’accélérer ces réformes et d’assurer une plus grande transparence dans l’attribution des marchés publics.

Une affiche de campagne à Paarl, dans le Western Cap, sur laquelle on peut lire «Contre-attaquez: maintenant ou jamais» en référence à la corruption au sein du gouvernement.(Photo: Lefcentreright)

Une affiche de campagne à Paarl, dans le Western Cap, sur laquelle on peut lire «Contre-attaquez: maintenant ou jamais» en référence à la corruption au sein du gouvernement. (Photo: Lefcentreright)

Pour sa part, le parti DA s’est engagé à constituer une unité indépendante au sein de la NPA pour faire des enquêtes sur les malversations du gouvernement. Il veut également que le parlement, plutôt que le gouvernement, assume la responsabilité de la nomination des dirigeants des services de police et du ministère public en Afrique du Sud. L’EFF préconise de réviser la constitution afin que la NPA soit redevable envers le parlement pour renforcer son indépendance. Il a également demandé une peine de prison de 20 ans au minimum pour les personnes condamnées pour corruption et de nouvelles lois qui les obligera à abandonner leurs pensions de retraite et leurs économies.

En ce qui concerne la redistribution des terres, l’ANC a promis de réaffecter les terres sans compensation, mais dans le cadre de la loi, et tout en préservant la confiance des investisseurs et la sécurité alimentaire. Ceci reflète un autre compromis entre les réformateurs et les alliés de Jacob Zuma. L’EFF a promis de placer toutes les terres sous la garde de l’État et de les redistribuer en fonction de la démographie. Le DA souhaite protéger les droits de propriété inscrits  dans la constitution et mettre en œuvre un programme de réforme agraire qui renforcera le droit de propriété, créera des emplois et assurera la croissance de l’économie.

Pour combattre le chômage et lutter contre la pauvreté à la base, le DA s’est engagé à créer des emplois pour au moins une personne par foyer. Il a également promis de créer un environnement favorable pour les petites entreprises, qu’il considère essentielles pour lutter contre la pauvreté et construire une économie plus inclusive. De son côté, l’EFF veut instituer des zones économiques spéciales sur le modèle chinois afin d’attirer des investissements pour créer plus d’emplois. Ce parti a également proposé des exonérations fiscales aux entreprises employant plus de 2 000 personnes, et il veut que 80 % des biens et services dont ont besoin le gouvernement central et les collectivités provinciales et locales soient achetés à des sources locales. L’ANC quand à lui affirme qu’il créera 275 000 emplois par an au cours des cinq prochaines années, et qu’il attirera 1,2 trillion de rands (84 milliards USD) de nouveaux investissements. Il veut également créer un fonds pour l’infrastructure afin de pouvoir construire des voies ferrées, des routes, des barrages, des écoles et des hôpitaux.

Une question de confiance

Les derniers sondages d’opinion en Afrique du Sud montrent que la confiance en la présidence pendant le mandat du président Ramaphosa a augmenté, passant à 55%, un chiffre qui est 29% plus élevé que pendant la présidence de Jacob Zuma, mais le nombre élevé d’électeurs encore indécis pourrait tout de même empêcher l’ANC de remporter une victoire décisive.

Le soutien pour l’ANC est lié à un optimisme prudent quant à sa capacité de mettre en œuvre des réformes ambitieuses et non à la fidélité de la population au parti.

Il faudra bien plus qu’une victoire électorale pour que l’ANC retrouve son autorité morale et retrouve la confiance des Sud-Africains. Le soutien à l’ANC est lié à un optimisme prudent quant à sa capacité à mettre en œuvre des réformes ambitieuses, et non à la fidélité de la population au parti. Les candidats réformistes du parti devront rétablir la confiance des électeurs dans le parti en tenant leurs promesses et en prenant leurs distances par rapport à leurs collègues accusés d’avoir commis des actes répréhensibles, ce qui constitue un difficile exercice d’équilibre.

Les changements dans les préférences des électeurs soulignent également la nécessité de former davantage de coalitions au niveau local. Au fur et à mesure que des partis tels que le DA et l’EFF deviennent plus populaires au niveau municipal, leur popularité à l’échelle nationale continuera à augmenter – et cela montrera à l’ANC qu’il ne dispose plus d’un contrôle absolu. Enfin, l’engagement de la société civile sera un élément clé ans le processus de réforme. Les institutions de la société civile ont joué un grand rôle en exigeant que le gouvernement respecte les principes de redevabilité, d’intégrité et de leadership éthique, sensibilisant la population aux abus dans la fonction publique et faisant campagne pour les réformes. Une vigilance permanente devra être une priorité si l’Afrique du Sud veut rétablir sa trajectoire de bonne gouvernance.


Ressources complémentaires