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Bilan de l’Accord revitalisé sur la résolution du conflit au Soudan du Sud

Une étude des principaux éléments de l’accord revitalisé sur la résolution du conflit au Soudan du Sud évalue les perspectives de mise en œuvre et offre un aperçu des politiques fragiles à la base du moratoire.


Sudan's legislative assembly ratifies the R-ARCSS.

L’assemblée législative soudanaise ratifie le R-ARCSS.

La signature de l’accord revitalisé sur la résolution du conflit au Soudan du Sud (R-ARCSS) par les rivaux de longue date Salva Kiir et Riek Machar à Khartoum en septembre 2018 a été saluée comme une percée décisive dans la résolution du conflit civil qui a coûté la vie à 400 000 victimes et a forcé le déplacement de plus de 4 millions de personnes depuis le début du conflit en décembre 2013. Cette analyse, qui s’articule autour des principaux éléments de l’accord, évalue l’évolution de la situation depuis la signature et les perspectives de mise en pratique pour l’avenir.

Développements militaires et de sécurité

Opérations en cours

Les dispositions de l’accord sur le point de vue sécuritaire sont parmi les plus urgentes et exigent une intervention des signataires. Ces dispositions comprennent :

• Réaffirmation de l’accord de cessation des hostilités (ACH) signé en décembre 2017
• Séparation et reportage des forces
• Formation de comités coordination de mixte militaire
• Cantonnement des forces
• Restructuration et réforme de l’APLS (aujourd’hui Forces de défense populaire du Soudan du Sud, SSPDF) impliquant l’incorporation de diverses factions militaires
• Désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) et réforme du secteur de la sécurité (RSS)

Les progrès de cet ambitieux programme indiquent l’engagement (ou l’absence d’engagement) des parties à l’accord. Jusqu’à présent, l’ACH n’a été observé que partiellement. Les observateurs du cessez-le-feu ont signalé qu’ils perçoivent une réduction globale de la violence dans tout le pays, à l’exception de Wau et de certaines parties de l’Équatoria. (Notamment, le rapport du mécanisme de surveillance et de vérification des accords du cessez-le-feu et des arrangements de sécurité transitoire (CTSAMVM : Ceasefire and Transitional Security Arrangements Monitoring and Verification Mechanism) ne fournit pas de base de référence à partir de laquelle le niveau actuel de violence est évalué.)

Average dekadal rainfall in Juba. (Image: FEWS NET)

Précipitations décadaires moyennes à Juba. (Image: FEWS NET)

Il y a trois caractéristiques remarquables concernant les combats en cours. Premièrement, bien que les efforts déployés par les parties afin de manifester publiquement leur engagement envers l’accord soient probablement un facteur de réduction des niveaux de violence actuelle, il est également important de reconnaître que la saison des pluies au Soudan du Sud (habituellement entre mai et janvier) voit souvent une réduction des opérations à plus grande échelle à mesure que les routes deviennent impraticables. L’apogée de la saison sèche/saison des combats (de mars à mai) testera le niveau d’engagement réel des parties afin de réduire les combats.

Deuxièmement, les combats actuels semblent être en grande partie des offensives du gouvernement contre des populations considérées comme « anti-gouvernementales ». Depuis 2014, les offensives gouvernementales ont forcé le déplacement d’un nombre important de populations provenant du Haut-Nil, du Jonglei et de l’Équatoria central. Les combats sont liés au contrôle des ressources terrestres, mais ils modifient également la démographie de ces zones. Un autre objectif de ces offensives actuelles est probablement de réduire la présence de personnes censées voter contre le gouvernement à chaque élection.

Troisièmement, de récentes opérations auraient été apparemment été menées conjointement par les milices gouvernementales et les forces de l’opposition alliées à Riek Machar. Ces offensives ont visé les états non-signataires de l’accord, notamment les forces de Thomas Cirillo en Équatoria centrale et occidentale, et semblent bénéficier du soutien tacite d’acteurs régionaux, en particulier l’Ouganda.

Collectivement, ces trois facteurs peuvent expliquer les opérations offensives en cours, principalement de la part du gouvernement, de niveaux faibles à modérés, qui pourraient se poursuivre jusqu’à la saison sèche en 2019. Cela est particulièrement plausible si les sanctions imposées par l’autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) sur les opérations militaires ne sont pas appliquées, indiquant au gouvernement du Soudan du Sud qu’il n’y a que peu de conséquences politiques à la poursuite des combats. (Cette situation s’avère plus probable étant donné la difficulté démontrée de produire une surveillance et un rapport en temps opportun sur les violations de l’ACH). Aussi, en supposant que Thomas Cirillo reste en marge de l’accord, il est probable que de nouvelles offensives militaires de plus grande envergure se reproduisent en Équatoria centrale et occidentale sous prétexte d’instaurer les dispositions de l’accord relatives à la sécurité et d’éliminer les « dissident ». L’Ouganda pourrait chercher à utiliser ces opérations gouvernementales pour justifier le déploiement de forces supplémentaires en Équatoria et participer activement à des opérations de contre-opposition, comme ce fut le cas en 2014.

Si l’Ouganda déploie ses forces en Équatoria, cela inciterait vraisemblablement le Soudan à renforcer sa présence sécuritaire dans le nord du pays, notamment dans le nord de l’État de l’Unité et sur la rive orientale du Haut-Nil. Ces deux sites présentent un intérêt particulier pour le Soudan, à la fois à cause de la présence d’infrastructures pétrolières et en tant que bases de soutien historiques des groupes d’opposition soudanais, notamment le Mouvement pour la justice et l’égalité et le APLS/Nord.

Cantonnement

Les tensions concernant le cantonnement commencent déjà à prendre forme.

En 2015, après la signature de l’ARCSS, les sites de cantonnement ont été une source importante de tensions qui a entrainé des affrontements entre les forces gouvernementales et les forces de l’opposition et a été l’un des facteurs a l’origine de la chute du Gouvernement d’Union nationale de transition, en juillet 2016. Les tensions actuelles sur le cantonnement commencent déjà à prendre forme. Début décembre 2018, Machar a ordonné à ses forces de commencer à se regrouper dans les sites de cantonnement. Aucun ordre réciproque ne semble avoir été donné aux forces gouvernementales. Cela témoigne d’un déséquilibre fondamental des incitations entre les parties envers l’accord en ce qui concerne le cantonnement. Machar (ainsi que les dirigeants d’autres groupes d’opposition) dispose de diverses moyen d’pour parvenir à cantonner leur forces. Premièrement, le cantonnement est une directive de l’accord. Il agirait donc conformément aux dispositions et accumulerait des « points » politiques positifs pour la conformité. Deuxièmement, Machar a eu des difficultés à fournir des ressources à ses forces existantes. Le cantonnement attirerait possiblement des ressources – nourriture et médicaments – dont ses forces manquaient au auparavant. Troisièmement, le cantonnement a incité l’opposition à recruter de nouveaux opposants, car se trouver sur un site de cantonnement est perçu comme la première étape du processus d’insertion officiel dans l’armée. Machar utilisera cette perception pour attirer des forces supplémentaires afin de renforcer sa position politique et de tirer parti de tout effort futur visant à réunir les forces du gouvernement et de l’opposition en une seule armée (voir ci-après pour de plus amples détails). Quatrièmement, le cantonnement donne à l’opposition l’opportunité de concentrer et de pré-positionner les forces dans des endroits stratégiques. C’était une préoccupation cruciale du chef d’état-major de l’APLS de l’époque, Paul Malong, qui l’avait conduit à l’attaque des forces cantonnées de Machar à Maridi, en Équatoria occidentale, en février 2016 et près de Wau en avril 2016.

En revanche, Salva Kiir a peu d’incitations à s’engager dans un cantonnement à grande échelle. Premièrement, les principales forces de Kiir (le Service de sécurité nationale – NSS – et la Garde présidentielle) n’ont pas besoin du cantonnement pour accéder aux ressources. Deuxièmement, Kiir ne souhaite pas un cantonnement à grande échelle car il est bien conscient des avantages que Machar tire d’un tel processus par rapport à ses forces. Troisièmement, Kiir n’est pas tenté de révéler la taille de ses forces, ni leur disposition, car cela encouragerait l’opposition à rechercher la parité et favoriserait probablement le recrutement de nouveaux opposants. D’autre part, révéler le nombre exact de soldats constituerait un désavantage stratégique en cas de retour au combat. Par conséquent, si Kiir s’engage dans le cantonnement, il est probable que ce ne soit que partiellement et pour des apparences politiques. L’essentiel de ses principales forces restera dissimulée dans des bases – telles que Luri, à l’ouest de Juba – ou parmi la population civile. C’est aussi le cas pour ses réserves importantes d’armes, concentrées en particulier dans des centres urbains tels que Juba, Bor, Malakal et Wau. (Le personnel du CTVSMMM a été arrêté et attaqué par le NSS à Luri en décembre 2018 alors qu’il tentait d’effectuer une inspection en réponse à des allégations de recrutement et de formation de la part du gouvernement.)

Members of South Sudan's National Security Service

Membres du service de sécurité nationale du Soudan du Sud.

De plus, Kiir ne veut pas payer pour le processus de cantonnement. Même si le gouvernement dispose des ressources nécessaires pour le financer (qui, s’il était mis en œuvre conformément à l’accord, exigerait probablement de la nourriture, du matériel médical, des logements et des services pour 200 000 à 300 000 personnes), Kiir ne fournira pas de ressources aux forces de Machar. Il est peu probable que les donateurs internationaux s’imposent à l’échelle requise et assument la responsabilité de loger et de nourrir des milliers de personnes impliquées dans de graves violations des droits de l’homme à un moment où le budget humanitaire général est sous pression.

Compte tenu de ces finalités opposées, le scénario le plus probable impliquant le cantonnement est un déjà-vu de 2016, où l’opposition tente de le commencer à différents localités, ce qui entraîne une escalade des tensions avec les forces gouvernementales. Un financement insuffisant suivant les sites donne au final un processus incomplet qui se transforme en un point de discorde majeur entre les parties. L’échec du cantonnement devient alors aussi un prétexte pour retarder la mise en œuvre de l’intégration des forces et d’autres réformes militaires.

Démilitarisation des villes

Il s’agissait également d’un point de discorde majeur dans la mise en œuvre de l’ARCSS en 2015. Étant donné que le gouvernement détient actuellement toutes les principales zones urbaines, il n’a guère intérêt à se conformer à cette disposition, qui pourrait être considérée comme un avantage potentiel pour l’opposition dans l’éventualité d’un retour au combat à grande échelle. Il est donc probable que certaines forces gouvernementales chercheront à se dissimuler parmi la population civile en retirant leurs uniformes pour donner l’impression d’une présence militaire réduite, en particulier à Juba, où les observateurs internationaux exercent un contrôle stricte. La police sert de force de réserve où le personnel de l’armée est placé pour fausser davantage les perceptions sur le nombre de soldats.

Certaines forces pourraient être relocalisées à l’extérieur de Juba dans le cadre d’une démonstration publique de « démilitarisation », comme ce fut le cas en 2015. Toutefois, ces forces seront probablement peu nombreuses et ne seront pas réaffectées de façon permanente. L’armée maintiendra la capacité de contrôler rapidement les entrées et les sorties des villes – en particulier de Juba – et restera en état d’alerte en cas de combats urbains avec appui aérien, comme ce fut le cas en juillet 2016. Des lieux importants tels que le Palais présidentiel, l’aéroport et les casernes de l’APLS et du NSS en ville ne feront pas l’objet d’une démilitarisation, ce qui rendrait le concept vide de sens et augmenterait les tensions avec les dirigeants de l’opposition qui devraient retourner à Juba pour la formation du nouveau gouvernement de transition.

Fusion des groupes armés

L’accord prévoit à la fois une fusion des forces gouvernementales et de l’opposition dans des services unifiés et une réforme de ces forces par la formation. Le Soudan et l’Ouganda prévoient de jouer un rôle actif dans la supervision de ce processus. Cependant, une fusion complète des forces du gouvernement et de l’opposition minerait le contrôle des Dinka sur le secteur sécuritaire par la (ré)intégration d’un grand nombre de Nuer, de Shilluk et d’Équatoriens, ce qui limiterait l’intérêt du gouvernement à poursuivre l’intégration totale.. Les parties sont toutefois susceptibles de promouvoir publiquement l’idée d’une fusion complète, en présentant le manque de progrès comme le résultat de l’insuffisance des ressources disponibles pour faire pression sur les donateurs et contrecarrer les critiques. Il reste donc deux scénarios possibles : intégration partielle ou aucune intégration.

Intégration partielle. Cela impliquerait probablement que les forces gouvernementales tentent de renforcer l’intégration des groupes armés déjà affiliés au gouvernement, tels que l’ancien groupe de l’ALSS (Armée de Libération du Soudan du Sud) dirigés par Mathew Puljang à Mayom (déjà associé à la Division 4 de l’APLS à Bentiu) et les forces du premier vice-président Taban Deng Gai. (Le soutien du gouvernement risque cependant d’être tempéré par des doutes quant à la loyauté de ces groupes.) L’objectif du gouvernement dans cette intégration partielle serait d’accroître le contrôle central de ces forces. Des groupes d’opposition tels que les forces d’Agwalek dirigées par Johnson Olony peuvent être invités dans ses camps pour entamer le processus d’intégration, mais peu de ressources seront susceptibles d’être mobilisées étant donné les suspicions persistantes (et le mécontentement) résultant de la défection d’Olony de l’APLS en 2015. Les forces de l’Alliance de l’opposition du Soudan du Sud (AOSS), telles que celles de Hussein Abdelbagi à Aweil, recevront probablement une proposition d’intégration partielle (et des incitations financières) dans le but d’amplifier davantage les désaccords et les divisions croissantes au sein de l’AOSS.

Aucune intégration. La plupart des signataires de l’accord maintiennent certaines forces de milice associées. En fait, c’est l’impression d’un contrôle sur les milices armées qui a justifié leur inclusion dans l’accord en premier lieu, de sorte que le maintien du poids des forces militaires est considéré, par beaucoup, comme essentiel pour leur intégration au jeu processus politique. Ces milices assurent également la sécurité des personnalités politiques et la défense de leurs communautés contre les attaques des forces gouvernementales dont ils se méfient. La politisation et le communautarisme sont des obstacles forts à l’intégration de ces unités dans une seule force.

La perspective de recevoir un grade et une rémunération officiels peut servir d’incitatif pour surmonter ces réserves. Toutefois, ces mesures incitatives n’ont connu qu’un succès temporaire dans le passé, dans la mesure où les paiements étaient sporadiques et les avantages ne s’étaient pas matérialisés. En même temps, les milices ne voulaient pas que leurs rangs et leurs structures de commandement soient démantelés. Ces questions ont ébranlé les efforts d’intégration antérieurs en Équatoria occidentale et à Jonglei.

Partage du pouvoir entre les élites

Les principaux éléments des dispositions de l’accord relatives au partage du pouvoir concernent le pouvoir exécutif et l’augmentation du nombre de vice-présidents. En théorie, ils réuniraient diverses parties au conflit pour superviser la mise en œuvre de la paix. Les garants de l’accord – le Soudan et l’Ouganda – se prononcent en faveur de l’élargissement du nombre de postes de direction, nécessaire à l’inclusion et la diversité, dans le but de susciter une « adhésion » pour sa mise en œuvre. Toutefois, les dispositions relatives au partage du pouvoir soulèvent également des préoccupations quant à l’inefficacité potentielle du processus de décision, à la concentration du pouvoir au sein de la présidence et au risque d’impasse et de désaccords entre les parties.

Il y a trois grands scénarios de partage du pouvoir : partage total, partiel et aucun partage.

Partage total du pouvoir. Dans ce scénario, toutes les parties assument leur rôle et la période de transition commence. Quatre questions majeures domineraient ce scénario :

  1. Le financement du gouvernement et la sécurité des membres de l’exécutif
  2. Les procédures de prise de décision sur les questions litigieuses et le rôle de Machar à la tête du gouvernement en l’absence de Kiir
  3. Le rôle, la composition et le contrôle du MPLS
  4. La planification des élections et la question générale de la succession présidentielle

Il est fort probable que Kiir continuerait à gouverner en grande partie par décret, excluant et marginalisant les membres de l’exécutif avec lesquels il ne souhaite pas travailler – et dans certains cas, pour lesquels il éprouve une profonde hostilité – en particulier Machar et quiconque soit l’éventuel vice-président de l’AOSS (probablement Lam Akol ou Gabriel Changson). Kiir accorderait la priorité à la restructuration du MPLS (qui devrait avoir lieu début 2019) et à l’exclusion des anciens membres de haut rang du parti, y compris Machar, Pagan Amun, et les membres des anciens détenus. Le contrôle du parti est nécessaire pour Kiir en cas d’élections, car cela éloignerait ses principaux rivaux de l’héritage et de la « marque » du MPLS et de la lutte pour l’indépendance que Kiir exploite en tant que « père de la nation » et héritier de John Garang. (Kiir a cherché ces dernières années à présenter la guerre d’indépendance contre le Soudan comme ayant été « dirigée par Dinka », ce qui a provoqué un mécontentement important chez les anciens membres du MPLS/APLS). Cela augmenterait considérablement les tensions entre les membres de l’exécutif.

Riek Machar and Salva Kiir. (Photo: UNMISS)

Riek Machar et Salva Kiir. (Photo: UNMISS)

La prise de décision collective risque fort de s’effondrer, ce qui entraînerait des accusations de non-conformité de la part de toutes les parties. Cela deviendrait particulièrement évident en ce qui concerne les questions de réforme constitutionnelle, de préparation et de contrôle des élections. Des questions secondaires, telles que les nominations à divers postes gouvernementaux, seront utilisées pour retarder et empêcher la mise en œuvre dans le but de blâmer les rivaux.

Les salaires et les ressources nécessaires à l’exécutif engendreraient une pression financière importante. Étant donné qu’il y aurait au moins six vice-présidents de haut niveau au sein du gouvernement, dont un président et cinq vice-présidents, la protection du vice-président pèserait davantage sur les ressources du gouvernement, puisque chaque partie chercherait à obtenir un degré de parité dans ses arrangements en matière de sécurité. Cela entraînerait des interactions complexes et tendues lors des réunions entre tous les membres de l’exécutif .

Selon les termes de l’accord, Machar devrait assumer les fonctions de chef du gouvernement en l’absence de Kiir. Kiir pourrait éviter cette disposition en ne voyageant pas à l’extérieur du Soudan du Sud, pendant que Machar est dans le pays. Cependant, si le voyage s’avérait inévitable (par exemple, en raison d’une urgence médicale), il y aurait probablement une violation de l’accord si Kiir désignait un autre remplaçant. La question de la succession en général est très incertaine, notamment en raison du nombre de vice-présidents. Au cas où Kiir serait dans l’incapacité d’occuper cette fonction, il n’y a pas de plan de succession clairement établi. Par conséquent, la probabilité d’éclatement de la violence à Djouba est particulièrement élevée.

Les élections programmées seront une source majeure de tension. L’incertitude règne dans tous les partis quant aux résultats des élections nationales libres et équitables, ce qui va favoriser la distribution d’incitations considérables pour tenter d’influencer et de contrôler les processus entourant le vote et la surveillance. Il peut également y avoir des incitations à la poursuite d’autres opérations militaires dans des régions où les partis estiment que les électeurs sont plus susceptibles de les rejeter, en particulier dans les Etats-Unis, l’Équatoria, l’Unité et le Haut-Nil.

Partage partiel du pouvoir. Un partage partiel du pouvoir se produirait seulement si certains signataires de l’accord prenaient leurs fonctions, tandis que d’autres décidaient de ne pas retourner à Djouba, mais conservaient leur statut de parties au conflit. Cela pourrait bien être le cas de Machar, par exemple, si d’autres dispositions – notamment celles relatives à la sécurité – ne sont pas mises en œuvre. C’est la voie la plus probable, d’après l’histoire récente de l’ARCSS. Dans ce scénario, Kiir donnerait l’impression de mettre en œuvre l’accord en coopération avec ceux qui ont pris leurs fonctions, tout en en interprétant les termes d’une manière favorable à ses intérêts et, le cas échéant, à gouverner largement par décret. Dans ce scénario, Kiir renforcerait les décisions antérieures – telles que le décret unilatéral divisant le pays en 32 États – tout en continuant de tenter de créer des conditions favorables à sa réélection. Ce scénario se rapproche beaucoup du status quo depuis juillet 2016.

Aucun partage du pouvoir. Dans ce troisième scénario, les dispositions de l’accord relatives au partage du pouvoir s’effondrent avant tout commencement de mise en œuvre. Cela pourrait se produire si les conditions de sécurité se détérioraient rapidement, empêchant les autres signataires de retourner à Djouba. L’absence de mise en œuvre du partage du pouvoir équivaudrait à l’effritement complet de l’accord et marquerait probablement une reprise immédiate des combats à plus grande échelle. La crise pourrait être déclenchée, par exemple, par des tentatives du gouvernement de mettre fin unilatéralement à la période de pré-transition, que cela soit en formant un gouvernement « d’unité » avec des personnes autres que les dirigeants de l’opposition actuelle, ou en déclarant ceux qui ne sont pas revenus comme « dissidents », à l’instar de ce qui s’est passé en juillet 2016.

Réformes structurelles, y compris les questions foncières et de ressources

L’accord contient un programme de réforme ambitieux qui englobe des questions très sensibles de gouvernance et de contrôle des ressources. Les plus importantes sont :

• Les questions relatives au nombre et aux frontières des États
• L’établissement de la transparence financière et la gestion des ressources
• Les amendements constitutionnels
• L’examen et la révision de la législation existante

Parmi ceux-ci, les deux premiers – les frontières des États et la transparence financière – seront probablement les premiers indicateurs de la viabilité de l’accord.

South Sudan's 10 states prior to reorganization. (Image: Danielemezzalira)

Les 10 États du Sud-Soudan avant la réorganisation.(Image: Danielemezzalira)

Les frontières des États. La décision unilatérale de Kiir d’augmenter le nombre d’États de 10 à 28, puis à 32, a été un facteur significatif qui a contribué à déstabiliser l’accord de 2015. Cette décision a eu un impact profondément négatif sur la dynamique du conflit. L’un des résultats du redécoupage des frontières a été la division de grandes parties du pays selon des critères tribaux, les Dinka (représentant entre 35 à 40 % de la population du Soudan du Sud) revendiquant une représentation majoritaire dans au moins la moitié des États redécoupés. Les nouvelles frontières du Haut-Nil, par exemple, ont été considérées comme accordant un territoire historiquement contesté – en particulier la ville de Malakal – aux alliés de Kiir, les Dinka Padang, au détriment des Shilluk. Des revendications similaires se sont produites à Wau et dans certaines parties de l’Unité.

South Sudan's current 32 states

Les 32 États actuels du Sud-Soudan. (Image: Syanarion62)

Kiir s’est toujours opposé à la révision de son décret, qu’il considère comme un gain crucial de la guerre, qui renforce son contrôle (et celui des Dinka) sur le pays. En janvier 2019, tout porte à croire que Kiir continuera de rejeter toute renégociation sur ce point, malgré l’inclusion d’une commission de délimitation indépendante dans l’Accord. Il est donc fort probable que la question des frontières ne soit pas résolue. L’accord indique qu’en cas de désaccord persistant, un référendum sur la question des États doit être organisé. Un référendum n’est pas réalisable dans le contexte actuel, d’autant plus qu’il coïnciderait avec la fin de la période précédant la transition. La question des États restera donc une revendication contribuant à exacerber les tensions et à mobiliser la résistance contre le gouvernement de Kiir.

Transparence financière. La mise en place de mécanismes de transparence financière et de lutte contre la corruption est une caractéristique essentielle de l’accord, qui met l’accent sur la transparence des recettes et des dépenses pétrolières. La transparence est cependant contraire aux intérêts de la plupart des signataires de l’accord. L’une des principales motivations des garants de l’accord a été la poursuite de l’appropriation des ressources du Soudan du Sud par des accords opaques ou, dans certains cas, non rendus publics. En outre, les dispositions du R-ARCSS relatives au partage du pouvoir reposent dans une large mesure sur le « rachat » de l’opposition avec des positions donnant accès à des ressources pour une appropriation personnelle. Les réformes institutionnelles de l’accord ont pour objectif de rendre cela impossible, incitant ainsi de nombreuses parties à ne pas les mettre en œuvre.

L’économie

L’une des principales motivations des parties et des garants à signer l’accord était liée à la dégradation de la situation économique des élites politiques ? du Soudan du Sud et du Soudan. Dans le cadre de cet accord, les élites du Soudan du Sud ont cherché à garantir leur accès continu aux revenus des ressources du Soudan du Sud, tandis que les dirigeants soudanais ont cherché à renforcer leur économie en difficulté, avant les élections de 2020. L’Ouganda – notamment les intérêts associés au président Yoweri Museveni et à sa famille – continue de profiter de l’exploitation des ressources naturelles. Les incitations des différents acteurs (et de leurs réseaux de protection) à participer à l’accord sont donc étroitement liées à la répartition des revenus que chaque partie anticipe de l’accord. Si de nombreux analystes prédisent la chute des prix du pétrole en 2019, les revenus prévus des parties seraient affectés, ce qui réduirait leur intérêt à rester dans l’accord.

Outre la volatilité économique associée aux variations des prix du pétrole, il existe une grande incertitude quant à la dette du Soudan du Sud et à ses obligations en matière de ressources. De nombreux prêts publics en cours sont probablement fondés sur des engagements pétroliers futurs. La complexité des opérations prévues par les recettes pétrolières attendues, tant publiques que non déclarées, et la non-conformité du Soudan du Sud à certains aspects des accords passés avec d’anciens fournisseurs financiers (tels que Trafigura, négociant en produits de base) ont dissuadé de nombreux négociants de s’engager au Soudan Sud. Cela a conduit à des activités commerciales de plus en plus prédatrices au cours des deux dernières années, les négociants et les intermédiaires privilégiant les profits à court terme.

Les répercussions immédiates de ces ententes sur l’accord sont incertaines. Cependant, l’un des résultats les plus probables est que les recettes du gouvernement du Soudan du Sud resteront faibles, car la plupart des revenus du pétrole ont déjà été engagés – par le biais d’arrangements licites ou illicites – avant d’atteindre les caisses du gouvernement. Les donateurs continueront d’être fortement sollicités pour compenser l’utilisation abusive des ressources ; parallèlement, il est à prévoir que la communauté internationale soit encore accusée de ne pas suffisamment soutenir l’accord, lorsqu’il apparaitra que l’aide extérieure ne suffira pas à combler le déficit.

Le gouvernement tente actuellement de compenser ses faibles revenus par la création d’une autorité fiscale. Selon des sources à Djouba, certains hauts responsables de l’administration fiscale sont également des agents du Service de la sécurité nationale ayant des connections avec des entreprises liées au NSS. Cela suggère que le renforcement de l’autorité fiscale ne vise pas à augmenter les ressources pour la mise en œuvre de l’accord, mais plutôt à financer les activités et le personnel du NSS.

Responsabilité

Il est très peu probable que le gouvernement fournisse des ressources pour permettre à la justice de rechercher les auteurs des violations et leur demander des comptes.

Les entretiens avec les signataires de l’accord, ainsi que les déclarations publiques du ministre de l’information, Michael Makuei, indiquent qu’il existe un consensus relatif entre les parties selon lequel aucune responsabilité ne devrait être attribuée pour les violations des droits de l’homme commises pendant le conflit, conformément aux dispositions de l’accord. La mise en place d’un tribunal hybride et le prononcé des premières condamnations exigeront probablement des années et plusieurs centaines de millions de dollars. Il est très peu probable que le gouvernement fournisse des ressources pour permettre à la justice de rechercher les auteurs des violations et leur demander des comptes. Il cherchera vraisemblablement à prévenir tout effort international visant à faire avancer cette cause devant les tribunaux.

Par conséquent, la transition verra probablement se dérouler l’un de ces deux scénarios:

Aucune responsabilité. Les parties à l’accord ignoreront l’obligation faite au tribunal hybride de commencer le travail, – soit en le désavouant complètement, soit en estimant que l’application de cette clause devrait être reportée à la fin du processus de paix et après la tenue des élections. En sachant pertinement que ces conditions ne seront jamais réellement remplies.

Mise en œuvre partielle. Le gouvernement promeut un mécanisme de responsabilisation local qui met l’accent sur « la réconciliation communautaire, le pardon et l’indemnisation », tout en évitant la responsabilité pénale des hauts fonctionnaires. Il est peu probable que les fonds du Soudan du Sud soient disponibles pour l’indemnisation comme prévu dans le R-ARCSS. Par conséquent, en s’adressant aux donateurs internationaux, le gouvernement présentera cette forme limitée de responsabilité comme « locale » et le « seul moyen de préserver la paix ».  Une mise en œuvre partielle équivaudrait en fait à une immunité pour les hauts responsables politiques et les généraux responsables de crimes présumés contre l’humanité, ce qui renforcerait le contrôle des élites sur le reste du programme de réforme et empêcherait toute perspective de changement significatif au Soudan du Sud. Plus largement, l’échec de la mise en œuvre de la responsabilité pénale aboutirait à écarter les autres éléments du R-ARCSS, car l’élite ne verrait que peu d’incitations à changer des comportements qui ont, jusqu’à présent, permis d’assurer son contrôle du processus politique.

Dr. Klem Ryan a été membre du groupe d’experts du Conseil de sécurité des Nations Unies de 2015 à 2018 et en a assuré la coordination à partir de 2017. Il a été membre de la mission de maintien de la paix des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS) de 2013 à 2015.


Ressources complémentaires