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Faire face aux problèmes posés au secteur de la sécurité du Soudan du Sud : le point de vue d’un professionnel


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South Sudan Police Recruits at Training Academy (Photo: UN/Paul Banks)

Des recrues de la police du Soudan du Sud à l’ école de police. (Photo: UN/Paul Banks)

Jusqu’ici, les réformes du secteur de la sécurité ont été vouées à l’échec par un manque de volonté politique. L’une des conséquences de cet échec est que le secteur reste l’une des principales forces déstabilisatrices du pays. Les propositions faites dans cette revue pourraient contribuer à la création d’un secteur de sécurité compétent, responsable et efficace. Il est peu probable, cependant, que les réformes prennent racine dans le climat politique, économique, social et institutionnel actuel. Une revalorisation des réformes des institutions est nécessaire pour établir les fondations de l’état de droit et en favoriser le renforcement, tout en consolidant les institutions démocratiques. Des réformes supplémentaires visant à cantonner et à limiter l’autorité des pouvoirs politiques (exécutif et législatif), à habiliter les puissances périphériques, à élargir la protection des droits humains et à faciliter l’expression démocratique sont impératives, comme l’est la nécessité de combattre la culture répandue de l’impunité.

L’état du secteur de la sécurité et la nécessité impérative de réformes

Au Soudan du Sud, les éléments en uniforme du secteur de la sécurité sont les suivants :

  • L’armée populaire de libération du Soudan (SPLA) (l’armée du Soudan du Sud)
  • Le service de sécurité nationale (NSS) (l’organisation du renseignement)
  • Le service de police du Soudan du Sud (SSNPS)
  • L’administration pénitentiaire du Soudan du Sud (NPSSS)
  • Le service de protection de la nature du Soudan du Sud (SSNWS)
  • Le service national de défense civile du Soudan du Sud (SSCDS) ou brigade des sapeurs-pompiers (lesquels sont tous armés)

Toutes les composantes du secteur de la sécurité, les milices affiliées à la SPLA et les forces rebelles ont été accusées par les organisations locales et internationales de défense des droits de l’homme d’avoir, au cours des conflits, commis des crimes et de graves violations des droits humains. Parmi les violations et crimes commis, on compte le viol en tant qu’arme de guerre, les massacres d’innocents basés sur l’appartenance ethnique, le recrutement des enfants, le déplacement forcé des populations, et le pillage. Les dirigeants politiques et les hauts responsables militaires de la SPLA —qui a acquis la réputation d’une armée tribale dominée par l’ethnie Dinka— sont également accusés d’exproprier les terres ainsi que de nettoyage ethnique.

L’une des caractéristiques de la SPLA qui perdure est sa  relation étroite avec le Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM) dont elle était l’aile armée durant la guerre de libération La SPLA est commandée aujourd’hui par quelques officiers qui agissent comme des responsables politiques, alors même que ces derniers s’efforcent de maintenir la loyauté des leurs milices. La relation entre la SPLA et le SPLM (devenu parti politique) est bien ancrée et structurée, en partie parce que le Président du Soudan du Sud est à la fois le commandant en chef de l’armée et le président du parti SPLM. En outre, de nombreux officiers sont actifs sur la scène politique. Les responsables politique ont souvent leurs propres milices ou bénéficient de l’allégeance des certaines parties de la SPLA (et donc de l’armée).. Ceci a donné lieu à la militarisation de la vie publique et politique au Soudan du Sud, causant ainsi de nombreuses victimes.

Les autres forces en uniforme —police, protection de la nature, brigade anti-incendie, ainsi que le service de renseignement— ont, été recrutées au fil des années, des rangs de la SPLA, ou sont devenues, selon certains, son « dépotoir ». C’est pour cette raison qu’elles souffrent des mêmes problèmes structurels, administratifs et de gestion que la SPLA. Comme l’illustre le conflit actuel, la séparation entre la SPLA et les autres forces en uniforme n’existe qu’en théorie. Des personnels de la protection de la nature et de la protection contre les incendies ont combattu aux côtés de la SPLA.

« Le manque endémique de professionnalisme de la part de ces forces de sécurité a incité de nombreuses communautés à acquérir des armes de petit calibre et des mitrailleuses légères pour se protéger »

La police du Soudan du Sud est accusée de graves violations des droits humains, y compris de la détention d’innocents, de pillages et de corruption. Elle a aussi la réputation d’être la « police politique » du Président. Elle est impliquée dans la persécution des médias, des civils et des universitaires, ainsi que dans des détentions arbitraires et de disparitions forcées. En outre, on soupçonne la police d’être impliquée dans le transfert illégal d’opposants aux régimes d’états voisins. Le service de renseignement est également devenu une « armée parallèle » équipée de tanks, de pièces d’artillerie lourde et de plusieurs lance-roquettes. Les trois autres organismes du secteur de la sécurité sont aussi accusés de divers actes non professionnels dans les domaines de leur mandat.

Le manque endémique de professionnalisme de la part de ces forces de sécurité a incité de nombreuses communautés à acquérir des armes de petit calibre et des mitrailleuses légères pour se protéger. Certaines de ces armes auraient été acquises auprès de membres des forces de sécurité. Ces armes alimentent les conflits intercommunautaires, notamment le vol de bétail et le massacre d’innocents en représailles. En bref, réformer le secteur de la sécurité commencera d’un très bas niveau et exige une attention immédiate afin de restaurer la normalité et la stabilité au Soudan du Sud.

Recommendations Principales

Les recommandations suivantes exigent l’attention des acteurs de la réforme au Soudan du Sud.

Mener une revue stratégique globale du secteur de la sécurité. Aucun des six organismes chargés de la sécurité n’a jamais effectué ce type de revue. La revue stratégique de défense et de sécurité (SDSR), mandatée par l’accord ARCSS, porte uniquement sur la partie de la sécurité nationale concernant la défense. Au début du conflit armé de décembre 2013, les estimations ont situé le budget de la SPLA à 50 pourcent des dépenses nationales, dont 80 pourcent alloués aux salaires. L’un des principaux objectifs d’une revue stratégique est de déterminer l’effectif des forces armées et de l’aligner sur les ressources et menaces à la sécurité pour lesquelles chaque entité est responsable. Rationaliser les effectifs de la SPLA permettrait de reprogrammer les ressources libérées à d’autres composantes du secteur de la sécurité ou à des services sociaux.

La revue de tous les protagonistes du secteur de la sécurité doit se dérouler simultanément. Il n’est cependant pas aisé de combiner la revue de la SPLA avec celle de la brigade anti-incendie et celle de la protection de la nature parce que ces services sont sous-développés et que leurs membres sont parfois appelés à des fonctions de combat au sein de la SPLA. Pour garantir une revue de haut calibre qui soit équitable, le soutien international au niveau technique et financier pour ce processus est capital. En outre, l’attention doit être portée sur la mise en œuvre des recommandations issues de la revue. Ceci peut sembler évident, mais très souvent dans le passé, les mesures de réforme convenues au plus haut niveau n’ont pas été appliquées. L’Objectif Force 2017 et le programme de transformation 2012–2017 visant à transformer et à développer la SPLA dans un délai de 5 ans en sont une excellente illustration.

« Un corps d’officiers, disciplinés et hautement professionnels, chargé des forces de sécurité doit être prêt à exécuter les volontés de tout groupe civil qui assure une autorité légitime dans le pays »

Organiser une conférence nationale destinée à la professionnalisation des six organismes du secteur de la sécurité. Les participants à cette conférence nationale devraient inclure, sans s’y limiter, les représentants des partis politiques et des organismes de la société civile. L’un des principaux objectifs de la conférence est de générer un consensus entre les responsables politiques, les chefs militaires et le public afin de professionnaliser toutes les organisations chargées de la sécurité. La professionnalisation devra impliquer la rupture des liens qui existent entre la classe politique et les composantes du secteur de la sécurité. Ceci devrait ensuite faciliter la démilitarisation de la vie publique et la création de mécanismes efficaces destinés au contrôle par les autorités civiles et la responsabilisation. Ces programmes viseront à séparer les pouvoirs des organismes chargés de la sécurité de ceux de la classe politique au pouvoir. L’établissement d’un contrôle interne efficace administré par les autorités civiles sur les forces de sécurité est essentiel à leur professionnalisation.

Un corps d’officiers, disciplinés et hautement professionnels, chargé des forces de sécurité doit être prêt à exécuter les volontés de tout groupe civil qui assure une autorité légitime dans le pays. Les organisations doivent être politiquement neutres et reconnues par tous les groupes sociaux de la société. Le gouvernement et la classe politique toute entière doivent promouvoir le professionnalisme des six organisations chargées de la sécurité, de sorte qu’elles puissent opérer indépendamment et entretenir une position apolitique. À son tour, le gouvernement et les acteurs de la sphère politique doivent s’engager à s’abstenir —ceci soutenu par la possibilité de sanctions pénales ou autre— d’interférer dans le secteur de la sécurité pour servir des intérêts sectaires. Des normes doivent être établies à cette fin.

Réinsérer les belligérants dans les organisations de sécurité. Il est reconnu que la guerre civile du Soudan du Sud a réduit les organisations nationales de sécurité à des forces armées fondées sur l’ethnicité. Pour leur part, les groupes rebelles ont également recruté en grande partie sur des critères ethniques. Le programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) du surplus de combattants doit être mené en tant qu’élément d’un programme DDR, conjointement convenu et qui met en œuvre les objectifs de la revue SDSR. Les membres ayant pouvoir de décision doivent tirer un enseignement de l’échec des programmes DDR du passé — de l’après-CPA et des programmes DDR de 2012 — qui ont échoué à cause du manque de volonté politique. La réticence à désarmer et à démobiliser durant la période qui a suivi le CPA a été en partie influencée par la crainte d’une attaque du Soudan pour renverser, voire ralentir la transition.

En termes d’objectifs à atteindre, ces réformes doivent :

  • Mener à la création d’organes réellement nationaux, y compris l’armée, la police et les services de renseignement
  • Imposer que tous les services de sécurité recrutent équitablement auprès de tous les groupes ethniques, y compris en considérant l’utilisation de quotas ethniques
  • Établir la formation comme l’une des priorités principales du programme de réforme

Mettre l’accent sur le développement des organisations du secteur de la sécurité. Ceci comprend la formation continue de tout le personnel en uniforme et le développement des ressources humaines constituées par des civils. La SPLA doit se concentrer sur la préparation de sa capacité de défense et sur une conduite efficace des opérations militaires. Préparer sa capacité de défense implique : le recrutement de personnes qualifiées, la formation des unités aux niveaux individuels et collectifs, le commandement, la réception, l’utilisation et le bon entretien du matériel militaire, l’établissement de circuits d’information et de communication, et l’élaboration et l’application d’une doctrine opérationnelle. Exécuter des opérations militaires signifie développer cet éventail de tâches.

« Le ministère des affaires du cabinet devrait diriger le développement d’une stratégie de sécurité nationale pour le pays, afin d’assurer que celle-ci englobe tous les problèmes liés à sa sécurité. »

La fonction centrale d’un ministère de la défense devrait être de mettre en place une politique de défense, son suivi et sa revue.1 Par l’élaboration et la mise en place d’une politique de défense, le ministère de la défense peut être servir comme l’organe central qui fournit des orientations sur les questions de défense. Actuellement, il n’existe aucune stratégie de sécurité au niveau national du Soudan du Sud, ce qui empêche chaque organisation de sécurité d’élaborer une politique bien définie. Le livre blanc de la SPLA de juin 2008 qui traite de la défense et qui n’a jamais été rendu public, fixe les grands objectifs à réaliser par le Ministère de la défense du Soudan du Sud pendant la période de transition (2005–2011). Le ministère des affaires du cabinet devrait diriger le développement d’une stratégie de sécurité nationale pour le pays, afin d’assurer que celle-ci englobe tous les problèmes liés à sa sécurité. En complément d’une stratégie de sécurité nationale, des politiques sectorielles, dégageant les modalités et les mécanismes permettant de réaliser les objectifs fixés, devront également être développées.

Renforcer le contrôle interne des organisations de sécurité. Ce contrôle s’impose afin de réduire les abus des services de sécurité.Des systèmes de contrôle interne ont soit disant  été établis dans la Constitution du Soudan du Sud et dans les textes de loi relatifs à chaque organisation. De manière générale, il existe deux types de systèmes de contrôle. Les mécanismes de contrôle interne du secteur de la sécurité, par exemple, comprennent le service de l’inspecteur général des armées et la section d’audit interne. Les mécanismes de contrôle externe comprennent le parlement et le pouvoir judiciaire.

Les commissions parlementaires doivent être habilitées à examiner les budgets, les politiques et les opérations. Dans l’exécution de leurs obligations, elles doivent être capables d’accéder aux informations y compris celles classées secret défense qui ne sont pas mises à la disposition du public. La société civile doit être habilitée à demander des comptes au secteur de la sécurité. L’implication des autorités civiles peut donner de la crédibilité au processus, rendre les décisions plus légitimes aux niveaux politique et social et créer un sentiment d’appartenance parmi les parties prenantes. À l’heure actuelle, le pouvoir de certains mécanismes de contrôle cités plus hauts est très faible et doit être révisé et renforcé.

Conclusion

Jusqu’ici, les réformes du secteur de la sécurité ont été vouées à l’échec par un manque de volonté politique. L’une des conséquences de cet échec est que le secteur reste l’une des principales forces déstabilisatrices du pays. Les propositions faites dans cette revue pourraient contribuer à la création d’un secteur de sécurité compétent, responsable et efficace. Il est peu probable, cependant, que les réformes prennent racine dans le climat politique, économique, social et institutionnel actuel. Une revalorisation des réformes des institutions est nécessaire pour établir les fondations de l’état de droit et en favoriser le renforcement, tout en consolidant les institutions démocratiques. Des réformes supplémentaires visant à cantonner et à limiter l’autorité des pouvoirs politiques (exécutif et législatif), à habiliter les puissances périphériques, à élargir la protection des droits humains et à faciliter l’expression démocratique sont impératives, comme l’est la nécessité de combattre la culture répandue de l’impunité.

Lieutenant Général (à la retraite) Kuol Deim Kuol a été le général de division d’active de l’armée populaire de libération du Soudan jusqu’en 2013. Il a dirigé la campagne de désarmement de Jonglei lancée par le Président Kiir en 2012.

Note

  1. Laura R. Cleary et Teri McConville, eds., Managing Defence in a Democracy (Oxford: Routledge, 2000).