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Trois trajectoires possibles pour le Soudan du Sud


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South Sudan soldier in Leer, northern South Sudan Photo: UNMISS

A South Sudanese soldier in Leer, South Sudan. (Photo: UNMISS)

Le Soudan du Sud est sans aucun doute l’État le plus fragile au monde. En l’absence d’un héritage institutionnel lors de sa création en 2011ses indicateurs politiques, sécuritaires, économiques et sociaux se sont tous détériorés au fil d’une guerre civile permanente.1 Alors que la légitimité de l’État s’est effritée, le nombre de factions armées et de milices tribales a rapidement augmenté, il existe maintenant plus de 40 groupes.

L’érosion de la présence du gouvernement dans les régions rurales du Soudan du Sud et sa retraite vers Djouba, sa capitale, a poussé quelques observateurs à déclarer que le Soudan du Sud avait été réduit à une cité-État.

Une des conséquences de ce conflit prolongé est que le Soudan du Sud est maintenant l’un des principaux exportateurs de réfugiés, environ 2,5 millions de personnes se sont exilées dans les pays voisins et 1,85 million ont été déplacées à l’intérieur du pays. Près de 7 millions de personnes (60 pour cent de la population avant la crise) font face à la famine et à l’insécurité alimentaire. L’économie est au bord de la faillite avec un taux d’inflation qui vacille entre 100 et 150 pour cent. Les conflits, aussi au sein des communautés qu’entre elles,  ont entraîné la fracture et l’érosion sociale, c’est à dire  les atouts mêmes qui avaient si bien servi les populations du sud pendant la lutte contre la domination arabo-islamiste des gouvernements de Khartoum. Le repli vers le clan ethnique qui remet en cause l’unité nationale est dû, en partie, à la nature du conflit, mais également au refus de l’élite au pouvoir à accepter la diversité et à transférer le pouvoir de décision et les ressources vers le centre.

Trois trajectoires sont désormais possibles pour le jeune État du Soudan du Sud.

Scénario 1: Status Quo

Les nombreux et graves défis suivants, qui sont la cause de l’instabilité actuelle, caractérisent ce premier scenario :

  • L’insurrection qui persiste et dans laquelle aucune des parties du conflit n’est capable d’imposer sa volonté militairement
  • La violence éthnique
  • Une famine artificielle créée par les conflits et l’effondrement de l’économie et de la production alimentaire et accompagnée par des déplacements de populations massifs aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières du Soudan du Sud
  • Des violations des droits humains, y compris des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité
  • L’impuissance de l’État causée par la désintégration des institutions gouvernementales avec les institutions de sécurité non seulement incapables de prendre en main la sécurité physique et les biens des citoyens, ce qui est la responsabilité primordiale de É, mais qui sont également la source principale de la violence et de l’instabilité

Parmi tous les problèmes énoncés ci‑dessus, l’érosion de la présence du gouvernement dans les régions rurales du Soudan du Sud et sa retraite vers Djouba, sa capitale, a poussé quelques observateurs à déclarer que le Soudan du Sud avait été réduit à une cité-État. Cette retraite a créée de larges zones non gouvernées (problème qui existait déjà au Soudan du Sud à cause de la géographie du pays) dans lesquelles les insurgés, les milices et ce qui reste de l’armée sud-soudanaise se battent constamment, tout en s’en prenant et en persécutant la population civile, à volonté, mais souvent seulement en raison de son origine ethnique.

Cependant, à ce « conflit national » s’ajoutent toutes sortes de conflits antérieurs intra et intercommunautaires, pour le contrôle des ressources, y compris la terre, les pâturages, l’eau et le bétail. De plus, les conflits liés aux « coutumes », telles que les meurtres pour l’honneur, qui souvent sont le produit de vendettas sur plusieurs générations, ajoutent des niveaux de complexité au conflit.

Ce résumé accablant des défis auxquels doivent faire face les efforts de stabilisation et de paix peignent une idée triste et déprimante image de l’avenir qui semble être réservé à la population du Soudan du Sud. Malheureusement, la situation pourrait s’empirer.

Mouvement de population du Soudan du Sud depuis 2013

Scénario 2: Une État selon la doctrine de Hobbes

Le deuxième scénario représente une anarchie permanente dans laquelle la vie est plus terrible, plus courte et même plus brutale qu’elle ne l’a été pour une majorité écrasante de la population sud-soudanaise, jusqu’à présent. Il se caractériserait par :

  • La dégénération du statu quo et la descente dans le chaos, l’anarchie, l’absence de lois, ou l’ochlocratie. Cette situation s’accompagnerait d’une division accrue au sein des groupes ethniques et politiques. La survie dépendrait entièrement de la force physique. Les communautés les plus faibles seraient forcées à s’enfuir ou risquer d’être anéanties.
  • L’impossibilité de payer les salaires des fonctionnaires, des juges et des autres organismes de justice résulterait en la fermeture totale du gouvernement.
  • L’intervention militaire potentielle des pouvoirs régionaux en faveur de certaines factions pourrait augmenter l’intensité, la portée et la longévité de la violence. Cela rendrait la guerre insoluble.
  • La désintégration de l’économie rendrait le commerce et le transfert de capitaux impossible, et l’entretien de l’infrastructure ne serait plus viable. En conséquence, la milice ou les autres membres du personnel de sécurité pourraient alors élargir leurs activités d’extorsion.

Dans ce scénario, le territoire qui constitue maintenant le Soudan du Sud redeviendrait apatride.

Essentiellement, dans ce scénario, le territoire qui constitue maintenant le Soudan du Sud redeviendrait apatride. Une période de mortalité massive s’en suivrait car la famine et le conflit ravageraient la population restante, alors même que celle-ci n’existerait qu’à une échelle beaucoup plus petite et sur une base de subsistance. De vastes espaces non gouvernés poseraient un danger de vide sécuritaire, et pourraient inviter des conflits par procuration de la part de certains acteurs régionaux qui essaieraient d’exploiter les ressources du Soudan du Sud tout en créant une zone tampon afin de protéger leurs propres frontières de l’instabilité.

South Sudan: Growing violence deepens the humanitarian crisis across the country. Photo: European Civil Protection and Humanitarian Aid Operations

Internally displaced people shelter at a UN peacekeeping base in South Sudan. (Photo: European Civil Protection and Humanitarian Aid Operations)

Scénario 3: Les chemins vers la stabilité

Le troisième scénario représente une société sud-soudanaise dans laquelle les citoyens vivent en sécurité physique, peuvent subvenir à leurs besoins matériaux, et coexistent avec les autres que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de leur communauté. Pour réaliser cette vision, il faudra faire des efforts concertés et multidimensionnels afin de résoudre les défis élaborés  ci‑dessus.

Un environnement favorable est essentiel parmi les conditions nécessaires afin que les efforts de stabilisation portent leurs fruits. L’accord pour la résolution pacifique des conflits au Soudan du Sud (ARCSS), signé en août 2015, a fourni une esquisse et souligné les conditions minimales pour faire taire les armes et atteindre une paix et une stabilité durables. Depuis la signature de l’ARCSS, les conditions se sont énormément détériorées. La revitalisation de l’ARCSS est la première étape essentielle à l’engagement renouvelé entre les parties et à la création de conditions propices au lancement des efforts de stabilisation. Ce dialogue de revitalisation devrait être ouvert à toutes entités politiques actuellement actives au Soudan du Sud. La réalisation que la situation dans presque toutes les communautés s’est dégradée depuis 2015 et pourrait se dégrader davantage devrait suffire à renouveler ces engagements.

La réalisation que la situation dans presque toutes les communautés s’est dégradée depuis 2015 et pourrait se dégrader davantage devrait suffire à renouveler ces engagements.

Compte tenu  des nombreux événements tragiques qui se sont déroulés depuis 2013, en tant que mesure de confiance, le déploiement complet des 4 000 membres de la Force de Protection régionale (FPR) fait partie intégrante de cet effort. La taille de cette force pourrait devoir être élargie compte tenu des problèmes créés par l’étendue du conflit. Cette sous-traitance temporaire des services de sécurité est l’un des éléments susceptibles de créer un environnement de sécurité propice à la poursuite d’autres aspects du processus de stabilisation.

President of South Sudan Salva Kiir. (Photo: Astrid Sehl, Norwegian Ministry of Foreign Affairs)

Le Président du Soudan du Sud, Salva Kiir. (Photo: Astrid Sehl, Norwegian Ministry of Foreign Affairs)

Les efforts de stabilisation exigeraient une orientation stratégique à l’échelle nationale. Sachant que le gouvernement de Kiir manque de légitimité à cause de la non-exécution de l’ARCSS, la mise en place temporaire d’une autorité politique qui serait en charge d’une multitude de secteurs et imbue du droit civique est essentielle afin de mener à bien les efforts de stabilisation et de préparer le terrain pour des élections démocratiques. Plusieurs options peuvent être considérées ici, y compris : Une administration internationale provisoire,2 une administration transitionnelle dirigée par l’Union Africaine,3 ou une administration temporaire gérée par des technocrates sud-soudanais.4 Ces mesures devraient être accompagnées d’une stratégie de sortie négociée afin de permettre aux dirigeants actuels de quitter le pouvoir.5

Compte tenu du manque de capacité et de confiance de la part d’une partie de la classe politique sud-soudanaise, il pourrait être préférable de choisir une administration hybride composée de technocrates sud-soudanais non corrompus et de membres de l’Union Africaine et des Nations-Unies.

Les efforts de remaniement et de transformation des institutions du secteur de la sécurité au Soudan du Sud devraient profiter de l’expérience du Liberia (en invitant des membres des forces de sécurité étrangères pour gérer le secteur de la sécurité pendant que les institutions locales de ce secteur sont construites) et du Burundi (basé sur la diversité des origines ethniques des forces de sécurité).

Bien que les la plupart des efforts de réforme dans le domaine de la sécurité aient une dimension politique, on a tendance en Afrique à considérer de telles réformes comme des projets purement techniques et cela en complique la mise en application. La scrupuleuse attention aux aspects politiques, y compris à la participation des partis politiques et des autres acteurs impliqués dans la transformation du secteur de la sécurité est essentielle afin d’assurer une stabilité durable.6

Conclusions

La situation actuelle au Soudan du Sud se dégénère rapidement en anarchie, les options disponibles pour secourir sa souveraineté se font de plus en plus rares. Afin de réorienter le pays vers un chemin qui conduira le Soudan du Sud à l’unité et à la paix, il est proposé aux parties concernées de donner la priorité à la revitalisation et d’injecter une nouvelle vie à l’ARCSS, tout en complétant le déploiement de la FPR. De cette manière, il sera possible de créer un environnement plus favorable à la stabilisation du Soudan du Sud. Des efforts parallèles devraient se poursuivre afin de se concentrer à sauver des vies, rétablir les moyens de subsistance, restituer la confiance et assurer la cohésion sociale. La création d’institutions de sécurité efficaces et responsables et la formation d’une armée nationale sont des exercices de longue haleine qui demandent une approche prudente et minutieuse. Les mesures décrites ci‑dessus créent l’espace et le temps afin d’entreprendre ce processus pour lui donner la chance de réussir.

Dr. Luka Kuol est Professeur au Centre d’études stratégiques de l’Afrique. Il a auparavant travaillé pour le ministre des Affaires présidentielles pour le gouvernement du Soudan du Sud ainsi qu’en tant de ministre national des affaires du Cabinet pour la République du Soudan. Il a également travaillé en tant qu’économiste pour la Banque Mondiale au Soudan du Sud.

Notes

  1. State Fragility Index, 2018,” Fund for Peace Web site.
  2. Kate Almquist Knopf, “Ending South Sudan’s Civil War,Council Special Report No. 77 (Washington DC: Council on Foreign Relations, 2016).
  3. Mahmood Mamdani, “Who’s to Blame in South Sudan?Boston Review, June 28, 2016.
  4. Majak D’Agoôt and Remember Miamingi, “In South Sudan, Genocide Looms,” PaanLuel Wël (blog), November 1, 2016.
  5. Knopf, 26.
  6. Nicole Ball, “Lessons from Burundi’s Security Sector Reform Process,” Africa Security Brief No. 29 (Washington DC: Africa Center for Strategic Studies, 2014).