Un test pour la démocratie au Bénin

Les récentes élections législatives sans opposition au Bénin constituent une tentative de consolidation du pouvoir au détriment des acquis démocratiques.


Assemblee nationale du Benin

L’Assemblée nationale du Bénin. (Photo: Présidence de la République du Bénin)

Le Bénin a longtemps été salué comme un « modèle de la démocratie » et ce jusqu’aux dernières élections législatives—puisque considérées comme une imposture par des observateurs indépendants—ont sérieusement ébranlé l’image que le pays s’était forgée au prix d’efforts considérables. Le 28 avril dernier, le Bénin a élu une nouvelle Assemblée nationale. Toutefois, en raison de nombreux obstacles de dernière minute placés par le gouvernement du président Talon, seuls les partis loyalistes ont pu présenter des candidats, aboutissant ainsi à l’élection d’une simple chambre d’enregistrement. L’opposition a boycotté les élections, entraînant un taux de participation très faible de 27 %. En réaction à des manifestations massives, l’armée a ouvert le feu sur des manifestants non armés, causant la mort d’au moins quatre civils.

En première ligne de la vague démocratique africaine

Thomas Boni Yayi

Thomas Boni Yayi. (Photo: Wilson Dias/ABr)

Le Bénin occupe une place unique dans le paysage démocratique africain. En 1990, après 18 ans de régime pro-soviétique du major Mathieu Kérékou, le Bénin a tenu un congrès national qui avait pour mission de réécrire la constitution et d’introduire des élections multipartites. Le précédent ainsi créé a inspiré quinze autres pays africains au cours des années suivantes. Depuis lors, le Bénin a eu quatre passations pacifiques du pouvoir, élisant même à la tête de l’État deux fois son ancien homme fort (Mathieu Kérékou) entre 1996 et 2006. Mathieu Kérékou est décède en 2015. Mais à la suite des élections controversées d’avril, deux anciens présidents du Bénin, Nicéphore Dieudonné Soglo (1991-1996) et Thomas Boni Yayi (2006-2016), ont vivement critiqué l’actuel président Patrice Talon, lui demandant de reconsidérer les restrictions imposées aux partis politiques. La maison de Thomas Yayi, située dans le quartier Cadjéhoun de Cotonou, était devenue le centre des manifestations. Elle est aujourd’hui entourée par les forces de sécurité béninoises et les membres de sa famille s’y voient refuser l’accès .

L’émergence de Patrice Talon

Les relations entre Thomas Yayi et Patrice Talon n’ont pas toujours été conflictuelles. Avant 2012, les deux hommes entretenaient une relation mutuellement satisfaisante dans laquelle Patrice Talon finançait les ambitions politiques de Thomas Yayi tout en bénéficiant du droit d’exploiter l’industrie cotonnière du Bénin et son centre d’importation de Cotonou. En partie grâce à cette relation, Patrice Talon, aujourd’hui âgé de 61 ans et l’une des quinze personnes les plus riches d’Afrique, est devenu le « Roi du coton ». Pendant ce temps, Thomas Yayi remportait deux élections présidentielles. Ayant rêvé de devenir pilote avant de rater des études en médecine, Patrice Talon a fait fortune en tirant profit de ses liens avec les élites politiques du Bénin quand le pays a libéralisé ses industries nationales dans les années 1990 et 2000.

Benin President Patrice Talon

Le président du Bénin Patrice Talon. (Photo: Pésidence de la République du Bénin)

Mais les choses se sont gâtées lorsque Patrice Talon a été accusé de détournement de fonds en 2012 et a dû se réfugier en France. Pendant son séjour là-bas, il a été inculpé par défaut de tentative d’empoisonnement sur la personne de Thomas Yayi dans le but de s’emparer du pouvoir. Que ces accusations aient été politiquement motivées ou non relèvent de la conjecture. Toutefois, dans un esprit d’indépendance, les tribunaux du Bénin ont rejeté les accusations. Finalement, Thomas Yayi a gracié Patrice Talon, lui permettant ainsi de rentrer au Bénin à la fin de 2015.

De retour au pays, Patrice Talon a remporté l’élection présidentielle de 2016 à laquelle il s’était présenté en tant que candidat indépendant. Patrice Talon a été acclamé par les jeunes électeurs qui voyaient en lui un nouveau type de politicien béninois n’hésitant pas à étaler de sa richesse tout en promettant d’accélérer le passage du Bénin vers l’entrepreneuriat et l’économie de marché. Il s’est inspiré de dirigeants africains n’hésitant pas à faire preuve d’autoritarisme, quitte à attiser les divisions politique, tels  que Paul Kagamé du Rwanda.

Paradoxalement, Patrice Talon a accusé l’un de ses opposants, Sébastien Ajavon (qui l’avait soutenu lors du second tour du scrutin, mais a maintenant l’intention de se représenter en 2021) de crime (trafic de drogue). Sébastien Ajavon, le troisième homme le plus riche du Bénin, a demandé asile à la France. Les tribunaux, de la même manière qu’ils l’avaient fait pour Patrice Talon, ont rejeté les accusations. Toutefois, Patrice Talon n’a pas permis à Sébastien Ajavon de revenir au Bénin. Il a cherché à la place de prendre le contrôle du pouvoir judiciaire.

Offensive contre les institutions démocratiques du Bénin

En mai 2018, Joseph Djogbénou, ministre de la Justice, de la législation et des droits de l’homme du Bénin, et ancien avocat personnel de Patrice Talon dans l’affaire de l’empoisonnement, a fait pression en faveur de la création d’un tribunal spécial chargé de poursuivre les crimes économiques et de terrorisme. La Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) a été mise en place en août 2018 et a jugé une nouvelle fois Sébastien Ajavon par contumace, le condamnant à 20 ans de prison sans possibilité d’appel. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples siégeant à Arusha a dénoncé la condamnation prononcée ainsi que l’existence même du CRIET et a ordonné au Bénin d’abroger la décision dans un délai de six mois. Jusqu’à présent, le Bénin s’y refuse. Entre-temps, en juin 2018, Patrice Talon a nommé Joseph Djogbénou président de la Cour constitutionnelle du Bénin. Comme la plupart des personnes nommées par Patrice Talon, Joseph Djogbénou est originaire de la région de langue gbe, une tendance qui, depuis son élection en 2016, déroge à la tradition d’équilibre régional du Bénin dans les nominations aux postes gouvernementaux.

Cyriaque Dossa, President of the Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (CRIET), in August 2018

Cyriaque Dossa, président de la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (CRIET), en août 2018. (Photo: Govuernement du Bénin)

Patrice Talon a tenté et échoué à deux reprises, en 2016 et 2017, d’obtenir que l’Assemblée nationale approuve toute une série de modifications constitutionnelles, notamment la garantie de l’impunité pour les présidents et députés ainsi que la limite du mandat présidentiel à un seul mandat prolongé d’un an (6 ans au lieu de 5). Les pots de vin auraient fait partie des tactiques utilisées pour acheter les votes des députés. Par la suite, Patrice Talon a compté sur les décisions de Joseph Djogbénou pour approuver les modifications qu’il souhaitait apporter aux lois et institutions du Bénin. Les parlementaires de l’Assemblée nationale du Bénin opposés aux modifications proposées par le président en 2017 craignaient qu’il ne tente de précipiter l’avènement d’une « nouvelle » république chargée de remettre à zéro le comptoir des mandats présidentiels, lui donnant la possibilité de rester au pouvoir jusqu’en 2028. En janvier 2019, la Cour constitutionnelle a annulé le droit de grève des employés de la fonction publique, que Patrice Talon considérait comme un obstacle à ses réformes en faveur de l’économie de marché.

La crise actuelle est attribuable, en partie, à l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui oblige les parties politiques à obtenir un « certificat de conformité », une disposition qui n’existe pas dans le droit électoral du pays. Cet obstacle de nature douteuse, en plus de droits d’inscription exorbitants (427 000 $), a eu pour effet que la Commission électorale nationale n’a approuvé que deux partis politiques, tous deux alignés sur le président Talon, pour les élections du 28 avril. Même si le paysage politique du Bénin se caractérise depuis longtemps par des centaines de partis politiques faibles, la supposition la plus répandue est que toutes ces manœuvres ont pour objectif d’assurer l’autorité de Patrice Talon, qui prévoit de briguer un nouveau mandat en 2021.

La crise actuelle est attribuable, en partie, à l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui oblige les parties politiques à obtenir un « certificat de conformité », une disposition qui n’existe pas dans le droit électoral du pays.

Le 28 avril s’est avéré être un jour sombre pour le Bénin car 27 % des citoyens ont voté, un pourcentage inférieur de plus de la moitié à celui de l’élection présidentielle de 2016 où Patrice Talon avait obtenu 65 % des voix. En outre, le gouvernement a bloqué l’accès à Internet harcelé les journalistes et dispersé les manifestants avec des canons à eau, des gaz lacrymogènes et des balles réelles, des mesures qui violent la constitution du Bénin. La Cour constitutionnelle de Joseph Djogbénou a certifié les résultats de l’élection en dépit de « certaines irrégularités ». Avant l’élection, les nouvelles lois instaurées par le gouvernement menaçaient déjà la liberté de la presse en lui permettant d’arrêter et d’inculper les journalistes accusés de propager des « fausses nouvelles ». Le président Talon a lui-même reconnu que les élections et ses conséquences donnaient une mauvaise image du Bénin, déclarant que les élections le mettaient « particulièrement mal à l’aise ».

Les forces de sécurité du Bénin font actuellement l’objet de pression pour leur usage de force létale sur les manifestants. Toutefois, l’ampleur du contrôle de Patrice Talon sur les forces armées et la police n’a pas encore été déterminée. L’armée et la garde républicaine ont été envoyées dans les rues de Cotonou après fuite de la police devant l’ampleur des manifestations. Il est donc difficile de savoir qui a donné l’ordre aux soldats d’ouvrir le feu, bien que certaines personnes aient pointé directement Patrice Talon du doigt. La décision d’utiliser des balles réelles a suscité la colère de nombreux militaires. Par ailleurs, les chefs militaires ont laissé entendre qu’ilsne suivront pas Patrice Talon jusqu’au bord du précipice et qu’ils n’arrêteront pas les anciens chefs d’État comme le président Yayi, une crainte à l’origine des manifestations de Cotonou. Candide Azannaï, le précédent ministre de la défense du Bénin devenu une figure de l’opposition actuelle, a récemment déclaré qu’il avait pleine confiance dans le professionnalisme des forces de sécurité du pays. Néanmoins, on s’attend à ce que Patrice Talon continue à essayer de se servir de la police et de l’armée à des fins politiques. Les dirigeants du secteur de la sécurité du pays vont donc être soumis à des pressions grandissantes pour se politiser, portant ainsi atteinte à leur indépendance dans une société démocratique.

Retour de « l’homme providentiel » au Bénin ?

Même si les institutions de surveillance du Bénin se sont avérées être faibles, Patrice Talon se heurte à des contraintes. L’homme d’affaires devenu président a besoin d’un flot continu d’investissements internationaux, d’importations et de tourisme pour maintenir la stabilité économique. L’économie du Bénin a connu une croissance économique supérieure à 5 % au cours des deux dernières années. L’élection du 28 avril compromet cette croissance, de même que le récent enlèvement de touristes dans le Parc national de la Pendjari situé dans l’extrême nord du pays. Alors que d’autres dirigeants pourraient être tentés de détourner l’attention sur la frontière nord et par là même justifier une présence accrue de l’autorité de l’exécutif et des forces de sécurité, il manque à Patrice Talon n’a pas de formation militaire solide. Il ne peut donc pas se permettre d’attiser une phobie sécuritaire qui risquerait de  saper l’économie du Bénin.

Si les récents problèmes du Bénin font fuir les visiteurs et les investissements, Patrice Talon pourrait se trouver en difficulté. Il est donc dans son intérêt de maîtriser rapidement la situation et de chercher par tous les moyens possibles à restaurer la légitimité des institutions démocratiques du Bénin. Il a fait un petit pas dans cette direction le 20 mai lors de son discours à la nation au cours duquel il a promis de renforcer la sécurité dans le nord et de se concerter avec la classe politique du pays pour résoudre la crise démocratique. Il est possible qu’il cherche uniquement à gagner du temps jusqu’à ce qu’une autre option se présente. Avant le 28 avril, Patrice Talon avait commencé à resserrer les liens du pays avec la Chine et la Russie, en donnant à une entreprise chinoise, et non à des entreprises françaises et béninoises qui avaient également présente des offres,  un contrat de pour construire une ligne importante de chemin de fer, et en s’engageant dans une collaboration avec la Russie dans les domaines des échanges commerciaux et de l’exploration des ressources naturelles.

Le parti politique de Thomas Yayi a lancé un appel au secours à la communauté internationale, lui demandant d’intervenir sans tarder pour protéger les institutions démocratiques du Bénin.

L’opposition béninoise a rejeté les propos tenus par Patrice Talon lors de son discours du 20 mai. Dans une lettre ouverte datée du 21 mai, un ancien député béninois aujourd’hui politique publié une tribune élaborant les neuf mesures obligatoires que Patrice Talon doit prendre pour restaurer la démocratie au Bénin, dont l’annulation des élections du 28 avril et la fin de l’assignation à résidence de Thomas Yayi. Le 22 mai, le parti politique de Thomas Yayi a lui aussi lancé un appel au secours à la communauté internationale, notamment à l’Union européenne (UE), l’Union africaine (UA), aux Nations Unies (ONU), à la Communauté économique des pays de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). La lettre leur demande d’intervenir sans tarder pour protéger les institutions démocratiques du Bénin.

Au début du mois de mai, après les violences qui ont suivi les élections, le président de la CEDEAO, le chef de l’État nigérian Muhammadu Buhari, a dépêché deux envoyés au Bénin qui ont exhorté Patrice Talon à poursuivre un dialogue pacifique afin de permettre à l’opposition de participer au processus démocratique. Selon les protocoles établis, la CEDEAO est tenue d’intervenir chaque fois qu’une régression démocratique est constatée, comme ce fut le cas en Gambie en 2017 où elle est intervenue diplomatiquement et militairement. Certains membres de la CEDEAO ont suggéré l’envoi d’une mission d’information au Bénin, qui pourrait ensuite donner lieu à l’adoption d’une résolution par la CEDEAO. Le Nigeria, qui est l’épine dorsale de la CEDEAO, peut user de l’influence économique importante dont il dispose sur son voisin béninois. On estime que le commerce de réexportation officieux avec le Nigeria représente 20 % du PIB du Bénin. Le e Nigeria a plusieurs fois renforcé les contrôles frontaliers dans l’ouest du pays, ralentissant ainsi l’économie béninoise. Au cours de l’année passée, Patrice Talon a travaillé en collaboration avec le Nigeria à la simplification des opérations frontalières. Toutefois, à ce jour, la communauté internationale n’a pas répondu à la récente demande d’intervention de Thomas Yayi.

Dans le ventre de Dan

A depiction of the serpent deity Dangbe

Une illustration de la déesse serpent Dangbé.

Dahomey, l’ancien nom du Bénin jusqu’en 1975, signifie « dans le ventre de Dan », la déesse serpent (Dangbé) à laquelle des lieux de culte vodoun sont dédiés dans des villes comme Ouidah (la ville natale de Patrice Talon). Souvent au cours de l’histoire, la puissance, la vie et la mort ont été symbolisées par l’image d’un python consommant sa propre queue, une métaphore appropriée pour un empire bâti sur la traite transatlantique des esclaves. De nos jours, l’image de l’automutilation du serpent pourrait bien symboliser la crise politique que s’est auto-infligée le Bénin. Après la capture, pour le moment, du pouvoir législatif par le pouvoir exécutif, la question qui se pose est de savoir comment les institutions démocratiques restantes du Bénin – la société civile, les médias, la fonction publique et le secteur de la sécurité – avec l’aide de la CEDEAO et des partenaires internationaux, peuvent extraire la queue métaphorique du Bénin de la gueule du serpent. Si elles y parviennent, elles permettront de préserver l’héritage démocratique du Bénin.

Mark Duerksen est titulaire d’un doctorat en études africaines de l’Université de Harvard. Il a précédemment enseigné à Hunter College à New York et à l’African School of Economics (ASE) du Bénin.


Ressources complémentaires