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Comprendre les pressions exercées par la RDC en faveur du départ de la MONUSCO

De nombreux Congolais redoutent le retrait des forces de maintien de la paix de l’ONU, estimant que les forces gouvernementales sont incapables d’assurer la sécurité dans l’est de la RDC.


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Peacekeepers from South Africa serving with MONUSCO support the FARDC in foiling an attack on the village of Mbau in February 2020. (Photo: UN/Michael Ali)

Les soldats de la paix sud-africains de la MONUSCO soutiennent les Forces armées de la République démocratique du Congo en patrouillant dans le Nord-Kivu. (Photo : UN/Michael Ali)

Quelques semaines après le transfert des bases de la mission de maintien de la paix des Nations unies au gouvernement congolais, les postes de la province du Sud-Kivu sont tombés en ruine. Cette illustration est révélatrice des graves problèmes auxquels sont confrontées les communautés de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Les portes et les serrures ont été fracturées, l’équipement électrique a été volé et les bases ont été privées de carburant, de nourriture, d’eau et d’électricité – pillées par les troupes congolaises. Plus de la moitié des 115 policiers affectés à une base qui abritait autrefois des soldats de la paix pakistanais ont déserté. Ceux qui restent ont le moral en berne en raison du défaut de solde et de provisions de base, et mendient de la nourriture auprès de l’église protestante voisine.

Le gouvernement du président Félix Tshisekedi a demandé le retrait complet de la mission de l’ONU, la MONUSCO, d’ici la fin de l’année 2024. Le retrait de l’ONU semble incompatible avec les réalités en matière de sécurité sur le terrain, où les attaques des rebelles se multiplient et où l’on estime à 7 millions le nombre de citoyens congolais déplacés. Plus de 80 % d’entre eux vivent dans des zones protégées par la MONUSCO, ce qui fait planer le spectre d’une catastrophe humanitaire.

L’accent mis sur la MONUSCO détourne l’attention de l’incapacité des forces de sécurité congolaises à protéger leurs citoyens.

La mission de la MONUSCO fournit d’autres services essentiels dans la région, tels que le déminage, les systèmes d’alerte précoce au niveau local, le renforcement des capacités judiciaires, la résolution des conflits au niveau local et les mécanismes de collaboration pour la protection des civils. Les gouvernements successifs n’ont pas fourni ces services pendant des décennies. Les communautés locales perçoivent l’armée, la police et les services de renseignement comme faisant partie du problème, ce qui engendre une peur et une méfiance omniprésentes.

Les acteurs régionaux et les intérêts miniers illicites qui profitent de l’instabilité ont encore contribué à la détérioration de la sécurité. Le gouvernement congolais reproche à la MONUSCO de ne pas être assez agressive dans sa lutte contre le groupe rebelle du Mouvement du 23 mars (M23). Cela a coïncidé avec des campagnes de désinformation concertées contre la MONUSCO , qui ont suscité le mécontentement à l’égard de la mission. L’atmosphère tendue qui en résulte autour des opérations de la MONUSCO a conduit à des affrontements violents et à des morts.

Peu de Congolais sont convaincus qu’une milice parrainée par le gouvernement, censée remplacer la MONUSCO, ou l’armée congolaise, qui est fragmentée, mal entraînée et n’a pas de comptes à rendre, sont à la hauteur de la tâche. De nombreux citoyens de l’est et de tout le pays craignent le coût humain pour les populations vulnérables actuellement protégées par la présence de la MONUSCO. Ces voix ont été largement étouffées par les débats passionnés sur les avancées du M23 ainsi que par les critiques du gouvernement à l’égard de la MONUSCO. Il est très peu probable que l’armée congolaise puisse à elle seule assurer la sécurité nécessaire pour protéger ses citoyens des rebelles en maraude et des milices qui s’en prennent aux communautés en toute impunité.

Un déficit chronique de sécurité des forces de sécurité congolaises

L’est du Congo est un tourbillon de violence meurtrière depuis plus de deux décennies. La principale source de conflit est constituée par les combats entre l’armée congolaise et une coterie complexe et toujours croissante de groupes armés, allant de milices en haillons dirigées par des intérêts commerciaux et politiques concurrents à de grandes formations rebelles dotées d’un semblant de commandement organisé. Certains d’entre eux, comme les Maï-Maï et leurs nombreuses ramifications, sont apparus au cours de la première et de la deuxième guerre du Congo (1996-2003). D’autres, comme les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), sont des vestiges des forces nationalistes hutues impliquées dans le génocide rwandais de 1994.

Le M23 faisait autrefois partie de l’armée congolaise. À différentes périodes depuis 2012, il a mené une guerre brutale contre ce qu’il considère comme un traitement injuste des Tutsis congolais, également appelés Banyamulenge. La nationalité congolaise de cette communauté reste une question sensible que les gouvernements successifs, les pays de la région et le M23 lui-même ont tous manipulée à leurs fins. Plusieurs rapports du groupe d’experts des Nations unies sur la RDC ont accusé le Rwanda et l’Ouganda de soutenir différentes factions du M23. Ces deux pays soutiennent des groupes congolais rivaux depuis la fin des années 1990, après que leur alliance militaire étroitement imbriquée a tourné au vinaigre.

Congolese gather along a busy road while they flee clashes between M23 rebels and government forces in the Masisi territory.

Des Congolais fuient le territoire de Masisi suite aux affrontements entre les rebelles du M23 et les forces gouvernementales en février 2024. (Photo : AFP/Aubin Mukoni)

Le parti au pouvoir au Burundi, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD), nationaliste hutu, a longtemps été accusé de soutenir les FDLR et d’autres forces anti-rwandaises dans le cadre de son inimitié avec le Rwanda. Cependant, le Rwanda combat également ses propres rebelles sur le sol congolais, dont certains se trouvent à moins de 17 kilomètres de Bujumbura. L’Ouganda est aux prises avec ses propres rebelles basés au Congo, dont les plus puissants et les mieux armés sont les Forces démocratiques alliées (ADF). Des vestiges d’une autre organisation ougandaise, l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), rôdent également dans la région après que sa force principale a été éjectée en République centrafricaine.

Créée en 1999, la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Congo (MONUC), devenue par la suite MONUSCO, s’inscrivait dans le cadre d’un effort plus large de la communauté africaine et internationale pour mettre fin aux première et deuxième guerres du Congo. Son mandat comprenait le suivi de nombreux processus de paix, notamment les accords de Sun City négociés par l’Afrique du Sud entre 2001 et 2003. Ces accords historiques ont été négociés parallèlement à une autre initiative africaine, le processus de paix de Lusaka, qui a réuni tous les pays soutenant les différentes parties du conflit congolais pour mettre fin à leurs hostilités. Cela a permis aux parties internes de négocier le dialogue intercongolais (DIC) à Sun City.

La MONUSCO a obtenu de nombreux résultats remarquables malgré les difficultés qu’elle a rencontrées.

La MONUSCO avait pour mandat d’instaurer la confiance entre les belligérants étatiques de la région, de soutenir les processus de Lusaka et de Sun City et de travailler avec toutes les parties en conflit pour qu’elles respectent leurs engagements. Ses soldats de la paix ont également été chargés de servir de tampon entre les acteurs armés qui avaient déposé les armes ou perdu le soutien de leurs protecteurs à la suite des deux processus de paix. Ces tentatives ont été faites au milieu des rivalités régionales hautement volatiles qui ont propulsé les première et deuxième guerres du Congo et leurs conséquences, dont les effets sont à l’origine de la conflagration actuelle.

Plus de 120 groupes armés se livrent à des maraudes dans l’est de la RDC, une région dont la superficie équivaut à peu près à celle du Soudan du Sud. La plupart d’entre eux ne cessent de se diviser en factions qui s’affrontent pour le contrôle des mines et d’autres revenus illicites. Presque tous ces groupes gonflent leurs rangs avec des enfants soldats âgés d’à peine 8 ans. Historiquement, l’armée congolaise n’a eu qu’une efficacité limitée dans la lutte contre cette instabilité cauchemardesque. Cela est dû en grande partie aux pratiques de corruption et de favoritisme enracinées dans les élites politiques et sécuritaires de la RDC. Les soldats sont rarement payés à temps, voire jamais, une grave erreur qui remonte à Mobutu Sese Seko. Les tactiques de Mobutu Sese Seko pour diviser et régner étaient basées en partie sur le fait de laisser les soldats se débrouiller seuls tout en détournant leurs budgets au profit de la puissante garde présidentielle. Il leur disait : « Vous avez des armes, vous n’avez pas besoin de salaire ».

Cette criminalité continue de peser sur l’armée congolaise, un défaut majeur qui est cité dans presque tous les rapports du groupe d’experts de l’ONU sur la RDC depuis 2011. Les forces de sécurité congolaises établissent des barrages routiers illégaux pour extorquer les citoyens. Elles morcellent et contrôlent des fiefs. Elles vendent des armes à quiconque est prêt à payer, y compris aux forces mêmes qu’elles combattent. Elles concluent des accords avec des hommes d’affaires de l’ombre afin de détourner des minerais vers les pays voisins. Ces pratiques sont depuis longtemps devenues la norme.

Les investissements africains et internationaux majeurs pour former et équiper l’armée congolaise n’ont pas résolu ces problèmes systémiques. Un aspect important de la question est que le système politique congolais dans son ensemble est caractérisé depuis des décennies par la prédation, l’impunité, le favoritisme et un manque de légitimité de longue date.

Réponses en matière de sécurité

La MONUSCO a accompli de nombreuses réalisations remarquables malgré les difficultés qu’elle a rencontrées. Elle a notamment contribué à maintenir l’unité de la RDC. Comme l’a fait remarquer un haut diplomate africain, sans la mission de l’ONU, la RDC n’existerait probablement pas en tant qu’État intégré aujourd’hui. La MONUSCO a également élevé la RDC au rang de membre du système des Nations unies et a mobilisé l’engagement continu de la communauté internationale. Elle a en outre contribué à empêcher la réapparition d’un conflit majeur du type des première et deuxième guerres du Congo. Enfin, elle a renforcé les efforts de la société civile pour sensibiliser aux questions des droits de l’homme, a popularisé les mécanismes communautaires de protection des civils et a documenté les violations des droits de l’homme afin d’établir une base pour la reddition de comptes.

MONUSCO peacekeepers in Kainama, DRC

Casques bleus de la MONUSCO à Kainama, RDC. (Photo : ONU)

Ces succès sont principalement dus à une diplomatie rigoureuse et à une politique d’alignement de la MONUSCO sur les efforts locaux et régionaux de rétablissement de la paix. Néanmoins, les représentants du gouvernement congolais ont exploité la lassitude des communautés face aux cycles apparemment sans fin de l’insécurité pour discréditer la MONUSCO et exiger son départ. Une partie de la motivation était de galvaniser le soutien politique, en particulier pendant les élections. Tshisekedi est allé plus loin que ses prédécesseurs à cet égard en obtenant un calendrier pour le retrait complet de la MONUSCO.

L’idée de dénigrer la MONUSCO est toutefois profondément erronée. Elle détourne l’attention du gouvernement et tente de l’exonérer de sa responsabilité cardinale de protéger ses propres citoyens. Le rôle de la MONUSCO a toujours été destiné à compléter celui des forces armées congolaises. Les critiques du gouvernement impliquent que cette responsabilité est inversée. Cette façon de voir les choses fait également de la MONUSCO une force de combat qui n’a pas réussi à neutraliser la violence.

En réalité, les soldats de la paix ne sont pas des combattants. Ils surveillent les cessez-le-feu et instaurent la confiance entre les belligérants pour qu’ils puissent assumer leurs responsabilités en matière de sécurité. Malgré cela, la MONUSCO a introduit des mesures plus robustes. En 2013, elle a créé la Brigade d’intervention de la force de l’ONU (FIB), composée de troupes malawites, tanzaniennes et sud-africaines, chargée de mener des opérations offensives. La même année, la FIB a vaincu le M23 et a aidé à intégrer certains de ses combattants dans l’armée congolaise. Cependant, la FIB a eu moins de succès contre les ADF et les FDLR et s’est finalement transformée en une mission de « conseil et d’assistance », laissant une grande partie des combats aux forces gouvernementales congolaises indisciplinées.

The last hills and villages before the front line between the Congolese army and M23, Lubero territory, North Kivu

Les dernières collines et villages avant la ligne de front entre l’armée congolaise et le M23, au sud du territoire de Lubero, dans la province du Nord-Kivu. (Photo : AFP/Alexis Huguet)

En 2022, Tshisekedi a demandé à la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) de déployer une force régionale contre un M23 revitalisé, mieux armé et mieux coordonné. Cependant, il a exigé leur départ moins d’un an plus tard, ce qui a provoqué des frictions avec ses voisins de la CAE. Après le départ de ces forces, la Communauté de développement de l’Afrique australe (CDAA) a envoyé des troupes à la demande de Tshisekedi.

Entre-temps, le M23 a continué à étendre ses opérations et menace de reprendre la capitale régionale de Goma. Cela fait suite à la prise de Rubaya, une ville minière de l’est du Congo connue pour sa production de tantale, un minerai essentiel utilisé dans les smartphones. Les rebelles du M23 contrôlent deux des cinq régions qui constituent la province du Nord-Kivu. En février 2024, le M23 a nommé sa propre administration locale dans ces régions.

Les représentants du gouvernement congolais ont exploité la lassitude des communautés face aux cycles apparemment sans fin de l’insécurité pour discréditer la MONUSCO et exiger son départ.

Le gouvernement a créé une milice appelée Wazalendo (« nous sommes les vrais patriotes » en kiswahili), censée assumer les responsabilités en matière de sécurité. Cependant, il s’agit d’une coterie de miliciens rassemblés par des croyances superstitieuses et qui n’ont pas la crédibilité d’une force de sécurité organisée. L’armée affirme avoir formé 40 000 Wazalendos en réponse à l’appel lancé par Tshisekedi en novembre 2022 pour que les groupes d’autodéfense se soulèvent contre le M23. Pourtant, les Congolais ont une histoire mouvementée avec les miliciens qui les taxent illégalement, commettent en toute impunité des violations flagrantes des droits humains, recrutent leurs enfants et provoquent des déplacements massifs de population.

Ce schéma s’est à nouveau manifesté lors des élections de 2023, lorsque les membres du Wazalendo – qui brandissent des armes à feu fournies par l’armée et des armes grossières telles que des pangas, des couteaux et des gourdins – ont harcelé les candidats rivaux et supprimé la participation électorale dans les bastions de l’opposition. Ces menaces persistent, les Wazalendos s’en prenant à la population en établissant des barrages routiers illégaux, en percevant des taxes illégales et en menaçant ou en utilisant la violence. Ces milices hétéroclites sont symptomatiques du problème plus large auquel le pays est confronté avec sa multitude de groupes armés.

Pour ajouter à la complexité et à la confusion quant aux intérêts poursuivis, le gouvernement aurait également engagé des mercenaires étrangers originaires de pays d’Europe de l’Est tels que la Roumanie pour sécuriser les principaux sites miniers de la région.

Un décalage entre la politique et la trajectoire de sécurité

Nombreux sont ceux qui pensent que la véritable intention derrière la volonté du gouvernement d’éjecter la MONUSCO n’est pas tant de relever les nombreux défis sécuritaires de la RDC que de réduire le contrôle de l’ONU sur les actions de plus en plus abusives des forces de sécurité congolaises. Le gouvernement a choisi de ne pas réunir toutes les parties prenantes pour examiner comment redéfinir les rôles de la MONUSCO, de la SADC et de la CAE tout en veillant à ce que les intérêts des citoyens soient protégés. Introduire davantage de milices dans une région où les miliciens restent une menace est une proposition dangereuse qui augmente considérablement la probabilité d’impunité et la vulnérabilité des populations locales. L’accent mis sur la MONUSCO détourne l’attention du problème de sécurité fondamental, à savoir l’incapacité des forces de sécurité congolaises à protéger leurs citoyens.

Cet échec s’explique en grande partie par l’absence de mise en œuvre de la réforme du secteur de la sécurité et des priorités en matière de renforcement des institutions politiques démocratiques énoncées dans les accords de Sun City de 2003. Ces accords constituaient un plan directeur pour la construction d’un État démocratique doté d’institutions responsables, y compris le contrôle des forces armées. L’expérience de la RDC montre que la réforme du secteur de la sécurité est étroitement liée à la transformation du processus politique. Une armée qui opère au sein d’un État prédateur et rentier sera elle-même prédatrice. C’est la tragédie récurrente à laquelle est confrontée la RDC et la voie à suivre pour améliorer la sécurité.


Ressources complémentaires