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Les élections en République démocratique du Congo : une crise persistante de légitimité

Les élections chaotiques en République démocratique du Congo ne sont pas parvenues à enrayer le long héritage de scrutins frauduleux, plongeant le gouvernement dans une nouvelle crise de légitimité.


DRC voters queuing on December 21, 2023.

Des électeurs font la queue à un bureau de vote à Lubumbashi le 21 décembre 2023. (Photo : AFP/John Wessels)

La Commission électorale nationale indépendante (CENI) de la République démocratique du Congo (RDC) a déclaré gagnant de l’élection présidentielle le président sortant Félix Tshisekedi avec 72 % des suffrages exprimés. Ce chiffre retentissant semple peu plausible étant donné non seulement le fort soutien dont disposaient les principaux candidats de l’opposition, mais aussi le fait que les sondages réalisés avant le vote suggéraient qu’aucun candidat n’obtiendrait une majorité. Par ailleurs, aucun président sortant congolais n’a jamais gagné plus de 48 % des voix, même quand les scrutins avaient été entachés d’allégations de fraude répandue.

Le processus électoral a été engouffré dans des irrégularités généralisées qui rendent difficile de valider les résultats de la CENI. Prévue pour le 20 décembre, la CENI a annoncé que, étant donné de nombreux retards, le scrutin se poursuivrait un jour supplémentaire. Les électeurs ont cependant continué à voter jusqu’au jour de Noel et ne s’est achevé que le 27 décembre, selon un audit indépendant de la Conférence Épiscopale (Catholique) Nationale du Congo (CENCO). Ces prolongations, illégales selon le droit congolais, signifient que personne ne sait quand les bureaux de votes ont vraiment été fermés.

La CENI n’a pas publié les résultats par bureau de vote et, le 2 janvier, a annoncé le report de l’annonce des résultats provisoires des élections de l’Assemblée nationale, ainsi que ceux des assemblées provinciales et des conseillers municipaux. La publication des données à ces niveaux aurait permis de corroborer les résultats présidentiels avec la performance des candidats d’autres partis.

Les données montrent que plus de 27 % des bureau de vote n’ont pas ouvert…et que 45 % des machines à voter ont mal fonctionné.

La CENCO et l’Église du Christ au Congo (CCC), une union de 62 dénominations protestantes, ont demandé à la CENI d’expliquer ces anomalies et de publier les résultats par bureau de vote. Leur conjointe mission d’observation a été la plus importante jamais organisée dans le pays avec 60 000 observateurs déployés. Ses données montrent que plus de 27 % des bureaux de votes n’ont pas ouvert leurs portes et ont répertorié des nombreuses fautes, notamment que 11 % des machines à voter avaient été placées dans des écoles militaires et que 45 % des machines à voter avaient mal fonctionné.

Un autre observateur local, la SYMOCEL, a trouvé que les deux tiers des bureaux de vote avaient ouvert en retard le 20 décembre (entre une et onze heures après l’heure prévue) et que seulement 57 % avaient respecté les procédures de vote.

Les candidats de l’opposition et les dirigeants de la société civile ont demandé que l’élection soit annulée qu’un nouveau scrutin soit organisé. Le 27 décembre, les forces de sécurité ont violemment réprimé une manifestation contre les résultats.  L’archevêque catholique de Kinshasa, le cardinal Fridolin Ambongo, a qualifié les élections de « gigantesque désordre organisé et planifié ».

Un scrutin chaotique

Les églises congolaises ont documenté 5 402 incidents sérieux, dont 60 % ont interrompu le vote. Leurs nombreux observateurs, qui bénéficiaient par ailleurs d’une expérience du fait de scrutins précédents, leur ont permis de surveiller une grande partie des 75 000 bureaux de vote du pays. Leurs rapports quotidiens ont identifié de nombreuses lacunes. Environ 43 % de leurs rapports font état du manque de listes d’électeurs, de bulletins de vote en papier, d’encre indélébile et de cartes d’électeurs inéligibles.

Les trois quarts des rapports énumèrent des défaillances telles que des machines à voter fonctionnant mal, de l’incapacité à ouvrir des bureaux de vote, de l’achat de votes, de la destruction de matériel électoral, de listes électorales déchirées, de bourrage d’urnes et de refus d’accès aux observateurs locaux.

Fait révélateur, la CENI avait déclaré que 44 millions de personnes s’étaient enregistrées pour voter dans ce pays de 110 millions d’habitants, mais elle n’a pas publié le registre pour qu’il soit vérifié et corroboré, conformément aux bonnes pratiques électorales.  La participation au scrutin de décembre a cependant été faible, environ 43 % selon la CENI, comparé à 67 % en 2018.

Violence against opponents and protesters marked the DRC's latest problematic election.

Un policier lance une pierre sur des manifestants qui tentent de regagner une maison de l’opposition le 27 décembre 2023. (Photo : AFP/ Patrick Meinhardt)

Le chaos a été particulièrement grave dans de nombreux bastions de l’opposition, notamment au Katanga, à Kisangani et dans le Nord-Kivu. Parmi les plaintes énoncées figurent la distribution inégale de matériel électoral, la distribution de cartes d’électeurs vierges par des supporters du gouvernement, l’enrôlement de mineurs, la violence et l’intimidation par des agents de l’État et la mauvaise qualité des cartes d’électeurs, toutes des fautes étayées par les observateurs locaux et internationaux. Les électeurs dans les régions ravagées par la guerre dans l’est de la RDC ont été largement privés de leurs droits. Le gouvernement avait annoncé que l’insécurité empêcherait de voter les quelques 7 millions de déplacés congolais dans le Nord-Kivu et l’Ituri, ainsi que les habitants des régions contrôlées par le M23. La CENI a promis de mettre de côté pour eux des sièges aux assemblées nationale et provinciales.

Le gouvernement congolais a refusé d’accréditer les observateurs de l’Union européenne (UE) et de la Communauté de l’Afrique de l’Est, limitant ainsi les nombre d’observateurs indépendants sur le terrain.

Un long héritage de fraude électorale

Les irrégularités répandues recensées suggèrent que la manipulation électorale a été systématique. Les citoyens ont largement voté dans la paix, faisant preuve d’endurance, de patience et de confiance dans la démocratie en dépit du chaos et de preuves de fraude généralisée.

Il est vrai qu’organiser des élections en RDC est une tache monumentale en raison l’immensité du pays (à peu près de la taille de l’Europe de l’Ouest), d’infrastructures faibles ou inexistantes, et de la violence endémique due aux plus de 100 groupes rebelles qui maraudent dans certaines parties du pays. Mais plusieurs gouvernements ont tiré parti de ces contraintes comme une écran de fumée pour manipuler les institutions démocratiques.

Joseph Kabila et Félix Tshisekedi a la cérémonie de prise de fonctions de ce dernier en janvier 2019. (Photo : afrique-sur7)

Lors des élections de 2018, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) du président Tshisekedi avait présenté une ambitieux programme de réformes dans l’objectif de briser ce cycle et de placer la RDC sur une nouvelle voie. Or, une fois à la primature, il a néanmoins concentré ses efforts sur l’objectif de prendre le contrôle de la mainmise du Front commun pour le Congo (FCC) de l’ancien président Joseph Kabila sur les pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif, ainsi que sur les forces de sécurité. Cet arrangement avait été le résultat d’un sombre accord de partage du pouvoir négocié par les deux hommes pendant un retard dans l’annonce du résultat des élections de 2018, scrutin que Martin Fayulu aurait, selon une opinion généralisée, largement gagné.

Malgré les moyens douteux qui avaient permis à Félix Tshisekedi d’accéder au pouvoir, l’espoir qu’il parviendrait à effectuer le changement avait largement persisté du fait de ses références en tant qu’héritier de feu Étienne Tshisekedi, le « père vénéré la démocratie congolaise ». Cependant, son style de leadership s’est peu à peu apparenté à celui des Kabila. Après avoir pris le contrôle du gouvernement, Tshisekedi a usé des échappatoires légaux et administratifs pour contrôler le pouvoir judiciaire, y compris les neuf membres de la Cour constitutionnelle, qui jugent tout contentieux électoral.

La coalition au pouvoir a aussi pris le contrôle de la CENI en refusant, contrairement à la loi, d’y allouer des sièges à la société civile et aux représentants de l’opposition et des organisations religieuses.

Les acteurs régionaux ont pour pratique d’accepter les résultats proclamés par la commission électorale indépendante, comme l’a fait la CDAA en reconnaissant l’élection frauduleuse au Zimbabwe. Ces griefs demeurent sans réponse et les pratiques frauduleuses sont devenues normalisées. Alors même que les aspirations pour la démocratie demeurent fortes, ces schémas contribuent à diminuer la confidence dans les institutions gouvernementales et dans les processus démocratiques.

Un résultat prévisible mais pas inévitable

Pendant plus d’un an avant les élections, les églises congolaises, la société civile et les organisations professionnelles avaient sonné l’alarme d’une crise à venir et mobilisé l’attention domestique et étrangère. En mai 2023, les évêques catholiques avaient appelé à un audit indépendant du fichier électoral afin d’encourager la confiance du public et de mitiger la possibilité d’une élection disputée.

Tout ce dont les dirigeants de la société civile congolaise avaient mis en garde s’est produit..

L’exercice d’enrôlement des électeurs, qui s’est déroulé de décembre 2022 à avril 2023, a été entaché des mauvaises pratiques similaires à celles qui ont souillé les élections elles-mêmes: l’enregistrement de mineurs, des pannes répétées de machines, la mauvaise qualité des cartes d’électeurs, des centres d’enregistrement fantômes et des cartes d’électeurs vierges dans les bastions du gouvernement. La CENI elle-même a souffert de manque de personnels et de financements, ainsi que de fréquents vols de matériel.

Les évêques catholiques congolais avaient averti sur les risques de ne pas résoudre immédiatement ces anomalies, notant que « en fin de compte, la crédibilité du processus électoral et ses résultats s’en trouveraient de plus en plus ébranlés ». Leurs préoccupations sont documentées dans un rapport accablant sur l’état des préparatifs électoraux publié conjointement avec les Églises protestantes en mai dernier. En juin, ils avaient envoyé un document récapitulant leurs préoccupations à la Conférence des évêques catholiques américains.

Elles avaient identifié les défis suivants et avaient appellé les parties prenantes nationales et la communauté internationale à :

  • Réitérer leurs demandes sur la crédibilité et la transparence du processus électoral,
  • Établir d’urgence un audit indépendant du fichier électoral,
  • Accréditer rapidement les observateurs nationaux, régionaux et internationaux,
  • Développer un plan pour s’assurer que les personnes déplacées puissent exercer leur droit de vote.

Le communiqué avait averti que la RDC était  « au bord de l’implosion » et avait appelé la communauté internationale à ne pas « accepter un processus qui de toute évidence échouerait et ne ferait qu’exacerber l’instabilité dans le pays et la sous-région ». Les autorités congolaises n’avaient pas apprécié ces efforts de mobilisation. Tshisekedi avait lancé un sombre avertissement aux dirigeants de l’Église leur disant qu’il « attaquerait, sans hésitation et sans remord tout ce qui menacerait la sécurité et la stabilité de notre pays ».

Tout ce dont la CENCO et les autres dirigeants de la société civile congolaise avaient mis en garde s’est produit. La méfiance envers les institutions électorales, et les résultats, a jeté une ombre sur la prétendue victoire écrasante de Tshisekedi. Les partis de l’opposition avaient dénoncé les résultats comme invalides avant même leur publication. De nouvelles manifestations s’en étaient suivies à Goma et ailleurs. Les rebelles du M23, cherchant à tirer parti des tensions grandissantes, ont renouvelé leurs attaques. Si ce scenario post-électoral était prévisible, il n’était pas inévitable. En effet, si les réformes institutionnelles requises avaient été entreprises de bonne foi, le pays aurait peut-être pu bénéficier d’une confiance plus importante entre le gouvernement et les citoyens, jetant ainsi les bases d’élections de meilleure qualité.

De nouvelles voies

Lorsque les acteurs régionaux acceptent les résultats de la commission électorale, cela contribue à diminuer la confiance dans les institutions étatiques.

Les dirigeants de l’Église et de la société civile ont appelé la CENI à répondre judicieusement aux complaintes de fraude et à publier un rapport de diligence raisonnable. Ils veulent aussi que la CENI publie le fichier électoral et les résultats par bureau de vote, selon les meilleures pratiques en vigueur. Ils veulent aussi qu’elle rende compte des votes qui se sont produits en dehors de l’échéance constitutionnelle. Les dirigeants religieux sont une voix respectée dans la tradition d’agencement et de leadership dont ils ont fait preuve à chaque élection depuis les années 1990. Un audit judiciaire et un décompte indépendant des résultants servirait de dossier factuel crucial dans les efforts en cours pour établir la validité des résultats et restaurer la confiance du public. Il devrait être pris au sérieux par les acteurs régionaux et internationaux.

La Cour constitutionnelle a jusqu’au 10 janvier pour recevoir des recours, examiner les illégalités et confirmer ou rejeter les résultats. Elle détient aussi l’autorité d’ordonner au gouvernement d’instituer des réformes juridiquement contraignantes pour résoudre les défaillances. Il existe de sérieux doutes sur l’indépendance de cette cour, étant donné sa composition et son histoire d’asservissement à l’exécutif. Cependant, son devoir d’examiner le processus électoral dans son intégralité et d’exercer son mandat de manière professionnelle, impartiale et sans peur, ne s’en trouve pas exonéré.

Les Congolais se tournent vers l’Union africaine et les partenaires internationaux pour soutenir l’appel aux réformes institutionnelles et se tenir fermement contre la normalisation de pratiques frauduleuses. Les médias ont aussi un rôle critique à jouer dans la façon dont ces contentieux sont présentés et le contexte qu’ils donnent à leurs analyses. C’est à dire que, quels que soient les résultats, les conditions pour une élection libre et juste n’étaient globalement pas réunies.


Ressources complémentaires