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Les élections de 2023 en Afrique : Face aux épreuves, la résilience démocratique

Malgré de sérieux défis, les jeunes électeurs africains veulent faire entendre leur voix afin de façonner un avenir plus démocratique, plus stable et plus prospère.


An electoral official in Anambra State, Nigeria, November 6, 2021.

Une fonctionnaire électorale dans l’État d’Anambra, au Nigeria. (Photo : AFP)

S’étendant sur l’Afrique occidentale, centrale et australe, les sept élections prévues en Afrique cette année concernent certains des pays les plus peuplés du continent. Parmi eux, le Nigeria, qui donne en février le coup d’envoi du calendrier électoral, et la République démocratique du Congo, dont les élections sont prévues pour la fin décembre. Collectivement, les pays qui choisiront leurs dirigeants nationaux en 2023 représentent environ un tiers de la population du continent.

Dans cinq de ces scrutins (République démocratique du Congo, Liberia, Madagascar, Sierra Leone et Zimbabwe), les présidents sortants briguent un second mandat. Seul un siège est à pourvoir, au Nigeria, où le président Muhammadu Buhari quittera le pouvoir à l’issue de son second mandat, comme prescrit par la constitution.

Ces élections pourraient chacune mener à un vaste éventail de trajectoires. Certaines présentent des opportunités cruciales pour la consolidation des progrès démocratiques. D’autres sont en revanche confrontées à des conditions électorales inégales et devront surmonter l’héritage institutionnel d’un parti unique.

Dans tous les cas, des illustrations de résilience démocratique se dévoilent, notamment grâce aux agissements des fonctionnaires, des juges, des partis politiques, des groupes de citoyens, des professionnels de la sécurité et des journalistes qui, souvent au péril de leurs vies, aspirent collectivement à renforcer et à faire respecter les normes du discours civique, de la participation populaire et de l’équité. Cela est particulièrement évident dans le rôle dynamique des jeunes dans nombre de ces scrutins, et constitue un rappel du fait que 70 % de la population africaine a moins de 30 ans.

Étant donné le rôle central de la gouvernance dans la sécurité en Afrique, les enjeux de ces élections sont élevés, non seulement pour la démocratie, mais aussi pour la stabilité et le développement. Les normes de gouvernance, l’insécurité et le dynamisme économique étant rarement confinés par les frontières, le déroulement et le résultat de chacune de ces élections auront également des répercussions sur leurs voisins et sur l’ensemble du continent.

Voici quelques-unes des questions clés à surveiller.

Nigeria flagNigeria
Élections présidentielles et législatives, 25 février

Le contexte électoral dans le pays le plus peuplé et la plus grande économie d’Afrique se caractérise par la juxtaposition de deux dynamiques, à savoir une détérioration de la sécurité dans de nombreuses parties du pays, accompagné d’efforts substantiels pour maintenir la trajectoire positive des réformes électorales accomplies par le Nigeria lors de chaque élection depuis la réintroduction de la démocratie multipartite en 1999.

L’environnement sécuritaire se caractérise par un large éventail de défis allant des groupes islamistes militants qui poursuivent leurs attaques déstabilisatrices dans le nord-est, au banditisme et à la violence criminels généralisés dans le nord-ouest, en passant par la violence entre agriculteurs et éleveurs dans la Ceinture Centrale, l’agitation séparatiste dans le sud, les attaques persistantes contre les infrastructures pétrolières du pays, l’insécurité maritime et la violence policière. Selon les estimations, 10.000 Nigérians sont morts dans des attaques violentes en 2022 et 5.000 autres ont été enlevés. Les incidents quotidiens de braquages sur les autoroutes et d’enlèvements contre rançon contribuent à un sentiment croissant d’anarchie, au point que la Commission électorale nationale indépendante (INEC) du Nigeria a averti que l’insécurité pourrait entraîner un report des élections.

« La course est compétitive et le résultat imprévisible, une nouvelle indication des progrès démocratiques du Nigeria ».

Parallèlement aux préoccupations accrues en matière de sécurité, des réformes électorales notables sont en cours. La loi électorale de 2022 autorise le vote et la transmission électronique des résultats des élections, ce qui devrait améliorer la transparence et réduire les possibilités de fraude électorale. Elle prévoit également l’enregistrement des bulletins de vote dans les 176.000 bureaux de vote du Nigeria, avant leur transmission à Abuja. Cette meilleure pratique électorale, bien visible lors des élections présidentielles de 2022 au Kenya, permet un suivi en temps réel des résultats électoraux par les citoyens et les groupes de surveillance, ce qui accroît l’intégrité du processus. Compte tenu du succès des élections hors cycle dans les États d’Ekiti et d’Osun en 2022, le président de l’INEC, M. Mahmood Yakubu, a déclaré que les élections nigérianes de 2023 seraient les plus transparentes à ce jour.

Deux candidats de l’establishment et deux challengers politiques sont en lice pour remplacer le président sortant Muhammadu Buhari. Ce dernier, âgé de 80 ans, se retire comme requis par la constitution après son second mandat. Il s’agit là d’une autre caractéristique notable mais largement négligée des élections nigérianes, étant donné la récente propension à l’évasion des limites de mandat sur le continent. L’ancien gouverneur de l’État de Lagos (région du sud-ouest), Bola Ahmed Tinubu, est le porte-étendard du parti au pouvoir, le All Progressives Congress (APC). Atiku Abubakar, du Parti démocratique populaire (PDP), longtemps dominant, se présente pour la sixième fois après être arrivé en deuxième position derrière Buhari à l’élection de 2019 . Il est originaire de l’État de Borno, dans la région du nord-est. Tinubu et Abubakar sont tous deux septuagénaires et représentent une continuité dans les structures établies du parti.

Une nouveauté dans le paysage électoral du cycle électoral de 2023 a été l’émergence de deux autres challengers sérieux. Peter Obi, entrepreneur à succès et ancien gouverneur de l’État d’Anambra (sud-est), est le candidat à la présidence du Parti travailliste. Rabiu Musa Kwankwaso, ancien gouverneur et sénateur de l’État de Kano (nord-ouest) et ancien ministre fédéral de la défense, dirige le New Nigeria Peoples Party (NNPP).

A Labour Party rally in Abuja, September 2022

Un rassemblement du Labour Party à Abuja, en septembre 2022. (Photo : AFP/Kola Sulaimon)

Historiquement, les partis nigérians ont alterné la présentation de candidats du nord et du sud du pays, en reconnaissance de la composition fragile et équilibrée entre musulmans et chrétiens, et de la diversité ethnique du pays. L’APC a suivi cette tendance, Tinubu étant originaire du sud, alors que Buhari est originaire du nord. Avec Abubakar, qui est également originaire du nord, le PDP fait fi de cette norme. Dans le même temps, Tinubu, un musulman, a choisi comme colistier pour la vice-présidence l’ancien gouverneur de l’État de Borno, Kashim Shettima, un autre musulman. Cette décision va à l’encontre d’une autre norme visant à garantir un équilibre religieux sur le ticket. En revanche, M. Abubakar a choisi Ifeanyi Okowa, un chrétien et actuel gouverneur de l’État du Delta, comme candidat à la vice-présidence. Il reste à voir quel poids les électeurs accorderont à ces traditions, ou si les citoyens pensent que la démocratie nigériane a suffisamment mûri pour ne pas devoir conserver ces principes d’équilibrage des tickets.

Bien que l’expérience et l’infrastructure de mobilisation des votes des partis établis leur donnent un avantage, la course est compétitive et le résultat imprévisible, une autre indication du progrès démocratique du Nigeria. Les partis établis, l’APC et le PDP, pourraient également bénéficier d’un avantage lors des élections au niveau des États, dans le système fédéral hautement décentralisé du Nigeria. Les 109 sièges du Sénat et les 360 sièges de la Chambre des représentants sont à pourvoir. Pareillement, la moitié des 36 gouverneurs d’État quittent leurs fonctions au cours de ce cycle électoral, ce qui laisse présager des changements potentiellement importants de leadership à tous les niveaux du gouvernement nigérian.

Les candidats à la présidence doivent remporter une pluralité des voix au niveau national et au moins 25 % des voix dans au moins 24 des 36 États du Nigeria pour s’assurer la victoire. Si les candidats n’obtiennent pas de majorité au premier tour, les deux premiers candidats s’affronteront lors d’un second tour. Étant donné la compétitivité de la course de cette année, cette éventualité est considérée comme probable et constituerait une première pour le Nigeria.

« Le chômage des jeunes est supérieur à 50 %, et les jeunes représentent 75 % des 9,4 millions des électeurs nouvellement inscrits ».

Le résultat du scrutin pourrait dépendre de la mobilisation du vote des jeunes. L’âge médian au Nigeria est de 18 ans, et plus de 40 % des 94 millions d’électeurs inscrits ont moins de 35 ans. Le chômage des jeunes est supérieur à 50 %, et les jeunes représentent 75 % des 9,4 millions des électeurs nouvellement inscrits. La jeunesse nigériane est très motivée pour ce cycle électoral, grâce à sa connaissance des technologies numériques et à l’élan du rôle moteur qu’elle a joué dans les manifestations pour la réforme de la police fédérale (#EndSARS). Tout indique qu’elle est très réceptive aux appels lancés, notamment par Peter Obi, en faveur d’une plus grande réactivité du gouvernement aux priorités des citoyens et d’une transparence accrue.

Les élections nigérianes seront donc un test à plusieurs niveaux. Tout d’abord, il s’agira de savoir si les réformes électorales qui ont été instituées contribueront à un résultat que la plupart des Nigérians considèrent comme crédible. Ensuite, il faudra voir si les mécanismes d’autocorrection démocratique – la possibilité de changer de dirigeants et de politiques pour s’adapter à l’évolution des circonstances – fonctionneront suffisamment bien pour identifier et donner au nouveau dirigeant du Nigeria la légitimité et la vision qui permettront à l’un des pays les plus vitaux d’Afrique de tracer une nouvelle voie pour relever les graves défis sécuritaires et économiques auxquels il est confronté.

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Sierra Leone flagSierra Leone
Élections présidentielles et législatives, 24 juin

Le président Julius Maada Bio brigue en 2023 un second mandat de cinq ans. Malgré une tradition d’élections compétitives et de transferts de pouvoir pacifiques, la Sierra Leone aborde cette saison électorale sous la pression de tensions économiques et politiques accrues.

Avec un revenu par habitant de 500 dollars et près de 60 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté, ce pays de 8,6 millions d’habitants a été particulièrement vulnérable aux chocs économiques provoqués par la pandémie de COVID et l’invasion russe de l’Ukraine. L’inflation a atteint 30 % l’année dernière, les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 50 % et le prix du carburant a doublé. Cette situation a causé d’énormes tensions, la majorité des gens ne disposant de peu de marge de manœuvre pour satisfaire leurs besoins quotidiens. Près de trois Sierra-Léonais sur quatre sont en situation d’insécurité alimentaire. Ayant du mal à joindre les deux bouts, les médecins et les enseignants se sont mis en grève pour obtenir des augmentations de salaire.

Election officials in Sierra Leone in 2018.

Agents électoraux en Sierra Leone en 2018.
(Photo : The Commonwealth)

Les manifestations sont relativement rares en Sierra Leone, et les manifestations politiques nécessitent un permis de la police rarement accordé. Néanmoins, en août 2022, des manifestations contre les difficultés économiques croissantes ont déclenché une répression policière brutale, la police a tiré à balles réelles sur les manifestants faisant 21 morts parmi les civils et 6 parmi les policiers. Des entreprises, des bâtiments gouvernementaux et des véhicules ont été incendiés dans certains quartiers de l’est de Freetown.

Les tensions politiques sont élevées depuis les élections législatives de 2018, lorsque le parti Sierra Leone People’s Party (SLPP) de Bio a contesté 10 sièges remportés par le parti d’opposition All People’s Congress (APC). En 2019, la Haute Cour s’est prononcée en faveur de la pétition du SLPP alléguant une fraude électorale. Par conséquent, les sièges contestés ont automatiquement été attribués aux candidats SLPP arrivés en deuxième position. La majorité de l’assemblée législative monocamérale est ainsi passée au SLPP par une marge de 58 contre 57.

Les partisans de l’APC ont protesté contre la décision de justice devant le tribunal et le siège de leur parti. La police a ensuite assiégé le bâtiment du parti, tirant des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants.

« Les détracteurs craignent qu’un système de représentation proportionnelle ne concentre davantage le pouvoir entre les mains des chefs de parti ».

La nouveauté des élections législatives de 2023 est qu’elles se dérouleront selon un système de représentation proportionnelle (RP) plutôt que selon le système électoral habituel de scrutin uninominal à un tour basé sur les circonscriptions. L’APC avait contesté la légalité du changement proposé par le SLPP, mais la Cour suprême a jugé en janvier 2023 que le changement de système électoral était constitutionnel. Les détracteurs craignent qu’un système de RP ne concentre davantage le pouvoir entre les mains des chefs de parti.

Ce changement, à peine 5 mois avant les élections, obligera les partis à adapter leurs campagnes tout en introduisant un nouvel élément d’incertitude. Bien que la Commission électorale nationale ait la réputation bien établie d’administrer ses fonctions de manière équitable malgré les limitations financières, il faudra qu’elle s’adapte rapidement aux nouvelles procédures de sélection.

Bio est entré en fonction en 2018 après avoir battu avec 52 % des votes exprimés au second tour du scrutin, Samura Kamara (du parti APC). Les observateurs internationaux avaient jugé le processus crédible. Bio a succédé au président Ernest Bai Koroma de l’APC, dont le mandat était limité. Koroma, quant à lui, avait succédé au président Ahmad Tejan Kabbah du SLPP, qui avait lui aussi quitté ses fonctions en 2007 après deux mandats. La Sierra Leone a donc fait des progrès louables dans la mise en place d’institutions démocratiques et dans le maintien de la stabilité depuis sa guerre civile dévastatrice de 1991 à 2002, au cours de laquelle 50.000 personnes avaient été tuées.

Ancien général de brigade, M. Bio a été brièvement à la tête d’une junte militaire avant que M. Kabbah ne prenne ses fonctions en 1996, amorçant ainsi la transition démocratique de la Sierra Leone. Bio a ensuite participé à la campagne présidentielle de 2012, perdant contre Koroma.

Sierra Leone president Julius Maada Bio

Le président de la Sierra Leone, Julius Maada Bio. (Photo : Tom Witham)

En tant que candidat, Bio s’est insurgé contre la corruption, un problème endémique en Sierra Leone. Une fois au pouvoir, il a consolidé tous les comptes du Trésor, réduisant ainsi les fuites des dépenses publiques, tout en augmentant les recettes. Il a également mis en place la Commission anti-corruption. Si cette dernière avait ostensiblement pour objectifs to combattre l’impunité de haut niveau, la Commission a, en majorité, porté des accusations contre plusieurs hauts fonctionnaires de l’administration Koroma, alimentant ainsi les tensions politiques entre les partis.

En 2021, M. Bio a suspendu et tenté de subtiliser l’indépendance du Service d’audit de la Sierra Leone (ASSL) après que celui-ci a publié des conclusions de corruption et de fraude sous son administration dans son audit annuel du gouvernement (comme cela avait été le cas pour le précédent gouvernement Koroma). Mais l’auditrice générale de l’ASSL, la respectée Lara Taylor-Pearce, conteste sa suspension devant les tribunaux, affirmant que Bio n’a pas le pouvoir d’interférer avec un organe de contrôle indépendant comme l’ASSL.

En même temps, pendant le mandat de M. Bio, le corps législatif a abrogé la loi très restrictive sur la diffamation et la sédition, créant ainsi un espace plus important pour les médias indépendants. Cette loi avait été utilisée pour cibler les journalistes traitant des élections et signalant la corruption. L’Assemblée nationale dirigée par le SLPP a également abrogé la peine de mort.

L’APC a choisi Samura Kamura comme porte-étendard, mettant en place une partis les plus importants, l’élection présidentielle de 2023 risque d’être très disputée. Si Bio bénéficie des avantages de sa position de président sortant, il devra néanmoins surmonter des vents contraires économiques violents, ainsi que la mobilisation de l’opposition contre ce qu’elle perçoit comme les excès de son pouvoir politique et de celui du SLPP.

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Zimbabwe flagZimbabwe
Élections présidentielles et législatives, 23 août

Les élections zimbabwéennes s’annoncent comme les plus sanglantes du continent cette année, puisque le parti au pouvoir, l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (ZANU-PF), intensifie son recours à la violence et à l’intimidation pour tenter de conserver le pouvoir qu’il détient depuis 43 ans.

Le dernier cycle de violence à l’encontre des candidats de l’opposition a, de fait, déjà commencé. En juin 2022, la militante de l’opposition Moreblessing Ali est enlevée dans la banlieue de Harare ; son corps démembré est ensuite retrouvé dans un puits à proximité. Des témoins ont identifié un militant de la ZANU-PF comme étant l’assaillant. Plus d’une douzaine de politiciens de l’opposition qui ont assisté à ses funérailles ont été arrêtés pour « incitation à la violence ». Nombre d’entre eux restent incarcérés, bien qu’ils n’aient pas encore été inculpés.

« Le déploiement de la violence politique au Zimbabwe s’inscrit dans un schéma vieux de plusieurs décennies ».

Cet épisode n’est qu’une illustration du schéma d’intimidation et de suppression de l’opposition politique, y compris les arrestations et les exécutions extrajudiciaires, auquel le Zimbabwe est confronté à l’approche des élections.

La ZANU-PF détient une mainmise sur la présidence depuis l’indépendance du Zimbabwe en 1980. Robert Mugabe, président et premier ministre pendant sept mandats, a été chassé du pouvoir en 2017 par un coup d’État dirigé par l’ancien chef de l’armée, le général Constantino Chiwenga. La ZANU-PF a perpétué son emprise sur le pouvoir avec l’installation de l’ancien vice-président Emmerson Mnangagwa comme président. M. Chiwenga a défendu cet exercice anticonstitutionnel en déclarant que « lorsqu’il s’agit de protéger notre révolution, l’armée n’hésitera pas à intervenir ».

Mnangagwa a ensuite été déclaré vainqueur de l’élection largement critiquée de 2018 où il aurait obtenu avec 50,8 % des voix. Chiwenga est désormais vice-président.

Le déploiement de la violence politique au Zimbabwe s’inscrit dans un schéma vieux de plusieurs décennies, depuis l’époque du mouvement de libération connu sous le nom de « Chimurenga ». Il a été marqué par des incidents tels que le massacre du Matabeleland dans les années 1980, les mystérieux meurtres de politiciens rivaux à l’intérieur et à l’extérieur de la ZANU-PF, et les multiples passages à tabac qu’avait subis Morgan Tsvangirai, le leader de longue date de l’opposition, dans le cadre de ses efforts pour renverser Mugabe.

Ce qui est remarquable dans le cycle 2023, c’est la précocité avec laquelle les violences contre l’opposition ont commencé. La faction qui contrôle désormais la ZANU-PF abandonne également de plus en plus toute prétention que la violence ne fait pas partie intégrante du programme de campagne du parti. Cela reflète peut-être le rôle plus central que les militaires jouent au sein du parti depuis le coup d’État. Alors que le modèle de gouvernement de la ZANU-PF s’est longtemps construit autour d’une armée politisée, connue sous le nom de « sécurocrates », cette relation a favorisé des relations civilo-militaires tendues qui constituent un formidable obstacle au progrès démocratique. Aujourd’hui, les responsables de la sécurité sont régulièrement endoctrinés dans l’école d’idéologie Chitepo de la ZANU-PF.

A Zimbabwe police officer chasing a protester in 2005.

Un officier de police du Zimbabwe poursuivant un manifestant en 2005. (Photo : Sokwanele)

Les méthodes de plus en plus brutales utilisées contre l’opposition reflètent peut-être aussi les leçons que Mnangagwa a apprises en tant que chef du Commandement des opérations conjointes sous Mugabe, que ce dernier utilisait pour cibler ses rivaux politiques par des enlèvements, des arrestations et des meurtres. Mnangagwa demeure sous le coup de sanctions américaines depuis 2003 pour avoir « contribué à l’effondrement délibéré de l’État de droit ».

Dans un tel climat de violence et d’intimidation, les élections ne seront de toute évidence ni  libres, ni équitables.

Ce point de vue est renforcé par le sentiment largement répandu que la Commission électorale du Zimbabwe (ZEC) est partiale, puisque des membres éminents de la famille de la ZANU-PF y siègent. La réputation de la ZEC souffre également du rôle surdimensionné d’anciens militaires, qui composent 15 % de son personnel, y compris le responsable des élections, qui est un commandant de l’armée à la retraite. Contrairement aux meilleures pratiques électorales, la ZEC se refuse à publier une copie électronique du registre électoral afin de favoriser la transparence.

Cette tendance à la partialité institutionnelle s’inscrit dans une longue tradition d’ingénierie électorale au Zimbabwe, qui consiste notamment à limiter le nombre de bureaux de vote dans les bastions de l’opposition, à contester les références des candidats de l’opposition et à porter plainte contre d’autres, dans le but de les empêcher de s’y présenter.

Une illustration de ce dernier point est l’emprisonnement de Fadzayi Mahere, une avocate de 36 ans et membre de l’opposition au Parlement, qui compte un demi-million d’abonnés sur Twitter. Elle a été accusée de « communication de fausses déclarations préjudiciables à l’État ».

Malgré ce terrain de jeu électoral inégal, la ZANU-PF peut encore perdre.

L’antipathie de nombreux Zimbabwéens envers le parti est si forte qu’il sera difficile pour la ZANU-PF de revendiquer de manière crédible une majorité électorale. Si les résultats électoraux et le sentiment du public deviennent si écrasants, la ZANU-PF pourrait être contrainte d’accepter la défaite. C’est le choix auquel ont été confrontés le président Edgar Lungu dans la Zambie voisine en 2021, et le président Joseph Kabila de la République démocratique du Congo et son dauphin choisi en 2018.

Ce climat répressif a contribué à la formation d’une opposition unifiée et résistante sous la bannière de Nelson Chamisa et de son parti, la Coalition des citoyens pour le changement (CCC). Après que la ZANU-PF s’est appropriée le nom et les actifs du principal parti d’opposition de longue date, le Mouvement pour le changement démocratique, la CCC nouvellement organisée a remporté 19 des 28 sièges parlementaires lors d’élections partielles organisées en 2022, notamment dans le district natal de Mnangagwa, le Kwekwe Central. La CCC a également remporté la majorité des sièges de conseils locaux qu’elle disputait, malgré la couverture défavorable des médias étatiques et les tactiques d’intimidation de la ZANU-PF.

« Les Zimbabwéens ont vu revenir l’hyperinflation des années 2000. Cette dernière s’élève en effet à environ 250 % aujourd’hui, et devrait s’aggraver ».

La CCC offre également l’espoir d’une stabilisation économique. Le gouvernement ayant abandonné l’arrimage au dollar américain (USD) en 2019 et l’impression non réglementée de devises pour répondre aux obligations financières, les Zimbabwéens ont vu revenir l’hyperinflation des années 2000. Cette dernière s’élève en effet à environ 250 % aujourd’hui, et devrait s’aggraver. La valeur du dollar zimbabwéen (ZWL) a fortement chuté. Il s’échange désormais à 900 ZWL pour 1 USD, contre 200 pour 1 USD en 2021.

Près de la moitié de la population est tombée dans la pauvreté au cours de la dernière décennie. Les pannes de courant roulantes durent régulièrement 20 heures par jour. Le taux de chômage s’élève à environ 90 %, et plus des deux tiers des Zimbabwéens subsistent comme ils le peuvent. La crise économique prolongée a poussé environ 3 millions de Zimbabwéens (sur une population totale de 16 millions) à fuir le pays, la plupart vers l’Afrique du Sud voisine.

Ces difficultés économiques sont juxtaposées à l’impression que les dirigeants de la ZANU-PF et des services de sécurité bénéficient de contrats à fournisseur unique et d’un accès exclusif aux mines, tout en mettant leurs avoirs à l’abri de l’inflation grâce à des comptes offshore. Anjin, une entreprise chinoise d’extraction de diamants aux liens étroits avec l’armée zimbabwéenne, a été invitée à revenir au Zimbabwe après avoir été expulsée en 2016 pour avoir « pillé » le pays de 15 milliards de dollars, selon le président de l’époque Mugabe.

Le bilan de l’opposition en matière de probité monétaire et fiscale alimente également le soutien de la population à son égard. En effet, ce n’est que lorsque le MDC, alors dans l’opposition, a pris le contrôle du ministère des Finances dans le cadre d’un accord de partage du pouvoir délicat entre 2009 et 2013 que l’hyperinflation précédente avait été maîtrisée. Une politique monétaire responsable et une plus grande transparence avaient rétabli la confiance dans l’économie, précipitant ainsi un redressement économique.

Les espoirs de progrès reposent également sur la résilience des normes démocratiques présentes au sein de la population. Les juges ont régulièrement rejeté les accusations du gouvernement contre les politiciens de l’opposition, les jugeant sans fondement. Si le bilan de l’indépendance judiciaire est inégal, il est suffisant pour permettre à l’opposition de porter ses griefs devant les tribunaux plutôt que de recourir à la violence.

Emerson Mnangagwa

Emerson Mnangagwa.
(Photo : kremlin.ru)

En 2021, la ZANU-PF de Mnangagwa avait tenté de limiter l’indépendance du pouvoir judiciaire en proposant des amendements constitutionnels qui auraient permis au président de prolonger le mandat de certains hauts magistrats et de nommer des juges au lieu de les soumettre à un processus d’examen public, comme c’est normalement le cas. Cependant, la Haute Cour du Zimbabwe a jugé ces amendements inconstitutionnels. Cette décision est importante puisque Mnangagwa cherche à prolonger le mandat du juge en chef, Luke Malaba, qui avait rejeté la requête de l’opposition visant à annuler l’élection de 2018 pour cause de fraude électorale.

De même, malgré les intimidations persistantes, les médias ont conservé un certain degré d’indépendance. Des journalistes comme le primé Hopewell Chin’ono sont régulièrement arrêtés et emprisonnés dans des conditions difficiles pour avoir dénoncé la corruption du gouvernement.

Nelson Chamisa

Nelson Chamisa. (Photo : Zviko Zingoni)

Comme dans d’autres pays africains, l’élection zimbabwéenne représente également une bataille générationnelle pour l’avenir du pays. Octogénaire, Mnangagwa représente le statu quo du parti unique, tandis que Chamisa, 44 ans, incarne les aspirations démocratiques et réformistes de millions de jeunes Zimbabwéens. Environ 62 % de la population zimbabwéenne est en effet âgée de moins de 25 ans.

L’élection oppose également les partisans de l’opposition, plus urbains et plus éduqués, à la base essentiellement rurale de la ZANU-PF, qui bénéficie d’une aide alimentaire et sociale proportionnelle à sa fidélité au parti.

L’élection zimbabwéenne pourrait également dépendre du soutien d’acteurs extérieurs. La Chine entretient des relations de longue date avec la ZANU-PF et est l’un de ses principaux créanciers, même si le Zimbabwe a fait défaut sur certains de ses prêts et a refusé d’en payer d’autres. Cette relation a offert à la Chine un accès privilégié aux intérêts diamantaires et miniers du Zimbabwe. En parrainant des campagnes de désinformation, la Russie est également candidate à l’aide au maintien au pouvoir de la ZANU-PF comme moyen d’accroître son influence politique et économique.

Bien que les cartes soient bien remplies en faveur de la ZANU-PF, la légitimité du parti et de l’État sécurocrate qu’il gouverne repose sur un château de cartes – et ne persiste donc que dans un état perpétuellement fragile.

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Gabon flagGabon
Élections présidentielles et législatives, 26 août

L’élection présidentielle de 2023 devrait être une affaire étroitement contrôlée dont le résultat prévisible sera le maintien au pouvoir du président Ali Bongo Ondimba. Avec l’abolition de la limitation des mandats en 2003, Bongo est effectivement président à vie. En 2009, le président sortant avait hérité du pouvoir de son père, Omar Bongo Ondimba, qui avait lui-même occupé le poste pendant 42 ans, reflétant ainsi la de facto dynastie héréditaire de ce royaume riche en pétrole situé au cœur de la forêt tropicale du bassin du Congo.

Le contrôle exercé par le pouvoir exécutif sur les institutions responsables des élections, notamment la Commission électorale nationale autonome et permanente, le ministère de l’Intérieur et la Cour constitutionnelle, contribue directement à la prévisibilité des résultats électoraux. L’approche discrétionnaire à l’égard des élections s’est manifestée par le report répété des élections à l’Assemblée nationale, qui n’ont eu lieu qu’en 2018 alors qu’elles étaient initialement prévues pour 2016.

« Avec l’abolition de la limitation des mandats en 2003, Bongo est effectivement président à vie ».

Pour renforcer l’autorité de l’exécutif sur le pouvoir législatif, un amendement constitutionnel adopté en 2020 a autorisé le président à nommer 15 membres du Sénat, élargi à 67 sièges, même si le Parti démocratique gabonais (PDG) au pouvoir contrôlait déjà 45 des 52 sièges de la chambre haute. En 2023, la majorité parlementaire du parti au pouvoir a permis de faire passer une autre modification à la constitution réduisant la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans et rétablissant des scrutins à un seul tour pour toutes les élections, alors même que les scrutins à deux tours n’avaient été adoptés qu’en 2018. Ce dernier renversement permettra au PDG de se maintenir au pouvoir même sans majorité absolue et rabaisse encore plus le seuil à franchir pour y arriver.

Malgré le contrôle de l’exécutif sur les leviers de la machine électorale, le gouvernement tient l’opposition en laisse. Les autorisations pour les rassemblements publics sont souvent refusées et les dirigeants arrêtés. Sosthène Orphée Lendjedi Ibola, candidat à la présidentielle de 2023 pour le parti « Orientation Nouvelle », récemment rentré de six ans d’exil en Amérique du Nord, a été arrêté en novembre 2022 pour avoir fomenté le terrorisme, une accusation perçue comme politique. De même, alors que les condamnations de fonctionnaires pour corruption sont rares, les campagnes anticorruption sont souvent utilisées pour cibler les opposants politiques.

Les manifestations suivant l’élection présidentielle de 2016, largement considérée comme frauduleuse, les services de sécurité ont perquisitionné le quartier général du principal candidat de l’opposition et ancien président de la Commission de l’Union africaine, Jean Ping. On estime que plus de 50 personnes ont été tuées et des centaines d’autres arrêtées. Cet épisode rappelle le mécontentement qui couve, même dans un pays autoritaire à revenu intermédiaire apparemment stable.

Voters cast their ballots in Libreville, Gabon, in 2016

Des électeurs déposent leurs bulletins de vote à Libreville, au Gabon, en 2016. (Photo: AFP)

Si des épisodes de répression politique persistent, le PDG semble ne pas utiliser la violence et préférer use de son influence sur le système politique pour diviser l’opposition. À cette fin, le PDG a réussi à coopter plusieurs rivaux potentiels du président au scrutin de 2023, les intégrant au sein du parti et laissant l’opposition fragmentée. Parallèlement, plutôt que de procéder à des arrestations arbitraires, l’organisme public de régulation des médias, la Haute autorité de la communication, suspend régulièrement les journalistes et les médias qui critiquent le gouvernement ou dénoncent la corruption, ce qui contribue à l’autocensure.

La corruption est un sujet sensible pour les 2,3 millions d’habitants du pays. Bien que le Gabon soit le quatrième exportateur de pétrole d’Afrique et que le revenu par habitant soit de 8.635 dollars, un tiers de la population est confrontée à la pauvreté. Le Gabon est classé 136ème sur 180 pays dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International, et a chuté de plus de 30 places en dix ans. Le reportage d’investigation mondial qui a donné lieu à la publication des « Pandora Papers » – une fuite de près de 12 millions de documents financiers des personnes les plus riches et les plus puissantes du monde – a établi un lien entre la famille Bongo et des transactions financières opaques. Une enquête en France accuse BNP Paribas de blanchiment d’argent pour soutenir la famille Bongo. Des organisations de la société civile de Libreville ont ensuite intenté un procès en 2020 pour accuser le fils du président, Noureddine Bongo, âgé de 30 ans, de corruption, des accusations qui ont été rejetées par le procureur général.

« Bien que le pays soit le quatrième exportateur de pétrole d’Afrique et que son revenu par habitant soit de 8.635 dollars, un tiers de la population est confrontée à la pauvreté ».

L’exploitation forestière illégale est une dimension de la corruption que le Gabon a réussi à juguler de manière relativement efficace. Avec 85 % de sa superficie couverte par la forêt tropicale, le Gabon fait partie du bassin du Congo, souvent considéré comme le deuxième poumon vert du monde après l’Amazonie. Par conséquent, les politiques de gouvernance environnementale du Gabon ont des implications régionales et internationales. Connu comme une « superpuissance verte » pour ses politiques pionnières en matière de conservation et d’exploitation forestière durable, le Gabon est l’un des rares absorbeurs nets de carbone au monde, ce qui pourrait servir de leçon à d’autres pays désireux de protéger leurs terres riches en carbone et précieuses sur le plan écologique.

Alors qu’Ali Bongo, 63 ans, s’est largement remis d’un accident vasculaire cérébral qu’il a subi en 2018, il a nommé Noureddine Bongo son directeur de campagne. Cela alimente les spéculations selon lesquelles le président prépare le terrain pour perpétuer la dynastie Bongo.

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Liberia flagLiberia
Élections présidentielles et législatives, 10 octobre

L’ élection de 2023 au Liberia s’annonce comme un tournant majeur pour savoir si le pays poursuivra sa progression vers la consolidation démocratique, et avec elle les perspectives de plus grande stabilité et d’opportunités économiques, ou s’il retombera dans le modèle de gouvernance d’exploitation et d’impunité des décennies passées.

Les Libériens restent traumatisés par les pratiques de gouvernance prédatrices du coup d’État militaire qui avait porté au pouvoir Samuel Doe, puis Charles Taylor. Leurs abus de pouvoir avaient déclenché et perpétué les guerres civiles catastrophiques de 1989 à 2003, entraînant la mort de 250.000 personnes sur une population de 5 millions d’habitants.

Conscients des conséquences désastreuses d’un pouvoir exécutif corrompu et irresponsable, les Libériens s’étaient, après la fin de la guerre, déterminés à établir un système de contrôle et d’équilibre. Ils ont ainsi créé un système comprenant un corps législatif et un pouvoir judiciaire indépendants, ainsi qu’une Commission électorale nationale (NEC) autonome, une Commission libérienne de lutte contre la corruption, une Banque centrale, une Commission des marchés publics et des concessions, et une armée réduite mais professionnelle, entre autres institutions. Nombre de ces institutions ont été lancées et facilitées, voire consolidées, sous la présidence d’Ellen Johnson Sirleaf.

« Le transfert pacifique du pouvoir [de 2018] avait témoigné des progrès réalisés par le Liberia dans l’élaboration et le respect des normes de limitation du pouvoir exécutif ».

En janvier 2018, Johnson-Sirleaf avait quitté le pouvoir à l’issue de son second mandat, comme prescrit par la constitution. Le transfert pacifique du pouvoir à un successeur démocratiquement élu et issu d’un parti politique rival avait aussi témoigné des progrès réalisés par le Liberia dans l’élaboration et le respect des normes de limitation du pouvoir exécutif.

Cependant, dès son accession à la présidence, George Weah, meilleur joueur FIFA de l’année 1995, a semblé vouloir défaire les garde-fous contre les abus de pouvoir qui ont été la pièce maîtresse du redressement du Liberia.

En octobre 2020, quatre auditeurs enquêtant sur le détournement de 25 millions de dollars de fonds de la Banque centrale sont retrouvés morts dans des circonstances mystérieuses à seulement quelques jours d’intervalle. Le gouvernement a attribué les décès à des accidents imprévisibles et à des suicides – des explications que la plupart des Libériens ont jugé inadéquates. Ces décès, ainsi que les attaques régulières de journalistes par les forces de l’ordre, comme l’incident au cours duquel le journaliste d’investigation Zenu Koboi Miller a été mortellement battu par les gardes du corps du président Weah, ont transmis un message effrayant à toute personne qui tenterait de rendre compte ou de soutenir les normes de redevabilité.

L’administration Weah a quadruplé le financement de « l’ordre et de la sécurité publics » pour atteindre 48 millions de dollars, doublé le budget de l’Agence nationale de sécurité, qui est passé à 11 millions de dollars, et alloué 10 millions de dollars supplémentaires à la « défense civile ». Pourtant, aucun de ces fonds n’est soumis à un audit et à une évaluation de la manière dont ils contribuent à la sécurité.

Une électrice libérienne dépose son bulletin de vote en 2020 lors d’un référendum constitutionnel. (Photo: Emmanuel Tobey / AFP)

Le département d’État américain et de hauts responsables de la Maison-Blanche ont critiqué à plusieurs reprises la corruption et le bilan de l’administration Weah en matière de droits humains, notamment la violence contre les journalistes et les exécutions arbitraires par la police.

L’Office of Foreign Assets Control du Département du Trésor américain a imposé des sanctions à trois hauts fonctionnaires de l’administration Weah en août 2022, déclarant que « par leur corruption, ces fonctionnaires ont sapé la démocratie au Liberia pour leur bénéfice personnel ».

La Banque mondiale et les ambassadeurs de neuf pays ont également dénoncé le gouvernement pour le mauvais usage des fonds des donateurs.

Pendant ce temps, les seigneurs de guerre de l’époque de la guerre civile sont devenus plus visibles au sein de l’administration Weah. Prince Johnson a donné un soutien précoce à Weah, et Augustine Nagbe a affirmé qu’il allait mettre en place une milice privée pour protéger le président.

Même Charles Taylor, bien qu’il ait été condamné pour crimes de guerre à La Haye, continue d’exercer son influence depuis sa cellule de prison de haute sécurité au Royaume-Uni. Son ex-femme, Jewel Howard-Taylor, est d’ailleurs la vice-présidente de Weah. Elle est également l’une des dirigeantes du National Patriotic Party, le bras politique du front armé de Taylor.

A young Liberian woman outside a voter registration center

Une jeune femme libérienne devant un centre d’inscription des électeurs. (Photo : USAID)

Un héritage souvent négligé de la guerre civile est le grand nombre de jeunes défavorisés, dont certains sont d’anciens enfants soldats, et qui, pour nombre d’entre eux restent sans-abris et subissent la violence et la toxicomanie. Ces jeunes font parfois aussi partie de gangs de rue urbains, surnommés « zogos », et sont liés à un problème croissant de toxicomanie et à une montée de la violence dans la capitale. Lors d’un incident survenu en janvier 2022, 29 fidèles sont morts dans une bousculade provoquée par une bande de jeunes qui tentaient de commettre un cambriolage.

Dans un pays où la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté et en réponse aux difficultés économiques croissantes qu’elle subit, y compris la flambée des prix des denrées alimentaires et des carburants provoquée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, des manifestations ont parfois lieu à l’approche des élections. Les Libériens sont également confrontés à une diminution de leur pouvoir d’achat, le dollar libérien s’étant régulièrement affaibli.

Entre-temps, Weah a été critiqué pour ne pas avoir divulgué ses actifs (comme l’exige la loi), ni expliqué la source de financement de la construction d’appartements de luxe et de l’acquisition d’un jet privé et d’un yacht.

Plusieurs candidats crédibles de l’opposition ont présenté leur candidature pour défier Weah lors des élections de 2023. Parmi eux, Joseph Boakai, ancien vice-président de l’administration de Johnson-Sirleaf, qui avait défié Weah lors des élections de 2018. Il est le porte-drapeau de l’Unity Party. Alexander Cummings, du Congrès national alternatif, Tiawan Gongloe, du Liberian People’s Party, et Benoni Urey, du All Liberian Party, se sont également portés candidats.

Les partis d’opposition se coordonnent vaguement au sein d’une coalition unitaire, les partis politiques collaborateurs (CPP). Collectivement, ces partis détiennent 13 sièges au Sénat du Liberia, qui en compte 30, contre 5 pour le parti de Weah, la Coalition pour le changement démocratique (CDC). Cependant, la course aux postes, notamment pour savoir lequel des leaders du parti sera le candidat présidentiel du CPP, l’a jusqu’à présent empêché d’offrir un front uni. Compte tenu du statut de héros de sport national de M. Weah, une opposition désunie pourrait lui permettre d’obtenir la majorité absolue au premier tour du système électoral libérien à deux tours. La mesure dans laquelle l’opposition peut former une coalition unifiée sera donc un élément important de l’élection.

« Au-delà des personnalités impliquées, la question centrale à surveiller lors des élections de 2023 au Liberia sera de savoir si les institutions démocratiques naissantes du pays résisteront aux pressions visant à accommoder et à rétablir un modèle d’homme fort du pouvoir exécutif ».

Au-delà des personnalités impliquées, la question centrale à surveiller lors des élections de 2023 au Liberia sera de savoir si les institutions démocratiques naissantes du pays résisteront aux pressions visant à accommoder et à rétablir un modèle d’homme fort du pouvoir exécutif.

L’une des institutions les plus en première ligne est la NEC. Lors d’un référendum en décembre 2020, Weah avait proposé huit amendements à la Constitution, dont un raccourcissant les mandats présidentiels de 6 ans à 5 ans. Craignant que Weah n’utilise cet amendement comme prétexte pour remettre à zéro le compteur de mandats présidentiels prescrits par la constitution (ce qui lui aurait permis d’exercer deux mandats de 6 ans, puis deux mandats de 5 ans), le public a largement rejeté les huit résolutions. Ce faisant, ils ont envoyé un signal clair que les Libériens ne veulent pas voir un retour à l’époque révolue de la présidence impériale.

L’indépendance de la NEC s’est manifestée plusieurs autres fois : d’abord lors du référendum organisé avec succès, ensuite lors d’une élection partielle le même mois au cours de laquelle les partis d’opposition ont remporté 11 des 15 sièges contestés au Sénat, et enfin lors d’une élection partielle spéciale dans le comté de Lofa en janvier 2022 qui a vu le parti CDC de Weah remporter une très courte victoire.

A voting station in Liberia

Un bureau de vote au Libéria. (Photo : UNDP)

La présidente de la NEC, Davidetta Browne Lansanah, a été largement applaudie pour ses capacités et son intégrité. Néanmoins, elle a été la cible de critiques de la part de l’administration Weah, notamment d’allégations de corruption et de blanchiment d’argent qui semblent politiquement motivées, accusations qu’elle a niées. Le suivi de l’indépendance de la NEC sera donc un élément clé de l’élection.

Il convient également de surveiller de près la mobilisation potentielle des forces de sécurité à des fins de politique intérieure. Avant les élections partielles de 2020, l’administration Weah aurait tenté de créer une milice de son propre parti comme outil d’intimidation. Cependant, un commandant de l’académie de police a fait échouer le plan en refusant d’accepter les 150 cadres du parti politique qui lui avaient été envoyés pour être formés.

L’élection présidentielle de 2023 au Liberia sera, en somme, un test pour les institutions démocratiques encore fragiles du pays.

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Madagascar flagMadagascar
Élection présidentielle, 16 novembre

L’élection présidentielle de Madagascar de 2023 rappelle que la démocratie ne se résume pas à la tenue d’élections. La pertinence de ce cycle électoral peut donc être mieux comprise dans le contexte des institutions démocratiques vidées de leur substance dans le pays.

Les 30 millions de citoyens de la Grande Ile sont handicapés par un système politique qui concentre le pouvoir dans la branche exécutive, passant outre les contrôles et les équilibres qui permettent à un gouvernement de répondre aux priorités de ses citoyens. Cela crée une déconnexion perpétuelle entre les dirigeants politiques de Madagascar et les défis majeurs auxquels l’île est confrontée, à savoir l’augmentation et l’intensification des catastrophes liées au climat, la corruption et la pauvreté.

« L’élection présidentielle de Madagascar de 2023 rappelle que la démocratie ne se résume pas à la tenue d’élections».

Ce désengagement se reflète dans le classement de Madagascar dans le dernier quartile de l’indice annuel de perception de la corruption de Transparency International, et par le faible niveau de revenu annuel par habitant (442 dollars), qui a diminué au cours des 15 dernières années. Le taux de pauvreté à Madagascar est de 75 %, et 40 % de la population a moins de 14 ans.

Le renforcement des mécanismes de participation populaire, de partage du pouvoir et de redevabilité, rendus possibles par des institutions telles qu’un corps législatif, un système judiciaire et des médias indépendants, sera la véritable priorité du développement démocratique de Madagascar, quel que soit le candidat qui sortira vainqueur des élections de cette année.

Residents try to resume their daily life following the passage of cyclone Cheneso in January 2023. (Photo: Elie Sergio / AFP)

Des habitants tentent de reprendre leur vie quotidienne après le passage du cyclone Cheneso en janvier 2023. (Photo : Elie Sergio / AFP)

Après avoir remporté le second tour de l’élection présidentielle de 2018, le président Andry Rajoelina, 48 ans, brigue un second mandat consécutif de 5 ans. Ancien maire d’Antananarivo, M. Rajoelina avait été porté au pouvoir en 2009 par un coup d’État militaire qui avait renversé le gouvernement démocratiquement élu de Marc Ravalomanana. Rajoelina avait ensuite quitté le pouvoir en 2014 dans le cadre d’une transition négociée après le coup d’État, avant de se présenter en 2018.

Rajoelina affrontera Ravalomanana et Hery Rajaonarimampianina, le président de Madagascar de 2014 à 2018. Selon les prévisions, les deux ténors de l’opposition devraient former une plateforme unie dans le but d’améliorer leurs chances de battre Rajoelina. La mesure dans laquelle ils pourront monter une campagne coordonnée déterminera le sérieux avec lequel ils pourront défier le président sortant.

« Le renforcement des mécanismes de participation populaire, de partage du pouvoir et de responsabilité … sera la véritable priorité du développement démocratique de Madagascar ».

Les partis d’opposition sont désavantagés dans la mesure où ils ont besoin d’autorisations pour organiser des manifestations que le gouvernement n’approuve pas souvent. Sur le plan institutionnel, de tels obstacles à l’organisation des partis politiques créent un détachement supplémentaire entre le public et ses représentants politiques.

La faiblesse du secteur privé à Madagascar signifie que les dépenses publiques représentent une part relativement importante de l’économie. En l’absence de mécanismes de contrôle adéquats, le pouvoir politique devient un moyen d’enrichissement personnel. On estime que 90 % des contrats de service doivent être « validés » par le président et le premier ministre. Ces dynamiques créent des incitations permanentes pour que les titulaires restent en poste.

Les intérêts financiers des politiciens contribuent également à limiter leur volonté politique de renforcer les mécanismes de redevabilité. Pendant son mandat, M. Rajoelina a réussi à faire adopter un amendement constitutionnel qui a réduit le nombre de sièges au Sénat de 63 à 18. Six de ces sièges sont nommés par le président. Les autres sont sélectionnés par un collège électoral plutôt que d’être élus par le peuple.

Ce changement représente un pas en arrière dans la construction d’un lien démocratique entre les citoyens et leurs dirigeants. Il affaiblit également la capacité du pouvoir législatif à agir comme un contrôle de l’exécutif. Les membres de l’opposition ayant boycotté les élections sénatoriales pour protester contre cette décision, l’organe supérieur est désormais presque entièrement dominé par l’alliance de Rajoelina. Le parti de Rajaonarimampianina avait auparavant contrôlé la majorité.

La concentration du pouvoir au sein de l’exécutif entrave l’indépendance d’institutions en théorie impartiales. Les membres de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), par exemple, sont choisis par le président. L’exécutif contrôle également le budget de l’organisme électoral, qui est souvent sous-financé. L’indépendance et la capacité de la CENI sont donc limitées.

Andry Rajoelina during the presidential inauguration ceremony in 2019

Andry Rajoelina lors de la cérémonie d’investiture du président en 2019. (Photo : Rijasolo / AFP)

Le Bureau indépendant de lutte contre la corruption (BIANCO) ne mène pas fréquemment des enquêtes sur la corruption et n’engage que peu de poursuites pour y remédier. Bien que le BIANCO ait identifié 79 législateurs ayant accepté des pots-de-vin, l’agence n’a pas porté plainte à leur encontre, ce qui favorise une culture de l’impunité.

L’exécutif influence également les décisions judiciaires, et l’issue des procès est souvent prédéterminée. Cela contribue à un manque de confiance dans le système judiciaire. La Haute Cour constitutionnelle a toutefois fait preuve d’une certaine indépendance vis-à-vis de l’exécutif dans certains arrêts.

Si Madagascar dispose ostensiblement d’une presse libre, les lois sur la diffamation criminelle conduisent à l’autocensure. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les reportages d’investigation sur des sujets sensibles comme la corruption. Par conséquent, une boucle de rétroaction essentielle par laquelle le public est informé et peut demander des comptes au gouvernement est affaiblie.

Les services de sécurité de Madagascar (armée, police et gendarmerie) font l’objet d’une politisation, observée de manière très visible lors du coup d’État de 2009. Parallèlement, les services de sécurité n’offrent qu’une protection limitée aux citoyens face à des menaces telles que les groupes criminels armés ou les bandits (dahalo) opérant dans le sud qui s’en prennent au bétail et aux autres biens des ménages.

« La Russie a été effrontément impliquée dans la tentative de trucage du résultat de l’élection de 2018 par le biais de la désinformation, en payant des journalistes pour qu’ils écrivent des articles flatteurs et en embauchant des jeunes pour participer à des rassemblements ».

La faiblesse des mécanismes de contrôle de la gouvernance et la richesse des ressources naturelles de Madagascar font également du pays une cible attrayante pour la capture de l’État par des acteurs extérieurs. La Russie a été effrontément impliquée dans la tentative de trucage du résultat de l’élection de 2018 par le biais de la désinformation, en payant des journalistes pour qu’ils écrivent des articles flatteurs et en embauchant des jeunes pour participer à des rassemblements. La Russie a initialement soutenu la candidature du président sortant Rajaonarimampianina pour un second mandat. Cependant, lorsque cette candidature n’a pas été retenue, les Russes ont apporté leur soutien à Rajoelina. La Russie a ensuite conclu un accord pour une exploitation de chrome dont elle détient désormais 70 % des parts.

Compte tenu de l’environnement permissif et des coûts financiers ou de réputation négligeables, on peut s’attendre à de nouvelles interférences électorales russes en 2023. Cela entraînera une diminution de la souveraineté populaire, ainsi qu’un obstacle supplémentaire à un gouvernement réactif.

Plus de 80 % de la flore et de la faune de Madagascar étant uniques à l’île, les décisions de gouvernance à Madagascar ont des implications régionales et internationales pour les efforts mondiaux de protection de la biodiversité et de lutte contre le changement climatique.

Il y a beaucoup de choses à observer dans les élections de 2023 à Madagascar. Pourtant, la majeure partie de ce qui est véritablement important se trouve sous la surface de la propagande électorale conventionnelle et nécessitera une attention soutenue bien après la fin des élections, quel qu’en soit le vainqueur.

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DRC flagRépublique démocratique du Congo
Élections présidentielles, 20 décembre

Les élections de 2023 en République démocratique du Congo (RDC) marquent un autre point d’inflexion important dans la longue et insaisissable quête de démocratie du pays. Pour progresser, ce pays de plus de 100 millions d’habitants doit surmonter son héritage profondément ancré de pratiques électorales frauduleuses, clientélistes et opaques, institutionnalisées au fil des décennies par les régimes de Mobutu Sese Seko et de Laurent et Joseph Kabila.

Le président sortant, Felix Tshisekedi, brigue un second mandat de 5 ans. Fils de l’estimé champion de la démocratie, Etienne Tshisekedi, Félix Tshisekedi a connu un début de présidence ignoble. De l’avis de beaucoup, il a conclu un accord de partage du pouvoir avec le président sortant, Joseph Kabila, pour être déclaré vainqueur des élections de décembre 2018. Des analystes indépendants, dont le groupe respecté d’observation des élections, la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), ont indiqué que le véritable vainqueur, avec une marge importante, était le principal candidat de l’opposition, Martin Fayulu.

Des représentants de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) s’adressant à des journalistes. (Photo : Junior D. Kannah. (Photo : Junior D. Kannah / AFP)

Cédant à la pression de Kabila, l’Union africaine et les acteurs démocratiques internationaux ont refusé d’exiger un recomptage des voix comme le demandaient la CENCO et de nombreux gouvernements. L’un des défis du premier mandat de Tshisekedi a donc été de surmonter sa faible légitimité aux yeux de ses compatriotes.

Une fois au pouvoir, Tshisekedi a été en mesure d’arracher une certaine influence à la mainmise de Kabila sur les institutions du pouvoir. Il a notamment remplacé le président de l’Assemblée nationale, soutenu par Kabila, ainsi que l’influent Premier ministre. Tshisekedi a également fait quelques progrès en matière de réformes. Le plus remarquable est sans doute la diminution de la nature répressive des services de sécurité par le remplacement de certains hauts responsables du renseignement et de la sécurité intérieure qui avaient été sanctionnés pour des violations des droits humains. Tshisekedi a également progressé dans le remplacement de certains fidèles de Kabila dans les rangs supérieurs de l’appareil judiciaire.

Ces progrès sont dignes d’intérêt dans la mesure où, même après son départ, Kabila avait continué à exercer une grande influence sur l’appareil gouvernemental de la RDC. L’alliance du Front commun pour le Congo (FCC) de Kabila contrôlait en effet 350 des 500 sièges de l’Assemblée nationale, ainsi que la majorité des ministères, des juges et des hauts responsables du secteur de la sécurité. De nombreux observateurs s’attendaient à ce que Tshisekedi ne soit guère plus qu’un homme de paille pour permettre à Kabila de continuer à exercer son pouvoir en coulisses.

Mais Tshisekedi s’est également révélé comme un éminent défenseur des normes démocratiques sur le continent, notamment pendant son mandat d’un an à la présidence de l’Union africaine en 2021-2022.

Néanmoins, dans le processus de conquête des alliés de Kabila au sein du gouvernement, les militants de la démocratie craignent que Tshisekedi n’ait adopté certaines des mêmes tactiques que son prédécesseur. Il s’agit en particulier du recours au favoritisme pour diriger la lourde bureaucratie de l’État congolais.

Le ministre des Finances, Nicolas Kazadi, a noté, par exemple, que le budget des dépenses exceptionnelles de sécurité avait été multiplié par dix pour répondre à la menace renouvelée du M23. Mais ces fonds manquent de transparence sur la manière dont ils sont sensés améliorer la sécurité, en particulier étant donne le fait que les services de sécurité sont notoirement corrompus et abusifs.

Tshisekedi et sa famille ont été liés à des accords opaques avec des entreprises chinoises pour l’accès au cuivre, au cobalt et aux diamants artisanaux. Tshisekedi a également été critiqué pour n’avoir pas fait assez pour freiner les mécanismes de capture de l’État employés par Kabila. Il s’agit notamment d’un marché de 6 milliards de dollars d’infrastructures contre des ressources avec des entreprises d’État chinoises, surnommé « l’affaire du siècle », et du détournement de 3,7 milliards de dollars de fonds publics par le magnat de l’exploitation minière Dan Gertler, sanctionné au niveau international, par le biais de contrats approuvés par Kabila.

Tshisekedi a nommé de manière controversée son proche allié Denis Kadima comme nouveau commissaire de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) en 2021. Tshisekedi a également modifié la répartition des sièges au sein de la CENI. Si les partis d’opposition et la société civile sont représentés, les critiques estiment que la répartition favorise toujours le parti au pouvoir.

Martin Fayulu (à gauche) et Felix Tshisekedi (à droite) lors d’une conférence de presse en 2018. (Photo : Fabrice Coffrini / AFP)

De plus, de nombreux défenseurs de la démocratie critiquent le fait que l’Assemblée nationale dirigée par Tshisekedi n’ait pas réussi à adopter un amendement qui obligerait la CENI à adopter les meilleures pratiques électorales telles que l’annonce des résultats électoraux dans chaque centre de vote. Le décompte et la communication des résultats globaux à partir d’un lieu central sont moins transparents et plus susceptibles d’être truqués. Au Kenya, par exemple, les résultats annoncés dans les bureaux de vote sont définitifs et ne peuvent pas être modifiés. En outre, la RDC s’appuie sur le fait que les candidats obtiennent une pluralité de voix plutôt qu’une majorité absolue, ce qui facilite la victoire d’un candidat en faisant appel uniquement à sa base plutôt qu’en construisant une coalition plus inclusive.

Tshisekedi fait face à une opposition crédible provenant de nombreux milieux. Le plus important d’entre eux est Martin Fayulu, l’ancien cadre d’ExxonMobil largement perçu comme ayant remporté l’élection de 2018. Né à Kinshasa, Fayulu jouit d’une grande popularité dans les circonscriptions les plus diverses de la RDC. Moïse Katumbi, un ancien gouverneur de la région sud-est du Katanga, est un autre rival populaire. Il était considéré comme une telle menace par Kabila que l’ancien leader a lancé plusieurs procès purement gratuits contre lui, forçant Katumbi à s’exiler. L’ancien Premier ministre de Kabila, Augustin Matata Ponyo Mapon, est un autre entrant important dans la course à la présidence. En 2018, près de deux douzaines de candidats à la présidence s’étaient présentés. La présence d’un si grand nombre de candidats introduit une imprévisibilité considérable étant donné le système de pluralité à un tour de la RDC.

Bien que les institutions électorales et les mécanismes de contrôle de la RDC soient faibles, le pays dispose d’une société civile dynamique et organisée, engagée dans un système de gouvernement démocratique. Ces groupes continuent d’exiger la transparence et la participation populaire aux élections et de tenir les dirigeants responsables des intérêts des citoyens. Parmi les plus importantes, la CENCO avait déployé plus de 40 000 observateurs électoraux en 2018. Grâce à l’expérience acquise au cours de multiples cycles de processus parallèles de comptage des votes, il est de plus en plus difficile pour les candidats de revendiquer de manière crédible des résultats qui s’écartent considérablement des décomptes indépendants.

« Si les institutions électorales et les mécanismes de contrôle de la RDC sont peut-être faibles, le pays dispose d’une société civile dynamique et organisée, engagée en faveur d’un système de gouvernement démocratique ».

L’instabilité actuelle dans l’est du pays est un autre joker de l’élection de 2023. Ce conflit à plusieurs niveaux implique des rivalités entre le Rwanda et l’Ouganda, l’accès et le trafic des vastes gisements miniers non réglementés de la RDC, 140 groupes armés locaux, des rivalités ethniques et l’héritage des conflits précédents dans la région des Grands Lacs. La perspective de voir les intérêts chinois et russes se joindre à la compétition pour les ressources de la région ajoute un autre niveau de complexité. Le sentiment que Tshisekedi a pu conclure des accords opaques pour les ressources de la RDC déclenche également un fort ressentiment nationaliste qui peut avoir des conséquences politiques.

La résurgence de la menace du groupe armé M23 à la fin de l’année 2021 a accru les tensions entre toutes les parties et ajouté au déplacement des plus de 5,5 millions de personnes déjà déplacées dans les provinces d’Ituri, du Nord et du Sud-Kivu et du Tanganyika. Le déploiement de la Force en attente de l’Afrique de l’Est à la fin de l’année 2022 a contribué à apaiser les tensions, mais cela devra se traduire par des solutions arbitrées à plus long terme.

L’instabilité persistante peut facilement affecter la capacité de ces provinces de l’Est à voter – un problème également rencontré en 2018. Un conflit régional de grande ampleur perturberait clairement l’ensemble du processus électoral. Les conseillers de Tshisekedi ont laissé entendre que les élections pourraient devoir être reportées en raison des troubles. Cela alimente les craintes que l’instabilité dans l’est du pays ne soit utilisée comme prétexte par Tshisekedi pour prolonger son mandat, rappelant le retard de deux ans pris par Kabila pour organiser des élections après l’expiration de son second mandat.

Des étudiants travaillent sur des ordinateurs portables lors d’un hackathon sur la transparence des élections à Kinshasa, le 10 août 2022. (Photo : Andrew Harnik / AFP)

Les élections de 2023 en diront long sur la trajectoire de la présidence de Tshisekedi. S’en tiendra-t-elle à ses aspirations démocratiques et réformistes déclarées ? Ou tombera-t-elle dans les normes de gouvernance bien rodées de la RDC, c’est-à-dire de construire des réseaux de patronage exclusifs au détriment des biens et services publics ?

Avec autant d’incertitudes, les scrutins en RDC pourraient être les plus imprévisibles du continent en 2023. Bien que la RDC n’ait pas un bilan solide en matière d’élections transparentes et crédibles, cela reste l’aspiration de millions de citoyens congolais. L’expérience a également montré que la société civile n’acceptera pas sans broncher un résultat fabriqué de toutes pièces. Une fois de plus, il se pourrait que les tribunaux aient à trancher et que les acteurs régionaux et internationaux doivent répondre.

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