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Les diverses menaces envers la sécurité du Nigeria

Le Nigeria fait face à une multitude de défis de sécurité en dehors de Boko Haram. Il est essentiel de distinguer ces menaces et comprendre leurs profils sociogéographiques afin d’adapter des solutions sur mesure.

Note : la carte reflète la répartition géographique des menaces, et non l’ampleur de chacune d’entre elles. Données composites de 2018 à 2021.

Le Président du Nigeria Muhammadu Buhari a dit que le Nigeria fait face à « un état d’urgence » du fait de l’insécurité permanente. Cette insécurité est généralement perçue comme constituée par la menace posée par Boko Haram dans le nord-est du pays. Cependant, une telle conception sous-évalue la complexité et la nature multiforme des défis de sécurité qui impactent toutes les régions du pays. En même temps, la violence armée n’est pas omniprésente dans tout le Nigeria, étant principalement concentrée dans des couloirs géographiques particuliers. Ce qui suit est une étude des multiples menaces envers la sécurité au Nigeria, des risques qui en découlent et des substrats qui les ont fait germer.

Les groupes islamistes militants

Boko Haram et sa ramification l’État Islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) forment encore aujourd’hui les menaces les plus graves envers la sécurité au Nigeria. Les événements violents liés à ces groupes ont environ doublé depuis 2015, lorsque le gouvernement a lancé une importante offensive visant à déloger ces groupes du territoire qu’ils détenaient. Depuis leur retrait des centres urbains au cours de cette offensive de 2015, ces groupes ont concentré leurs actions sur les zones les plus désertées de l’État de Borno — tout d’abord sur le terrain accidenté de la forêt de Sambisa, frontalière des montagnes au nord-ouest du Cameroun (Boko Haram) ainsi que sur les marécages de firki (« coton noir ») au sud et au sud-ouest du lac Tchad (EIAO).

Depuis ces « repaires » isolés, les groupes ont mené une série d’attaques éclair et des raids transfrontaliers sur des villes et des villages. Cela a été accompagné d’une stratégie d’isolation de la capitale de l’État, Maiduguri, par une série d’attaques sur les routes principales. En posant des mines sur le terrain, en établissant des points de contrôle permanents, en sabotant les réseaux électriques et en attaquant les voyageurs routiers, Boko Haram et l’EIAO ont dans les faits coupé le Borno du reste du Nigeria. Ces groupes militants tirent des revenus importants et du matériel militaire des vols et des enlèvements qu’ils pratiquent sur les routes principales de l’État. Ce siège a entravé la production alimentaire et les transports, et contribué à une hausse des prix de la nourriture allant jusqu’à 50 % dans tout le Borno.

Nigerian soldiers near the Sambisa Forest

Soldats nigérians près de la forêt de Sambisa.      (Photo : VOA/Hussaina Muhammad)

Dans sa poursuite de ces militants, l’armée a été accusée de raser des villages civils plutôt que de les protéger. Il en résulte que les résidents de l’État de Borno se sentent souvent pris entre les militants islamistes et l’armée nigériane, et se retrouvent accusés par ces deux forces d’être des collaborateurs de l’autre bord.

L’armée nigériane s’est retirée dans des « super camps » en 2019, laissant à Boko Haram et à l’EIAO une plus grande latitude pour se déplacer dans l’arrière-pays de la région. À certains moments, ces villes de garnison fortifiées se sont elles-mêmes retrouvées vulnérables à des attaques de grande envergure. Les caches d’armes, de munitions et de véhicules sont souvent la cible d’attaques dirigées contre les installations militaires. Une grande part de ces pertes de matériel ne sont pas comptabilisées, ce qui rend encore plus difficile d’évaluer les capacités des groupes.

La mobilité transfrontalière est le signe distinctif de la manière dont Boko Haram et l’EIAO exploitent le paysage âpre et mouvant au fil des saisons de la région, afin d’échapper à la capture. Depuis la forêt de Sambisa, les combattants de Boko Haram ont franchi la frontière avec le Cameroun pour conduire des raids et des attaques-suicide à l’extrême nord, où la présence militaire camerounaise est limitée. Lorsque le lac Tchad gonfle à la saison des pluies, les militants se déplacent en hors-bord sur les eaux de crue et les marécages environnants, afin de contrôler et d’exploiter les commerces lucratifs du poisson fumé et du poivre rouge. Boko Haram et l’EIAO intensifient également les raids et les attaques à l’hivernage  de fin d’année, lorsque les véhicules militaires sont embourbés et que l’aviation a une moindre visibilité du fait de la végétation.

À l’extérieur de la région du nord-est, les attaques des groupes islamistes militants sont pour le moment rares. Boko Haram a tenté récemment de revendiquer des enlèvements de masse au nord-ouest, effectués par des groupes armés, probablement dans l’objectif de gonfler son importance. Cependant, un groupe autrefois neutralisé connu sous le nom d’Ansaru (qui a fait scission avec Boko Haram en 2012), a mené un petit nombre d’attaques sophistiquées dans les États de Kaduna et de Katsina au nord-ouest. On imagine que ce groupe a pu mobiliser les rancunes locales des éleveurs peuls afin de les recruter sous une bannière idéologique.

Les bandes criminelles organisées

Profitant d’un vide en matière de sécurité, les bandes criminelles du nord-ouest du Nigeria ont été à l’origine d’une vague d’enlèvements contre rançon visant des pensionnats. Au cours des cinq dernières années, le nord-ouest a subi la plus grande concentration d’enlèvements du Nigeria. Les rançons recueillies du fait de ces enlèvements de masse sont devenues une ressource commerciale pour ces bandes criminelles. Les enlèvements de masse dans les États du Zamfara, du Niger et du Katsina ont imité le tristement célèbre enlèvement des écolières de Chibok par Boko Haram en 2014, et ont obligé le gouvernement à réagir. Les porte-paroles du Gouvernement nient avoir payé une rançon pour la libération des enfants, mais les informations du terrain disent le contraire. De plus, des responsables gouvernementaux pourraient avoir tiré profit des grosses sommes d’argent utilisées pour assurer la libération des otages. Comme dans le nord-est, les enlèvements contre rançon ont rendu les routes principales de la région trop dangereuses pour le voyage, et des compagnies aériennes assurent maintenant des vols courts entre Abuja et Kaduna.

Dans l’État du Zamfara, berceau du problème des bandes armées du nord-ouest, des groupes rivaux dévalisent les mines d’or artisanales qui ont proliféré au cours des dix dernières années, et s’affrontent pour leur contrôle. La mainmise des bandes sur la ruée vers l’or de cet État a attiré de nombreux jeunes gens pauvres et sans emploi, qui viennent rejoindre leurs rangs. On sait que ces bandes trouvent repaire dans les forêts de Sububu et de Dansadau au Zamfara, et qu’elles passent des armes en contrebande à la frontière avec le Niger. Le gouvernement du Zamfara a estimé qu’il y a 10 000 soi-disant bandits qui sont répartis sur 40 camps dans l’État.

Plus loin à l’est et au sud, les bandes du Katsina et du Kaduna procèdent à des pillages de bétail et des enlèvements depuis la forêt de Davin Rugu. Les raids menés depuis ces camps forestiers visant les agriculteurs et les éleveurs exacerbent les tensions existantes entre les groupes communautaires, et encouragent la demande d’armes à feu dans la région, qui sont alors fournies par les bandes armées — ce qui détériore encore la sécurité.

Les activités de ces bandes organisées dans le nord-ouest attirent l’attention des groupes islamistes militants. Ansaru a déployé des religieux dans la région, qui prêchent contre la démocratie et les efforts de paix du gouvernement. Il existe également des preuves que l’EIAO tisse des liens avec les groupes criminels du nord-ouest afin de tenter de les radicaliser.

Le conflit entre éleveurs et agriculteurs

Affectant prioritairement les États de la ceinture centrale et du nord-ouest, les affrontements entre les agriculteurs et les éleveurs ont encouragé la formation de milices ethniques, de raids d’autodéfense et d’exécutions sommaires.

Historiquement, les États du nord-ouest et de la ceinture centrale ont été les plaines fertiles et les pâturages du Nigeria, où les groupes de pasteurs nomades et d’agriculteurs sédentaires coexistaient, faisaient du commerce et se tournaient vers les mécanismes de maintien de la paix lorsque des litiges fonciers apparaissaient. Cependant, l’assèchement et l’attribution de vastes parcelles à des propriétaires fonciers du nord-ouest ont chassé les éleveurs de leurs zones de pâturage traditionnelles. De plus, suivant une analyse aérienne effectuée par l’U.S. Geological Survey, les terres disponibles pour le pâturage dans la ceinture centrale du Nigeria ont décliné de 38 % entre 1975 et 2013 alors que les parcelles dédiées à l’agriculture ont pratiquement triplé. Ces dynamiques ont été générées par des changements climatiques, des politiques d’exclusion des terres et la croissance de la population. En même temps, la demande de viande fournie par les éleveurs du pays est croissante.

« En dépit de cette fréquente formulation en termes communautaires, la religion et l’appartenance régionale ne sont pas les principales causes du conflit ».

Cette zone centrale du Nigeria est aussi l’endroit où la zone socio-politique du nord du pays croise celle du sud. C’est une région d’échanges culturels où des douzaines de langues sont parlées et où aucun groupe individuel n’a de claire majorité politique — ce sont dans les États de la ceinture centrale que les écarts aux élections nationales sont les plus étroits. Les politiciens nationaux, les grands propriétaires terriens et leurs alliés dans la presse se sont emparés de cette dynamique pour politiser les conflits entre les agriculteurs et les éleveurs, et entre les soi-disant « colons » et les communautés « indigènes » de la région. Les théories complotistes, les allégations de dissimulation et de nettoyage ethnique qui entourent la violence dans la ceinture centrale sont courantes — et répétées même par des groupes humanitaires bienveillants et des analystes. En dépit de cette fréquente formulation en termes communautaires, la religion et l’appartenance régionale ne sont pas les causes principales du conflit. Ceci est démontré par le fait que les milices peules et haoussas, pratiquant toutes deux l’Islam, sont souvent adversaires lors de ces conflits communautaires, en particulier au nord-ouest.

La politisation de la violence communautaire au Nigeria risque d’élargir le périmètre des milices à organisation ethnique. Déjà, des violences entre les communautés d’élevage et d’agriculture commencent à se produire dans les États situés au sud de la ceinture centrale. Dans des endroits tels qu’Ibadan (État d’Oyo) et Isuikwuato (État d’Abia), le ressenti négatif à l’égard des Peuls, généré par les politiciens nigérians du sud et les organes de presse au sujet de la violence dans la région de la ceinture centrale, est utilisé par des personnes ayant l’ambition de susciter des manifestations anti-peules et des attaques par des groupes de jeunes armés.

Séparatistes militants biafrais

Le renouveau des activités sécessionnistes biafraises s’est accéléré au cours des dernières années, aboutissant à des conflits violents entre les forces de sécurité du Nigeria et des milices, provoquant des dizaines de morts. Bien connu pour sa présence radio clandestine au sud-est, le Peuple indigène du Biafra (IPOB, Indigenous People of Biafra) a mis en place ce qu’il appelle le Réseau sécuritaire de l’Est (ESN, Eastern Security Network) en décembre 2020, pour agir en tant que force paramilitaire dans la région. Sur la base de sa rhétorique et de ses objectifs tels qu’ils sont diffusés sur les médias sociaux, ce groupe semble pour avoir pour objectif principal de mobiliser les amertumes contre les Peuls plutôt que de réclamer l’autonomie de la région. L’ESN a déclaré qu’il imposerait une interdiction du pâturage dans le sud-est, attisant les sentiments anti-Peuls. Les tribunaux du Nigeria ont affirmé la classification de l’IPOB comme groupe terroriste.

Les forces de sécurité nigérianes et l’ESN se sont affrontés lors d’une série d’escarmouches en 2021 qui ont provoqué la mort de plusieurs civils et qui sont dorénavant connues sous le nom de crise d’Orlu. L’ESN a enflammé les tensions en tuant des officiers de police à des points de contrôle à plusieurs endroits du sud-est. Ces raids éclair et ces attaques risquent de plonger la région dans une crise similaire au conflit anglophones-francophones de l’autre côté de la frontière au sud-ouest du Cameroun.

Asari Dokubo, l’ancien chef du Front populaire du salut du Delta du Niger, a annoncé la formation d’un gouvernement coutumier du Biafra en 2021. Asari Dokubo s’est maintenant aligné sur le groupe séparatiste militant, le Mouvement pour l’actualisation de l’État souverain du Biafra (MASSOB, Movement for the Actualization of the Sovereign State of Biafra), du fait d’une apparente rivalité avec l’IPOB. Ces développements présagent de tensions croissantes avec les forces de sécurité nigérianes au sud-est.

« La plupart des groupes pro-Biafra de la région du sud-est sont déterminés à la non-violence ».

Le sud-est du Nigeria est encore hanté par le souvenir de la guerre civile du pays (1967 à 1970), lorsque plus d’un million de personnes sont décédées, y compris de nombreux civils. Ce conflit brutal a eu des ramifications durables pour la région et pour l’État nigérian. Pour de nombreux Igbos, dont les parents et les grands-parents ont participé à la lutte pour le Biafra, la terre du sud-est est sacrée, et toujours digne d’agitations dans le but d’un plus grand contrôle. Cependant, la plupart des groupes pro-Biafra dans la région du sud-est sont déterminés à la non-violence et défendent la cause d’une plus grande autonomie par des manifestations paisibles contre la corruption, la négligence et la violence arbitraire de la part du gouvernement fédéral nigérian. En dépit de désinformation émise par des sécessionnistes militants qui affirment qu’un retour à la guerre civile est imminent, la crise est loin d’atteindre la même échelle que dans les années 60.

Des groupes de défenseurs des droits humains ont documenté l’usage d’une force excessive envers des manifestants pro-biafrais de la part de l’armée et de la police nigériane, y compris ayant causé la mort de 150 soutiens et membres de l’IPOB en 2015 et 2016. Lors du 49e anniversaire de la déclaration de l’indépendance du Biafra, en 2016, des équipes de sécurité qui comprenaient des membres de l’armée ont ouvert le feu sur une parade à Onitsha, tuant au moins 60 personnes. La violence contre les civils par les forces de sécurité du Nigeria a contribué à motiver les jeunes gens de la région à rejoindre les groupes militants.

Piracy

La piraterie dans le Golfe de Guinée est aujourd’hui la pire au monde, totalisant plus de 95 % des enlèvements de membres d’équipage. Il y a eu 35 événements de pirateries enregistrés au large du Nigeria en 2020. Ces chiffres ne représentent probablement qu’une fraction des incidents, du fait que les propriétaires des bateaux sont incités à minimiser le risque pour éviter de faire augmenter les primes d’assurance. Les groupes qui sont derrière ces attaques restent dans l’ombre, mais on sait qu’un certain nombre d’organisations de pirates sont liées aux groupes armés qui sabotent les oléoducs et enlèvent des employés des entreprises pétrolières depuis des dizaines d’années dans le delta du Niger (régions du sud-sud et du sud-est). Des groupes tels que le Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (MEND) ont été difficiles à gérer par les seules opérations de sécurité, du fait de leur structure décentralisée et sans dirigeant, de leur soutien local et de leur tactique de frappe rapide et de disparition dans le labyrinthe fluvial de la région. Équipés d’armes et de hors-bord, contrés par les compagnies pétrolières qui dépensent des millions de dollars en sécurité privée pour protéger leurs infrastructures, certains de ces groupes ont commencé à s’aventurer hors de leurs repaires marécageux pour aborder des navires internationaux dans le Golfe de Guinée, avant de se retirer dans leurs bases côtières avec des membres d’équipage enlevés dans le but de négocier des rançons qui seront payées depuis l’étranger.

Historiquement, les groupes du delta du Niger ont proclamé être motivés par les actions des multinationales pétrolières, qui ont pollué et appauvri la région. Il y a une continuité dans la colère vertueuse liée à cette situation dans le delta du Niger, qui a été exprimée par des personnes telles que Ken Saro-Wiwa et le peuple Ogoni. De nombreux pêcheurs et agriculteurs de la région ont vu leurs moyens de subsistance détruits par la contamination des terres et de l’eau. De plus, des tribunaux ont rendu des jugements récents déclarants que les compagnies pétrolières sont responsables des dégradations environnementales.

Aujourd’hui, cependant, la rentabilité des enlèvements semblet être la motivation principale de la ramification de la piraterie dans le Golfe. La baisse des prix du pétrole signifie également que les enlèvements sont devenus plus lucratifs que le siphonnage des oléoducs.

La violence du secteur de la sécurité envers les civils

La violence de la police et de l’armée envers les civils est un obstacle chronique à une paix durable au Nigeria. En 2020, les manifestations #EndSARS ont eu lieu dans tout le pays, menées par des jeunes et ont transcendé les divisions religieuses, ethniques et politiques pour exiger que soit mis fin aux maltraitances de la police, et tout particulièrement que soit dissoute l’incontrôlée brigade fédérale spéciale de répression des vols (FSARS). Cette division de la police nationale avait été à l’origine créée pour résoudre le problème des bandes criminelles organisées dans tout le pays. Avec le temps, cependant, la FSARS s’est fait la réputation d’extorquer les citoyens nigérians et de commettre des violations aux droits humains. Une illustration claire de ceci est que les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les manifestants d’#EndSARS en octobre 2020, pour arrêter les contestations et les piquets de grève dans tout le pays.

Alors que la FSARS a été récemment mise en avant, le Service de sécurité de l’État du Nigeria (SSS) a régulièrement harcelé et arrêté des journalistes avec impunité et à même envahi une salle d’audience pour ré-arrêter un prévenu que le juge venait d’ordonner de libérer. Quand les contestataires ou ceux qui recherchent la vérité s’approchent trop près des leviers du pouvoir et des privilèges, c’est souvent le SSS — directement supervisé par le président — qui intervient. La Brigade de la garde présidentielle est une autre unité qui est proche de l’exécutif. Il a été révélé qu’elle a abattu et tué des douzaines de manifestants chiites du Mouvement Islamique soutenu par l’Iran, à Abuja en 2018. Les manifestants exigeaient la libération de leur chef (qui était encore détenu bien que les tribunaux nigérians aient ordonné de le libérer).

A protest against the Special Anti-Robbery Squad (SARS) in Lagos

Une manifestation contre la Brigade spéciale de répression des vols (FSARS) à Lagos. (Photo : TobiJamesCandids)

De nombreux épisodes violents entre les forces de sécurité et les civils ont lieu dans les villes du Nigeria. Les forces de sécurité du Nigeria ont souvent démoli des quartiers urbains et déplacé des résidents vulnérables afin de faire de la place pour des bâtiments immobiliers de luxe. Cela crée de l’insécurité pour des milliers de Nigérians et contribue à l’instabilité dans les villes du pays. La plupart de ces déblaiements se font à l’improviste et illégalement, mais ils ont lieu en dépit du fait que les résidents disposent de baux anciens et légitimes, et en dépit des injonctions des tribunaux. Les transactions et promotions immobilières sont au centre d’activités criminelles organisées et de la corruption au Nigeria. Alors que les villes du Nigeria continuent à croître rapidement — elles abritent maintenant plus de la moitié des 200 millions de citoyens du pays — de faibles niveaux de confiance dans les forces de police et de sécurité constituent un défi majeur pour la construction de villes stables et robustes.

Un besoin de réponses multidimensionnelles

La diversité des menaces envers la sécurité au Nigeria va exiger un ensemble de solutions innovantes adaptées à chaque contexte. Cela va impliquer de comprendre la dynamique locale de chacune des menaces, et de les intégrer dans une stratégie de sécurité nationale multidimensionnelle.

Puisque les défis du Nigeria sont très largement domestiques par nature, cette stratégie de sécurité nationale exigera un engagement actif des citoyens. La coopération des citoyens est peut-être l’élément le plus essentiel d’une réponse réussie dans chaque contexte. Cependant, dans presque tous les cas, les forces de sécurité du Nigeria partent avec un déficit de confiance. En effet, la violence des forces de sécurité envers les citoyens est souvent vue comme faisant partie du problème de sécurité. Corriger cela et construire des relations de confiance avec les citoyens sera une priorité absolue et permanente de toute stratégie de sécurité nationale.

« La coopération des citoyens est peut-être l’élément le plus essentiel d’une réponse réussie ».

La nature domestique de ces menaces souligne aussi l’importance d’une réponse de sécurité intégrée, qui concerne aussi un accès croissant aux services gouvernementaux, le développement social et la création d’emplois.  Une sécurité intégrée implique aussi un accès plus large à la justice. Des mécanismes de justice accessibles et fiables qui peuvent servir de vecteur de limitation des conflits et servent aussi à atténuer les tensions entre communautés ou avec le gouvernement. Les jugements des tribunaux, à leur tour, doivent être respectés et soutenus par les acteurs du secteur de la sécurité. Cet examen révèle, en particulier en ce qui concerne la violence du secteur de la sécurité envers les civils, que les services de sécurité ont ignoré des décisions judiciaires de façon répétée, ce qui a exacerbé les tensions sociales et affaibli l’État de droit.

Un autre défi qui est régulièrement observé dans de multiples contextes de sécurité, est le besoin de maintenir une présence sécuritaire dans les zones périphériques. Les forces de sécurité nigérianes ont régulièrement pu éliminer les groupes militants des territoires qu’elles tenaient — que ce soit Boko Haram au nord-est, les groupes criminels au nord-ouest, ou les pirates ou bandes armées au sud-ouest ou au sud-sud. Cependant, l’incapacité à maintenir une présence de sécurité crée un vide qui permet à ces groupes militants de se regrouper et de recommencer leurs activités prédatrices. Les communautés qui se retrouvent au milieu de ces lignes de front mouvantes sont laissées dans une position vulnérable. Pour que le Nigeria tourne vraiment la page de ces groupes militants, le gouvernement et les forces de sécurité devront pouvoir assurer une présence de sécurité durable et fiable dans ces régions contestées.

La gestion foncière est une autre question qui intervient en transversalité sur les défis de sécurité du Nigeria. Actuellement, plus de 500 personnes par kilomètre carré vivent au Nigeria. Les projections indiquent un doublement de la population, jusqu’à 400 millions, dans les 30 prochaines années, faisant passer sa population à des niveaux de densité actuellement trouvés en Israël et en Inde. D’ores et déjà, de nombreux Nigérians luttent pour trouver des ressources suffisantes et des occasions leur permettant d’imaginer un avenir sûr pour eux et pour leurs familles. Le Nigeria a récemment dépassé l’Inde pour le nombre de personnes qui vivent dans la pauvreté et son taux de chômage est de 33 %. Tenir compte de la nature multidimensionnelle des menaces envers la sécurité au Nigeria, négocier l’accès à la terre seront des facteurs de plus en plus critiques pour gérer l’évolution du paysage de la sécurité au Nigeria.

Ressources complémentaires