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La Russie en Afrique – La déstabilisation de la démocratie par la capture des élites

Dégrader le modèle d’une gouvernance démocratique en Afrique est un objectif stratégique de la Russie ; objectif qu’elle effectue en cooptant des dirigeants africains isolés.


Republic of Congo President Denis Sassou Nguesso and Russian President Vladimir Putin

Le président de la République du Congo, Denis Sassou Nguesso avec le président russe Vladimir Poutine. (Photo : kremlin.ru)

Pour avoir un aperçu du modèle de gouvernance de la Russie en Afrique, il suffit de se pencher sur l’expérience de la République centrafricaine (RCA). Les mercenaires russes du célèbre groupe Wagner, dépêchés à la vue de tous en RCA en 2018 pour aider à stabiliser le gouvernement assiégé du président Faustin-Archange Touadéra, contrôlent désormais les mines de diamants et d’or dans le nord du pays et ont intimé aux casques bleus de l’ONU de se tenir à l’écart de la zone de contrôle russe.

« Wagner est, en fait, une émanation de la direction générale des renseignements russes, la GRU »

Bien qu’elle soit communément qualifiée de société militaire privée, Wagner est, en fait, une émanation de la direction générale des renseignements russes, la GRU. La désignation de société privée permet à Moscou de se défausser de la responsabilité des actions du groupe paramilitaire, qui est notamment accusé d’exécutions extrajudiciaires, de viols, de torture et de détentions arbitraires. Le déploiement par Wagner d’environ 2 300 « instructeurs » a permis à Moscou d’exercer une influence dans un contexte où il était historiquement peu présent.

Le fait d’exercer une influence en intervenant pour fournir un soutien sécuritaire à un dirigeant isolé est conforme au scénario utilisé par la Russie en Syrie, dans l’est de l’Ukraine et en Libye, entre autres. En RCA, ce geste a été assorti de la nomination d’un Russe, Valery Zakharov, au poste de conseiller à la sécurité nationale de la RCA. Les troupes Wagner servent également de garde présidentielle. La dépendance symbolique et réelle de Touadéra vis-à-vis de la Russie ne pourrait être plus évidente. Les hommes politiques centrafricains qui ont protesté contre l’influence démesurée de la Russie, notamment l’ancien ministre des affaires étrangères, Charles-Armel Doubane, ont été limogés. Trois journalistes d’investigation russes qui tentaient d’obtenir plus de détails sur les activités de Wagner en RCA ont été assassinés en 2018.

Ayant négocié une dérogation à l’embargo de l’ONU sur les armes en RCA, les Russes ont pu importer des armes qui sont aujourd’hui considérées comme faisant partie d’un accord permettant d’échanger des armes contre des ressources. La région est stratégiquement située sur un couloir de trafic reliant l’ouest du Soudan et l’est du Tchad à la côte et aux réseaux criminels transnationaux, en passant par la RCA. Parfois considéré comme un pion malchanceux des Russes, Touadéra serait un partenaire à part entière dans ce trafic. Dans le même temps, les citoyens ordinaires sont confrontés à une insécurité, une pauvreté et une instabilité permanentes.

Presidents Faustin Archange Touadera of the Central African Republic and Vladimir Putin of Russia. (Photo: kremlin.ru)

Le président de la République centrafricaine Faustin Archange Touadera avec Vladimir Poutine. (Photo : kremlin.ru)

Il n’est donc pas étonnant que les Russes aient été activement impliqués dans la réélection de Touadéra en décembre 2020, pesant lourd sur la balance de l’ensemble du processus électoral. Les Russes ont généreusement financé la campagne de Touadéra, parrainé des campagnes d’information vantant les succès de Touadéra (et le rôle positif de la Russie) et intimidé les opposants politiques. La commission électorale et le processus de décompte des voix ont été étroitement contrôlés par les alliés de Touadéra, générant une victoire sans surprise au premier tour.

Il en résulte qu’en quelques années seulement, la Russie a effectivement compromis la souveraineté d’un État africain. Compte tenu des avantages financiers et politiques dont bénéficie la Russie dans le cadre de cet arrangement, la déloger ne sera pas une tâche facile pour les citoyens de la RCA.

Si la cooptation effrontée de Touadéra par la Russie en RCA est le cas le plus documenté, il ne s’agit que de l’un des quelque douze endroits où la Russie remodèle, à des degrés divers, l’environnement de la gouvernance africaine, au détriment de la souveraineté et du développement démocratique du continent.

Motivations

Si l’engagement de la Russie en Afrique est souvent qualifié d’opportuniste, Moscou a des objectifs de gouvernance clairs qui guident ses actions. Vladimir Poutine a déclaré que l’ordre international libéral était devenu obsolète et a plaidé pour un monde multipolaire où la démocratie se serait qu’un des nombreux systèmes de gouvernance viables. L’ordre international post-libéral de Poutine envisage un espace plus limité pour une société civile active et la protection des droits de l’homme. Il implique l’abandon d’un système international fondé sur des règles au profit d’un système défini par des relations transactionnelles entre les dirigeants. En tant que telle, la vision de Poutine est moins un nouvel ordre international qu’un retour à un modèle de laissez-faire du 19ème siècle, sans normes internationales en matière de droits politiques ou de droits humains.

« La vision de Poutine est moins un nouvel ordre international qu’un retour à un modèle de laissez-faire du 19ème siècle, sans normes internationales en matière de droits politiques ou de droits humains »

La vision du monde de Poutine repose sur la crainte que des « révolutions colorées » populaires ne balaient des gouvernements autoritaires établis de longue date, y compris les mouvements populaires pour la démocratie qui se sont développés dans les pays voisins, l’Ukraine et le Belarus. Poutine cherche à freiner tout élan qui pourrait s’enflammer à Moscou. La défense d’une alternative à l’ordre international libéral est donc intéressée. Elle tente de valider des formes de gouvernance autres que la démocratie comme étant tout aussi souhaitables et légitimes. Dans la mesure où cela est accepté, cela réduit la surveillance et la pression exercée sur la Russie elle-même pour qu’elle se démocratise.

L’affaiblissement de l’ordre international libéral a également pour effet d’uniformiser les règles du jeu pour les acteurs non démocratiques tels que la Russie, qui peuvent mieux rivaliser pour exercer une influence dans une arène où le respect des normes en matière de droits de l’homme, de transparence et d’adhésion à l’État de droit est facultatif.

Stratégies

La tentative de la Russie d’influencer l’environnement de gouvernance de l’Afrique prend diverses formes. Toutes tournent autour d’un certain type de cooptation au niveau des élites. Paradoxalement, la cooptation des élites est utilisée par Moscou comme un outil asymétrique, bien adapté aux ressources relativement modestes que la Russie apporte à ses engagements en Afrique. Elle n’exige pas d’investissements à long terme ni d’établissement de relations dans de multiples secteurs d’intérêts communs, comme le font les relations bilatérales traditionnelles. Elle n’implique certainement pas un engagement populaire à grande échelle. Au contraire, elle exige simplement la capacité d’influencer des dirigeants individuels flexibles au sommet d’une structure de pouvoir hiérarchique.

La forme la plus courante de cooptation implique une combinaison de soutien politique ou des troupes Wagner à des dirigeants africains isolés ayant accès à des ressources naturelles. Outre Touadéra en RCA, la Russie a utilisé cette approche pour renforcer son influence auprès de Denis Sassou-Nguesso en République du Congo, Ali Bongo au Gabon, Filipe Nyusi au Mozambique, Andry Rajoelina à Madagascar, Emmerson Mnangagwa au Zimbabwe, Salva Kiir au Soudan du Sud et Alpha Condé en Guinée, entre autres.

Parfois, la Russie se contente de soutenir une alternative non-démocratique. En Libye, la Russie a tenté d’établir le chef de guerre libyen Khalifa Haftar comme nouvel homme fort afin de donner à Moscou un accès sans précédent à la Méditerranée orientale. Le coup d’État mené par le colonel Assimi Goïta qui a délogé le gouvernement démocratiquement élu du Mali en août 2020 aurait été planifié en Russie alors que des membres de l’armée malienne participaient à un entraînement prolongé. Un accord visant à envoyer des troupes Wagner au Mali est actuellement en cours de discussion. Au Soudan, la Russie aurait exhorté les dirigeants militaires à résister à la transition prévue vers un régime civil. Dans la mesure où ces mandataires gagnent du terrain, ils sont non seulement redevables à Moscou de leur ascension, mais ils supplantent effectivement les normes démocratiques d’accession au pouvoir sur le continent.

(Image : Treasury.gov)

Comme dans d’autres régions du monde, la Russie est également active dans l’ingérence électorale en Afrique. Cela implique généralement la diffusion subreptice de messages en faveur de son candidat favori, associée à des représentations défavorables des candidats de l’opposition, la diffusion aux médias de résultats de sondages flatteurs, quoique douteux, et l’approbation sans réserve et en temps voulu des résultats des élections par une pseudo-organisation de surveillance des élections, telle que l’Association pour la recherche libre et la coopération internationale (AFRIC). Ces méthodes ont été mises en évidence lors des récentes élections à Madagascar, au Mozambique et au Zimbabwe, entre autres.

La désinformation est un autre pilier de l’engagement russe en Afrique – et des efforts visant à saper les processus démocratiques. Outre les campagnes de soutien à des candidats spécifiques, la Russie a mis en place une campagne plus large de dénigrement de la démocratie. Les thèmes de cette campagne tournent autour de l’inefficacité et de la faiblesse de la démocratie, de l’inutilité de soutenir un candidat, et du compromis inhérent entre la démocratie et la sécurité – en fait, une publicité en faveur du régime de l’homme fort. En suggérant qu’il n’y a pas de réelles différences entre les systèmes politiques (et donc pas de réels avantages de la démocratie), les messages encouragent un fatalisme passif chez les citoyens qui acceptent simplement leurs gouvernements basés sur le patronage des élites comme n’étant pas pire que l’alternative.

Dans les cas où la Russie entretient déjà une relation privilégiée avec le président en exercice, Moscou a tout intérêt à perpétuer la présence de son client au pouvoir. C’est apparemment ce que les Russes avaient à l’esprit en soutenant la candidature d’Alpha Condé à un troisième mandat en Guinée en 2020, interdit par la Constitution. Lorsque Condé a dû faire face à une opposition nationale généralisée à la prolongation de son mandat, l’ambassadeur russe Alexander Bregadze a tenté de le couvrir en déclarant que « les constitutions ne sont pas un dogme, une Bible ou un Coran… ce sont les constitutions qui doivent s’adapter à la réalité, et non la réalité qui s’adapte aux constitutions ». Il se trouve que la Guinée détient les plus grandes réserves de bauxite du monde. Bregadze dirige aujourd’hui les opérations en Guinée pour Rusal, la plus grande entreprise d’aluminium de Russie. L’éviction de Condé à la suite d’un coup d’État en septembre 2021 constitue un revers pour les efforts de cooptation de la Russie. Pourtant, on peut s’attendre à ce que Moscou cherche simultanément à le réintégrer dans ses fonctions tout en essayant de dupliquer ses relations avec les dirigeants de la junte.

Vladimir Putin with Jacob Zuma of South Africa

Vladimir Poutine avec le Sud-africain Jacob Zuma. (Photo : kremlin.ru)

Le départ du pouvoir du Sud-Africain Jacob Zuma, un partenaire russe fiable, a été un coup dur pour Moscou. Pendant le mandat de Zuma, la Russie a négocié un accord de 76 milliards de dollars pour une centrale nucléaire. L’accord a été largement considéré comme un gâchis de pots-de-vin pour enrichir les Russes et les alliés de Zuma, conformément au modèle plus large de capture de l’État sous Zuma. Lorsque Cyril Ramaphosa est entré en fonction, l’annulation de cet accord a été l’une de ses premières priorités, sauvant ainsi les Sud-Africains de montagnes de dettes.

La politique sud-africaine continue d’être caractérisée par une lutte entre les réformateurs et les loyalistes de Zuma au sein du Congrès national africain (ANC) au pouvoir. Selon une recherche à venir de Dzvinka Kachur, dans le but de promouvoir ses ambitions en matière d’énergie nucléaire, la Russie contribuerait à la diffusion de messages de désinformation attisant les tensions et tentant d’influencer la politique interne sud-africaine. Les tensions entre les factions de l’ANC ont atteint leur paroxysme en juillet 2021, lorsque Zuma a été arrêté pour ne pas s’être présenté au tribunal pour des accusations de corruption liées à son mandat, ce qui a déclenché des émeutes massives qui ont secoué le pays pendant plusieurs jours et entraîné des milliards de dollars de dommages.

La Russie utilise apparemment la perspective d’investissements dans la technologie de l’énergie nucléaire comme une autre forme de capture des élites. En Égypte, la société d’État russe pour l’énergie atomique, Rosatom, a accordé un prêt de 25 milliards de dollars au gouvernement Sisi pour commencer les travaux d’une installation nucléaire à hauteur de 60 milliards de dollars. À l’instar de l’arrangement avec Zuma, cet accord massif est largement considéré comme un moyen d’obtenir du favoritisme aux frais des contribuables. Rosatom a signé d’autres accords préliminaires relatifs à des projets d’énergie nucléaire avec l’Éthiopie, le Nigeria, le Rwanda et la Zambie, entre autres.

La Russie a également aidé les autocraties africaines en leur fournissant des technologies de surveillance pour contrôler leurs rivaux politiques et les groupes de la société civile. L’Ouganda et le Rwanda ont été des clients notables de ces outils.

Les efforts déployés par la Russie pour influencer l’environnement de la gouvernance en Afrique sont empreints d’ironie. La Russie utilise les caractéristiques de la démocratie – élections, plateformes d’information ouvertes et médias – pour orchestrer des résultats qui font avancer ses intérêts tout en semant la dissension et la désillusion parmi les citoyens à l’égard de la démocratie elle-même. Le vernis de légitimité démocratique conféré à un dirigeant africain qui accède ou conserve le pouvoir par des élections, même si c’est par des moyens douteux, est puissant. Dans le cas des dirigeants soutenus par la Russie, il sert également de bouclier contre les critiques. Après tout, pourquoi la communauté internationale devrait-elle se plaindre des mercenaires russes s’ils ont été invités par un dirigeant élu ? Ce scénario offre à la Russie le meilleur des deux mondes. Elle peut manipuler les résultats électoraux à sa guise tout en se félicitant de soutenir un dirigeant démocratiquement élu.

Impacts

Les engagements de la Russie en matière de gouvernance en Afrique, comme ceux de la plupart des acteurs extérieurs, reflètent ses normes politiques intérieures. Dans le cas de la Russie, il s’agit d’un système oligarchique, opaque et fondé sur le favoritisme, avec des moyens limités de participation populaire ou de responsabilité. Lorsque ce système est transposé en Afrique, il cultive le fait que les institutions africaines seraient la prérogative de leaders individuels. Cela correspond à la stratégie de cooptation de Moscou, axée sur l’élite, qui confère à la Russie une influence démesurée malgré des investissements relativement marginaux dans le secteur privé, les infrastructures ou le développement.

« La stratégie d’influence de l’élite russe nie l’action des citoyens »

En ce qui concerne la démocratie en Afrique, la stratégie d’influence de l’élite russe nie l’action des citoyens. Les sondages montrent que la grande majorité des Africains préfèrent la démocratie comme système de gouvernance et souhaitent voir des démocraties plus fortes s’enraciner sur le continent. Cela est confirmé par une tendance croissante à travers l’Afrique à des protestations populaires exigeant plus de participation, de transparence et de responsabilité de la part de leurs dirigeants politiques.

Les visions concurrentes sur les institutions africaine se recoupent avec la fracture démographique marquée du continent. L’Afrique est la région la plus jeune du monde, avec un âge médian de moins de 20 ans. Ces jeunes sont souvent à l’avant-garde des appels à la réforme et à des niveaux plus élevés de démocratie (par exemple, #EndSARS, Soudan, Algérie, Ouganda, Togo, Guinée, Sénégal et Eswatini).

Souvent, ces appels au changement se heurtent à la résistance de dirigeants africains bien établis, qui s’accrochent à un pouvoir exécutif fort et à des contrepouvoirs institutionnels faibles. Un bon quart des dirigeants africains sont au pouvoir depuis plus de 20 ans. Presque tous organisent des élections sous une forme ou une autre, donnant l’apparence de démocratie. Toutefois, moins de dix pays africains sur 54 permettent une concurrence politique véritablement équitable, une participation populaire et la protection des libertés civiles et des droits politiques. Ces dernières années, la tendance à ne pas tenir compte de la limitation des mandats a encore prolongé la durée des mandats. Cette incapacité à se défaire de l’héritage du régime des « hommes forts » explique en grande partie le retard pris par l’Afrique en matière de développement démocratique au cours de la dernière décennie.

C’est dans cette perspective de réforme ou de repli sur soi de la gouvernance future de l’Afrique que la Russie exerce son influence, en se rangeant du côté de la vieille garde. De ce point de vue, il est évident que les structures politiques africaines, dominées par la personnalité, fondées sur le clientélisme et faibles sur le plan institutionnel, sont mûres pour la stratégie russe de cooptation des élites. Cette stratégie est efficace parce qu’il y a une complicité active de la part des dirigeants africains qui vendent les intérêts de leurs compatriotes pour forger des relations client-patron avec leurs interlocuteurs russes. Les grands perdants de ces accords entre élites sont les citoyens ordinaires – et une démocratie constamment affaiblie.

Priorités

L’Afrique offre un environnement permissif pour l’influence de la Russie et sa campagne de contre-démocratie en Afrique. Pour changer ce modèle – et la négation des aspirations démocratiques en Afrique – il faudra attirer l’attention sur ces pactes de cooptation des acteurs d’élite et, en fin de compte, les affaiblir. Pour ce faire, il faudra augmenter les coûts pour les partenaires russes et africains de ces alliances d’exclusion. Bon nombre des actions nécessaires peuvent être formulées comme un renforcement de la souveraineté des citoyens africains vis-à-vis des élites.

Vladimir Putin with Ugandan President Yoweri Museveni

Valdimir Poutine avec le président ougandais Yoweri Museveni. (Photo : GovernmentZA)

En mettant en lumière la collusion opaque entre les dirigeants africains et leurs homologues russes, et en montrant comment chaque partie en profite, il serait possible d’éduquer le public et d’accroître la transparence. Les dirigeants africains qui sapent les processus démocratiques auraient, quant à eux, un coût de réputation plus élevé pour leurs actions.

Pour être clair, l’objectif n’est pas de vilipender tous les liens entre les diplomates russes et africains. Cependant, les arrangements dans lesquels les dirigeants africains sont soutenus par des mercenaires, des accords de vente d’armes contre des ressources, des contrats opaques et des campagnes de désinformation méritent une plus grande notoriété pour toutes les parties concernées.

La Convention africaine pour l’élimination du mercenariat a été ratifiée à Libreville en 1977 et est entrée en vigueur en 1985. Cette convention interdit aux États de permettre aux mercenaires d’entrer sur leur territoire ou de le traverser en toute sécurité. De même, elle interdit le recrutement, l’entraînement et le financement de mercenaires ou toute activité susceptible de promouvoir le mercenariat. Dans le cadre de la reconquête de la souveraineté africaine et de l’exploitation des États faibles par le déploiement de mercenaires, l’Union africaine devrait réexaminer son application de la Convention de Libreville et tenir les États responsables du respect de ses dispositions.

L’Union africaine et les militants de la société civile peuvent également redoubler d’efforts pour exiger que tous les contrats relatifs aux ressources naturelles et aux services publics soient rendus publics, afin de vérifier comment l’allocation de ces fonds publics profite aux citoyens. Actuellement, 29 pays africains sont membres de l’alliance « Publish What You Pay » (Publiez ce que vous payez). Ils doivent faire davantage pour engager leur responsabilité mutuelle sur le respect de ces normes. De même, les réformateurs peuvent également faire pression pour que tous les contrats de ce type soient soumis à une approbation législative avant d’être finalisés, afin d’améliorer la transparence et la responsabilité. En particulier, 22 des 28 pays africains riches en ressources naturelles ont récemment modifié les lois régissant les secteurs pétrolier, gazier et minier afin de les rendre plus transparents. Cependant, il reste beaucoup à faire en matière de mise en œuvre et d’application.

La nature même de la désinformation est opaque et vise à dissimuler la source des messages trompeurs ou polarisants. La découverte de cette source nécessite souvent des efforts concertés et l’expertise de groupes de surveillance. Par conséquent, seule une fraction de la désinformation est exposée. Accroître le nombre et la capacité de ces groupes de surveillance en Afrique est un moyen d’exposer rapidement une plus grande partie de cette désinformation.

« La Russie a fait des progrès dans la refonte des normes de gouvernance en Afrique, conformément à la vision de Vladimir Poutine d’un ordre mondial international post-libéral »

L’ingérence électorale est une violation grave de la souveraineté d’un autre pays. En effet, il s’agit d’une tentative effrontée de contrôler les personnes qu’une nation souveraine élit comme dirigeants. Ces violations doivent donc faire l’objet de sanctions beaucoup plus sévères que ce n’est le cas actuellement. Outre les poursuites pénales à l’encontre des contrevenants, des sanctions sévères doivent être imposées aux acteurs étatiques susceptibles d’être impliqués. Ces sanctions devraient être renforcées par des pénalités contre les institutions financières impliquées dans le parrainage de l’ingérence. Cela obligerait ces institutions financières à renforcer l’examen et la diligence raisonnable en matière de soutien aux groupes ayant des antécédents d’ingérence électorale.

Les acteurs démocratiques internationaux devraient également invoquer leurs équivalents des Global and European Magnitsky Acts (Lois Magnitski mondiales et européennes), du Global Fragility Act (Loi sur la fragilité mondiale) et du Foreign Corrupt Practices Act (Loi sur les pratiques de corruption à l’étranger) afin d’imposer des sanctions aux personnes, institutions et gouvernements jugés responsables de l’affaiblissement de la démocratie et de la stabilité dans les pays africains ciblés.

Les acteurs démocratiques internationaux peuvent en outre renforcer la démocratie en Afrique en encourageant la gouvernance démocratique. Cela permettra, entre autres, de récompenser la légitimité d’un gouvernement démocratique par une reconnaissance diplomatique, un soutien financier et une coopération bilatérale accrus. Accorder à tous les gouvernements africains des niveaux équivalents de reconnaissance diplomatique, quelle que soit la manière dont ils ont accédé au pouvoir ou s’y maintiennent, encourage le minimalisme démocratique, c’est-à-dire le respect du plus simple semblant de processus démocratique. C’est particulièrement le cas lorsqu’une source essentielle de soutien pour ces dirigeants est une puissance autocratique étrangère.

La reconnaissance de la divergence entre l’action de l’élite et celle du peuple souligne la nécessité d’un soutien accru aux mouvements citoyens qui militent pour plus de démocratie. Les manifestations citoyennes pour la transparence électorale, contre le troisième mandat et pour la défense des droits de l’homme et des libertés civiles méritent le soutien des acteurs démocratiques internationaux. Ces dirigeants mondiaux doivent agir de manière décisive si ces manifestations d’expression publique sont réprimées. Il convient de dénoncer les élections frauduleuses, d’exiger des audits et d’organiser de nouvelles élections, lorsque cela est justifié, afin de s’assurer que la voix des citoyens ordinaires n’est pas étouffée par les marchandages des élites.

Ces dernières années, la Russie a acquis une influence considérable en Afrique grâce à sa stratégie de captation des élites. Cela a contribué à la détérioration de la démocratie et à la mise en échec des aspirations de centaines de millions de citoyens africains. Dans ce processus, la Russie a fait des progrès dans la refonte des normes de gouvernance en Afrique, conformément à la vision de Vladimir Poutine d’un ordre mondial international post-libéral. Jusqu’à présent, la Russie a dû faire face à des coûts minimes pour ces actions, qui compromettent la souveraineté africaine. Tant que les citoyens, les gouvernements et les partenaires internationaux africains démocratiquement engagés ne pourront pas imposer de sanctions diplomatiques et financières tangibles pour ces actions flagrantes, on peut s’attendre à ce que les efforts russes pour coopter les dirigeants africains se poursuivent.

Directeur de recherche au Centre d’études stratégiques de l’Afrique. Il est également l’auteur de « Russia and Africa : Expanding Influence and Instability » (La Russie et l’Afrique : expansion de l’influence et instabilité). Toutes les opinions exprimées n’engagent que l’auteur.