Rapport d'analyse N° 6

Renforcer le professionnalisme militaire en Afrique

Par Emile Ouédraogo

31 juillet 2014


La faiblesse du professionnalisme militaire en Afrique est illustrée de manière frappante par les récits d’instabilité du continent : coups d’État militaires, mutineries, effondrement des armées face aux attaques de forces irrégulières, corruption, pillage, participation à des activités de trafic illicite et violations des droits humains.

Ce schéma persiste des décennies après la fin du colonialisme, malgré les sommes faramineuses d’aide au secteur de la sécurité et une rhétorique de longue date sur la nécessité de renforcer les relations civilo-militaires sur le continent. Dans les pays où le professionnalisme fait défaut, les coûts sont élevés : instabilité persistante, pauvreté chronique, faible taux d’investissements et démocratisation fragilisée.

Les raisons de l’incapacité persistante à mettre en place des armées efficaces et respectées dans tant de pays africains sont complexes, mais découlent en grande partie d’incitations politiques. Les armées africaines créées à l’époque coloniale avaient pour objectif non pas de protéger la population, mais de protéger le gouvernement contre les citoyens. Pour ce faire, les minorités ethniques étaient souvent recrutées dans les armées de manière disproportionnée afin de contrôler les groupes majoritaires. Ces schémas ont persisté dans la période post-coloniale car les chefs militaires issus des groupes minoritaires étaient fortement incités à résister toute transition vers la démocratie et un régime majoritaire. L’absence d’un système de contrôle et de limitation de pouvoir entre les différentes branches du pouvoir a favorisé l’imbrication des intérêts politiques, militaires et économiques qui a perduré et, dans certains cas, s’est intensifiée depuis la fin du colonialisme. Le contrôle de l’armée a été considéré comme le moteur du pouvoir et de la richesse en Afrique. La corruption a prospéré. Cela a favorisé la politisation de l’armée ainsi que la concurrence et la collusion permanentes entre les politiciens et les responsables de la sécurité qui cherchent à prendre le dessus. Pire, après avoir affaibli systématiquement les capacités de l’armée, ces schémas ont engendré une peur et une méfiance profondes de la population à l’égard du secteur de la sécurité, alimentant encore plus l’instabilité et limitant le soutien populaire dans la lutte contre les insurrections.

Le renforcement du professionnalisme militaire en Afrique nécessitera plus que le renforcement des capacités. Des initiatives durables sont plutôt nécessaires pour s’attaquer aux blocages majeurs sur le plan politique qui empêchent les réformes et l’établissement des relations civilo-militaires plus constructives. Le statu quo ne suffira pas. Des examens de la sécurité nationale qui incluent le grand public seront nécessaires pour redéfinir le mandat des armées africaines, notamment à une époque où de nombreuses menaces sont d’origine interne. La réorganisation des structures des forces de sécurité pour mieux répondre aux menaces identifiées, et l’intégration des missions dans une politique de défense globale et cohérente, renforceront la pertinence, la capacité opérationnelle et le prestige des armées africaines.

Dans le cadre de ce processus, les responsabilités des forces armées envers ses citoyens doivent être précisées. Un code de conduite clair, appuyé par un effort soutenu d’assimilation des valeurs de l’éthique dans l’ensemble de la force, est nécessaire pour établir et renforcer les normes de constitutionnalisme, d’intégrité, de service et de respect des droits humains. La mise en place de médiateurs militaires, en dehors de la structure hiérarchique, et dont la capacite aura été renforcée afin d’assurer la redevabilité en cas de violation du code de conduite militaire renforcera davantage cet objectif. De même, l’imposition de sanctions plus fortes contre les dirigeants militaires et politiques engagés dans la politisation des forces de sécurité est nécessaire. Autrement dit, les efforts visant à renforcer le professionnalisme militaire doivent impliquer les dirigeants politiques aussi bien que militaires.

Des mécanismes de contrôle interne et externe de l’armée plus solides sont également requis pour garantir que les fonds soient dépensés de manière appropriée dans l’intérêt de la sécurité nationale. Une priorité particulière est la nécessité d’un contrôle stratégique plus direct du secteur de la sécurité par les organes législatifs responsables. Les parlementaires africains doivent débattre plus activement des fins, des objectifs, des politiques, du budget, des dépenses, des pratiques de promotion et des performances de l’armée. Les acteurs non étatiques, notamment la société civile et les médias, ont également une fonction de surveillance et de sensibilisation importante du grand public au rôle de l’armée en attirant l’attention sur les domaines à réformer.

Le professionnalisme militaire est conforme aux valeurs africaines et trouve un écho profond auprès de nombreux officiers militaires africains. Cela est visible dans certains pays africains où des institutions de sécurité apolitiques ont pris racine et où l’armée est une institution respectée et accueillie comme un défenseur du peuple. Les citoyens africains de tout le continent aspirent à ce que ces attributs deviennent la norme. La rupture du cercle vicieux de l’instabilité, de la pauvreté et de la mauvaise gouvernance en dépend.


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Type de publication : Rapports d’analyse