Rapport d'analyse N° 6 : Renforcer le professionnalisme militaire en Afrique

De nombreux défis pour les armées africaines

Par Émile Ouédraogo

12 mars 2020


Le coup d’État militaire de 2012 au Mali a plongé le pays et la région d’Afrique de l’Ouest dans une crise politique et militaire. Il a suffi d’une poignée de sous-officiers et d’autres hommes du rang pour renverser le président élu du Mali et faire dérailler 21 ans de démocratisation et d’efforts pour construire des institutions militaires professionnelles. Après avoir déclenché une crise constitutionnelle, la prise de pouvoir des militaires a mis en péril l’intégrité territoriale de l’État malien, ouvert la voie aux islamistes radicaux de toute la région et nécessité l’intervention militaire des forces françaises et ouest-africaines pour stabiliser la situation. Les coûts économiques, y compris la perte d’investissements privés, perdureront pendant des années au Mali.

Malheureusement, ce manque persistant de professionnalisme militaire est un thème récurrent sur le continent. Dans certains cas, les militaires interrompent directement le processus démocratique. Depuis l’indépendance de l’ancienne colonie portugaise de Guinée-Bissau, aucun dirigeant démocratiquement élu n’y a jamais terminé son mandat. Les Forces armées révolutionnaires populaires de la Guinée-Bissau, qui sont largement considérées comme corrompues et fortement impliquées dans le trafic de drogue1, ont pour coutume d’installer et d’évincer les gouvernements qui menacent les intérêts du commandement militaire, y compris en menant un coup d’État en 2012 à la veille du second tour de l’élection présidentielle. Fait révélateur, les militaires du Mali et de la Guinée-Bissau ont saisi le pouvoir juste avant un scrutin présidentiel à l’issue duquel un dirigeant légitimement élu aurait pu exercer son pouvoir sur l’armée.

Dans d’autres cas, des mutineries répétées mettent en exergue la faiblesse du professionnalisme militaire. La mutinerie la plus importante et la plus grave sur le continent africain de la dernière décennie a eu lieu au Burkina Faso où les troubles causés par les sous-officiers et autres hommes du rang ont duré tout au long du premier semestre 2011. Les pillages, viols et autres violations graves des droits humains qui en ont résulté ont créé une peur et une insécurité sans précédent parmi la population civile que les forces armées étaient pourtant censées défendre et protéger. En 2009, Madagascar a été secouée par de nombreuses mutineries militaires lorsque Andry Rajoelina, l’ancien maire de la capitale Antananarivo, a, avec un fort soutien militaire, saisi le pouvoir des mains d’un gouvernement démocratiquement élu. En République démocratique du Congo, de nombreuses défections et mutineries ont mis à rude épreuve le processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration.

D’autres exemples de défaillance du professionnalisme militaire en Afrique abondent. Les allégations d’atteintes aux droits humains commises par l’armée nigériane à l’encontre de civils dans le cadre de sa lutte meurtrière contre le groupe islamiste militant Boko Haram laissent penser que les capacités de commandement et de contrôle militaires y sont faibles2. Ces allégations compromettent également l’objectif plus large de stabilisation de la région du nord du Nigeria. La complicité présumée des forces de défense du peuple ougandais dans le trafic d’espèces sauvages reflète un manque de discipline dans un contexte d’opportunisme économique3. Les allégations selon lesquelles les forces de défense kényanes se seraient livrées à un pillage massif du centre commercial Westgate de Nairobi après l’attaque terroriste choquante d’al Shabaab qui y avait fait plus de 60 morts en 2013, figurent parmi autant d’incidents qui donnent matière à réflexion sur l’état du professionnalisme militaire en Afrique.4

Certes, certains pays africains ont fourni des efforts louables pour améliorer le professionnalisme de leurs armées. Toutefois, un demi-siècle après l’indépendance de la plupart des États africains, les sociétés africaines doivent réévaluer la manière dont elles peuvent mettre en place des forces armées professionnelles, non seulement pour faire face à leurs défis sécuritaires, mais aussi pour contribuer à la construction et à la consolidation de leurs jeunes démocraties et en favoriser le développement. En étudiant le fossé entre l’aspiration et la réalité, cette étude vise à examiner les obstacles au renforcement du professionnalisme des armées africaines.


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