Malgré une période relativement pacifique avant les élections du 30 juillet au Zimbabwe, la première sans la participation de Robert Mugabe au scrutin, la période postélectorale a été entachée par des violences meurtrières et des allégations d’actes répréhensibles. La commission électorale a annoncé que le président sortant, Emmerson Mnangagwa, avait recueilli 50,8 pourcent des suffrages, tout juste assez pour éviter un second tour. Le Mouvement pour le changement démocratique (MDC) de l’opposition a contesté ces résultats, citant une série d’irrégularités, notamment de la fraude électorale. Le 24 août, la Cour constitutionnelle a validé le résultat des élections, notant que la demande du MDC n’avait pas pu prouver qu’il y avait eu une fraude électorale.
Soucieux d’obtenir une aide indispensable des donateurs, promise sous la condition d’une élection pacifique et crédible, le gouvernement s’est efforcé de réitérer son engagement public déclaré en faveur d’un processus démocratique. Cependant, dans des scènes rappelant le passé du Zimbabwe, sept civils ont été tués par des soldats déployés pour réprimer les manifestations qui ont éclaté à Harare après l’annonce des résultats. Les membres de l’Alliance MDC (la coalition de l’opposition) ont été soumis à une répression menée par l’armée et la police. Et les observateurs des droits de l’homme ont documenté de nombreux cas de passages à tabac par des soldats dans de nombreuses banlieues de Harare, dont Chitungwiza, Seke, Dzivarasekwa, Glen Norah, Glenview, Highfields et Kuwadzana. Se déplaçant en groupes de 4 à 10 personnes, les soldats auraient battu des civils dans des bars et des restaurants, les accusant d’avoir déçu Mnangagwa. Harare est un foyer de l’opposition, et le candidat à la présidence de l’Alliance MDC, Nelson Chamisa, a remporté la majorité des voix dans la ville.
Les observateurs des droits humains ont également recueilli des témoignages de résidents qui disent avoir vu des groupes de jeunes de la ZANU‑PF au pouvoir mener des perquisitions de domicile à domicile munis de listes de membres et de partisans connus de l’Alliance MDC. Ces partisans de la ZANU-PF ont ete entendus chantant des chansons de guerre, menacant des représailles et attaquantdes habitants. Parmi les maisons perquisitionnees, celles de Miriam Mushayi, parlementaire de l’Alliance MDC, et de Happymore Chidziva, président de la jeunesse du parti, les ont poussés à entrer dans la clandestinité.
Quelques jours plus tôt, la police avait pris d’assaut les bureaux de l’Alliance MDC et arrêté 16 personnes pour incitation aux manifestations à Harare. Tendai Biti, un chef de file de l’opposition et ancien ministre des Finances très respecté, s’est enfui en Zambie pour demander l’asile. Sa demande rejetée, il a été remis aux services de sécurité du Zimbabwe et libéré par la suite sur caution de 5 000 $.
Cette élection devait servir de test décisif pour Mnangagwa, un ancien protégé de Mugabe. Afin de réduire l’isolement diplomatique et économique du Zimbabwe, le gouvernement a cherché à signaler un changement vers une plus grande inclusion. Cependant, l’Union européenne, le Canada, la Suisse et les États‑Unis ont rapidement condamné les violences et les violations des droits de l’homme qui ont suivi le jour du scrutin, mettant en doute les efforts du Zimbabwe pour réhabiliter son image dans la communauté internationale.
L’armée, qui domine actuellement les fonctions du parti et du gouvernement, a joué un rôle de premier plan dans la répression des membres de l’opposition et de ses partisans. Étant donné que son implication dans la politique a été au centre de la plupart des crises postindépendance du Zimbabwe, y compris l’éviction de Mugabe, son enchevêtrement dans le scrutin souligne que des questions fondamentales concernant les normes de gouvernance au Zimbabwe demeurent non résolues.
Un terrain de jeu inégal
Jusqu’à la répression violente des candidats et des partisans de l’opposition, le processus électoral avait été largement exempt de l’intimidation et des violences généralisées observées sous le règne de Mugabe. Cependant, les règles du jeu restent inégales et des irrégularités importantes ont été constatées dans la préparation et la tenue des élections.
Bien que la Zimbabwe Broadcasting Corporation, une société d’État, ait édulcoré sa propagande, elle a accordé une couverture beaucoup plus importante à la ZANU‑PF et a continué de dépeindre les autres partis sous une lumiere négative. En outre, alors que les listes électorales avaient été ouvertes à l’inspection publique à la mi‑mai, le MDC n’y avait pas obtenu pleinement accès. Par ailleurs, le ZANU‑PF les aurait utilisés pour aider à cibler sa campagne. Il y avait aussi jusqu’à 250 000 électeurs fantômes sur les listes, ce qui pourrait expliquer la réticence de la commission à fournir un accès complet. Ceci et le fait que les données biométriques n’ont pas été utilisées le jour du scrutin offrent un espace considérable pour les malversations. L’absence de la publication des résultats à la présidentielle par bureau de vote et la marge minuscule de 0,8% par laquelle Mnangagwa aurait évité un second tour ont suscité d’autant plus scepticisme quant aux résultats.
L’opposition a également accusé la commission électorale d’avoir ouvert des bureaux de vote non prévus au bulletin officiel et a noté que les anciens soldats représentaient 15% de son personnel. La commission électorale, quant à elle, a confirmé des nouvelles règles controversées qui positionnaient les urnes à la vue des fonctionnaires électoraux et des agents des partis. Selon certaines informations, des agents du parti au pouvoir auraient demandé à voir les numéros de série des bulletins d’inscription des électeurs, une pratique utilisée pour intimider les électeurs lors des élections précédentes.
L’indépendance des tribunaux pour statuer sur les irrégularités électorales est une question ouverte.
Les tribunaux étaient déjà perçus comme manquant d’indépendance. En mai, la Cour constitutionnelle a bloqué un appel sur le vote de la diaspora et a rejeté une demande visant à préserver l’indépendance de la commission électorale. La décision de la Cour constitutionnelle validant les résultats ne sera sans doute pas perçue comme crédible et pourrait à nouveau donner lieu à de la contestation.
Au‑delà des élections
Bien que beaucoup reste incertain quant à la voie à suivre pour le Zimbabwe dans l’attente de la conclusion des procédures judiciaires des élections, plusieurs scénarios méritent une attention particulière.
Premièrement : La rivalité entre factions au sein de la ZANU‑PF qui a émergé après que les alliés de Mugabe aient été expulsés de ses rangs. L’une des factions est composée d’officiers militaires qui ont soutenu l’opération qui l’a renversé et qui est dirigée par l’ancien chef de la défense et actuel vice‑président, Constantino Chiwenga. L’autre est dominée par des civils fidèles à Mnangagwa mais méfiants à l’égard des militaires. Les vétérans de la guerre d’indépendance, qui ont aidé à orchestrer l’éviction de Mugabe, ont été de plus en plus marginalisés à mesure que le parti se reconfigurait.
Dans les primaires chaotiques de la ZANU‑PF, des dizaines de cadres civils fidèles à Mnangagwa ont perdu des bastions essentiels aux candidats qui avaient le soutien ouvert de l’armée ou avaient récemment pris leur retraite. Alors que la ZANU‑PF se rendait aux urnes, ses principaux organes, dont le Commissariat et le Politburo, étaient contrôlés par des généraux qui avaient servi avec Chiwenga au sein de l’Etat‑major interarmées.
Le Commissariat est le centre névralgique de la bureaucratie du parti et il contrôle son mécanisme électoral, ainsi que son vaste système de mécénat et ses armes disciplinaires et répressives. Il était auparavant dirigé par Victor Matemadanda, le secrétaire général de l’Association des anciens combattants de la guerre de libération nationale du Zimbabwe (ZNLWA), qui a été remplacé par l’ancien chef d’état‑major de l’armée Engelbert Rugeje. Aux côtés de Chiwenga au sein du comité politique du Politburo‑ZANU‑PF, se trouvent d’anciens officiers supérieurs, dont le maréchal de l’air, Perrance Shiri, aujourd’hui ministre des terres, et l’actuel ministre des Affaires étrangères, le général Sibusiso Moyo.
La défaite du dirigeant de ZNLWA et de l’assistant de Mnangagwa, Chris Mutsvangwa, a été l’une des plus grandes perturbations des primaires de la ZANU‑PF. Autrefois fidèle allié de Chiwenga, il a demandé au Politburo un recomptage, accusant les loyalistes de Chiwenga d’utiliser la police et les agents du renseignement en tant que fonctionnaires électoraux et intimidant les candidats. Le Politburo a ordonné un nouveau scrutin dans 10 localités et lancé des pourparlers de réconciliation interne présidés par Mnangagwa pour désamorcer les tensions. Cependant, ceux‑ci n’ont pas été pas concluants et il est probable que ces conflits internes se poursuivent.
Deuxièmement : La solidarité de l’opposition politique. Alors que de nombreux partis d’opposition se sont réunis pour soutenir l’Alliance MDC, ces groupes sont fragmentés et ne disposent pas de structure dirigeante, idéologique ou organisationnelle claire. Alors que certains dirigeants se cachent aujourd’hui, que d’autres sont menacés d’intimidation, et que d’autres encore risquent d’être menacés par la ZANU‑PF, le degré auquel ils peuvent maintenir un front cohérent déterminera dans quelle mesure ils peuvent efficacement faire valoir leurs revendications, quelle que soit la décision judiciaire sur les accusations de fraude électorale.
Troisièmement : La capacité de la société civile zimbabwéenne à maintenir un élan populaire en faveur de réformes. En janvier 2018, le projet de loi sur la Commission nationale pour la paix et la réconciliation a été adopté à la suite des pressions exercées par les membres de la Plateforme pour les citoyens concernés et les survivants des massacres de 1980–1985 surnommés Gukurahundi (« la pluie qui lessive les graines »). Cependant, outre l’établissement de la commission, la nouvelle loi a également conféré au ministre de la Sécurité des pouvoirs discrétionnaires étendus, y compris le pouvoir de bloquer les enquêtes pour des raisons de sécurité.
Les organisations de la société civile ont également été affaiblies au fil des ans par une série de textes et de lois draconiens. Les dirigeants de la société civile ont demandé l’abrogation de deux lois en particulier : la loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée et la loi sur l’ordre public et la sécurité. Cependant, le ministère des Affaires intérieures insiste sur le fait qu’elles sont nécessaires à la stabilité.
Quatrièmement : La mesure dans laquelle les partenaires extérieurs du Zimbabwe insisteront sur de véritables réformes. Les partenaires extérieurs constitueront un facteur décisif pour fixer la barre minimale des droits politiques et des libertés civiles avant de renouveler leur engagement économique et diplomatique. Cependant, les divisions au sein de la communauté internationale assombrissent quels critères seront adoptés. Le Royaume‑Uni et la Chine sont désireux d’accueillir le Zimbabwe dans la communauté internationale et sont perçus comme étant prêts à rapidement accepter la crédibilité d’un gouvernement Mnangagwa. De même, avant les violences postélectorales, l’Union africaine et la Communauté de développement de l’Afrique australe semblaient soutenir le processus électoral. L’Union européenne, le Canada et les États‑Unis se sont montrés plus sceptiques quant aux résultats des élections et ont critiqué la violence des forces de sécurité contre les manifestants.
Le recours à la police et aux services de renseignement pour réprimer la dissidence est un avertissement que l’engagement en faveur d’une véritable réforme est superficiel
Les violences postélectorales soulignent que l’armée continue de peser lourd dans la politique au Zimbabwe. De même, le recours à la police et aux services de renseignement pour réprimer la dissidence est un avertissement que l’engagement en faveur d’une véritable réforme est superficiel. Cependant, un engagement international est nécessaire si le Zimbabwe veut surmonter ses difficultés économiques. L’allégement des sanctions et la réorganisation de l’économie constituent de puissantes incitations à la réforme et au réengagement de la communauté internationale, alors que la ZANU‑PF lutte pour trouver de nouvelles sources de légitimité.
La résolution de ces tensions contradictoires déterminera si les forces armées pourront consolider leur emprise sur les leviers politiques du pouvoir qui perpétuent les politiques d’exclusion qui définissent le Zimbabwe. Si tel est le cas, malgré le départ de Robert Mugabe après 38 ans au pouvoir, le même système persistera avec des visages différents au sommet.
Les experts du Centre
- Shannon Smith, Professeur de pratique et directrice de l’engagement
- Daniel Hampton, Chef d’état-major, Professeur de pratique, études de sécurité
- Joseph Siegle, Directeur de la recherche
Ressources complémentaires
- Africa Confidential, « The Great Observer Gamble », Vol. 59, N° 16, 9 août 2018.
- Centre d'études stratégiques de l'Afrique, « Réforme et renouveau ou toujours la même rengaine au Zimbabwe », Éclairage, 28 juillet 2018.
- International Crisis Group, « Zimbabwe’s Military-Assisted Transition and Prospects for Recovery », Briefing N° 134, 20 décembre 2017.
- Paul Nantulya, « Les transitions démocratiques tourmentées des mouvements de libération africains », Centre d'études stratégiques de l'Afrique, Éclairage, 14 décembre 2017.
- Émile Ouédraogo, « Pour la professionnalisation des forces armées en Afrique », Centre d'études stratégiques de l'Afrique, Papier de recherche N° 6, 31 juillet 2014.
- Mathurin C. Houngnikpo, « Armées africaines : Chaînon manquant des transitions démocratiques », Centre d'études stratégiques de l'Afrique, Bulletin de la sécurité africaine N° 17, 31 janvier 2012.
- Joseph Siegle, « Overcoming Dilemmas of Democratization: Protecting Civil Liberties and the Right to Democracy », Nordic Journal of International Law, 2012.
En plus: Zimbabwe