Print Friendly, PDF & Email

La menace croissante de l’extrémisme violent en Afrique occidentale côtière

Les groupes islamistes militants du Sahel menacent les zones frontalières des États côtiers où les injustices vécues par communautés d’éleveurs peuvent constituer un point d’entrée pour les intérêts extrémistes.


Cattle in Arli National Park, Burkina Faso near Benin.

Bétail dans le parc national d’Arli, à la frontière entre le Burkina Faso et le Bénin (Photo: Baliola)

La violence des groupes islamistes militants au Burkina Faso, au Mali et dans l’ouest du Niger a augmenté de 70 % en 2021. Cela poursuit une escalade et une propagation ininterrompues d’événements violents dans la région depuis 2015. Initialement centrée au Mali, l’activité des groupes islamistes militants s’est progressivement déplacée vers le Burkina Faso, où se produisent désormais 58 % de tous les événements violents au Sahel.

À partir du Burkina Faso, les groupes islamistes militants ont de plus en plus ciblé les pays du littoral sud, notamment la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Togo. Le Bénin a connu neuf attaques attribuées à des groupes islamistes militants dans ses zones frontalières depuis décembre 2021. Deux d’entre elles étaient des opérations sophistiquées impliquant des engins explosifs improvisés du côté béninois du complexe du parc W-Arly-Pendjari (Parc W). En l’espace de deux jours, es attaques ont tué huit personnes, dont des gardes forestiers et des membres des forces de sécurité.

Les événements violents survenus au Bénin ont fait écho à la première attaque islamiste militante jamais perpétrée au Togo voisin et à au moins 14 incidents connexes en Côte d’Ivoire. Ces attaques sont probablement liées au Front de libération du Macina (FLM), l’élément le plus actif d’un consortium de groupes militants connu sous le nom de Jama’at Nusrat al Islam wal Muslimin (JNIM), qui a plus que doublé son activité au Sahel entre 2020 et 2021. Les ambitions expansionnistes du FLM ont amené le groupe dans des zones plus densément peuplées, ce qui pourrait causer des perturbations encore plus importantes et lui permettre d’exploiter un plus grand bassin de recrutement et de génération de revenus.

Dans le cadre de leur escalade au Sahel, ces groupes militants ont été particulièrement efficaces pour recruter de jeunes éleveurs musulmans (souvent Fulani) en jouant sur leurs griefs. Il s’agit notamment d’amplifier les tensions intercommunautaires (en particulier les préoccupations foncières des agriculteurs et des éleveurs ) et la méfiance à l’égard du gouvernement. Étant donné la présence importante de communautés d’éleveurs ayant des liens socio-ethniques avec le Sahel dans les provinces septentrionales des pays riverains de l’Afrique de l’Ouest, on craint que ces griefs ne se transforment en sympathies pour les récits extrémistes violents.

Alors que la réponse sécuritaire à cette menace s’intensifie, la capacité des gouvernements des pays riverains à éviter les erreurs de leurs homologues au Mali et au Burkina Faso sera cruciale. Les tactiques brutales des forces de sécurité ont semé la méfiance entre et au sein des communautés et ont rendu les habitants des zones rurales plus vulnérables à l’exploitation et au recrutement par les groupes extrémistes opérant dans ces pays.

Les voies potentielles de l’extrémisme violent dans le nord du Bénin

Les enquêtes et les groupes de discussion que mes partenaires béninois et moi-même avons menés auprès de plus de 300 personnes depuis 2020 révèlent que les éleveurs du Bénin sont effectivement confrontés à des injustices que les groupes islamistes militants pourraient exploiter pour faire des incursions dans les pays côtiers.

Plus précisément, les communautés pastorales s’accrochent à des droits fonciers précaires dans des endroits où elles vivent depuis des décennies et luttent pour maintenir leurs animaux en vie pendant la longue saison sèche de la région. L’étendue de savane subhumide qui servait historiquement de zone de pâturage en saison sèche dans le nord du Bénin est de plus en plus occupée par l’agriculture et n’est plus viable pour un nombre important de bétail. Cette situation pousse les éleveurs à chercher des arrangements illicites pour faire paître leur bétail dans les zones protégées ou à rechercher des paysages moins encombrés. Avec l’augmentation de la population et du développement, on peut s’attendre à ce que la pression foncière augmente encore.

« 95 % des personnes interrogées ont exprimé l’opinion que les extrémistes violents pourraient gagner en influence en intervenant dans les conflits fonciers »

Dans une enquête menée en 2021 auprès de 37 éleveurs de bétail dans les villages voisins du Parc W, dans le département d’Alibori au Bénin, 95 % des personnes interrogées ont exprimé l’opinion que les extrémistes violents pourraient gagner en influence en intervenant dans les conflits fonciers. Cela pourrait se produire par des interventions directes pendant ou après des altercations qui deviennent violentes ou en se rangeant du côté des communautés pastorales qui cherchent à défendre ou à récupérer leurs terres.

Les groupes militants auraient déjà établi des contacts dans le nord du Bénin et commencent à être vus régulièrement dans les villages où ils circulent et achètent des provisions. Il semble notamment que ces militants ne soient pas originaires de la région, mais qu’ils viennent de l’autre côté de la frontière du Burkina Faso. Une famille locale a raconté qu’un militant s’était récemment arrêté dans leur ferme à l’extérieur de la ville de Guene et avait demandé son chemin.

Deux initiatives politiques du gouvernement béninois qui limitent considérablement les moyens de subsistance traditionnels des éleveurs risquent d’ouvrir involontairement la porte aux groupes islamistes militants qui cherchent à obtenir un soutien local. En 2019, le gouvernement du Bénin a adopté une interdiction d’entrée du bétail étranger engagé dans une migration longue distance, la transhumance. L’interdiction a été décidée en réponse à une flambée de violence entre agriculteurs et éleveurs qui a eu raison des mécanismes traditionnels de résolution des conflits et qui, dans certains cas, a impliqué des éleveurs étrangers. La violence est en grande partie attribuée à l’expansion des agriculteurs dans les zones que les éleveurs utilisaient historiquement pour le fourrage. Bien que le Bénin interdise la culture dans les couloirs à bétail, ces lois sont fréquemment ignorées lorsque les agriculteurs affirment que les couloirs traversent leurs terres coutumières.

Cette interdiction du mouvement du bétail à travers les frontières (qui a été reproduite ailleurs dans la région) limite encore plus les zones dont disposent les éleveurs pour faire paître leurs animaux. Plutôt que de s’attaquer aux pressions foncières et à l’accès des éleveurs à la terre, l’interdiction de transhumance peut accidentellement saper les institutions sociales fragiles qui régissent les ressources entre agriculteurs et éleveurs, qu’ils soient étrangers ou locaux.

A street in Natitingou, northern Benin, leading toward the Burkina Faso border

Une rue de Natitingou, au nord du Bénin, menant à la frontière du Burkina Faso. (Photo: Baliola)

L’interdiction des mouvements de bétail étranger peut également renforcer la méfiance à l’égard des étrangers qui peuvent être considérés comme des extrémistes potentiels. Ironiquement, de nombreux éleveurs étrangers viennent au Bénin en partie pour échapper aux menaces des groupes islamistes militants du Burkina Faso et du Niger. L’interdiction de la transhumance peut donc accroître la vulnérabilité des éleveurs face aux groupes islamistes militants.

Une deuxième initiative politique lancée par le gouvernement béninois dans le cadre de ses efforts pour réduire les conflits fonciers et les litiges relatifs aux droits de propriété est un plan ambitieux visant à sédentariser les éleveurs locaux grâce à des sites dédiés à l’élevage intensif. Les éleveurs béninois font preuve d’un optimisme prudent en pensant que le plan garantira leurs droits fonciers et améliorera leurs moyens de subsistance grâce à un soutien accru au secteur de l’élevage. Toutefois, le plan de sédentarisation du Bénin comporte des risques importants à court terme.

Premièrement, il faudra réformer, ou du moins clarifier, les systèmes fonciers délicats qui sont au cœur de la plupart des conflits entre agriculteurs et éleveurs. Cela nécessitera un travail politique minutieux pour garantir l’équité. Cependant, l’urgence du risque d’extrémisme violent pourrait conduire à des mesures rapides et descendantes qui, par inadvertance, alimentent les perceptions d’injustice. Deuxièmement, l’accent mis par le programme sur la production moderne de bétail pourrait déloger certains éleveurs de leurs terres en favorisant les intérêts commerciaux et ceux de groupes plus liés politiquement. Cela pourrait créer des griefs chez les jeunes éleveurs dépossédés de leurs moyens de subsistance traditionnels et accroître leur réceptivité aux messages extrémistes.

Vulnérabilité des jeunes et concours de terres

Les jeunes hommes peuls sont depuis longtemps des recrues pour les groupes criminels, connus dans la région sous le nom de « coupeurs de route », qui tendent des embuscades aux véhicules et dérobent les passagers dans les zones rurales non sécurisées. Cette pratique s’est avérée séduisante pour les jeunes marginalisés qui ne peuvent pas gagner leur vie par d’autres moyens. Le fait de s’engager avec des groupes criminels suscite la méfiance de la communauté des Peuls au sens large au sein de la police, des forestiers et des communautés agricoles. Les forces de sécurité ont parfois recours à des tactiques brutales pour décourager la criminalité, mais ces tactiques aggravent cette dynamique en propulsant d’autres jeunes Peuls vers des activités criminelles ou insurrectionnelles et en accentuant la méfiance.

« L’incapacité des autorités à résoudre ces conflits de manière transparente a laissé la porte ouverte aux groupes islamistes militants »

Cet état de méfiance a permis un comportement prédateur de la part d’autorités peu scrupuleuses qui ciblent les jeunes éleveurs parce qu’ils sont généralement moins éduqués et n’ont pas de statut social, mais sont souvent en possession de biens de valeur comme des motos et du bétail. Les vols à l’arraché sont fréquents, et les vols purs et simples sont fréquents. Ces confrontations peuvent parfois devenir violentes.

Les gouvernements locaux chargés de régler ces litiges, et plus généralement les questions de droits fonciers, n’ont pas la capacité de le faire de manière équitable. Par conséquent, ils sont enclins à l’inaction et, dans certains cas, à des jugements teintés de partialité ou de corruption. Dans le centre du Mali, l’incapacité des autorités à résoudre ces différends de manière transparente a laissé la porte ouverte aux groupes islamistes militants qui, venant aux côtés des éleveurs, ont intimidé les communautés agricoles pour qu’elles acceptent des droits fonciers pastoraux étendus – avec une escalade de la violence.

Sécuriser les zones de nature sauvage et les frontières

Les groupes islamistes militants qui menacent de déborder sur le Bénin profitent de la couverture de grandes zones sauvages. Le Parc W chevauche les frontières du Burkina Faso, du Bénin et du Niger, et jouxte la frontière togolaise. Le côté burkinabè du parc a été utilisé par des groupes islamistes militants ces dernières années, et les quelque 17 150 kilomètres carrés de nature sauvage protégés par le patrimoine mondial de l’UNESCO pourraient facilement servir de point de départ à des attaques déstabilisatrices au Bénin et au Togo.

La gestion de vastes zones protégées comme le Parc W, dont les frontières sont poreuses et chevauchent des frontières internationales, soulève des questions importantes concernant la sécurité et l’utilisation de ces zones par les éleveurs. Le complexe de parcs W-Arly-Pendjari est récemment passé sous la gestion de l’organisation sud-africaine de conservation à but non lucratif African Parks, qui a la réputation de protéger judicieusement les parcs nationaux africains contre les braconniers et d’assurer le développement en étroite collaboration avec les communautés locales.

A shepherd and his herd in northern Benin (Photo: Leif Brottem)

Un berger et son troupeau dans le nord du Bénin (Photo : Leif Brottem)

Au Bénin, African Parks a renforcé la bonne volonté des communautés en soutenant des campagnes de vaccination et en adoptant une approche plus conciliante à l’égard du bétail qui paît illicitement dans les parcs. La protection de l’intégrité des parcs nécessite toutefois d’exclure certains utilisateurs des ressources, notamment les chasseurs et les éleveurs, ce qui peut créer des animosités locales si l’on n’y prend garde. Les gardes forestiers d’African Parks ont également été en première ligne dans les efforts visant à empêcher les islamistes militants de s’établir dans les parcs nationaux du Bénin.

De manière surprenante, de nombreux éleveurs expriment librement leur soutien à une réglementation plus stricte des zones sauvages protégées, même si cela signifie que leurs animaux ne peuvent plus y paître. Ils reconnaissent que sans cette protection stricte, les agriculteurs pourraient rapidement occuper les parcs et commencer à les cultiver. Les communautés de bergers qui vivent depuis des années dans les zones adjacentes espèrent que les autorités du parc respecteront leurs promesses de protéger les droits des bergers dans les zones à usage spécial qui leur ont été réservées.

Il s’agit d’un processus délicat qui dépasse la capacité d’une organisation de conservation comme African Parks à le mettre en œuvre seule. Malgré le soutien local à l’identification des zones pastorales, la mise en œuvre de ce programme par African Parks a déclenché par inadvertance un conflit foncier intercommunal meurtrier entre agriculteurs et éleveurs à Guene en 2021. Néanmoins, les gouvernements locaux n’ont pas pu ou voulu intervenir et faire leur part pour résoudre les litiges fonciers avant qu’ils ne dégénèrent en conflit violent.

Se protéger contre les extrémistes violents en impliquant les éleveurs

L’expansion des groupes islamistes militants du Sahel vers les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest est loin d’être une certitude. Cependant, la menace est croissante. Les éleveurs locaux subissent des pressions tant de la part des communautés locales que des groupes islamistes militants. Pour éviter d’attiser les griefs que les groupes islamistes militants pourraient exploiter, les gouvernements des pays riverains devront adopter des politiques claires pour protéger les moyens de subsistance et les modes de vie des éleveurs.

La mobilité géographique restera essentielle à un secteur de l’élevage productif à court terme. Alors même que les gouvernements nationaux poursuivent une stratégie modernisatrice de sédentarisation, les autorités locales doivent redoubler d’efforts pour protéger les corridors de bétail et préserver les droits légaux des éleveurs sur les ressources. Ces politiques réduisent l’insécurité et les vulnérabilités pastorales qui, autrement, donnent aux groupes islamistes militants la possibilité de les exploiter.

« Les éleveurs locaux ressentent des pressions tant de la part des communautés locales que des groupes islamistes militants »

Les autorités coutumières au niveau du village peuvent jour un rôle déterminant dans l’atténuation des conflits fonciers. Les efforts de médiation des conflits doivent impliquer les chefs de village et les anciens des clans par le biais de systèmes qui les relient aux autorités de niveau supérieur et comprennent un volet de renforcement des capacités. La résolution des litiges fonciers et autres entre agriculteurs et éleveurs avant qu’ils ne dégénèrent en conflit réduit la capacité des groupes islamistes militants à monter les communautés les unes contre les autres. Les tactiques brutales sapent la capacité des forces de sécurité à établir la confiance avec les communautés locales, faisant le jeu des groupes islamistes militants.

Le renforcement des mesures de sécurité dans le Parc W et dans d’autres zones sauvages utilisées par des groupes islamistes militants ne doit pas compromettre la sécurité humaine dans les communautés voisines. Le gouvernement béninois, le Réseau des parcs africains et d’autres partenaires doivent trouver des moyens novateurs pour établir un nouveau contrat social autour de la conservation de la faune et de la flore qui réponde aux préoccupations des communautés locales.

Les initiatives conjointes de sécurité et de développement doivent inclure une composante de sensibilisation sociale afin d’éviter une augmentation des attitudes et de la rhétorique anti-pastorales. La réduction de la marginalisation sociale et de la stigmatisation est essentielle pour limiter le ciblage ethnique. Les Béninois ordinaires sont, à juste titre, alarmés par les dangers posés par les attaques extrémistes dans le nord et pourraient devenir sensibles aux tropes anti-pastorales. Les récits simplistes imputant à un groupe social entier la responsabilité de processus sociaux, culturels et économiques complexes sont contre-productifs et susceptibles d’engendrer une plus grande insécurité, faisant  ainsi avancer les objectifs des groupes islamistes militants, à savoir semer le conflit et gagner en influence sur les communautés.

Leif Brottem est professeur associé d’études sur le développement mondial au Grinnell College. Il effectue des recherches sur le pastoralisme et les moyens de subsistance ruraux en Afrique occidentale et centrale.


Ressources complémentaires