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Sauvegarder la démocratie en Afrique de l’Ouest

Si la région veut éviter un retour aux conflits dévastateurs dont elle a mis tant de temps et d’effort à se remettre, l’Afrique de l'Ouest doit endiguer l’érosion de la démocratie.


L’Afrique de l’Ouest a été, au cours des deux dernières décennies, le fer de lance de la transition de l’Afrique vers la démocratie. Mais la rébellion militaire récente au Mali est une sonnette d’alarme. Les coups d’État peuvent en effet être contagieux et les gains démocratiques reculer.

Les dirigeants d’Afrique de l’Ouest et ses citoyens doivent tirer les leçons des récents conflits qui ont sévi dans la région. Afin d’aider à achever des conflits résultants en grande partie d’une gouvernance répressive et exclusive, j’ai servi dans les missions de maintien de la paix des Nations Unies en Côte d’Ivoire, en République démocratique du Congo, au Liberia et en Sierra Leone. Les élections sont à la fois un pilier important et une étape décisive de nos efforts pour construire la paix.

Mais les élections ne sont évidemment que le début d’un processus démocratique. Ce qui se produit après leur tenue est la partie la plus difficile. L’espace politique doit être protégé afin que les opinions différentes puissent être entendues au sein d’un discours pluraliste. La démocratie doit aussi délivrer une gouvernance redevable et inclusive qui améliore la vie de ses citoyens.

« Mais les élections ne sont évidemment que le début d’un processus démocratique. Ce qui se produit après leur tenue est la partie la plus difficile. »

Malheureusement, la déception survient trop souvent après les élections en Afrique de l’Ouest. Les dirigeants démocratiquement élus (et les parlements) ne se sont pas toujours avérés à la hauteur des demandes de la démocratie. Ils n’en respectent pas toujours non plus les normes acceptées. La corruption s’est répandue et les élus ont par conséquent failli à construire la confiance sociale qui est une partie intégrante d’une démocratie fonctionnelle.

Ceci ne justifie pas le coup d’État au Mali. Mais cela souligne néanmoins que les autres pays d’Afrique de l’Ouest sont tout aussi vulnérables au désenchantement avec la démocratie. Les présidents de la Côte d’Ivoire et de la Guinée, voisins du Mali, sont revenus sur leurs engagements sur les limites de mandats, élevant le risque de conflits à l’approche d’élections présidentielles. Le Burkina Faso lui aussi a des difficultés dans sa transition démocratique. Et le Benin, qui a connu plusieurs passations de pouvoir pacifiques, a aussi fait marche arrière lors son dernier scrutin très critiqué. Les démocraties du Liberia et de la Sierra Leone, toutes deux n’ayant émergé que ces dernières années de violents conflits, demeurent fragiles.

La démocratie pourrait succomber à de telles désillusions. Il existe en effet un sentiment grandissant en Afrique de l’Ouest que la démocratie—et surtout ses dirigeants—ne sont pas en mesure des délivrer les espérances populaires pour un futur meilleur. L’impact économique de la crise due à la COVID-19 a amplifié ce mécontentement. Il y a donc un risque que les gens se tournent vers des alternatives plus radicales ou autoritaires.

Les leaders du coup au Mali rencontrent des représentants de la CEDEAO.

Les leaders du coup au Mali rencontrent des représentants de la CEDEAO. (Photo: VOA)

Qu’est ce qui pourrait donc être fait pour renforcer les démocraties de l’Afrique de l’Ouest ?

Les mandats de l’Union africaine et de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest appellent ces institutions à promouvoir « les principes et les institutions démocratiques, la participation des citoyens et la bonne gouvernance ». Si le mot « démocratie » n’apparait pas dans les objectifs de développement durable de l’ONU, ils appellent cependant à des « institutions efficaces, redevables et inclusives ».

Les mandats sont une chose et l’action en est une autre. Si les coups d’États sont normalement condamnés par les institutions africaines et l’ONU, l’appétit est moindre pour intervenir de manière préventive quand les régimes entravent ou affaiblissent les libertés démocratiques. Cette antipathie ne devrait cependant pas les empêcher de s’engager de manière active auprès des dirigeants nationaux pour défendre les normes démocratiques, même lorsque ces derniers se cachent derrière la souveraineté nationale pour parer à de telles interventions.

Les États démocratiques ne devraient pas non plus hésiter à s’engager même si dans un souci de stabilité ils hésitent parfois à le faire. Cela démontrerait une vision à court terme puisque la stabilité est éphémère quand elle ne sert qu’à protéger ceux qui sont au pouvoir.

Les dirigeants africains qui ont quitté le pouvoir par respect aux limites de mandats ou suite à une défaite électorale présentent une autre opportunité pour s’engager auprès de dirigeants qui s’y refusent. Ils peuvent témoigner de leur propre expérience et la montrer en exemple.

La communauté internationale doit travailler avec les dirigeants et les citoyens d’Afrique de l’Ouest afin de soutenir les processus démocratiques. Mais l’engagement extérieur a ses limites. Au bout du compte, la démocratie ne peut pas être exportée, elle ne peut être qu’importée. En d’autres termes, seules des parties prenantes locales, crédibles et authentiques peuvent lutter pour la démocratie. Elles sont la fondation d’une démocratie durable. Les acteurs régionaux et internationaux doivent user de diplomatie et de soutien matériel pour les aider.

Des Guinéens manifestent contre la possibilité d’un troisième mandat pour Alpha Condé.

Des Guinéens manifestent contre la possibilité d’un troisième mandat pour Alpha Condé. (Photo: FNDC/Labé)

Deux groupes devraient être à l’avant car ils ont le plus à perdre si la démocratie échoue : les jeunes et les femmes. Les associations formées par de jeunes africains, telles que Y’en a Marre au Sénégal, peuvent être une voix et une force puissantes pour le changement démocratique. L’internet a donné aux jeunes l’accès à un monde plus grand ainsi que les moyens de se mobiliser, même dans les pays les plus pauvres. Les organisations de femmes, comme Le Réseau des Femmes du Fleuve Mano pour la Paix (REFMAP), ont travaillé à achever les conflits violents et sont un partenaire naturel dans la lutte pour la démocratie et le droit des femmes dans une démocratie.

D’autres parties de la société ont également un rôle à jouer. Les communautés religieuses peuvent être un allié important pour le changement démocratique. En République démocratique du Congo par exemple, les communautés religieuses ont usé de leur puissante influence quand les pouvoirs séculaires ont refusé d’accéder aux demandes des citoyens. De même, le milieu des affaires a aussi un rôle, en particulier car il est si fréquemment à la merci d’une corruption prédatrice. Il a donc un intérêt évident à une gouvernance redevable et à l’État de droit.

La crise que traverse aujourd’hui le Mali est inquiétante mais elle ne prédit pas obligatoirement le futur. Des pays d’Afrique de l’Ouest comme le Ghana, le Sénégal et plus récemment le Nigeria ont su obtenir le changement politique dans un cadre pacifique et constitutionnel. Ces exemples méritent de faire des émules. Cela implique que les dirigeants élus doivent renforcer et non éroder les fondations de l’ordre démocratique. Et la communauté internationale doit se souvenir que la démocratie requiert bien plus qu’une élection, aussi réussie soit elle.

Alan Doss est l’ancien président de la Fondation Kofi Annan et l’auteur de A Peacekeeper in Africa: Learning from UN Interventions in Other People’s Wars (2020). Il a été le Représentant spécial du secrétaire général (RSSG) des Nations unies en République démocratique du Congo (2007-2010), le RSSG au Liberia (2005-2007), et le RSSG en Côte d’Ivoire (2004-2005) et en Sierra Leone (2001-2004).


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