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Explication : Le Togo modifie sa constitution pour éliminer les limites de mandats

Le parti au pouvoir, en modifiant la constitution, élimine le suffrage universel pour élire le président et transforme le pays en un système parlementaire où la limite de mandats présidentiels est supprimée.


Anti-riot policemen warn protesters in Lomé ahead of the opposition-boycotted presidential election in February 2020.

Des policiers anti-émeutes à Lomé avant l’élection présidentielle boycottée par l’opposition en février 2020. (Photo : AFP/Pius Utomi Ekpei)

Que se passe-t-il au Togo ?

  • Le 19 avril, les parlementaires de l’Union pour la République au pouvoir, ont adopté, par 87 voix contre 0 un changement de la constitution qui élimine le suffrage universel direct pour l’élection du président de la République.
  • La constitution avalisée établit un puissant nouveau poste à la tête de l’exécutif, celui du président du conseil des ministres. Élu par l’Assemblée nationale, cet individu sera, comme un premier ministre, chargé de gérer au jour le jour les opérations du gouvernement. Le Président du conseil des ministres sera issu du parti majoritaire à l’Assemblée nationale ou, si aucun parti ne détient de majorité, de la coalition de partis au pouvoir.
  • Le mandat du président du Conseil des ministres sera de six ans. Mais, en tant que régime parlementaire, ce mandat est renouvelable indéfiniment tant que son parti conserve sa majorité. Cela supprime donc la limitation à deux mandats de cinq ans, une provision clé de la constitution de 2019 qui avait été adoptée après d’importantes manifestations citoyennes.
  • La nouvelle constitution retient donc un président purement emblématique sujet à un mandat de quatre ans, renouvelable une fois.

Pourquoi est-ce important ?

Ce changement de constitution crée une voie par laquelle le président Faure Gnassingbé peut prolonger le régime dynastique de sa famille qui dure depuis 57 ans.

  • Ce changement de constitution crée une voie par laquelle le président Faure Gnassingbé peut prolonger non seulement le régime dynastique de sa famille qui dure depuis 57 ans, mais aussi ses propres 19 années de règne.
  • Ce changement fondamental du système de gouvernance du Togo, bien qu’il limite les droits politiques des citoyens, n’a pas été adopte par référendum, mais par le parti au pouvoir depuis longtemps et ce via des procédures législatives opaques.
  • La dominance du parti au pouvoir à l’Assemblée nationale est le résultat du boycott des élections législatives de 2018 par l’opposition, qui alléguait des irrégularités.
  • Le Togo se prépare aux élections législatives du 29 avril, auxquelles l’opposition participera. Le calendrier de cette révision constitutionnelle serait un effort du parti au pouvoir de s’y verrouiller tant qu’il y garde la mainmise.
  • Les élections législatives se tiennent dans un contexte de manque de confiance populaire dans la Commission électorale nationale indépendante, qui est perçue comme favorisant un paysage électoral inégal.
  • Cette dernière étape du parti au pouvoir s’inscrit dans un schéma de manœuvres apparemment antidémocratiques visant à se maintenir aux manettes. Elle pourrait provoquer de nouvelles tensions sociales et politiques dans ce pays de 8,6 millions d’habitants où le revenu annuel par personne est de $900.  Un clivage national pourrait empêcher le Togo de stabiliser ses régions méridionales qui font face à la menace grandissante des groupes islamistes militants dont la violence se propage depuis le Burkina Faso.
  • Cette action parlementaire suit aussi une tendance qui sévit depuis 2015 dans laquelle 15 chefs d’État africains ont contourné les limites de mandats. Elle prend aussi place alors même que la démocratie recule en Afrique de l’Ouest, puisque quatre pays y ont subi un coup d’État militaire depuis 2020.
  • La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a envoyé une délégation au Togo pour discuter avec toutes les parties prenantes sur le sujet des prochaines élections régionales et législatives. Le rapport de cette consultation reste à paraitre.
  • La réticence de la CEDEO à critiquer le changement constitutionnel au Togo pourrait encourager d’autres tours de passe-passe constitutionnels dans la région, ainsi que des prises de pouvoir anticonstitutionnelles. Le Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEO stipule par ailleurs que « aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques ».
Protesters carry a placard reading “dictatorship feeds on silence and inactivity”

À Lomé, des manifestants brandissent une pancarte lors d’une marche contre les autorités pour exiger des réformes.  (Photo : AFP/Émile Kouton)

Quelle a été la réponse du public ?  

  • La décision de l’Assemblée nationale a provoqué la colère de l’opposition qui l’a qualifiée de coup d’État constitutionnel. Nathaniel Olympio, le président du Parti des Togolais a déclaré que « En privant les Togolais de choisir leur président de la République par ce coup d’État constitutionnel, le régime a franchi une ligne rouge ».
  • Un autre parti de l’opposition, la Dynamique pour la majorité du peuple, a estimé que cette révision constitue une « manœuvre politique de Gnassingbé pour se maintenir au pouvoir à vie ».
  • D’autres ont décrié l’opacité de processus en remarquant que le texte de ces changements n’avaient même pas été rendu public.

Une conférence de presse de l’opposition, sous la bannière de “Touche pas à ma constitution” a été dispersée par les forces de l’ordre.

  • Environ 100 groupes de la société civile et d’universitaires togolais ont signé un appel à la mobilisation citoyenne pour rejeter ce qu’ils qualifient d’un abus de pouvoir de la part de Gnassingbé.
  • Un groupe représentant les évêques catholiques du Togo ont dit que les parlementaires n’avaient pas le droit d’adopter une nouvelle constitution car leur mandat s’était achevé en décembre en amont des élections législatives.
  • La coalition de la société civile “Touche pas à ma constitution” a annoncé avoir saisi la Cour de justice de la CEDEAO.
  • Des manifestations organisées par l’opposition se sont déroulées, malgré leur interdiction. Brigitte Kafui Adjamagbo-Johnson, qui dirige le parti de la Convention démocratique des peoples africains a récapitulé la position de défiance de l’opposition en disant « Nous ne l’accepterons pas et nous allons nous battre contre cette constitution ».
  • Mais cela est mitigé par la peur, répandue parmi les Togolais, que les autorités pourraient les cibler pour avoir publiquement exprimé leur opinion. Des représentants de l’opposition ont été arrêtés pour avoir organisé des manifestations.  Une conférence de presse de l’opposition, sous la bannière de “Touche pas à ma constitution” a été dispersée par les forces de l’ordre.  Le procureur de la république, Talaka Mawama, a ouvert une enquête contre des individus pour avoir distribué des tracts et scandé des slogans incitant à la révolte populaire ».

Quel role a joué le secteur de la sécurité?

Sous le régime des Gnassingbé, la police réprime souvent dans la violence les manifestations politiques.

  • La police et l’armée du Togo sont perçues comme étroitement alignées avec le parti au pouvoir, l’UNIR. L’armée a joué un rôle essentiel dans la succession de Faure Gnassignbé à son père, Gnassingbé Eyadéma, lors de la mort de dernier en 2005. La réponse des forces de l’ordre avait causé la mort de centaines de manifestants en 2005.
  • Sous le régime des Gnassingbé, la police réprime souvent dans la violence les manifestations politiques.
  • 70 % de l’armée est issue de l’ethnie Kabye de Gnassingbé, qui ne constitue cependant qu’un quart de la population.

Ressources complémentaires