Print Friendly, PDF & Email

La limitation des mandats présidentiels est la clé du progrès démocratique et de la sécurité en Afrique

Français | English | العربية

Résumé

Le respect de la limitation des mandats a significativement diminué en Afrique depuis 2015, renversant la tendance positive des deux dernières décennies. Ce phénomène a des conséquences importantes puisque les mandats présidentiels les plus longs sont liés à une corruption accrue, à une réduction des droits civiques et à une plus grande fréquence des conflits. Même après avoir levé les restrictions qui limitaient leurs mandats, les élus en place ont tout de même tendance à manipuler les résultats électoraux afin de rester au pouvoir. Cela illustre la baisse de popularité de ces dirigeants et prouve que la motivation qui les pousse à prolonger leurs mandats est d’ordre personnel et non dans l’intérêt du service public au sens large. Cela souligne en outre que ce contournement n’est pas un fait isolé, mais fait partie intégrante d’un schéma plus général visant à saper l’état de droit et à affaiblir les institutions démocratiques. L’Afrique risque de revenir à l’époque des « présidents à vie » et aux états à parti unique si cette tendance à ignorer le respect de la limitation des mandats n’est pas inversée.

Hafsat Abiola à une manifestation pour aider les femmes nigérianes a participer aux élections de 2011. (Photo : Africa Renewal/Projekthope)

Quatre dirigeants africains ont entamé encore un autre mandat au cours des premiers mois de 2021 alors qu’ils étaient déjà au pouvoir depuis en moyenne 31 ans. Denis Sassou Nguesso en République du Congo (7e mandat), Yoweri Museveni en Ouganda (6e mandat), Idriss Déby1 au Tchad (6e mandat) et Ismail Omar Guelleh à Djibouti (5e mandat) ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour échapper aux limitations constitutionnelles relatives aux mandats qui avaient été précédemment établies. Plusieurs d’entre eux l’ont fait plus d’une fois.

Ces cas illustrent une tendance croissante des dirigeants à contourner la limitation des mandats en Afrique.2 Treize dirigeants l’ont fait depuis 2015, inversant une tendance de respect de la limitation des mandats présidentiels qui gagnait du terrain depuis le début des années 2000. Depuis 2019, un tiers de toutes les élections d’Afrique a été entaché par le non-respect de la limitation des mandats, et par la légalité douteuse qui en a résulté pour les candidats sortants.

On peut penser qu’il n’y a rien de mal en soi à ce que des dirigeants restent au pouvoir pendant de longues périodes, dans la mesure où ils gardent leur popularité tout au long de leur mandat et servent l’intérêt public. Et c’est effectivement l’argument avancé par ceux qui insistent pour rester au pouvoir plus longtemps. Malheureusement, aucun de ces deux critères ne s’applique aux cas de ceux qui n’ont pas respecté la limitation des mandats en Afrique. Au contraire, les dirigeants qui ont contourné les règles ont tendance à encadrer des gouvernements qui sont de plus en plus répressifs, corrompus et instables. Les dirigeants qui restent plus longtemps en fonction semblent donc le faire dans leur propre intérêt plutôt que dans celui de leurs compatriotes.

Sans surprise, le non-respect de la limitation des mandats est lié à des périodes de pouvoir plus longues. La durée médiane du mandat d’un dirigeant dans les 20 pays africains où la limitation des mandats est respectée est de quatre ans et demi. Dans les 16 pays où la limitation des mandats a été contournée, cela monte à 12 ans. Si l’on regarde les cas récents où l’armée ou le parti au pouvoir sont intervenus pour prolonger le régime d’un dirigeant de longue date (par exemple, en Algérie, au Burundi, au Soudan et au Zimbabwe), cette moyenne passe à 19 ans. Le moindre respect de la limitation des mandats en Afrique a directement contribué au fait que près du quart des dirigeants africains (12 sur 54) est au pouvoir depuis plus de 20 ans. Si l’Afrique ne peut pas inverser ce mouvement, elle sera confrontée au retour des « présidents à vie » et de facto aux États à parti unique, qui étaient la marque du continent avant la vague de démocratisation qui a balayé la région dans les années 1990.

Le maintien et le rétablissement de la limitation des mandats en Afrique ont des conséquences sur les objectifs plus larges de démocratisation, de développement et de sécurité.

Inversement des tendances 

En avril 2015, le président burundais, Pierre Nkurunziza a déclaré qu’il briguerait un troisième mandat. Cette décision a déclenché des manifestations, une répression brutale, une tentative de coup d’État mal préparée et une purge des chefs militaires considérés comme pas assez fidèles au président (cette purge ayant ciblé l’ethnie tutsie de manière disproportionnée). Des candidats de l’opposition et des dirigeants de la société civile ont été menacés, emprisonnés ou ont fui le pays, laissant le champ libre au troisième mandat de Pierre Nkurunziza.

Ce coup de force était d’une rare insolence, dans la mesure où la constitution burundaise de l’après-guerre civile limitait explicitement les présidents à deux mandats, dans le cadre d’un processus de transition soigneusement élaboré par les accords d’Arusha sous la médiation de Julius Nyerere et Nelson Mandela. À la suite de ces accords, le Burundi a réalisé des progrès tangibles dans l’organisation d’une société multiethnique et la mise en place de la réforme du secteur de la sécurité.

Conformément à sa Charte africaine sur la démocratie, les élections et la gouvernance, le Conseil de paix et sécurité de l’Union africaine (UA) a condamné le mépris de Pierre Nkurunziza envers la limitation des mandats. Les procureurs généraux de la Communauté d’Afrique de l’Est, dont le Burundi fait partie, ont émis un avis juridique stipulant qu’un troisième mandat serait inconstitutionnel, et ont averti que cela aboutirait à des violences et une instabilité régionale. Pierre Nkurunziza a repoussé les efforts de ces deux organismes régionaux visant à négocier un règlement.

En réponse aux massacres de Bujumbura, l’Union africaine a adopté une résolution en décembre 2015, visant à envoyer jusqu’à 5 000 soldats de maintien de la paix pour empêcher de nouvelles violences.3 Mais Pierre Nkurunziza a répondu en menaçant d’ouvrir le feu sur tous les militaires de l’UA qui entreraient au Burundi. L’engagement de l’UA à faire respecter les limitations au mandat de Pierre Nkurunziza et à contrer les violations des droits de l’homme s’est évaporé en quelques jours. Depuis cette date, le Burundi est en proie à des conflits internes et au déplacement forcé de plus de 400 000 de ses 11,8 millions de citoyens.4

Un épilogue révélateur de la saga burundaise s’est produit en 2020. Avec des mandats présidentiels prolongés de cinq à sept ans, et passant sous silence ses propos de 2015 selon lesquels il avait légalement droit à un autre mandat, Pierre Nkurunziza a décrété qu’il était éligible pour encore deux mandats. Mais il a cependant choisi de se retirer en faveur de son successeur désigné, Pascal Nyabena, avec l’objectif de continuer à exercer le pouvoir en coulisses. Le parti au pouvoir a tenu une conférence l’approche des élections, et la direction militaire désormais politisée (38 hauts responsables militaires occupent des postes au sein du parti au pouvoir) a présenté son propre candidat, le général Évariste Ndayishimye, qui a remporté l’investiture du parti et est devenu Président. Pierre Nkurunziza est décédé subitement peu de temps après (apparemment de complications de la COVID-19). Cinq ans après avoir abandonné la limitation des mandats, et avec elle l’occasion d’inaugurer un transfert pacifique du pouvoir, le Burundi est revenu à un gouvernement militaire à parti unique fondé sur l’ethnicité.5

Le contournement de la limitation des mandats de Pierre Nkurunziza en 2015 – sans que cela n’entache trop sa réputation – a fait des émules parmi les autres dirigeants africains approchant de la fin de leur mandat constitutionnel. En 2015 à 2016, d’autres dirigeants d’Afrique centrale tels que Paul Kagame au Rwanda, Denis Sassou-Nguesso en République du Congo et Joseph Kabila en République démocratique du Congo ont, sans perdre de temps, piloté des changements constitutionnels, ou ont simplement ignoré les restrictions, afin de rester au pouvoir au-delà de leurs mandats.

Au total, 13 dirigeants africains ont réussi à outrepasser la limitation des mandats entre 2015 et aujourd’hui. Si les limitations avaient été respectées, les transitions auraient pu insuffler du sang neuf dans un quart des systèmes politiques africains, facilitant ainsi la rectification et l’innovation que les alternances démocratiques sont censées apporter. Au lieu de cela, un durcissement des lignes de gouvernance a pu s’installer.

Il faut reconnaître que les normes de limitation des mandats continuent d’être respectées à d’autres endroits du continent, principalement en Afrique australe et dans certaines parties de l’Afrique de l’Ouest. Hifikepunye Pohamba ne s’est pas représenté en Namibie en 2015, Ellen Johnson Sirleaf a fait de même au Liberia en 2018, tout comme Mahamadou Issoufou après deux mandats au Niger en 2021. Bien qu’ayant commencé sur des bases moins démocratiques, Mohamed Ould Abdel Aziz, en Mauritanie, a également volontairement quitté ses fonctions en 2019. Mais les 13 cas où la limitation des mandats n’a pas été respectée font de l’ombre à ces pays. La justification semble être : « Si les autres dirigeants ne sont pas tenus de respecter la limitation des mandats, alors pourquoi devrais-je le faire ? »

Et donc, 2015 a marqué un tournant dans le respect de la limitation des mandats en Afrique. Il n’y avait pas eu le moindre accroc aux normes de limitation des mandats entre 2010 et 2014. De plus, il n’y en avait eu que huit entre 2000 et 2010. Entre 2000 et 2014, 10 dirigeants africains ont volontairement quitté leurs fonctions après l’accomplissement de leur mandat. Au cours de cette période, les dirigeants de cinq autres pays ont également passé la main, mais seulement après avoir tenté de rester en place malgré une forte opposition de l’opinion publique. En bref, la limitation des mandats avait gagné du terrain.

Aujourd’hui, 20 pays africains font la preuve de leur capacité à respecter la limitation des mandats, contre 16 où la limitation des mandats a été contournée (dont quatre où elle a été purement et simplement éliminée). Dans dix autres pays africains, une limitation des mandats est inscrite dans la constitution – mais ces normes n’ont pas encore été mises en œuvre. Les huit pays restants n’ont pas de limitation des mandats en vigueur.

Bien que le contournement de la limitation des mandats en Afrique existe depuis la fin de la guerre froide et non depuis 2015, il s’est considérablement accéléré depuis cette date.

Pourquoi c’est important

S’il ne s’agissait que de quelques dirigeants isolés restant au pouvoir un peu plus longtemps, ce serait une question intéressante mais d’une pertinence stratégique limitée. Mais en fait, le non-respect de la limitation des mandats est lié à une multitude de défaillances affectant la gouvernance et la sécurité.

Comme indiqué ci-dessus, les dirigeants qui ont échappé à la limitation des mandats sont en poste trois à quatre fois plus longtemps que ceux des pays qui les respectent. Les mandats les plus longs sont, à leur tour, liés à des niveaux plus élevés de corruption. Les 14 pays dans lesquels les dirigeants ont volontairement respecté la limitation des mandats ont un classement mondial médian de 88 sur 180 pays sur l’indice annuel de perception de la corruption de Transparency International, qui évalue la corruption dans le secteur public telle qu’elle est perçue. Ce classement se compare à la position médiane de 134 pour les 16 pays où les dirigeants ont modifié ou supprimé la limitation des mandats. Cela se traduit par un écart de près de 50 places entre les pays où la limitation des mandats est respectée et où elle est contournée. Ces chiffres concordent avec les données factuelles et empiriques qui montrent que les réseaux de favoritisme deviennent de plus en plus coûteux à mesure qu’un dirigeant ou un régime reste au pouvoir.6 Ceux qui ont accès à des flux de revenus en attendent de plus en plus au fil du temps, ce qui détourne de plus en plus de ressources de l’État.

Les pays où les dirigeants ont contourné la limitation des mandats sont également plus sujets aux conflits. Près de 40 % des 16 pays où les dirigeants ont contourné les limitations des mandats sont confrontés à des conflits, le même pourcentage que celui observé dans les huit pays où il n’y a pas de limitation des mandats en vigueur.7 Ce chiffre est à comparer à seulement sept pour cent dans les 14 pays où la limitation des mandats a été volontairement maintenue. En fait, les huit conflits internes ou politiques en cours en Afrique se déroulent dans des pays qui n’ont pas de limitation des mandats ou dans lesquels celle-ci n’a pas été respectée.

Ces relations soulignent que la dégradation de la limitation des mandats n’est pas un phénomène isolé, mais qu’elle fait partie d’un processus plus vaste de démantèlement des contrôles et des équilibres au sein de l’exécutif. Les dirigeants qui échappent à la limitation des mandats contournent également l’État de droit. Fait révélateur, même après avoir surmonté les obstacles constitutionnels pour se présenter pour un troisième mandat, ces dirigeants doivent encore invariablement manipuler le système électoral afin de parvenir à un résultat favorable. En bref, les dirigeants qui restent au-delà de deux mandats ne sont pas portés par une vague de popularité mais par leurs propres ambitions.

La qualité de la gouvernance démocratique qui en résulte est frappante. Les pays où les dirigeants ont contourné la limitation des mandats obtiennent un score médian de seulement 22 (sur 100) sur l’indice annuel de liberté mondiale de Freedom House,8 qui évalue l’engagement dont fait preuve un pays envers les droits politiques et les libertés civiles. Ce score se compare à une médiane de 69 pour les pays qui mettent en œuvre la limitation des mandats.

Lorsque l’on examine les conséquences de ce problème, la conclusion pousse à réfléchir. Puisque de plus en plus de dirigeants africains contournent la limitation des mandats, leur durée moyenne va augmenter. Ce système de gouvernement avec un « homme fort » – et le favoritisme, le sous-développement, l’abus de pouvoir et l’impunité inhérents à ces systèmes – est ce que de nombreux Africains voulaient oublier dans les années 1990. Une grande partie des progrès démocratiques réalisés au cours des décennies qui ont suivi sont désormais menacés.

Les sondages d’Afrobaromètre montrent que de fortes majorités d’Africains aspirent toujours à la démocratie dans leur pays. Les opinions sont similaires en ce qui concerne la limitation des mandats, dont le contournement est perçu par de nombreux citoyens africains comme malsain pour le corps politique.9 Reconstruire des institutions et des normes de limitation des mandats est donc essentiel pour que l’Afrique mette en œuvre ses aspirations démocratiques ainsi que la plus grande transparence, le développement plus large et la stabilité que cela implique.

Le contournement, mode d’emploi

Depuis 2015, 10 dirigeants ont réussi à « remettre à zéro » leur mandat en révisant la constitution ou par l’adoption d’une nouvelle constitution. Les modifications apportées sont ensuite utilisées pour justifier l’autorisation d’un élu à exercer un nouveau mandat en vertu de la nouvelle constitution. Les dirigeants du Tchad, des Comores, de Côte d’Ivoire et du Togo, entre autres, ont tous suivi cette voie. Dans chacun de ces cas, les dirigeants et les partis au pouvoir interprètent ces changements constitutionnels comme cela les arrange, souvent avec le soutien de juges nommés par les exécutifs qui vont en bénéficier. Dans le cas du Rwanda et de l’Égypte, Paul Kagame et Abdel Fattah al-Sisi ont modifié la durée des mandats présidentiels tout en exemptant le président actuel. Parmi les autres moyens de réinitialiser le nombre de mandats, certains tels que l’Algérie ou le Togo ont rétabli la limitation des mandats après les avoir supprimés, d’autres ont supprimé l’âge plafond, comme en Ouganda en 2017. De plus, certains dirigeants utilisent des amendements multiples pour réinitialiser l’horloge constitutionnelle. Dans le cas du Tchad, une nouvelle constitution adoptée en 2018 a simultanément rétabli la limitation de deux mandats et augmenté la durée de ceux-ci de cinq à six ans.

Bien que les dirigeants africains n’aient pas besoin d’encouragements pour contourner la limitation des mandats, des acteurs externes autoritaires les ont parfois couverts. En Guinée, l’ambassadeur russe Alexander Bregadze a publiquement exhorté le président Alpha Condé à modifier la constitution afin qu’il puisse briguer un troisième mandat, en déclarant : « Ce sont les constitutions qui s’adaptent à la réalité, pas les réalités qui s’adaptent aux constitutions ».10 Suite à ces encouragements, Condé a fait valider un référendum constitutionnel controversé sept mois avant de se faire élire pour la troisième fois en 2020, affirmant que la nouvelle constitution réinitialisait le calcul de la limitation des mandats. Bregadze dirige désormais la concession de Rusal en Guinée. Rusal, le plus grand producteur d’aluminium de Russie, possède une importante mine de bauxite dans le pays.

Les dirigeants africains qui bouleversent le processus démocratique en modifiant les constitutions de leur pays se heurtent pratiquement toujours à des protestations populaires et à des contestations judiciaires. Des mois de manifestations de masse ont déstabilisé le Burundi en 2015, suite au refus de Pierre Nkurunziza de se retirer après son deuxième mandat. En 2017, des citoyens togolais ont régulièrement manifesté pendant deux ans en exigeant que Faure Gnassingbé se retire et rétablisse la limitation des mandats. En 2018, une décision de la Cour constitutionnelle approuvant la levée de la limite d’âge présidentielle en Ouganda a déclenché des contestations opposées au projet de Yoweri Museveni de briguer un sixième mandat, qu’il a ensuite obtenu par la violence envers l’opposition et par un décompte des voix controversé. En Guinée, des manifestations massives ont contesté les efforts d’Alpha Condé pour orchestrer un troisième mandat.

Les méthodes d’adoption des amendements constitutionnels sont souvent juridiquement douteuses. Même dans les cas où les rédacteurs constitutionnels ont explicitement indiqué l’impossibilité d’effectuer plus de deux mandats, des dirigeants ont contourné cette sécurité en affaiblissant les organes de contrôle tels que les assemblées législatives, les cours constitutionnelles et les commissions électorales. La Guinée en est l’exemple. La constitution guinéenne interdisait explicitement les changements concernant la limitation des mandats, sauf par un référendum impliquant l’adoption d’une nouvelle constitution. Malgré l’impossibilité d’obtenir une décision de justice favorable ou un vote de l’ensemble du parlement, Alpha Condé a justifié la tenue d’un référendum avec uniquement le soutien du chef de l’Assemblée nationale, un allié. Le succès du référendum exigeait de restructurer la commission électorale et de destituer le président de la Cour constitutionnelle, qui s’opposait à cette révision constitutionnelle.

Il est à noter que, même une fois que la limitation des mandats a été contournée, l’expérience montre que les dirigeants sortants doivent contrefaire les résultats des élections ultérieures pour rester au pouvoir. Onze élections se sont tenues dans les 13 pays où les dirigeants ont contourné la limitation des mandats depuis 2015. Ces 11 résultats sont jugés douteux par les observateurs objectifs. Ces dirigeants restent donc au pouvoir sans mandat populaire.11

Défendre la limitation des mandats

Si des dirigeants tentent de contourner la limitation des mandats, c’est parce qu’ils croient pouvoir le faire. Ils estiment que les normes et les restrictions institutionnelles en place ne sont pas assez solides pour les empêcher de conserver le pouvoir. De plus, ils voient peu à perdre et beaucoup à gagner en essayant. Pourtant, les élus sortants sous-estiment parfois l’adversité déterminée à maintenir la limitation des mandats. Il y a eu six cas de ce type en Afrique depuis 2000. Ils résultent d’un soutien de pouvoirs et contre-pouvoirs institutionnels robustes – assemblées législatives, judiciaires, partis politiques et référendums.

Le Malawi a bloqué trois tentatives de « troisième mandat » de l’ancien président Bakili Muluzi, en adoptant une règle limitant à deux mandats de cinq ans en 1994. Bakili Muluzi a été le premier président du Malawi élu lors d’élections multipartites concurrentielles la même année, et il a été réélu en 1999. Cependant, en 2002 et 2003, il a tenté de modifier la constitution afin de prolonger son mandat. À ces deux occasions, le parlement a bloqué ces manœuvres, sans doute en gardant en mémoire les 30 années du régime autocratique d’Hastings Banda. Toujours pas découragé, Bakili Muluzi a tenté à nouveau de se présenter en 2009. La Commission électorale du Malawi a déclaré sa candidature irrecevable au motif qu’il avait déjà effectué ses deux mandats de président, une décision qui a ensuite été validée par la Cour constitutionnelle.

Le premier président librement élu de la Zambie, Frederick Chiluba, envisageait également de prolonger son deuxième mandat qui touchait à sa fin en 2001. Cependant, 59 membres du Parlement zambien ont signé une déclaration en avril 2001, rejetant toute possibilité de lui conférer un troisième mandat. Le mois suivant, le vice-président Christon Tembo et 80 membres éminents du parti au pouvoir ont protesté contre un éventuel troisième mandat de Frederick Chiluba en quittant le parti. Ces efforts nationaux se sont accompagnés d’un barrage de condamnations de la part des acteurs régionaux, menés par les présidents Thabo Mbeki d’Afrique du Sud et Festus Mogae du Botswana. Frederick Chiluba a abandonné son projet et a mis fin à ses 10 années au pouvoir à la date prévue.

Des contrôles institutionnels de ce type existent encore aujourd’hui. En 2020, le président libérien, George Weah, a commandité un référendum qui aurait raccourci les mandats présidentiels de six à cinq ans, ce qui a été largement perçu comme un prétexte pour réinitialiser le nombre limite de mandats. Toutefois, le quorum n’a pas atteint le seuil requis et le référendum a été rejeté.

En 2016 et 2017, le président béninois, Patrice Talon, a proposé des amendements constitutionnels qui auraient prolongé le mandat présidentiel à six ans, mais limité le pouvoir suprême à un seul mandat. Le Parlement a rejeté ces propositions, craignant qu’elles ne justifient la réinitialisation du compte de mandats de Patrice Talon. En 2019, le parlement a par la suite renforcé la limitation des mandats en spécifiant qu’une « clause à vie » s’appliquait, ce qui a encore réduit les possibilités de réinterprétation de la restriction.12

En 2020, l’amendement constitutionnel proposé par le président zambien Edgar Lungu, le « Projet de loi 10 », n’a pas été adopté par le parlement. Bien qu’il ne soit pas techniquement axé sur la limitation des mandats, le projet de loi aurait étendu les pouvoirs présidentiels à la nomination des juges et au remodelage de la carte électorale, ce qui a été vu comme la base d’une prolongation de son mandat.

Les cas du Bénin et de la Zambie sont remarquables dans la mesure où les deux pays ont un héritage louable en termes de limitation des mandats, aujourd’hui attaqué depuis que des dirigeants aux tendances autocratiques sont au pouvoir. Patrice Talon a réussi à mettre en place un processus de sélection des candidats qui a limité la représentation de l’opposition au Bénin. Pendant ce temps, sous Edgar Lungu, les Zambiens ont été confrontés à un rétrécissement de l’espace démocratique. Ces événements mettent en lumière les efforts déployés par les élus en place pour simultanément affaiblir l’équilibre des pouvoirs démocratiques et chercher des moyens d’échapper à ces restrictions. La défense de la limitation des mandats est donc un processus dynamique. Plus les parlements et les tribunaux de ces pays tombent sous le contrôle de ces dirigeants, plus ils ont de chances d’obtenir les extensions qu’ils demandent.

En plus des mesures institutionnelles, les manifestations populaires se sont avérées essentielles pour rejeter le non-respect de la limitation des mandats. L’expérience du Sénégal souligne l’importance de ces deux actions. À la fin du deuxième mandat du président Abdoulaye Wade, 85 ans, en 2012, celui-ci a affirmé qu’il avait droit à un troisième puisque la constitution avait été modifiée au début de son premier mandat. Il a simultanément proposé d’instaurer une victoire au premier tour des élections avec un score de 25 pour cent contre 50 pour cent habituellement. Cela a déclenché une vague de manifestations de rue, dirigées par un mouvement de jeunesse appelé Y’en a marre.13 Face à un rejet féroce, Abdoulaye Wade a retiré sa proposition de réduire le seuil du premier tour à 25 %. Cependant, il a réussi à obtenir de la Cour constitutionnelle l’autorisation de briguer un troisième mandat. Il a finalement été battu au deuxième tour par une opposition unifiée, dirigée par Macky Sall.

Le renversement sans doute le plus spectaculaire d’une tentative de prolongation des mandats s’est produit au Burkina Faso en 2014. Les alliés du président de longue date, Blaise Compaoré, ont proposé un amendement à l’article 37 de la Constitution à l’Assemblée nationale qui aurait permis à celui-ci de rester au pouvoir 27 ans de plus. Cette proposition a déclenché des manifestations massives autour de l’Assemblée nationale et du palais présidentiel, exigeant la destitution de Blaise Compaoré. Dans la mêlée, l’Assemblée nationale a été réduite en cendres. Blaise Compaoré a d’abord retiré sa proposition afin d’apaiser les manifestants. Cependant, comprenant l’ampleur de la colère qui s’était déchaînée, il a remis sa démission dans les 24 heures et s’est enfui en exil en Côte d’Ivoire.

Le fer de lance de la contestation était un mouvement civique formé en 2013, se faisant appeler Le Balai Citoyen. Ce mouvement visait à « nettoyer » la scène politique en galvanisant la jeunesse burkinabè autour de la limitation des mandats présidentiels et du départ de Blaise Compaoré.14 Cette structure organisationnelle a prouvé sa grande utilité pour maintenir la pression en faveur du changement et informer le Burkinabè moyen sur les problèmes en jeu.

Ces cas montrent que les tentatives de contournement de la limitation des mandats peuvent être bloquées. Cependant, il s’agit presque toujours de luttes à enjeux élevés, exigeant une réponse institutionnelle et populaire énergique. C’est un défi d’action collective classique. Les élus sortants ont l’avantage de bien comprendre les avantages qu’il y a à rester au pouvoir, sont bien déterminés à le faire et à contrôler la structure organisationnelle de l’exécutif.

Ceux qui s’opposent à l’extension des mandats, bien que beaucoup plus nombreux, doivent encore progresser dans l’information et l’éducation de leurs partisans, qui ont nécessairement une vision imparfaite du fait que la durée limitée des mandats présidentiels bénéficie directement aux citoyens. Les risques envers la sécurité personnelle des citoyens ordinaires sont cependant clairs et tangibles. Parmi les principaux déterminants de cette lutte on trouve : dans quelle mesure le pays dispose d’institutions démocratiques relativement indépendantes, une structure organisationnelle viable de la société civile, des réseaux plus larges de partisans pouvant se rallier aux meneurs de la contestation, et la résilience des réformateurs à la pression de l’effort prolongé qui est à attendre.

Priorités dans la restauration des normes de limitation des mandats en Afrique

Cette étude a souligné le fait que le processus de contournement de la limitation des mandats en Afrique ne se produit pas de manière isolée. Bien au contraire, il s’accompagne presque toujours d’autres affaiblissements de la démocratie : restrictions imposées aux candidats de l’opposition et à la société civile, limitations des médias indépendants et mesures de contrôle des organes d’organisation des élections et du système judiciaire. Inverser la tendance du contournement de la limitation des mandats est donc un élément central du renforcement de la démocratie en Afrique. Étant donné que des dirigeants ont pu bafouer les faibles structures institutionnelles de certains pays africains, des mesures correctives sont nécessaires non seulement par les acteurs nationaux mais aussi aux niveaux régional et international.

L’importance des acteurs nationaux

Les récentes annulations de la limitation des mandats en Afrique ont presque toujours rencontré une résistance nationale. Comme le montrent les sondages, les manifestations et les boycotts, les citoyens africains ont toujours montré qu’ils aspiraient à de véritables systèmes politiques démocratiques. Bien que cette résistance ait été insuffisante pour bloquer les contournements de la limitation des mandats dans certains pays, la mobilisation nationale est le fondement des futures réformes et doit être soutenue et renforcée pour pouvoir gagner du terrain.

Rétablir la limitation constitutionnelle des mandats dans tous les pays africains où elle a été supprimée. Une première étape importante pour inverser la dégradation des normes de limitation des mandats est de s’assurer que des restrictions existent réellement. Actuellement, il y a quatre pays (Cameroun, Djibouti, Gabon et Ouganda) où la limitation des mandats précédemment inscrite a été supprimée et huit autres pays (Eswatini, Érythrée, Éthiopie, Gambie, Lesotho, Libye, Maroc et Somalie) où la limitation des mandats n’a jamais été adoptée. Des pays en transition comme l’Éthiopie, la Gambie, la Libye et la Somalie sont actuellement en train de réviser leurs constitutions après de longues périodes d’autoritarisme. Par conséquent, nous sommes à un moment opportun pour instituer des limitations des mandats permettant de contrôler le pouvoir exécutif, avant que de nouveaux autocrates potentiels ne s’installent. Même dans les pays dont les dirigeants sont solidement enracinés, le concept de la limitation des mandats est très populaire. Par conséquent, avec une pression suffisante, une limitation des mandats est une concession que les dirigeants africains se sont souvent sentis obligés d’accepter, ne serait-ce que pour s’appliquer à leurs successeurs (ou pour la contourner ultérieurement). La mise en place de ces limitations est une priorité politique importante pour les défenseurs de la démocratie car elle institue une durée légale limitée au pouvoir de chaque président, empêchant la tradition des présidents à vie de perdurer. Ces limitations établissent également une base de référence concrète servant de point central à la réforme, à l’éducation des citoyens, à l’évolution des attentes vis-à-vis du pouvoir exécutif et à la promotion des critères de responsabilité démocratique.

Renforcer la règle selon laquelle les réformes constitutionnelles ne réinitialisent pas le décompte de la limitation des mandats. Les dirigeants africains cherchant à rester au pouvoir ont à maintes reprises utilisé l’astuce selon laquelle toute révision de la constitution constitue une réinitialisation de la gouvernance. Ils prétendent que cette révision vaut remise à zéro du décompte de limitation des mandats, même dans les cas où la constitution indique explicitement que les extensions ne sont pas autorisées. Ce tour de passe-passe a permis aux dirigeants d’apporter des correctifs techniques à une constitution puis de revendiquer la nécessité de prolonger leur mandat. De telles interprétations n’ont pas de base légale aux yeux des instances judiciaires indépendantes et ont contribué à la multitude de contournements observée depuis 2015. Cette justification doit donc être rejetée sans équivoque dans le discours national, régional et international sur la limitation des mandats. Tant que ce n’est pas le cas, l’Afrique verra probablement d’autres limitations imposées au pouvoir exécutif être contestées. Des résolutions de l’Union africaine et des communautés économiques régionales renforçant explicitement les normes de limitation des mandats seraient précieuses pour réaffirmer leur application. Ces normes doivent alors être mises en valeur par des médias indépendants, des groupes de la société civile et des leaders d’opinion dans le cadre d’un processus de renforcement d’une culture démocratique et d’une compréhension collective de ce qui constitue des règles du jeu « normales » concernant les mandats présidentiels.

Une vigilance continue des acteurs nationaux pour le respect de la limitation des mandats. Le rejet du public est l’un des facteurs les plus décisifs que les dirigeants doivent prendre en compte lorsqu’ils envisagent de contourner la limitation des mandats. En conséquence, résister aux contournements de cette dernière  commence par une surveillance vigilante et une dissidence vocale au sein de la société civile et des partis d’opposition, lorsque des mesures sont prises dans cette direction. Ces préoccupations peuvent alors alerter l’ensemble du système politique et de la communauté internationale, ce qui peut déclencher d’autres actions. Étant donné que les contournements de la limitation des mandats se produisent généralement de manière incrémentielle sur une période de plusieurs années, cette vigilance aux premiers signes d’érosion est vitale pour signaler à un élu que de telles actions lui coûteront cher. Une telle vigilance contribuera également à mobiliser le soutien du public contre l’érosion des droits démocratiques.

Sensibiliser sur l’importance de la limitation des mandats. Afin que le public rejette cet effritement, il doit comprendre les conséquences négatives liées au fait que des dirigeants cherchent à conserver le pouvoir. Cette prise de conscience ne doit pas être considérée comme acquise, puisque dans de nombreux pays africains où l’alternance démocratique n’est pas bien établie, les citoyens peuvent n’avoir connu qu’un seul président. Les médias, les associations professionnelles, le secteur privé, les chefs religieux, les groupes de jeunes et les organisations de la société civile doivent comprendre la relation entre les mandats présidentiels prolongés et la détérioration de la qualité de la vie civique et de l’environnement d’investissement au sein d’un pays. Les mandats présidentiels prolongés ont des conséquences négatives de grande envergure pour les intérêts de chacun de ces groupes. En sensibilisant de manière proactive à cette prise de conscience au sein de leurs zones d’action respectives, ces groupes peuvent être plus efficacement mobilisés afin de protéger et/ou rétablir la limitation des mandats.

Le rôle des acteurs régionaux 

Alors que la lutte autour du maintien des normes de limitation des mandats sera menée dans chaque pays, ces efforts ne sont souvent pas suffisants. Si un élu a le contrôle du pouvoir judiciaire, il sera probablement en mesure d’obtenir une décision en sa faveur sur l’interprétation même fragile des prolongations de sa durée au pouvoir. De même, si la police ou l’armée d’un pays a été politisée, ces acteurs de la sécurité peuvent être utilisés pour intimider les manifestants. Dans ces cas, le rôle des acteurs régionaux peut être important en tolérant ou en rejetant les tentatives de prolongation des mandats présidentiels.

Reconstruire les normes régionales sur la limitation des mandats. À plusieurs reprises dans le passé, l’Union africaine, ainsi que les organes de coordination régionaux en Afrique de l’Ouest et en Afrique australe, ont adopté une position ferme en soutenant le maintien de la limitation des mandats, conformément à la Charte de l’UA de la démocratie, des élections et de la gouvernance, signée par 46 pays. Ces dernières années, reflétant à la fois les changements de leadership dans ces organes et le recul démocratique plus général en Afrique, ces organisations régionales sont devenues moins proactives dans la défense des normes démocratiques. Inverser cette posture sera vital pour faire évoluer les normes régionales entourant la limitation des mandats et la crédibilité de ces organisations elles-mêmes. Parmi les coûts de réputation découlant du non-respect de leurs propres valeurs déclarées figure le fait que l’UA n’est pas prise au sérieux sur la scène mondiale. C’est cette réputation d’inaction et d’indifférence au sein de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), qui a précédé l’UA, qui lui a valu des railleries telles que « Club des dictateurs », conduisant finalement à sa dissolution. Cela dit, étant donné le nombre de dirigeants africains qui ont eux-mêmes contourné la limitation des mandats, il est peu probable que la réforme soit initiée par les chefs d’État eux-mêmes. Au contraire, comme pour la poussée des réformes démocratiques et comme pour les réformes liées à la limitation des mandats en Afrique dans les années 1990, l’impulsion pour le changement devra probablement venir de la société civile, du secteur privé et des professionnels de la classe moyenne.

Habiliter le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine. Une mesure pratique qui pourrait être prise afin de reprendre l’initiative sur ces questions est de renforcer le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine. Le CPS a la possibilité de déterminer lorsqu’une infraction aux normes de limitation des mandats est en cours. Composante de la Commission de l’Union africaine, doté d’experts techniques, le CPS est en mesure de procéder à une évaluation crédible de ces risques. Lorsqu’une infraction sera identifiée, elle pourra déclencher une série d’actions par l’organisme régional identifié dans la Charte de la démocratie, notamment une médiation de haut niveau, la suspension de l’adhésion, la non-reconnaissance et des sanctions. Cela peut également envoyer un signal important indiquant que le « comme si de rien n’était » ne s’appliquera pas. Ce message peut être amplifié par les réseaux régionaux de la société civile et les organisations religieuses pour renforcer encore l’idée à travers tous les secteurs de ces sociétés que les infractions à la limitation des mandats sont anormales et entraînent des coûts de réputation.

Le rôle des acteurs internationaux

Cet article a mis en évidence le fait qu’il existe un cycle de vie du contournement de la limitation des mandats — depuis l’idée qui surgit, jusqu’à la tentative de contourner les restrictions institutionnelles, la répression des voix dissidentes, l’organisation d’un référendum si nécessaire et la sécurisation des élections suivantes. Alors que les acteurs nationaux doivent être à l’avant-garde du respect des normes démocratiques dans leurs pays respectifs, les acteurs internationaux peuvent jouer un rôle de soutien précieux tout au long du cycle du contournement de la limitation. Les États-Unis ont un rôle particulièrement vital dans la défense des normes démocratiques, étant donné qu’ils sont la démocratie la plus centrale du système international et qu’ils défendent depuis longtemps ces valeurs en Afrique. L’influence de tous les acteurs démocratiques internationaux sera toutefois amplifiée si leurs efforts sont coordonnés et s’ils envoient des signaux cohérents.

Soutien à la société civile. Étant donné que les contournements se produisent généralement de façon progressive au fil du temps, il est important que les acteurs internationaux s’engagent dès le début à soutenir les organisations de la société civile qui résistent à la négation de leurs droits démocratiques. Ces actions internationales peuvent également signaler aux élus que la décision de prolonger leur mandat aura des coûts. Plus un élu utilise des tactiques répressives pour faire taire les dirigeants de l’opposition, les médias ou les acteurs de la société civile, plus les acteurs internationaux doivent intensifier rapidement leur engagement. Cette escalade peut prendre la forme d’expressions privées de préoccupation et de déclarations publiques de désapprobation, ainsi que de sanctions contre les dirigeants et leurs familles, du refus de diverses formes d’assistance et du retrait de la reconnaissance d’un gouvernement. Reconnaissant que les élus au pouvoir agissent probablement avec la conviction que la condamnation internationale passera avec le temps, les acteurs démocratiques internationaux devront soutenir et amplifier leur désapprobation s’ils veulent être pris au sérieux.

Renforcer les institutions de contrôle. L’effort des élus pour rester au pouvoir au-delà de leurs mandats constitutionnels est essentiellement un défi aux freins et contre-pouvoirs d’un gouvernement démocratique. C’est l’équivalent d’un président sortant qualifiant de bluff la capacité des institutions démocratiques d’un pays à le forcer à partir. Pour aider les sociétés africaines en voie de démocratisation à passer ce test, les acteurs démocratiques internationaux doivent investir dans le renforcement des institutions démocratiques qui seront chargées se prononcer sur tout le processus électoral. Les institutions prioritaires à cibler sont : les organes législatifs, les organes de gestion électorale, les magistratures indépendantes, la presse libre et la société civile – pour mener des décomptes parallèles des voix qui soient crédibles, entre autres.

Enquêtes indépendantes sur la fraude électorale. Si les efforts visant à contourner la limitation des mandats devaient aboutir à une élection frauduleuse, les acteurs internationaux, en coordination avec les organismes régionaux, doivent soutenir des enquêtes indépendantes sur ces processus électoraux, comme cela a été proposé à la suite des élections controversées de décembre 2018 en République démocratique du Congo. Une telle enquête révélerait que les résultats officiels (bien que non publiés) et ceux du vaste décompte des voix parallèle de l’Église catholique sont en cohérence, et diffèrent considérablement des résultats qui ont été annoncés publiquement.15 Des audits électoraux similaires seraient justifiés pour d’autres élections, dans les cas de contournement de la limitation des mandats. Une telle « autopsie » indépendante des élections peut conduire à des recours juridiques, tels qu’une nouvelle organisation des élections comme cela a été fait au Malawi et au Kenya, réduisant ainsi l’instabilité et les préoccupations persistantes concernant l’illégitimité.

Proclamation d’un coup d’État rampant. Si un élu sortant persiste à contourner la limitation des mandats pour s’assurer le résultat d’élections frauduleuses, les acteurs régionaux et internationaux doivent qualifier cette action de « coup d’État rampant » et mettre en œuvre des protocoles compatibles avec les autres proclamations de coup d’État. Entre autres choses, cette action impliquerait de révoquer la reconnaissance des dirigeants qui sont restés au pouvoir par des moyens extrajudiciaires, de supprimer toute aide non humanitaire, de travailler avec le comité d’accréditation des Nations Unies pour bloquer toute représentation ultérieure, et de refuser au gouvernement la faculté d’un emprunt souverain.16 De telles mesures ont été prises dans d’autres situations de légitimité contestée des régimes en place en Afrique, notamment ceux de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire et de Yaya Jammeh en Gambie.

L’importance de la limitation des mandats

L’histoire et la nature humaine nous enseignent que le pouvoir est tentant. Les dirigeants du monde entier, qui ont apprécié l’adulation, l’influence et le contrôle des ressources, ont du mal à s’éloigner de cette atmosphère envoûtante, même s’ils ont à l’origine accédé à ces postes par des moyens légitimes. Si cela n’était qu’un choix volontaire, beaucoup choisiraient de s’accrocher au pouvoir. L’essence de la limitation des mandats, cependant, est que la décision de quitter son poste n’est pas laissée à la discrétion de la personne qui a de si fortes motivations à rester. Au lieu de cela, la limitation des mandats routinise le processus d’alternance, ce qui en fait un rituel bureaucratique inéluctable. Le renforcement des processus institutionnels entourant le respect de la limitation des mandats est donc une étape essentielle pour la construction d’une démocratie viable.

Pour l’Afrique, le défi est d’autant plus difficile à relever que le continent a hérité de la tradition des hommes forts et de la faiblesse des facteurs limitants et des contrepoids institutionnels sur le pouvoir exécutif. Tant que des individus croient pouvoir contourner ces contraintes perçues comme peu limitatives, ils continueront d’essayer. Cependant, le coût pour leurs sociétés est élevé. Les dirigeants qui restent en poste pendant de longues périodes ont tendance à avoir des effets écrasants sur leur pays, en termes de niveaux plus élevés de corruption, de réduction des libertés civiles, de développement réduit et de conflits. En plus de ces coûts, les dirigeants de longue date qui dépendent d’armées politisées risquent d’être évincés par ces dirigeants de la sécurité. Ainsi, les structures de pouvoir exclusives créées par les dirigeants qui échappent aux limitations des mandats finissent par se retourner contre eux, tandis que les structures elles-mêmes persistent. Une telle trajectoire présente un sombre avenir démocratique pour l’Afrique. Inverser la récente spirale de destruction de la limitation des mandats en Afrique doit donc devenir un impératif pour les défenseurs de la démocratie sur le continent et au niveau international.

Notes

  1. Idriss Déby est décédé peu de temps après son élection, apparemment des suites de blessures subies alors qu’il se trouvait sur la ligne de front, luttant contre une rébellion armée à son régime d’exclusion.
  2. Joseph Siegle et Candace Cook, « En Afrique, le contournement des limites de mandats fragilise la gouvernance », Infographie, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 14 septembre 2020.
  3. Communiqué de l’Union africaine PSC/PR/COMM (DLXV), 565ème réunion du Conseil de paix et de sécurité, 17 décembre 2015, Addis-Abeba.
  4. Paul Nantulya, « Le Burundi, la crise oubliée, brûle toujours », Éclairage, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 3 octobre 2019 ; UNHCR Refugee Data Finder – Burundi, 2015-2020.
  5. Paul Nantulya, « Le Burundi après Nkurunziza : les généraux en ordre de marche », Éclairage, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 7 juillet 2020.
  6. Joel Barkan, « Uganda: Assessing Risks to Stability » (Ouganda : évaluation des risques pour la stabilité), Center for Strategic and International Studies, juin 2011.
  7. « Autocratie et instabilité en Afrique », Infographie, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 10 mars 2021.
  8. « Freedom in the World 2021: Democracy Under Siege » (Liberté dans le monde 2021 : la démocratie en état de siège), Freedom House, mars 2021.
  9. Boniface Dulani, « African Publics Strongly Support Term Limits, Resist Leaders’ Efforts to Extend Their Tenure » (Les publics africains soutiennent fortement la limitation des mandats et résistent aux efforts des dirigeants pour prolonger leurs mandats), Dépêche Afrobaromètre n° 30, mai 2015.
  10. « Russian Ambassador Sparks Backlash with Suggestion Guinea Change Constitution » (L’ambassadeur de Russie suscite une réaction violente en suggérant une modification de la Constitution de la Guinée), Reuters, 11 janvier 2019.
  11. Ruth McLean, « With Elections Ahead, Some African Presidents Try to Engineer Results » (Avec des élections à venir, certains présidents africains tentent de contrefaire les résultats), The New York Times, 11 octobre 2020.
  12. Fiacre Vidjingninou, « Révision de la Constitution au Bénin : ce qui va changer », Jeune Afrique, 7 novembre 2019.
  13. Ofeibea Quist-Arcton, « ’Enough Is Enough’, Say Senegalese Rappers » (Y’en a marre, disent les rappeurs sénégalais), National Public Radio, 19 février 2012.
  14. Ryan Cummings, « Burkina Faso and the Harnessing of a Revolution » (Le Burkina Faso et la maîtrise d’une révolution), IPI Global Observatory, 5 novembre 2014.
  15. Tom Wilson, « Congo’s Catholic Church Says Election Results Show Clear Winner » (L’Église catholique du Congo déclare que les résultats des élections désignent clairement le vainqueur), Financial Times, 4 janvier 2019.
  16. Joseph Siegle, « Overcoming Dilemmas of Democratisation: Protecting Civil Liberties and the Right to Democracy » (Surmonter les dilemmes de la démocratisation : protection des libertés civiles et du droit à la démocratie), Nordic Journal of International Law, vol. 81 (2012), p. 471 à 506.

Joseph Siegle est directeur de la recherche au Centre d’études stratégiques de l’Afrique. Candace Cook est assistante de recherche au Centre d’études stratégiques de l’Afrique.

Cet article a d’abord été publié par Orbis, Vol. 65, Issue 3 (2021). Lire l’article original en anglais ici. Les opinions exprimées sont celles des auteurs.