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Le référendum constitutionnel au Tchad promet une transition sans changement — ni stabilité

Le référendum constitutionnel très contrôlé organisé par la junte militaire de Mahamat Déby semble en passe de donner des chances de réussite aux plans des militaires visant à conserver indéfiniment le pouvoir.


Des membres des forces de sécurité tchadiennes défilent lors des célébrations de la 63ème fête de l’indépendance à N’Djamena, le 11 août 2023. (Photo: Denis Sassou Gueipeur / AFP)

Des membres des forces de sécurité tchadiennes défilent lors des célébrations de la 63ème fête de l’indépendance à N’Djamena, le 11 août 2023. (Photo : Denis Sassou Gueipeur / AFP)

Le référendum constitutionnel tchadien, prévu pour le 17 décembre, est la dernière mesure prise par la junte militaire du général Mahamat Déby pour gérer une transition qui maintient la succession héréditaire de la dynastie Déby et l’armée en tant qu’acteur politique central dans ce pays de 18 millions d’habitants qui chevauche six voisins dans la région instable du Sahel.

La société civile et les dirigeants de l’opposition ont critiqué le processus référendaire pour son manque d’inclusivité et son incapacité à prendre en compte les principales préoccupations de l’opposition politique, telles que l’intimidation, l’absence de liberté d’expression et de réunion, un organe de gestion électorale partisan et la prise en compte de la décentralisation de l’autorité dans le cinquième plus grand pays d’Afrique en termes de superficie. La plupart des partis d’opposition ont appelé à voter « non » ou à boycotter le référendum.

Mahamat Déby est arrivé au pouvoir par un coup d’État en avril 2021, après la mort de son père, le président Idriss Déby. Ce dernier est décédé lors d’une bataille contre l’une des nombreuses rébellions armées qui s’opposaient à son régime autocratique en place depuis 31 ans. Conformément à la constitution, le président de l’Assemblée nationale aurait dû assurer l’intérim en tant que chef d’État et organiser des élections dans les 90 jours pour élire un nouveau président. Au lieu de cela, un groupe d’officiers militaires a pris le pouvoir et proclamé Mahamat Déby chef de l’État par intérim, dissous les institutions politiques du Tchad et suspendu la constitution.

« Le schéma de retardement et d’obstruction fait écho aux tactiques bien rodées d’Idriss Déby, qui est arrivé au pouvoir par la force en 1990 et s’y est maintenu pendant trois décennies ».

La junte avait annoncé une transition politique de 18 mois qui se terminerait par des élections en octobre 2022. Un élément clé du calendrier de transition devait être un dialogue national inclusif qui générerait un consensus sur une nouvelle constitution et des réformes politiques. Pourtant, le dialogue national inclusif souverain (DNIS) n’a été convoqué qu’en août 2022, soit deux mois avant la transition promise. En l’absence d’une représentation significative de l’opposition, Déby et un groupe d’organisateurs triés sur le volet ont contrôlé l’ordre du jour. Le résultat du « dialogue » a été une prolongation de deux ans de la transition avec Déby en tant que président intérimaire et la suppression d’une stipulation selon laquelle les dirigeants intérimaires ne pourraient pas se présenter aux futures élections présidentielles.

Reflétant la forte demande populaire pour la démocratie au Tchad, les dirigeants de l’opposition civile ont organisé des manifestations pacifiques le 20 octobre 2022 – la date limite initiale de 18 mois pour la transition – appelant à un régime civil élu. Les forces de sécurité tchadiennes ont tiré à balles réelles sur les manifestants. Selon l’opposition, des centaines de personnes ont été tuées et des milliers ont été arrêtées, détenues arbitrairement, envoyées dans des prisons de haute sécurité ou ont disparu.

Le référendum constitutionnel de décembre semble destiné à fournir un vernis de validation pour la gestion continue par la junte de la transition menant aux élections présidentielles d’octobre 2024. Le schéma de retardement et d’obstruction fait écho aux tactiques longuement éprouvées d’Idriss Déby, qui est arrivé au pouvoir par la force en 1990 et s’y est maintenu pendant trois décennies en évitant les limitations de mandat, en résistant aux appels à la réforme démocratique et en réprimant de multiples rébellions armées.

Un référendum problématique

Déby a créé la Commission nationale chargée de l’organisation du référendum constitutionnel (CONOREC) pour organiser et administrer le référendum. Actuellement seule institution électorale du Tchad, la CONOREC a été une source de controverse dès sa création. Tous les commissaires de la CONOREC ont été nommés par Déby et comprennent exclusivement des représentants du régime et des membres de la législature de transition.

Sur le fond, l’opposition plaide depuis longtemps en faveur d’une transition vers un système fédéral comme moyen de diffuser le pouvoir aux autorités locales dans ce vaste pays. La question a fait l’objet d’une attention considérable pendant le DNIS, ce qui a abouti à une résolution selon laquelle la question du passage à un système fédéral serait incluse dans un référendum. Malgré cela, le référendum du 17 décembre n’aborde pas la question du fédéralisme. Il demande seulement aux électeurs d’accepter ou de rejeter le projet de constitution, qui prévoit un État unitaire.

Mahamat Idriss Déby Itno et la militaire tchadienne dirigent

Le général Mahamat Idriss Déby Itno salue le chef d’état-major de l’armée tchadienne, le général Abakar Abdelkerim Daoud, alors qu’ils passent en revue les troupes lors des célébrations de la 63ème fête de l’Indépendance à N’Djamena, le 11 août 2023. (Photo : Denis Sassou Gueipeur / AFP)

De nombreux problèmes techniques ont également entravé les efforts de la CONOREC. Des observateurs de la campagne d’inscription des électeurs affirment avoir été témoins d’irrégularités, notamment de duplications de cartes d’électeurs. En outre, un audit réalisé par un tiers engagé par la CONOREC a révélé que l’infrastructure physique et la technologie informatique nécessaires à la tenue d’une élection nécessitaient d’importantes réparations ou un remplacement total, y compris des serveurs informatiques. L’audit a été achevé en mai, mais son contenu n’a été rendu public qu’après avoir été publié par RFI en juin.

Le manque de transparence autour de l’audit et de l’inscription sur les listes électorales a renforcé la méfiance entre la CONOREC et la population. Même l’Alliance tchadienne pour la démocratie et le développement, un parti aligné sur Déby, a critiqué l’exclusion des partis politiques du processus à la suite de l’audit.

Le contrôle du processus référendaire par Déby semble être une continuation de ses efforts pour consolider le pouvoir et étendre l’héritage de son père.

Pourquoi c’est important

Les 33 années de règne de Déby se sont révélées désastreuses pour le développement du Tchad. Le Tchad continue de souffrir d’années de conflit civil, d’instabilité politique et de mauvaise gestion économique. Le revenu par habitant du Tchad, qui s’élève à 590 dollars, est équivalent à ce qu’il était en 2004, l’année qui a suivi le début de l’exploitation du pétrole. Le degré et la persistance du sous-développement du pays sont remarquables étant donné que le secteur pétrolier fournit environ 60 % des recettes d’exportation et jusqu’à un tiers du PIB global. Cela met en évidence la répartition très inégale de ces ressources dans un pays qui se classe au 167ème rang sur 180 dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International. Moins de 10 % de la population a un accès régulier à des installations sanitaires de base et à l’électricité. Seul un adulte sur cinq sait lire et écrire, et une naissance sur trois a lieu en présence d’un professionnel de la santé. L’espérance de vie, qui est de 53 ans, est l’une des plus faibles au monde.

Ces conditions désastreuses font que près de 7 millions de Tchadiens, soit 40 % de la population totale, ont besoin d’une aide humanitaire. Ce chiffre comprend quelque 215 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays, principalement à la suite d’attaques de groupes extrémistes violents dans la région du lac Tchad. Ces chiffres ne tiennent pas compte de la population de réfugiés qui augmente rapidement dans l’est du pays. Depuis le début du conflit au Soudan en avril 2023, près de 500 000 Soudanais, principalement originaires de la région du Darfour, ont fui vers le Tchad en quête de sécurité.

« Ceux qui qualifient le Tchad de pivot de la stabilité dans une région en proie à l’insécurité ignorent la poursuite des rébellions menées par l’opposition armée ».

Ceux qui qualifient le Tchad de pivot de la stabilité dans une région en proie à l’insécurité ignorent les rébellions continues menées par l’opposition armée. Le Front pour le changement et la concorde au Tchad (FACT), le groupe rebelle contre lequel Idriss Déby se battait lorsqu’il a été tué, n’est qu’un des quatre groupes tchadiens bien armés qui ont utilisé le sud de la Libye comme base arrière. Les chefs de ces groupes rebelles remontent aux rébellions des années 2000. De nouveaux groupes armés se seraient également formés dans le sud du pays. Cette situation de rébellion armée quasi permanente a également été décrite comme un état d’entre-deux-guerres.

L’instabilité découlant de la gouvernance autoritaire persistante du Tchad rend le pays plus vulnérable aux menaces internes et externes. Une transition politique inclusive offre au Tchad une voie de sortie potentielle de cette instabilité.

Amnistie et division de l’opposition

L’une des méthodes qu’Idriss Déby a longtemps employée pour se maintenir au pouvoir pendant des décennies a été d’entrecouper la répression de l’opposition politique de tentatives périodiques de la coopter et de la diviser. Des schémas similaires semblent être à l’œuvre dans la période précédant le référendum.

Un corps recouvert d’un drapeau tchadien et entouré de manifestants à N’Djamena le 20 octobre 2022. (Photo : AFP)

À la suite des manifestations d’octobre 2022 et de la répression violente du régime Déby contre les manifestants pacifiques, de nombreux dirigeants de l’opposition sont entrés dans la clandestinité. D’éminents leaders de l’opposition, dont Succès Masra des Transformateurs et Max Loalngar de la coalition Wakit Tama, ont cherché refuge dans l’exil. Les membres des Transformateurs et de Wakit Tama se sont vu interdire de réunion et des dizaines de dirigeants politiques de l’opposition ont été arrêtés et harcelés. Les forces de sécurité ont également mis à sac le siège des Transformateurs.

Le 5 octobre 2023, Masra a informé le régime Déby de son intention de retourner au Tchad avant l’anniversaire des manifestations de 2022. Plus tard dans la journée, un mandat d’arrêt international demandant son arrestation pour des crimes tels que « tentative d’atteinte à l’ordre constitutionnel, incitation à la haine et soulèvement insurrectionnel » a circulé sur les réseaux sociaux.

Trois jours plus tard, les forces de sécurité ont emprisonné 72 partisans des Transformateurs après les avoir arrêtés alors qu’ils faisaient de l’exercice sur un terrain de sport. Les avocats des détenus ont indiqué qu’ils n’avaient été inculpés d’aucun crime et qu’ils n’avaient pas eu accès à un avocat. Invoquant des raisons de sécurité, Masra a annoncé qu’il retarderait son retour.

Au cours de la dernière semaine d’octobre, Masra a rencontré à Kinshasa une délégation dirigée par le ministre transitoire de la réconciliation nationale de Déby, Abderaman Koulamallah, le président Félix Tshisekedi jouant le rôle de médiateur. L’accord qui en a résulté a ouvert la voie au retour de Masra et lui a permis de poursuivre ses activités politiques. Quelques jours après la signature de l’accord par les deux parties, la junte a libéré les 72 membres des Transformateurs qui étaient détenus.

« En concluant un accord avec un parti d’opposition, le régime Déby a contribué à créer un climat de méfiance entre les autres partis. »

L’accord n’a toutefois pas été adopté par tous les secteurs de l’opposition. La proposition d’amnistie pour les chefs des services de sécurité responsables des violences meurtrières du 20 octobre 2022 a suscité l’indignation de nombreux partis d’opposition, y compris de certains membres des Transformateurs. Ils ont fait valoir que l’amnistie ne rendrait pas justice aux victimes et à leurs familles et qu’elle exonérait le régime Déby de toute responsabilité. Le 23 novembre, la législature de transition, composée de législateurs nommés par Déby, a voté l’adoption de la loi d’amnistie.

Bien que l’accord ait également ouvert la voie au retour d’autres Tchadiens en exil politique, les groupes d’opposition, tels que Wakit Tama et Les Démocrates, ont fermement exprimé leur rejet de l’accord, dont ils se sont sentis exclus. En concluant un accord avec un parti d’opposition, le régime Déby a contribué à créer un climat de méfiance entre les autres partis.

Cette tactique de division et de conquête peut saper la cohésion de l’opposition et affaiblir sa demande d’une transition démocratique légitime et inclusive. Elle peut également atténuer les critiques à l’égard de la transition avant le référendum constitutionnel.

Envisager une transition inclusive pour un Tchad stable

Cette transition avortée en cours au Tchad accroît les risques d’instabilité interne. Comme l’a montré le coup d’État contre Ali Bongo au Gabon, les politiques dynastiques qui maintiennent une famille au pouvoir pendant des décennies peuvent prendre fin rapidement et de manière inattendue. Dans le contexte tchadien, on oublie souvent qu’il existe une opposition civile légitime qui milite en faveur d’un changement démocratique.

« Dans le contexte tchadien, on oublie souvent qu’il existe une opposition civile légitime qui milite en faveur d’un changement démocratique ».

Les membres de l’opposition soutiennent que le référendum devrait être reporté jusqu’à ce qu’un véritable dialogue soit engagé sur des questions constitutionnelles clés telles que l’espace garanti à l’opposition politique, une commission électorale indépendante et le fédéralisme.

Pendant trois décennies, les dirigeants de l’opposition civile ont été exclus du processus politique. Un nouveau dialogue avec une commission représentative pourrait permettre une remise à zéro utile. Ce serait également une bonne occasion pour l’organe représentatif de déterminer le contenu d’une transition politique réelle, plutôt que de laisser ces décisions entièrement à Déby et à ses soutiens militaires.

Le parti d'opposition tchadien Les Transformateurs

Les partisans du parti d’opposition tchadien Les Transformateurs accueillent Succès Masra qui s’adresse à eux à N’Djamena pour la première fois depuis son retour d’exil. (Photo : Denis Sassou Gueipeur / AFP)

Alors que le régime Déby a reçu un soutien régional et international fort, en ignorant les groupes d’opposition, la probabilité de violence politique augmente. Reconnaître les groupes d’opposition et leur offrir une plateforme pour plaider en faveur de l’inclusion politique serait un début. Veiller à ce que tous les partis politiques ne fassent pas l’objet d’un harcèlement arbitraire devrait être un minimum.

Compte tenu de son histoire et de l’instabilité de la région, une armée tchadienne forte restera un élément central de tout gouvernement civil. Un véritable dialogue national permettrait d’envisager une armée en dehors du processus politique. Cela permettrait à l’armée de se concentrer sur les graves menaces qui pèsent sur la sécurité du pays. Un gouvernement civil ouvrirait également le Tchad aux investissements privés, à l’aide au développement et à la coopération en matière de sécurité. Tous ces éléments permettraient d’améliorer l’état de préparation et l’efficacité du secteur de la sécurité. Une transition civile inclusive avec l’adhésion de tous les acteurs politiques pourrait également réduire les conflits internes qui déstabilisent le Tchad depuis des années.


Ressources complémentaires