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La solidarité en matière de paix et de sécurité: Le partenariat entre les pays nordiques et l’Afrique

L'engagement des pays nordiques qui dure depuis plusieurs décennies s'est articulé autour des intérêts des Africains, des partenariats sur le long terme ainsi que du renforcement des capacités en Afrique.


 59/5000 Une délégation du ministère norvégien des Affaires étrangères se rend en Somalie. Photo: CGTN Africa.

Une délégation du ministère norvégien des Affaires étrangères se rend en Somalie. (Photo: CGTN Africa.)

La seizième édition de la réunion annuelle des ministres des Affaires étrangères afro-nordiques s’est tenue à Abuja, au Nigéria, en juin 2017. Dans le même mois, la Norvège accueillait des pourparlers entre le gouvernement du Sud-Soudan et les forces de l’opposition. Ce fut la première fois que les parties en guerre se sont retrouvées face à face depuis juillet 2016. En Finlande voisine, le gouvernement burundais et ses opposants se sont rencontrés en coulisses lors de négociations initiées par l’ancien président finlandais et le militant anti-apartheid Martti Ahtissaari.

Ces rencontres n’étaient pas le fruit du hasard mais s’inscrivaient plutôt dans une longue tradition de solidarité afro-nordique. L’engagement des pays nordiques (le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède) en Afrique remonte aux luttes contre le colonialisme et l’apartheid. Au départ, ces derniers concentraient leurs efforts sur le soutien aux mouvements de libération africains. Plus tard, ces initiatives se sont élargies afin de répondre aux défis de la gouvernance, du développement ainsi que de la sécurité humaine avec une attention marquée sur le maintien de la paix et la consolidation de la paix.

The Nordic flags: (from left) Denmark, Sweden, Norway, Iceland, Finland. Photo: Johannes Jansson.

Drapeaux scandinaves: (de gauche à droite) Danemark, Suède, Norvège, Islande, Finlande.Johannes Jansson.

Aujourd’hui, les relations afro-nordiques sont fondées sur les valeurs de démocratie, de solidarité et de développement global de l’Afrique. Le modèle nordique d’engagement s’est articulé sur le renfoncement des capacités africaines à travers l’assistance technique sur le long terme.

Les fondements de la solidarité

La solidarité afro-nordique est ancrée dans la présence séculaire des missionnaires en Afrique australe. Contrairement aux autres Européens qui ont collaboré étroitement avec les administrions coloniales, les missionnaires nordiques soutenaient la résistance au régime colonial. Les relations des associations ecclésiastiques avec les populations locales facilitaient le contact direct entre les mouvements de libération africains et les officiels nordiques et ont permis de formuler une politique extérieure militante en appui aux populations opprimées. La confiance en ce partenariat était davantage renforcée par le fait que les pays nordiques ne possédaient pas de colonies en Afrique.

Egalement sur l’initiative des églises, le mouvement anti-apartheid nordique collectait des fonds pour la défense juridique de milliers de militants politiques africains incarcérés et aider la famille de ces derniers. Des groupes nordiques de la société civile organisaient des campagnes de désinvestissement contre les pays gouvernés par des groupes minoritaires. Les collégiens et lycéens nordiques participaient au « Jour opérationnel » (Operasjon Dagsverk) », une campagne annuelle de collecte de fonds destinés aux enfants des camps de refugiés en Afrique australe. Les initiatives concertées des organisations syndicales, des églises ainsi que de la société civile mettaient la pression sur les dirigeants nordiques pour un engagement soutenu en Afrique. Les nombres relativement importants de réfugiés africains dans les pays nordiques galvanisaient davantage le sentiment populaire. Le système éducatif nordique mettait l’accent sur la « solidarité avec les opprimés » et, les politiciens nordiques en appelaient à leurs citoyens pour « s’identifier aux luttes pour l’auto-détermination ».

Tout cela s’est traduit par un important soutien des pays nordiques aux causes et mouvements africains pour un montant total d’environ 4 milliards de dollars entre 1961 et 1986. Parfois, ces contributions représentaient plus de la moitié des dépenses non-militaires des pays nordiques. Un investissement notable fut celui consenti pour la Solomon Mahlangu Freedom College (SOMAFCO), un centre d’enseignement fondé en 1975 en Tanzanie, laquelle éduquait des milliers d’exilés sud-africains et offrait des formations en leadership et professionnelles. Le SOMAFCO, aujourd’hui une fondation consacrée au développement des jeunes en compétences de leadership, compte dans ses rangs d’éminents anciens élèves comme le ministre sud-africain Lindiwe Zulu et Henry Makgothi, Secrétaire général adjoint défunt de l’ANC, le parti au pouvoir. Des organismes œuvrant pour le développement et des ONG ont également construit un hôpital, une ferme ainsi qu’un centre de formation sur le site du SOMAFCO et soutenu de nombreux professeurs et travailleurs médicaux du centre.

Contrairement aux autres Européens qui ont collaboré étroitement avec les administrions coloniales, les missionnaires nordiques soutenaient la résistance au régime colonial. Les relations des associations ecclésiastiques avec les populations locales facilitaient le contact direct entre les mouvements de libération africains.

Opérations de maintien de la paix et de soutien à la paix

Les contributions des pays nordiques dans l’évolution de l’Architecture africaine de paix et de sécurité étaient fondées sur un modèle d’engagement favorisant des relations saines entre civils et militaires, le respect des droits des humains, le renforcement des capacités militaires en matière de maintien de la paix ainsi que la sécurité collaborative. La démonstration d’engagement sur le long terme, le transfert de connaissances, l’engagement local et le leadership ainsi que la flexibilité sont des caractéristiques importantes de l’approche des pays nordiques.

Yvonne Akpasom, qui a collaboré étroitement avec la Norvège sur les questions de paix et de sécurité, est directeur de l’unité de paix et de sécurité du programme d’aide de l’Agence allemande pour la coopération internationale en faveur de la Commission de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Elle constate que les pays nordiques sont considérés comme des acteurs neutres et de confiance, qui n’ont essentiellement pas d’agenda privilégiant des intérêts particuliers mais « qui sont désireux de promouvoir et contribuer véritablement aux biens, idées et valeurs publiques internationales. A cet effet, ces pays ont joué un rôle actif et visible en matière de questions humanitaires, de maintien de la paix ainsi que de consolidation de la paix, des questions qui sont au cœur de leur engagement en Afrique.

Training for Peace Program logo

En 1995, la Norvège mettait en place le programme Formation pour la paix (TFP) dans l’optique de soutenir la Communauté de développement de l’Afrique australe (CDAA). Dès 1997, le programme avait donné naissance à une nouvelle pensée régionale sur la sécurité qui a par la suite conduit à de consultations intensives à l’échelle de la CDAA sur l’élargissement de l’Architecture de la sécurité régionale de l’Afrique Australe financé par le Danemark et la Suède. Ces consultations plaçaient le renforcement des capacités en matière de maintien de la paix et de soutien à la paix comme une priorité centrale. TFP initia six lignes d’action pour atteindre cet objectif :

  1. Evaluations conjointes des besoins
  2. Elaboration d’un programme de formation
  3. Préparation avant déploiement
  4. Formations sur le théâtre et post-missions
  5. Maintien d’une liste de réserve de soldats du maintien de la paix formés
  6. Publication d’un catalogue des meilleures pratiques

Des instructeurs militaires et civils venant du Danemark, de la Norvège et de la Suède commencèrent à se déployer dans la région en 1998. Ces initiatives ont porté leurs fruits un an plus tard lorsque la TFP organisa l’opération Blue Crane, la première opération de maintien de la paix au niveau des brigades de la CDAA. Par la suite, la TFP commença à proposer des formations civiles et militaires au maintien de la paix dans toutes les écoles militaires de la CDAA. Depuis, l’opération Blue Crane joue un rôle vital dans toutes les opérations biennales de maintien de la paix de la CDAA.

En 2001, la TFP s’élargit au reste de l’Afrique à travers un partenariat stratégique avec la Brigade en attente de l’Afrique de l’Est et le Centre international de formation au maintien de la Paix Kofi Annan. Au cours des vingt années depuis sa création, la TFP a formé 17 980 agents du maintien de la paix militaires, civils et de la police. Le programme eut également un impact important sur la doctrine. Des documents de directives fondateurs dont La dimension civile de la Force africaine en attente et les Directives pour la protection des civils dans les opérations de soutien à la paix de l’Union africaine furent intégrés aux procédures opérationnelles de l’Union africaine.

Les pays nordiques sont considérés comme des acteurs neutres et de confiance qui n’ont essentiellement aucun agenda privilégiant des intérêts particuliers. 

La TFP est considérée par les partenaires africains comme une initiative africaine : un objectif central du modèle d’assistance nordique. Depuis sa création, le programme n’a eu qu’un partenaire norvégien, L’Institut norvégien pour les affaires internationales (NUPI) qui a travaillé avec quatre institutions africaines en Afrique australe et, plus tard, avec l’Afrique de l’Est et de l’Ouest. « Le renforcement des capacités humaines et institutionnelles en était l’axe central, » note Kasumba. « Plus intéressant encore était le fait que le côté norvégien a rallié les partenaires africains dans l’élaboration et la construction de leur approche envers l’Afrique dans les secteurs de la paix et de la sécurité. Ils n’étaient jamais bien loin et les Africains sentaient que notre travail et notre contribution en tant qu’organismes de mise en œuvre sur le terrain étaient réellement appréciés. »

Kwezi Mngqibisa, représentant du Centre pour la résolution constitutive des conflits au sein du partenariat TFP déclare que « le renforcement des capacités locales effectué au fil des années en Afrique témoigne du travail réalisé par les partenaires nordiques et africains… Aujourd’hui, une grande partie de la formation au maintien de la paix est assurée par les Africains… [De ce fait], le renforcement des capacités est devenu moins problématique que le financement ou la logistique, par exemple. »

La coordination avec d’autres initiatives nordiques est également un élément central. L’initiative de la TFP, par exemple, était renforcée par d’autres programmes comme la Coopération de défense nordique (NORDEFCO) qui met en œuvre des approches globales des questions de sécurité, y compris :

  • Le maintien en poste de conseillers militaires nordiques à Nairobi en vue de soutenir la Brigade en attente de l’Afrique de l’Est
  • Le déploiement d’une police civile nordique, de civils ainsi que d’officiers d’état-major en vue d’une collaboration avec les centres d’excellence de formation au maintien de la paix
  • La formation de la police africaine et d’officiels civils et militaires dans les écoles militaires nordiques, y compris des affections propres aux missions fondées sur le genre effectuées par le Centre nordique pour les questions de genre dans les opérations militaires

Cette approche systématique met à profit les ressources nordiques en vue de renforcer les capacités africaines aux niveaux bilatéral et régional.

Consolidation de la paix

Erik Solheim, Norwegian Minister of the Environment and International Development, and Salva Kiir, President of South Sudan and Vicepresident of Sudan, during a visit to Sudan in 2009. Photo: Stein Ove Korneliussen.

Erik Solheim, ministre norvégien de l’Environnement et du Développement international, et Salva Kiir, président du Soudan du Sud et vice-président du Soudan, lors d’une visite au Soudan en 2009 Photo: Stein Ove Korneliussen.

Le rôle de la Norvège dans l’Accord de paix global de 2005 entre le gouvernement du Soudan et le Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS) est emblématique du modèle nordique qui est fondé sur le développement du leadership et la consolidation de la paix de personnes-à personnes. On compte parmi les activités clés l’Accord de réconciliation Nuer-Dinka de 1999, de nombreux accords discrets intra-MPLS entre 1996 et 2003 ainsi qu’un cessez-le-feu militaire dans les montagnes du Nuba en 2002. Ces interventions étaient des éléments fondamentaux des pourparlers qui ont finalement permis de mettre un terme à 50 ans de guerre civile. La Norvège a aussi eu recours à la consolidation de la paix de personnes-à-personnes, l’engagement discret ainsi qu’au développement du leadership en vue de soutenir les pourparlers entre l’Ouganda et l’Armée de résistance du Seigneur, l’Ethiopie et l’Erythrée ainsi qu’au Burundi, en Somalie, et à nouveau dans le Sud- Soudan à la suite de la résurgence des conflits en 2013.

Les Etats nordiques considèrent les politiques en matière de développement et de sécurité comme interdépendantes et soulignent l’importance d’assurer la sécurité de la population par opposition à la sécurité assurée par le régime. Ainsi, en plus d’assurer le renforcement de la sécurité collaborative régionale, les pays nordiques investissent lourdement dans les processus de consolidation de la paix. Le modèle de paix nordique nécessite la mise en œuvre de la diplomatie secrète, la facilitation indirecte d’une tierce partie ainsi que la médiation directe. Ce modèle a vu le jour avec la facilitation des pourparlers israélo-palestiniens par la Norvège, lesquels ont abouti aux Accords d’Oslo en 1993, dont les leçons apprises ont été adaptées aux contextes africains.

Comme c’est le cas pour la TFP, la consolidation de la paix nordique vise à intégrer toute la gamme des capacités nordiques en un programme d’assistance cohérent en appui à l’Architecture africaine de paix et de sécurité.  Un instrument notable est le Programme de coordination pour la consolidation de la paix en Afrique (APCP) financé par la Finlande. Créé en 2007, l’APCP a permis l’opérationnalisation du Groupe des sages de l’UA en facilitant la coordination entre cet instrument et des mécanismes de médiation sous-régionaux dont le Conseil des sages de la CEDEAO, le Conseil des anciens de la CDAA et le Groupe de contact pour la médiation de l’Autorité gouvernementale sur le développement. L’APCP fournit également une assistance technique à des médiateurs de haut niveau et a formé plus de 200 jeunes Africains à des rôles de médiation dans les processus de paix en cours. Le Manuel de l’appui à la médiation de l’Union africaine, qui est le cadre officiel de médiation de l’Union africaine, a été élaboré avec le soutien de l’APCP et s’appuie sut les meilleures pratiques.

“Le renforcement des capacités locales effectué au fil des années en Afrique témoigne du travail réalisé par les partenaires nordiques et africains. Aujourd’hui, une grande partie de la formation au maintien de la paix est assurée par les Africains. ”

Les implications pour les capacités régionales

Les capacités développées en Afrique à l’aide d’instruments nordiques comme le programme Formation pour la paix (TFP) ont contribué de manière significative, non seulement aux initiatives africaines mais également à celles des Nations Unies, à savoir, l’Initiative pour le renforcement des moyens civils et l’initiative du Cadre d’orientation stratégique de la Police des Nations Unies.

S’appuyant sur les compétences développées à travers ces initiatives, les partenaires africains créent l’Association des formateurs au soutien à la paix en Afrique (APSTA). Ce réseau de seize centres d’excellence de formation au maintien de la paix forme les personnels civils et militaires en préparation au déploiement dans les missions de paix et effectuent des formations sur le théâtre ainsi que des débriefings post-missions en vue de regrouper les leçons apprises. Une autre initiative africaine inclut une force civile en attente qui fournit des experts civils à la Commission de l’UA et assure le déploiement rapide dans les missions de maintien de la paix. Afin de renforcer ces initiatives locales, la Norvège soutient directement un nombre de postes au sein de la Commission de l’UA, tous tenus par des Africains.

Le partenariat de longue date des pays nordiques s’est articulé autour des intérêts africains, du développement équitable, de la sécurité collaborative ainsi que de la solidarité. Avant tout, il a mis l’accent sur l’engagement sur le long terme et les valeurs partagées. La réputation des pays nordiques comme étant des partenaires de confiance ainsi que leur travail axé sur le renforcement des capacités locales, l’engagement et le leadership ont apporté des contributions tangibles et continues aux structures de sécurité collectives de plus en plus importantes existant sur le continent aujourd’hui.

Expert du CESA

Paul Nantulya, Chercheur associé


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