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Médiation : un processus sous-estimé quoique vital à la sécurité en Afrique


Un moment de célébration

Compatriotes, concitoyens et concitoyennes, Félicitations ! Par cet accord nous avons mis fin à la plus longue guerre en Afrique, 50 ans de conflits sur 55 ans d’indépendance.

John Garang

John Garang

Le 9 janvier 2005 est la date à retenir et le lieu est le stade Nyayo Stadium de Nairobi au Kenya. L’évènement est la signature de l’Accord de paix global au Soudan, ou CPA et la personne prononçant ces paroles est le Docteur John Garang De Mabior, président du  Mouvement/Armée de libération du peuple soudanais (SPLM/SPLA). Ce mouvement faisait partie de l’héritage d’une rébellion qui avait combattu plusieurs administrations successives à Khartoum sur un ensemble complexe de problèmes qui remontaient à l’indépendance.

La médiation en tant que stratégie de sécurité

Arriver à cette entente n’a pas été  une mince affaire. En bref, 16 ans de négociations tortueuses, impliquant de nombreux partenaires internationaux, y compris l’Autorité intergouvernementale de développement (IGAD). Fondamentalement, l’armée SPLA et l’armée du gouvernement soudanais reconnaissaient qu’elles avaient atteint une « impasse militaire dommageable pour tous ». La négociation d’un accord, quoique fragile, serait un débouché là où les conflits pourraient prendre une apparence politique.

Ce n’était pas la première fois que la médiation était utilisée de cette manière. Au Burundi, l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation en août 2000 conséquence de la médiation entre l’ancien président de Tanzanie, le Docteur Julius Nyerere et Nelson Mandela d’Afrique du Sud, a mis un terme à la guerre civile qui avait éclatée en 1993 et qui avait été précédée par des cycles de violence meurtrière, y compris du génocide. Ni les groupes rebelles ni le gouvernement du Burundi n’avait pu imposer une solution  militaire décisive. Pendant que certains groupes rebelles n’avaient pas participé au processus, ceux qui avaient négocié les accords d’Arusha étaient convaincus que leurs objectifs minimums, si ce n’est leur chance d’arriver à la direction du pays, pouvaient être garantis par une participation active dans le processus. Fink Haysom, membre à la tête de l’équipe de médiation de Mandela et rédacteur des accords d’Arusha, explique : « Ce qui est plus important … c’est l’appréciation subjective du règlement négocié par  le groupe armée en tant que premier prix gagné — comme quelque chose qui peut vraiment  répondre à leurs exigences essentielles ». La médiation, en tant que processus créatif, a également servi à résoudre le conflit entre le parti de Frelimo au pouvoir du Mozambique et son éternel rival, Renamo, aussi bien qu’entre le gouvernement de Joseph Kabila de la République démocratique du Congo et son opposition armée et non armée.

En dépit de ses antécédents bien établis cependant, relativement peu d’intérêt politique a été porté sur la médiation en tant qu’outil vital dans l’architecture africaine de paix et de sécurité. Laurie Nathan, qui a participé à plusieurs initiatives de paix, du Burundi au Darfour et à Madagascar, explique : « Ce manque d’attention reflète une tendance plus générale au niveau des affaires internationales qui mettent l’accent sur le maintien, la consolidation et l’imposition de la paix sans se concentrer suffisamment sur la médiation internationale ». Un examen plus approfondi à l’instrument de la médiation et comment il s’adapte aux stratégies de sécurité en Afrique est par conséquent justifié.

L’Union africaine et la médiation

L’Organisation de l’unité africaine (OAU), prédécesseur de l’Union africaine, a lancé sa première médiation en 1964, un an après sa création, lorsqu’elle a réglé un différend frontalier entre le Maroc et l’Algérie. Pendant les trente ans qui ont suivi, elle a négocié par moins de  40 différends principalement interétatiques entre des Etats membres. En 2002 l’Union africaine (AU) a succédé à l’OAU et, en tenant compte de la nature changeante des conflits sur le continent, a reporté son attention sur les conflits intérieurs plutôt que des conflits interétatiques.

African-Union-assembly-300x199En 2007, un Groupe des sages a été inauguré en tant qu’instrument principal de médiation et a été officiellement adopté comme le quatrième pilier de l’architecture africaine de paix et de sécurité. Les trois autres piliers étaient la Facilité de paix pour l’Afrique, la Force africaine en attente et le Système d’alerte continentale rapide. La stratégie de l’Union africaine en matière de sécurité préfère le dialogue en tant que mécanisme principal destiné à la résolution des conflits et de ce fait, envisage un rôle plus influent du Groupe des sages, s’appuyant sur le savoir et l’expérience acquis pendant plus de cinquante ans de médiation en Afrique.

Types de médiation

Aux premières années de l’OAU, la médiation avait tendance à être ponctuelle (ad hoc) et reposait grandement sur le prestige et l’influence des chefs d’Etat et de leurs représentants désignés. Ces initiatives prenaient généralement la forme de diplomatie de sommet, de recours aux bons offices, de diplomatie de conférence et de dialogue discret. Les pourparlers de paix en Ouganda en 1985, présidé par l’ancien président du Kenya, Daniel Arap Moi, ont utilisé l’outil de diplomatie de conférence. Les dirigeants de l’Ethiopie, du Nigéria et du Kenya ont préféré le dialogue discret et leur pouvoir de rassemblement pour rapprocher les deux parties soudanaises au conflit entre 1989 et 1993.

La médiation s’est davantage institutionnalisée lorsque le Docteur Julius Nyerere de Tanzanie est intervenu comme médiateur des négociations de paix d’Arusha concernant le Burundi. Bien qu’ayant cessé ses fonctions de président pendant plus de 10 ans, Nyerere a accepté la nomination de l’OAU à titre de médiateur à la condition expresse qu’il n’agirait jamais ni en tant que son représentant official ni en tant que représentant des Nations Unies qui a soutenu vivement sa candidature.

Nyerere agirait dans sa propre capacité d’indépendant à constituer un secrétariat professionnel et à le doter d’experts, et non de fonctionnaires politiques. La Mwalimu Nyerere Foundation (Mwalimu en Swahili se traduit par l’instituteur) a servi ce rôle, en apportant le soutien institutionnel en  recueillant et analysant des informations, en effectuant des recherches et en élaborant des stratégies destinées à la médiation et au dialogue politique. Cette nouvelle approche ont rendu le médiateur à tout moment accessible à tous les partis, déconcerté par les exigences des hauts responsables. Le « format de groupe de travail » des négociations a encouragé les partis à « affiner leur options stratégiques et à nouer des relations entre eux ».

The signing of the Arusha AccordsNelson Mandela a davantage institutionnalisé ce style de médiation quand il reprit en charge le processus en 1999 après la mort de Nyerere. Il conserva le personnel de la Mwalimu Nyerere Foundation et l’a renforcé par une équipe supplémentaire d’experts, nombre d’entre eux ont œuvré à mettre un terme à l’apartheid, notamment au Centre pour la résolution des conflits (CCR). Il s’est entouré de spécialistes techniques tels Julian Hottinger, expert en droit constitutionnel suisse, le chef de la communauté catholique, le Père Matteo Zuppi, le ministre du Mozambique Francisco Madeira et les généraux Hashim Mbita de Tanzanie et Vusi Masondo d’Afrique du Sud, pour ne citer que ceux-là. Hottinger, qui avait été également conseillé de Nyerere, a travaillé avec Fink Haysom afin d’élaborer des propositions à soumettre au Comité Deux, dont le sujet principal était la démocratie, la bonne gouvernance et les principes directeurs et les dispositions de la constitution future du Burundi. Le Père Zuppi, actuellement archevêque de Bologne, a travaillé avec les généraux Masondo et Mbita au Comité Trois, qui avait la gestion des affaires de sécurité et d’intégration. Par ce savoir-faire, les négociateurs ont minutieusement travaillé tous les détails qui devaient figurer dans l’accord de paix final et la nouvelle constitution. Mandela a également apporté les opinions de la société civile et de la diaspora du Burundi, chose qui avait manqué lors des initiatives précédentes. Il a sollicité le Centre africain pour une résolution constructive des conflits (ACCORD) afin de faciliter cet aspect du processus de paix à titre de mécanisme officieux de suivi de la deuxième vague de réformes (TRACK II).

L’exemple établi par Nyerere et Mandela devient une « référence absolue » à combiner les avantages politiques du leadership moral au plus haut niveau avec la finesse technique d’un secrétariat  de  médiation professionnel et indépendant. Le modèle d’Arusha a servi aux dernières phases des négociations de paix du Soudan (2002–2005). Le médiateur en chef de ces pourparlers, le Général kenyan Lazaro Sumbeiywo, s’est entouré de plusieurs experts et conseillers de l’équipe de médiation pour la paix au Burundi de Mandela afin de l’aider à structurer et à maîtriser le processus. Le modèle a de nouveau servi lors des Négociations intercongolaises (2001–2003) et des pourparlers de paix entre le gouvernement de l’Ouganda et l’Armée de résistance du Seigneur (2006–2008), les deux ont eu la participation de quelques personnes qui avaient travaillé avec Mandela au Burundi.

Connecter la médiation au maintien et à l’imposition de la paix

L’accord d’Arusha a appelé au déploiement de forces armées internationales pour assurer la sécurité. L’ambassadeur Welile Nhlapo, alors membre important de l’équipe sud-africaine de facilitation, explique qu’avec les Nations Unies affichant de la réticence à déployer des soldats de la paix en l’absence d’un cessez-le-feu, Mandela a convaincu le gouvernement sud-africain en 2001 de déployer un détachement sud-africain de 240 soldats  en service de protection. Sa mission a été de faciliter le retour et la protection des populations en exil et de créer les conditions favorables aux négociations de cessez-le-feu, la première fois que l’Afrique du Sud d’après apartheid a déployé des forces armées au-delà de ses frontières. En 2003, alors que les pourparlers de cessez-le-feu évoluaient bien, l’Union africaine a déployé la mission africaine au Burundi (AMIB), une opération d’un an dans laquelle l’Afrique du Sud a été le fournisseur principal de contingents, aux côtés de l’Ethiopie et du Mozambique. En 2004 cette force a été « réaffectée » dans la mission des Nations Unies au Burundi (ONUB) mais les forces régulières et spéciales de l’Afrique du Sud sont restées sur place en tant qu’équipe spéciale de l’Union africaine (AUSTF) jusqu’en 2007.

Le Burundi est un exemple classique de la manière dont un processus de médiation qui est bien géré, effectué en temps opportun, bien connecté et aux ressources nombreuses peut allier, de façon créative, un règlement négocié au déploiement de forces militaires comme mesure de confiance. Il constitue également une étude de cas sur la façon dont le déploiement unilatéral des forces armées dans un processus de paix peut être étendu à l’initiative d’imposition de la paix en Afrique qui passe éventuellement au stade d’une mission à part entière de maintien de la paix des Nations Unies. Fondamentalement, ces processus interconnectés ont permis à Mandela de passer progressivement à l’arrière-plan et ont permis aux parties et à l’Union africaine de mener les dernières phases du processus. Fink Haysom explique :

A cet égard, le médiateur est de plus en plus oblige d’adopter un rôle d’arrière-plan. … S’approprier du processus n’est pas une légère considération à bien se sentir. Mais il s’agit des dures réalités de la mise en œuvre et de la durabilité du processus. Pendant tout le processus d’engagement, les médiateurs doivent garder à l’esprit que le processus doit appartenir aux parties et qu’ils ne font qu’aider à leur processus, et non le contraire.

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