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Contrôle parlementaire dans le secteur de la sécurité : L’expérience ougandaise

Dans un entretien avec le CESA, Stephen Twebaze explique que, lorsque les députés gouvernent en tant que représentants plutôt qu’acteurs politiques, même les Parlements subordonnés à un parti au pouvoir peuvent faire preuve d’un contrôle effectif.


soldats des Forces de défense du peuple ougandais sont en formation.

Soldats des Forces de défense du peuple ougandais sont en formation.(Photo: US Air Force/Master Sergeant Carlotta Holley)

Dans un entretien avec le CESA, Stephen Twebaze, chercheur sur les Parlements africains et conseiller auprès de l’Assemblée législative ougandaise, explique que, lorsque les membres du Parlement se considèrent avant tout comme des représentants du pouvoir législatif plutôt que comme des cadres déployés par leurs partis politiques, les Parlements sont à même d’exercer un contrôle effectif, même s’ils sont subordonnés à un parti au pouvoir. Depuis 1986, M. Twebaze a recueilli, analysé et publié des indicateurs de performance sur le Parlement ougandais.

Quel a été le rôle initial du Parlement ougandais dans le contrôle du pouvoir exécutif, en particulier dans le secteur de la sécurité?

Pendant la guerre civile ougandaise, le Mouvement national de résistance (NRM) a créé un réseau de comités locaux qui régissait les zones sous son contrôle et demandait des comptes aux commandants du mouvement en cas de faute grave. Ces comités fonctionnaient sous l’égide d’un Conseil de la résistance nationale (NRC), l’organe législatif du NRM, qui a continué à fonctionner après sa prise du pouvoir en 1986. Il a finalement été élargi à 270 membres, lesquels ont introduit des perspectives et des programmes divers. En effet, beaucoup de nouveaux membres appartenaient aux partis politiques d’avant‑guerre et se voyaient comme un instrument de contrôle du jeune gouvernement.

Parlement ougandais

Parlement ougandais. (Photo: John & Melanie Kotsopoulos)

Bien que Yoweri Museveni ait porté une triple casquette de président, de porte‑parole et de ministre de la Défense de l’Ouganda, il n’a pas toujours réussi à se faire entendre lors des délibérations du Conseil. L’adoption d’un code de conduite militaire élargi pour l’Armée de résistance nationale (le précurseur des Forces de défense du peuple ougandais ou UPDF) a été l’un des premiers exemples de surveillance exercée par le Conseil durant les années de formation du NRM. Plusieurs officiers supérieurs ont été sanctionnés pour mauvaise conduite en vertu de ce code. En 1990, des officiers de police de haut rang ont fait l’objet d’une enquête, puis ont été poursuivis et emprisonnés pour avoir utilisé des balles réelles contre des étudiants de l’Université de Makerere qui protestaient contre la cessation du soutien financier de l’Etat aux frais de subsistance, aux livres et aux frais de scolarité. Le Conseil a également créé le Bureau de l’inspecteur général, chargé d’enquêter de manière indépendante et de rechercher des solutions en cas d’abus d’une branche du gouvernement. Cet organe avait le pouvoir de citer à comparaître, d’arrêter et de poursuivre en justice, pouvoir qu’il a employé à plusieurs reprises.

En 1995, pour la première fois dans la vie politique ougandaise, 284 délégués indépendants ont été élus  au sein d’une Assemblée constituante, chargée de négocier et de rédiger la Constitution ougandaise de 1995. Cela a marqué une nouvelle étape dans le rétablissement de la démocratie parlementaire et la mise en place d’un contrôle indépendant.

Parmi les innovations clés intégrées dans la nouvelle Constitution, figuraient des clauses établissant une supervision civile de l’armée, des lois prévoyant davantage de transparence des services de renseignement, et des règles établissant plusieurs institutions indépendantes. L’une d’entre elles, la Commission ougandaise des droits de l’homme, disposait de pouvoirs étendus, tels que l’accès sans préavis aux installations de sécurité et aux lieux de détention pour surveiller le respect des droits de l’Homme. Cela a longtemps été considéré comme un modèle parmi les pays du Commonwealth.

Qu’est ce qui peut rendre un Parlement dynamique, quand bien même il est subordonné au parti au pouvoir?

Pendant la guerre civile et au début de la consolidation de l’État, le principe de la souveraineté parlementaire était au cœur de l’éthique politique et de l’idéologie du NRM.

Le développement institutionnel est un facteur important qui assure la vitalité parlementaire, même lorsque le parti au pouvoir reste dominant. La loi ougandaise sur l’administration du parlement (APA), par exemple – l’un des rares du genre en Afrique – confère au Parlement une autonomie complète quant à son administration, l’établissement de son budget et le recrutement de son personnel. Cela a immédiatement dissipé la crainte que le pouvoir exécutif puisse priver le Parlement de fonds, s’il s’immisçait trop dans les questions de sécurité.

Lorsque les membres du parlement se considèrent d’abord et avant tout comme des représentants de circonscription, par opposition aux cadres déployés du parti au pouvoir, l’organe lui-même peut alors mieux affirmer son indépendance et exercer un contrôle.

En outre, la coopération du pouvoir exécutif et sa volonté de se soumettre à un contrôle, peuvent donner un nouveau ton et indiquer une nouvelle trajectoire politique. Les dirigeants du Nigeria, du Libéria, de la Namibie et de la Sierra Leone ont tous manifesté leur ferme attachement à la souveraineté parlementaire, lors de leur transition de la guerre et du conflit civil. Le Parlement sierra‑léonais, par exemple, a considérablement renforcé son rôle de contrôle depuis la fin de la guerre civile en 2002, notamment en adoptant de nouvelles lois régissant la conduite du Conseil de sécurité nationale et en surveillant ses activités. En Namibie, le Parlement exerce un contrôle rigoureux sur le ministère de la Défense, ainsi que sur les services de renseignement au sein du cabinet du président, malgré le fait que les députés de l’organisation du peuple du Sud‑Ouest africain (SWAPO), au pouvoir, dirigent cette organisation depuis son indépendance en 1990.

Le fait important à retenir, de tout cela, est que lorsque les membres du Parlement se considèrent avant tout comme des représentants de circonscription, par opposition à des cadres envoyés par le parti au pouvoir, l’institution elle‑même peut alors mieux affirmer son indépendance et exercer son contrôle. Au Sénégal, il serait difficile de distinguer les cadres du parti au pouvoir par rapport aux députés de l’opposition lors des débats en plénière et en commission, ainsi que lors des enquêtes parlementaires. Le Ghana, la Tunisie et l’Afrique du Sud, pour n’en nommer que quelques‑uns, présentent des caractéristiques similaires : les partis au pouvoir détiennent des majorités absolues, mais les Parlements conservent leurs propres identités d’entreprise et institutionnelles, qui renforcent leur indépendance au‑delà des lignes du parti.

Pouvez-vous citer quelques réalisations remarquables en matière de contrôle parlementaire?

Le 6e parlement ougandais (1996–2001) est passé d’un contrôle en plénière à un contrôle par comités, ce qui lui a permis, pour la première fois, de traiter des questions en profondeur, de manière à constituer des comités restreints. Grâce à l’APA, le Parlement exerçait également un contrôle total sur sa propre gouvernance. La première innovation a accru son efficacité en matière de surveillance, tandis que la seconde son indépendance et son autonomie. Cela a ensuite permis au Parlement de s’attaquer plus efficacement aux problèmes de sécurité.

Dans le système des comités, les membres convoquaient régulièrement des ministres pour témoigner, en audience publique et invitaient des experts en la matière et d’autres parties prenantes pour donner leur avis sur les questions à l’étude. Plusieurs sujets auparavant « interdits » ont été soumis à l’examen public, y compris la guerre dans le nord de l’Ouganda, les activités de la communauté de renseignement, les opérations militaires de l’Ouganda, notamment en République démocratique du Congo et à l’appui du Mouvement de libération du peuple soudanais pendant la guerre civile au Soudan. La mise en place du Comité des comptes publics, qui, par ordre statutaire, est présidé par les membres de l’opposition, a conféré au Parlement le pouvoir de vérifier et de rendre publiques les dépenses de l’État.

Les 6e et 7e législatures (2001–2006) ont ouvert plusieurs enquêtes et ont pris des mesures policières contre les coupables. Ils ont également fait pression sur d’autres branches du gouvernement pour qu’ils ouvrent leurs propres enquêtes, dont beaucoup se déroulaient en simultanée avec des enquêtes parlementaires. Par la suite, une commission présidée par la juge Julia Sebutinde a enquêté sur les actes répréhensibles généralisés au sein des forces policières, et la commission Porter, un panel de juges internationaux, africains et ougandais convoqués par le juge David Porter, a enquêté  sur la corruption des officiers supérieurs de l’armée au cours des opérations militaires ougandaises au Congo. La juge Sebutinde a également enquêté sur l’achat, par l’armée, de deux hélicoptères défectueux en provenance de la Biélorussie dans le cadre d’une enquête qui a notamment conduit au renvoi du frère du président en tant que chef de l’armée.

Table - Ugandan ParliamentsLe Parlement a également examiné la corruption et la mauvaise gestion dans l’armée, un effort conjoint de la Commission de la défense et des affaires intérieures et de la Commission des affaires présidentielles et étrangères. En outre, plusieurs « comités de session » ont été créés pour surveiller certains ministères. Leurs conclusions ont ensuite été reprises par des comités spécialisés. À la 7e législature, 22 commissions de session et comités restreints avaient enquêté sur la mauvaise gestion au sein du gouvernement ougandais, conduisant à la censure et au licenciement de plusieurs ministres.

L’élaboration de la loi budgétaire a encore renforcé le rôle de contrôle du Parlement en obligeant le pouvoir exécutif à soumettre des estimations préliminaires aux commissions parlementaires avant que le budget ne soit présenté par le ministre des finances. Avec l’APA, cette loi protégeait le Parlement et lui permettait d’exercer un véritable contrôle sur le pouvoir exécutif. D’autres mesures ont permis au Parlement de contrôler sa sécurité et ses indemnités, de lui donner accès à des budgets classifiés et de s’assurer qu’il ne dépendrait pas des ministères et du procureur général pour les informations du gouvernement, y compris le budget et les opérations de l’armée, de la police et du service de renseignement.

Qu’est‑ce qui explique le déclin récent de l’ ’indépendance et de la surveillance parlementaires?

De nombreux cadres ayant défendu les réformes et manifesté leur ferme volonté de rendre des comptes considèrent désormais les institutions indépendantes comme une menace à leur pouvoir. Le clientélisme et l’intimidation – et dans le cas de l’Ouganda, la méthode « de la carotte et du bâton » – ont été de plus en plus utilisés pour contourner et affaiblir ces institutions.

Au cours de la 6e législature, des législateurs fidèles au pouvoir exécutif ont décidé de prendre le contrôle de plusieurs comités de session afin de réduire l’accès des membres à des informations sensibles du gouvernement. Les représentants de l’armée ont rejoint le Comité de la défense et des affaires intérieures et ont utilisé leur effectif pour élire, à la présidence, un général encore en service. Bien que le comité ait finalement retrouvé le contrôle civil après que l’opposition se soit organisée, la tendance s’est maintenue pendant les 7e et 8e législatures, où des fidèles du pouvoir exécutif ont pris le contrôle d’autres comités tels que la Commission des affaires présidentielles et étrangères et la Commission juridique et parlementaire. Cette dernière a adopté le projet de loi controversé qui supprime la limite de deux mandats présidentiels.

La monétisation croissante de la politique, associée à la diminution de l’engagement en faveur des principes éthiques et de l’idéologie, a également contribué à une dégradation de la qualité du contrôle parlementaire. Alors que les aspirants législateurs se présentaient autrefois avec une conviction et des antécédents honorables, ils vendent maintenant leurs propriétés et obtiennent des prêts pour financer leurs campagnes. Ils récupèrent rarement leur « investissement ». En effet, il est courant aujourd’hui de voir des parlementaires ougandais arrêtés et emprisonnés pour ne pas avoir remboursé leurs emprunts. En tant que tel, l’exécutif a pu « acheter » le soutien de législateurs problématiques avec des faveurs telles que de l’argent, des postes de cabinet, des promesses de nouveaux projets dans leurs circonscriptions et l’accès à des prêts favorables.

Enfin, la qualité des personnes entrant au Parlement a considérablement diminué. Les législateurs expérimentés et plus anciens qui ont façonné les pratiques parlementaires de la 6e à la 8e législature,- dont beaucoup sont des contemporains du président – ont été remplacés par de plus jeunes moins attachés aux principes éthiques et beaucoup plus sensibles aux pots-de-vin. Nous constatons des tendances similaires dans d’autres parlements nationaux, notamment au Kenya, au Burundi, en Tanzanie et au Soudan du Sud. De même au sein des organismes régionaux tels que l’Assemblée législative de l’Afrique de l’Est et le Forum parlementaire de la Communauté de développement de l’Afrique australe. Le rôle du Parlement panafricain dans l’accroissement de la responsabilité et du contrôle a été minime.

Quelles leçons les autres législatures peuvent‑elles tirer de l’expérience ougandaise?

Premièrement, sans indépendance et autonomie parlementaires, il ne peut y avoir de contrôle efficace. Les législateurs ougandais ont compris très tôt que les dispositions constitutionnelles ne suffisaient pas. Des lois exécutoires devaient également être établies pour que le Parlement puisse se doter de ses propres capacités en dehors du pouvoir exécutif. Deuxièmement, l’autonomie signifiait que le Parlement devait pouvoir contrôler entièrement son budget, ainsi que son administration quotidienne. Troisièmement, l’indépendance institutionnelle exigeait la création d’un service de recherche et d’enquête, d’un bureau du budget et d’un conseil juridique, dépendant uniquement du Parlement. Cela garantissait que l’organisme puisse fonctionner de manière autonome, sans recourir aux autres branches du gouvernement pour les données, les capacités d’enquête et l’assistance juridique. Quatrièmement, la participation du public par le biais d’audiences, d’enquêtes et d’un programme de stage parlementaire populaire a renforcé la confiance des citoyens dans la législature. Cela a renforcé le devoir du Parlement d’exercer un contrôle pour le compte des citoyens.

Sans indépendance et autonomie parlementaires, il ne peut y avoir de contrôle effectif.

Les tendances négatives de la pratique parlementaire en Ouganda sont principalement dues au déclin de la volonté des législateurs d’exercer un contrôle effectif et d’affirmer leur indépendance. Ceci est directement du à la hausse du clientélisme résultant des efforts du gouvernement pour se maintenir au pouvoir. Les architectures institutionnelles et juridiques du Parlement restent toutefois intactes et ses capacités ont continué d’augmenter. L’exemple de l’Ouganda contredit donc la thèse selon laquelle la qualité et l’efficacité du contrôle parlementaire s’améliorent nécessairement du fait de l’accroissement de ses capacités institutionnelles. Les attitudes, la volonté et les convictions des législateurs jouent un rôle au moins aussi important dans le fonctionnement efficace du Parlement. Parallèlement à cela, il est également essentiel que le Parlement développe sa propre identité d’entreprise et institutionnelle, distincte du pouvoir exécutif.

La faiblesse du pouvoir exécutif, dues à des incitations marchandes, n’est pas durable à long terme, en raison la taille même du Parlement et les alliances, toujours changeantes, entre les législateurs. Alors que la qualité de contrôle de la 9e à la 11e législature est médiocre par rapport aux 6e, 7e et 8e, les révoltes des législateurs du parti au pouvoir qui ne souhaitent pas suivre la ligne du parti, sont devenues monnaie courante. Cela conduit à une nouvelle dynamique qui pourrait se révéler prometteuse pour l’avenir.


Ressources complémentaires