Le 18 août, le Colonel Assimi Goïta lance un coup d’État, replongeant le Mali sous la gouvernance militaire. Un long héritage en est le reflet : le Mali a subi quatre coups d’État depuis son indépendance en 1960 et s’est vu dirigé soit par un gouvernement militaire, soit par un ancien militaire pour 35 de ses 60 années en tant que pays indépendant.
La Charte de transition annoncée par la junte prévoit à nouveau un rôle central pour l’armée dans les affaires politiques du pays. Notamment, la Charte confère à la junte non seulement l’immunité judiciaire mais aussi la suprématie de la Charte sur la constitution et même la future place de la junte dans un gouvernement de transition.
Depuis le coup, le Colonel Goïta a participé plusieurs fois à des cérémonies pour redorer la perception de la gouvernance militaire. Juste après avoir pris le pouvoir, Goïta a même cherché les conseils de l’ancien dictateur militaire Moussa Traoré, lui rendant une visite publique à son domicile de Bamako. Pendant les cérémonies du jour de l’indépendance du Mali, des soldats ont acclamé et accueilli le leader du coup de 2012, le général Amadou Haya Sanogo. Plus de 400 officiers se sont vus promus lors de cette cérémonie.
Mais les célébrations en l’honneur des leaders de coups au Mali ne font que cacher les résultats calamiteux des précédents gouvernements militaires.
Au Mali, les coups d’État, leurs dirigeants et la gouvernance militaire récompensés
Coup d’État de 1968
- 19 novembre 1968 – le lieutenant Moussa Traoré lance un coup d’État militaire qui limoge le Président Modibo Keïta. Sous son régime, Traoré se promeut général et dirige la première junte du Mali et par la suite un régime à parti unique.
- Sous ce régime à parti unique particulièrement répressif, les manifestations sont fréquemment dispersées à coup de balles réelles et les rivaux et ceux qui osent exprimer leur désaccord sont éliminés. Le régime de Traoré est accusé d’avoir tué des milliers de maliens. Après son limogeage, Traoré est jugé et condamné pour avoir tué au moins 200 manifestants en mars 1991. En 2002, il est pardonné par le président Alpha Oumar Konaré.
- La croissance économique pendant le règne de Traoré s’est révélée anémique, caractérisée par une contraction économique pour 11 de ses 23 années au pouvoir.
- La corruption était également omniprésente durant cette période. Après avoir été obligé à quitter le pouvoir, des enquêteurs de l’Initiative de recouvrement des avoirs volés de la Banque mondiale et de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime ont aidé à recouvrer des millions en fonds volés cachés dans des comptes bancaires suisses de Traoré.
Coup d’État de 1991
- 26 mars 1991 – après des manifestations commencées par des étudiants et violemment réprimées par l’armée sous les ordres de Traoré, le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré dirige un coup forçant le départ du pouvoir de Traoré. Touré devient chef d’État par intérim et le leader d’une transition vers une démocratie multipartite au Mali. Touré quitte néanmoins le pouvoir après l’élection d’un civil, Alpha Oumar Konaré à la magistrature suprême. Touré est ensuite promu général.
1992-2002
- Le président Konaré sert deux mandats, caractérisés par une croissance économique soutenue, le respect des libertés civiques et politiques et une réforme du secteur de la sécurité. En 2000, le Mali est un membre fondateur de la Communauté des démocraties.
2002-2012
- 12 mai 2002 – le général Amadou Toumani Touré (à la retraite depuis 2001), remporte en candidat indépendant l’élection présidentielle, en partie grâce à son statut de célébrité suite au coup d’État de 1991. Il est réélu en avril 2007 pour un deuxième mandat. Mais les perceptions de la corruption de haut niveau augmentent pendant ses mandats et les institutions clés du gouvernement, y compris l’armée, se détériorent.
Coup d’État de 2012
- 22 mars 2012 – le capitaine Amadou Haya Sanogo dirige un coup d’État seulement quelques semaines avant des élections, obligeant Touré à démissionner. Sanogo établit une junte pour diriger le pays. La médiation de la CEDEAO donne lieu à un accord selon lequel Sanogo cède le pouvoir à Dioncounda Traoré, qui sert de président civil par intérim jusqu’à l’organisation d’élections. Mais la junte reste en place et menace les dirigeants par intérim. Pendant cette période, le nord du Mali est occupé par des groupes islamistes militants, plongeant la sous-région dans une crise qui perdure aujourd’hui.
- 11 août 2013 – Ibrahim Boubacar Keïta, un leader de longue date de l’opposition, remporte le second tour de l’élection présidentielle avec 78% des suffrages. Trois jours plus tard, le capitaine Sanogo est promu général.
- 27 novembre 2013 – le général Sanogo est arrêté et accusé d’avoir enlevé et fait disparaitre 21 militaires maliens. Ces soldats parachutistes avaient tenté d’effectuer un coup contre Sanogo fin avril 2012. Leurs corps sont découverts dans une fosse commune en décembre 2013. Le 28 janvier 2020, Sanogo est libéré sous caution en l’attente de son procès, depuis reporte pour « maintenir la concorde avec l’armée ».
- 16 août 2018 – Keïta est réélu au deuxième tour de l’élection présidentielle avec 67 % des suffrages.
Coup d’État de 2020
- 18 août 2020 – le colonel Assimi Goïta dirige un coup d’État limogeant le président Keïta du pouvoir et établissant une junte militaire. Au départ, la junte propose de se maintenir au pouvoir pour une période de transition de trois ans, suscitant une forte opposition domestique et une condamnation internationale.
- 12 septembre 2020 – la junte introduit une Charte de transition qui maintien le rôle de la junte dans les affaires politiques du pays.
- 22 septembre 2020 – la junte nomme le Colonel Major (à la retraite depuis 2012) Bah N’Daw comme président par intérim et désigne le leader de la junte, le Colonel Assimi Goïta comme vice-président par intérim. Ces nominations défient la demande de la CEDEAO que la junte cède le pouvoir à un gouvernement civil. N’Daw avait servi d’aide de camp à Moussa Traoré jusqu’à 1990 et ensuite comme chef d’État-major de l’Armée de l’air sous Touré en 2004. Après avoir pris sa retraite en 2012, il avait été le ministre de la Defense de Keïta en 2014-2015. Le vice-président est chargé de superviser les forces armées et les institutions de la sécurité nationale. Il remplacerait également le président en cas d’incapacité.
« Mais les célébrations en l’honneur des leaders de coups au Mali ne font que cacher les résultats calamiteux des précédents gouvernements militaires »
- 25 septembre 2020 – N’Daw and Goïta prennent leurs postes dans le gouvernement de transition installé par la junte.
Ressources complémentaires
- Joseph Siegle and Daniel Eizenga, « Mali Coup Offers Lessons in Democracy Building—but Junta Must Go », The Hill, September 19, 2020.
- Alex Thurston, « What Role Can ECOWAS Play in Mali’s Post-Coup Transition? », Trend Lines Podcast, World Politics Review, September 16, 2020.
- Joseph Siegle et Daniel Eizenga, « Attention au coup d’État populaire », AllAfrica.com, August 31, 2020.
- Peter Tinti, Raouf Farrah, and Matt Herbert, « Crime after Mali’s Coup: Business as Usual? », Global Initiative against Transnational Organized Crime, August 31, 2020.
- Nic Cheeseman, « What's Happening in Mali is a Coup. We Must Call It That », Mail & Guardian, August 19, 2020.
- Paul Nantulya, « Le Burundi après Nkurunziza: Les généraux en ordre de marche », Éclairage, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 7 juillet 2020.
- Émile Ouédraogo, « Pour la professionnalisation des forces armées en Afrique », Papier de Recherche No. 6, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 31 juillet 2014.
- Mathurin C. Houngnikpo, « Armées africaines: Chainon manquant des transitions démocratiques », Bulletin de la sécurité africaine No. 17, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 22 janvier 2012.
En plus: Démocratisation la professionnalisation des forces armées le Sahel Mali