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L’augmentation des déplacements observée en Afrique depuis le milieu des années 2010 est fonction de facteurs structurels à court terme qui exercent de multiples formes de pression sur les ménages africains, précipitant ainsi leur déracinement et l’abandon de leurs foyers.
Facteurs immédiats
Les conflits non résolus perpétuent les déplacements
Sur le continent africain, il y a treize pays confrontés à des conflits armés majeurs et ils y représentent près de 90% des 25 millions de personnes déplacées par les conflits et la persecution *. Ces dernières années, l’Afrique a été le théâtre de plus d’un tiers des conflits à l’échelle mondiale et par conséquent, compte environ 35% de toutes les personnes déplacées. Ce chiffre représente à la fois l’effet cumulé de longs conflits et l’augmentation soudaine de déplacements observée lors de nouvelles crises. Dans certains cas, il représente une combinaison des deux (voir encadré). Plutôt que de se dissiper au fil du temps, les longs conflits non résolus produisent des vagues répétées de déplacements.
La tendance à la hausse des déplacements forcés depuis 2005 peut être largement attribuée à de tels conflits prolongés, dont les effets se répercutent dans la région environnante. Il existe notamment des concentrations régionales de conflits (et de déplacements) dans les Grands Lacs, les deux Soudans, en Somalie et dans le bassin du lac Tchad. De plus, la tendance des conflits en Afrique à affecter des zones géographiques contigües (voir Figure 3), signifie que les chances de trouver refuge dans les pays voisins sont souvent peu probables.
Nombre de ceux qui ont fui les violences sectaires en RCA, par exemple, se sont réfugiés en RDC. Dans le même temps, plus de 15 000 Congolais se sont vu déplacer vers le Soudan du Sud, également en guerre et qui accueille des Soudanais fuyant les conflits des régions du Kordofan du Sud et du Nil Bleu. En même temps, les Soudanais du Sud ont fui dans toutes les directions, notamment vers le Soudan, l’Ouganda, la RDC et la RCA (voir Figure 4).
Tant que ces conflits persistent et demeurent non résolus, il en sera de même pour la crise des personnes déplacées. Alors que certains trouveront peut-être des opportunités de se réinstaller dans d’autres pays, la plupart n’en aura pas la possibilité, ce qui constitue une source perpétuelle de tension dans la région touchée.
Soudan : Un demi-siècle de dysfonctionnement et de déplacements
Le Soudan a connu plus de 50 ans de crise politique ponctués de quatre conflits de grande ampleur. De 1955, année de son indépendance à 1972, le pays a été confronté à un conflit civil entre le nord et le sud sur la base de questions d’exclusion géographique, religieuse et ethnique. Après une pause de 10 ans, les combats ont repris et ont duré de 1983 à 2005. En 2003, des groupes rebelles de la région du Darfour de l’ouest du Soudan se sont soulevés contre le gouvernement et son oppression de la population non arabe de la région. Le gouvernement a riposté en menant une campagne de nettoyage ethnique qui a provoqué la mort et le déplacement de centaines de milliers de civils. En dépit de la négociation de plusieurs accords de paix, le conflit n’a pas pris fin. Lors de l’accession du Soudan du Sud à l’indépendance en 2011, des violences ont éclaté dans les États du Kordofan du Sud et du Nil Bleu, régions dont les populations avaient également exprimé un désir d’indépendance qu’elles s’étaient vu refuser. Ce soulèvement s’est retrouvé intimement lié au conflit du Darfour puisque les insurgés ont formé une alliance souple contre le gouvernement.
En dépit de la conclusion d’un accord de partage du pouvoir qui a vu l’introduction de civils au sein du gouvernement en 2019 après plusieurs décennies de régime militaire, on compte encore quelque 2,8 millions de Soudanais déplacés de force. Ce nombre ne comprend pas les millions de Soudanais qui avaient fui le pays lors de la première et de la deuxième guerre civile, pour se réfugier dans des pays comme l’Égypte où ils se sont établis de manière permanente. Des tendances similaires peuvent être observées au Burundi, en RDC, en Somalie et au Soudan du Sud, entre autres. Cependant, à mesure que ces chiffres augmentent, les chances pour les ménages nouvellement déplacés de trouver une solution durable à proximité de leur pays d’origine – comme l’ont fait des millions de Soudanais en Égypte de 1970 à 1990 – s’amoindrissent de plus en plus rapidement.
Gouvernance répressive
La manière dont les gouvernements répondent aux priorités et griefs de leurs citoyens est au cœur de la plupart des déplacements sur le continent. Les 13 principaux conflits armés en Afrique sont internes (plutôt que inter-états). Cela met en évidence les liens indissociables entre gouvernance exclusive, crise politique et conflit. Les gouvernements dont la légitimité est mieux établie, plus ouverts à la participation et respectueux de l’état de droit, ont tendance à faire preuve d’un plus grand succès d’atténuation de tels conflits internes.
Sur les 10 pays africains comptant le plus grand nombre de personnes déplacées pour cause de conflit ou de persécution, 9 ont des gouvernements à tendance autoritaire (voir Tableau 1). Les dirigeants de ces neuf gouvernements ont évité les limites de mandat soit en changeant leur constitution ou en ne respectant pas ces limites afin de leur permettre de rester au pouvoir. La durée moyenne au pouvoir des dirigeants africains sans limite de mandat est de 18 ans, comparée à seulement 4 ans dans les pays ayant une limite de mandat 4. Les pays sans limite de mandat en Afrique ont également tendance à être plus instables, dont un tiers affecté par un conflit majeur. Un environnement politique restrictif est par conséquent non seulement un facteur direct de déplacement forcé mais aussi un facteur indirect de par le conflit qui en résulte.
L’Érythrée fournit un bon exemple des liens directs qui existent entre la gouvernance autoritaire et le déplacement. Ses citoyens ont longtemps fui les conditions brutales qui sévissent dans le pays – le nombre d’Érythréens ayant traversé la Méditerranée pour se rendre en Europe depuis 2009 s’élève à plus de 120 000 (sur une population de 6 millions d’habitants). Le nombre d’Erythréens présents dans les pays voisins est encore plus élevé—le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) a compté près de 175 000 rien qu’en Ethiopie. Depuis 1995, le gouvernement a imposé une conscription pour le service national obligatoire qui contraint effectivement les citoyens érythréens à se soumettre à une servitude contractuelle leur faisant exécuter des tâches pour le gouvernement pour une période indéterminée (bien qu’elle soit officiellement limitée à 18 mois). Il n’existe pas de presse libre ou de sphère politique permettant aux citoyens d’exprimer leurs griefs. Un rapport de 2016 de la Commission d’enquête des Nations unies a établi un lien entre le déplacement massif d’Érythréens et les « violations flagrantes des droits de l’homme » dans le pays 5. La brève réouverture de la frontière entre l’Éthiopie et l’Érythrée entre 2018 et 2019 a entraîné une nouvelle hausse du nombre d’Érythréens cherchant refuge en Éthiopie.
La corruption est un élément particulièrement néfaste de la mauvaise gouvernance qui contribue au déplacement. Les recherches ont montré qu’il existe un « point de basculement » où une fois qu’un seuil de corruption institutionnelle est atteint, pour toute augmentation marginale de la corruption perçue, il en résulte une forte diminution de la sécurité intérieure 6. La corruption au sein de la police et du système judiciaire est particulièrement néfaste. Une fois que les citoyens d’un pays estiment qu’ils ne peuvent plus compter sur sa police ou son système judiciaire pour leur protection, ce pays devient beaucoup plus vulnérable à l’instabilité.
L’émergence d’acteurs de sécurité extra-légaux représente une des ramifications du manque de confiance dans les services de sécurité gouvernementaux, c’est l’émergence d’acteurs de sécurité non statutaires. Bien que certains d’entre eux soient bien intentionnés, d’autres manquent de formation et d’organe de responsabilisation. Ces groupes font alors recours aux extorsions et rackets pour s’approprier le contrôle des secteurs générateurs de revenus de l’économie locale 7. Ceci mène à une plus grande instabilité et un déplacement massif de personnes.
Les perceptions de corruption au sein du gouvernement facilitent également le recrutement et la rétention de membres par les groupes extrémistes violents, contribuant ainsi à davantage d’instabilité et de déplacements 8. Bien que les groupes extrémistes profitent eux-mêmes de la corruption pour acheminer des fonds et trafiquer des biens en contrebande et des clandestins, ils justifient leurs actions comme étant la preuve de l’inaptitude de l’État à gouverner. Non seulement l’État perd davantage de crédibilité auprès de ses citoyens désillusionnés, ses institutions sont également considérablement affaiblies par la corruption, ce qui fait de l’État une alternative peu attractive pour les groupes extrémistes. Un pays comme le Mali est un bon exemple de compromission de la légitimité de l’autorité du gouvernement au sein des communautés qui n’ont bénéficié que de peu d’attention de la part de Bamako. Comme le notent à juste titre les experts du contre-terrorisme, « la corruption est l’arme la plus puissante dans l’arsenal de l’extrémisme violent 9».
Facteurs économiques
Alors que la majorité des déplacés africains l’ont été de force, les facteurs économiques constituent un élément contributeur clé au flux des Africains qui tentent d’entrer en Europe, dans la péninsule arabique et en Afrique du Sud (voir Figure 5). Ceci a créé une dynamique politique très forte au sein de ces pays de destination. Cependant, il est important de reconnaître que la majorité des migrants économiques de l’Afrique restent en Afrique. On estime à 12,1 millions le nombre de migrants économiques africains vivant dans un pays d’Afrique d’où ils ne sont pas originaires. Ce nombre ne comprend pas les nombreux migrants africains qui se déplacent vers des pays voisins pour du travail saisonnier ou à court terme (connu également sous le nom de migration circulaire). Au total, environ 80% des migrants économiques africains restent en Afrique.
Des entretiens effectués avec des personnes en transit sur les routes migratoires africaines montrent que, dans l’ensemble, les migrants économiques viennent de pays qui ne sont pas forcément les plus pauvres parmi les pauvres ou engagés dans un conflit national intense (voir figure 5). On constate plutôt que ces personnes réagissent souvent à un ensemble de privations socio-économiques dans leurs pays d’origine, le manque de services gouvernementaux destinés aux citoyens et la perception de meilleures opportunités d’emploi à l’étranger.
De nombreux jeunes Africains décident de partir parce qu’ils ne voient pas d’avenir viable pour eux dans leur pays d’origine. L’existence de réseaux transnationaux de soutien familial et communautaire à l’étranger peut faciliter la décision d’émigrer et d’émigrer plus loin. Toutefois, de nombreux migrants économiques s’embarquent dans cette aventure même en l’absence de tels liens familiaux.
Sur les routes méditerranéennes, on a constaté que de nombreux migrants sont prêts à passer des mois, voire des années, à travailler sur la base d’un système « de paiement au fur et à mesure » pour le coût du voyage vers leur destination 11. Il existe également des preuves anecdotiques selon lesquelles qu’en dépit des rumeurs de risques de vol et d’extorsion, nombre d’entre eux choisissent toujours de partir mais en laissant leur argent derrière pour le faire transférer plus tard par le biais de réseaux financiers informels à différentes étapes du voyage ou en cas d’urgence 12. On peut donc conclure que pour de nombreux migrants africains, le fait même de savoir que le voyage sera dangereux ne les a pas dissuadés.
Principales routes empruntées par les migrants économiques africains
Les routes méditerranéennes
Selon les estimations, sur les 86 000 migrants africains arrivés chaque année en Europe depuis 2014, la plupart sont originaires d’Érythrée, du sud du Nigéria, de la Côte d’Ivoire, du Maroc et du Mali (voir figure 6). Ceci n’est qu’une infime portion des 1,5 à 2,5 millions de migrants africains vivant dans les pays nord-africains le long de la Méditerranée. Cette population comprend des migrants de longue durée et des migrants circulaires venant pour la plupart d’autres pays d’Afrique du Nord ainsi que de pays limitrophes comme le Niger, le Tchad et le Soudan.
L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime que la Libye abrite le plus grand contingent de migrants économiques africains avec au moins 666 000 personnes. Il est estimé qu’entre 250 000 et 350 000 personnes se trouveraient en Algérie, pour la plupart originaires de la Guinée, du Mali, du Niger, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso 13. Bien que beaucoup y soient en transit depuis 2008, l’Algérie est devenue une destination à part à cause de l’existence relative d’opportunités d’emploi dans ce pays riche en hydrocarbures.
L’Egypte et le Maroc sont souvent considérés comme des pays d’origine de cette migration. Le Maroc compte plus de 4 millions de personnes dans sa diaspora, dont 2,9 millions environ sont des migrants de première génération. La diaspora égyptienne est encore plus importante : plus de 8 millions de personnes, dont 3,4 millions environ de la première génération. Cependant, ces deux pays sont également devenus des escales importantes pour les migrants économiques. L’Égypte a une vaste économie informelle et une communauté d’immigrés auxquelles de nombreux Africains aspirent. – qu’ils y soient pour le long terme ou simplement en transit. En Egypte, le nombre de migrants a augmenté depuis que le gouvernement a annoncé des mesures de répression contre le trafic de personnes en 2016. Depuis lors, les départs de bateaux à partir des côtes égyptiennes ont pratiquement cessé.
Au cours des cinq dernières années, plus de 26 000 Marocains ont été interceptés dans la traversée vers l’Europe, plaçant le pays au sommet du classement des cinq premières nationalités africaines tentant d’atteindre le continent européen. Toutefois, le Maroc est également devenu un pays de destination, accueillant entre 55 000 et 85 000 migrants dont la majorité est originaire des pays de l’Afrique subsaharienne et dont l’intention était peut-être d’atteindre l’Espagne mais n’en ont pas eu pas la capacité.
La route de la péninsule arabique
La voie de la péninsule arabe est généralement utilisée par les migrants économiques de la Corne de l’Afrique et d’Afrique de l’Est (voir Figure 6). L’OIM estime qu’en 2018, environ 160 000 migrants ont traversé la mer d’Oman et la mer Rouge à destination de la côte sud du Yémen, pays ravagé par la guerre 14. Plus de 90% de ces migrants ont été identifiés comme étant éthiopiens. Ce nombre reflète une tendance à la hausse depuis 2013, malgré l’instabilité grandissante au Yémen.
La route de l’Afrique australe
On estime à environ 47 500 le nombre de personnes qui migrent chaque année vers l’Afrique du Sud et qui représentent l’ensemble des migrants saisonniers et ceux du long terme 15. La majorité de ces migrants sont aussi d’Éthiopie. Ceux qui atteignent l’Afrique du Sud rejoignent les 1 à 3 millions de migrants de longue durée déjà présents dans le pays dont la majorité vient des pays voisins surtout du Zimbabwe et du Mozambique 16.
Le long de la route de l’Afrique australe, les migrants ont eu tendance à avoir recours à l’aide des passeurs en raison des complications potentielles auxquelles ils s’exposent en cas d’interception par la police dans les pays de transit. En vertu de la loi kényane de 2011 sur la citoyenneté et l’immigration par exemple, toute présence illégale dans le pays est considérée comme une infraction criminelle passible d’une amende allant jusqu’à 5 000 KES (environ 50 dollars) ou une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans, ou les deux 17. Bien que les migrants principalement éthiopiens n’aient pas besoin de visa pour entrer au Kenya, beaucoup n’ont pas de documents prouvant leur nationalité. Pour cette raison, et pour obtenir de l’aide à traverser la traverser la Tanzanie et le reste, les migrants de la Corne de l’Afrique affirment avoir recours à des passeurs. Des enquêtes ont révélé que le marché du trafic de personnes en Afrique de l’Est « part principalement de Nairobi et utilise une chaîne de mukalas (passeurs clandestins) pour faciliter le passage des migrants au travers des nombreuses juridictions administratives le long de peur parcours 18».
Cette route peut être tout aussi dangereuse et fatale que celles menant vers l’Europe. Bien que conscients des risques du voyage, de nombreux jeunes migrants, leurs familles et leurs communautés ne se découragent pas pour autant et restent optimistes qu’ils réussiront 19.
La route des Amériques
La route de l’Afrique aux Amériques est de loin moins populaire que les routes africaines car elle nécessite plus de moyens et au minimum un passeport pour s’y lancer. Elle commence typiquement par un vol au départ de l’Angola ou de l’Afrique de l’Est vers le Brésil ou l’Équateur. Il faut ensuite compter entre 10 000 et 20 000 dollars pour l’assistance nécessaire à atteindre les États-Unis par voie terrestre 20. Les autorités panaméennes ont tout de même enregistré le passage de 2 515 Africains en provenance de la frontière Colombienne en 2018 21. La plupart étaient camerounais, congolais, érythréens et ghanéens. Précédemment, 5 400 Africains environ avaient franchi cette frontière entre 2010 et 2016. Bien que les autorités mexicaines n’aient commencé à enregistrer l’apparition sporadique de migrants africains qu’en 2005, l’arrivée dans le pays en 2018 de 2 960 Africains (pour la plupart du Cameroun, de la RDC et de l’Érythrée) – principalement à travers sa frontière sud du Chiapas – suggère que la route clandestine coûteuse qui mène aux Amériques commence à prendre de l’importance 2.
Facteurs structurels
En Afrique, les changements démographiques et environnementaux continuent également d’exacerber sans cesse les facteurs du déplacement sur le continent.
La croissance démographique pousse la jeunesse africaine à émigrer
La population de l’Afrique a plus que doublé depuis 1984, passant de 537 millions à près de 1,3 milliards. Selon les prévisions, elle va encore doubler (pour passer le seuil des 2,5 milliards) d’ici 2050. La population africaine est également jeune. Soixante pour cent de la population africaine en 2017 avait moins de 25 ans (41% moins de 15 ans), faisant de l’Afrique, la région la plus jeune du monde. Les taux de fécondité élevés en Afrique (4,9 enfants par femme en moyenne en Afrique subsaharienne) devraient chuter au cours du prochain siècle. Mais le fait qu’une si grande partie de la population n’ait pas encore atteint l’âge adulte signifie qu’il faudra attendre des décennies pour une stabilisation de la croissance démographique, ce qui aura un impact direct sur les déplacements de population en Afrique.
La moitié des 10 pays africains qui devraient compter le plus grand nombre d’habitants en 2050 figurent sur la liste des pays les moins avancés des Nations Unies.
Certains des pays africains qui devraient connaître la croissance la plus forte au cours des 30 prochaines années comptent déjà un nombre important de populations déplacées de force. Les six pays africains ayant le plus grand nombre de personnes déplacées de force (Soudan du Sud, RDC, Somalie, Soudan, Éthiopie et Nigéria) comptent aujourd’hui pour plus de 19 des 25 millions de personnes déplacées de force et devraient collectivement voir leur population plus que doubler d’ici 2050 (voir Tableau 2).
Le Sahel, l’une des régions les plus pauvres et les plus écologiquement fragiles, est également la région avec les taux de natalité les plus élevés en Afrique. Les projections d’une augmentation de 120% de la population de cette région à l’horizon 2050 sont 20% plus élevées que celles du continent dans son ensemble (voir tableau 3). Trois pays sahéliens (Burkina Faso, Mali et Niger) sont confrontés à une augmentation rapide de déplacements due aux insurrections islamistes. Ces pressions risquent d’accélérer l’instabilité et les motifs pour les personnes cherchant des solutions de long terme à migrer hors de la région et éventuellement plus loin.
La moitié des 10 pays africains qui devraient compter le plus grand nombre d’habitants en 2050 figurent sur la liste des pays les moins avancés (PMA) de l’ONU : l’Angola, la RDC, l’Éthiopie, le Soudan et la Tanzanie (voir Tableau 4). La croissance démographique rapide de ces pays amplifiera les défis auxquels les citoyens au sein de ces sociétés sont confrontés dans l’accès à leurs besoins fondamentaux de nourriture, de logement, de soins de santé et d’éducation, ce qui est susceptible d’inciter davantage de personnes à chercher ailleurs des moyens d’existence.
Les pressions environnementales accélèrent davantage les déplacements
Les PMA sont particulièrement vulnérables aux chocs environnementaux. Des changements à évolution lente tels que la hausse des températures et la montée du niveau des mers, aux catastrophes soudaines telles que les inondations et les glissements de terrain, le changement climatique fait des ravages dans de nombreux pays africains, déplaçant des milliers de personnes chaque année.
Il est prévu que certaines de ces catastrophes naturelles s’empirent et durent plus longtemps. Les conditions météorologiques extrêmes ne feront pas que continuellement déplacer les populations des zones inondées mais la montée du niveau des océans rendra également une partie des zones côtières – où se situent les plus grandes agglomérations d’Afrique complètement inhabitable. La hausse des températures et l’allongement des périodes de sécheresse auront un impact non seulement sur la disponibilité de l’eau, mais également sur les moyens d’existence des personnes et les économies nationales.
Selon les prévisions de la Banque mondiale, en l’absence de toute action concrète en faveur du climat et du développement, à l’orée de 2050, plus de 85 millions d’habitants d’Afrique subsaharienne pourraient être contraints de quitter leurs propres habitations pour échapper à ces conséquences 23. Les effets sur les activités sensibles au climat telles que l’agriculture et la pêche se traduiront par des pertes substantielles en matière de production alimentaire. L’insécurité alimentaire liée à la dégradation des terres destinées à l’agriculture, la réduction des pâturages pour le bétail et la diminution des réserves d’eau, de bois de chauffage et d’autres ressources naturelles, contribueront davantage aux déplacements et aux réinstallations permanentes.
En raison de leur dépendance sur la pluie pour la quasi-totalité de leur production agricole, de nombreux pays africains sont particulièrement vulnérables aux changements climatiques. L’industrie du café en Éthiopie, par exemple, contribue à un quart des recettes d’exportation totales du pays. Le café ne peut pousser que dans des zones agro-écologiques spécifiques. Cependant, entre 40 et 60% de ces zones risquent de devenir inadaptées à cause de changements climatiques attendus 24. Les plantations de cacao en Afrique de l’Ouest font également face à la même menace 25.
Au Soudan, l’agro-industrie emploie jusqu’à 80% de la main-d’œuvre soudanaise 26. Il est prévu que le Soudan connaîtra une hausse de température de 1,3 à 3 degrés Celsius d’ici les années 2040. Les trois scénarios climatiques les plus probables du Programme alimentaire mondial montrent tous que toute augmentation de température aura un impact négatif sur la production agricole du Soudan si des mesures d’adaptation ne sont pas mises en œuvre 27.
Les bouleversements et chocs climatiques peuvent également agir comme un « multiplicateur de menaces » dans les régions sujettes aux conflits, rajoutant au chevauchement des facteurs de conflit et de déplacement 28. Ce phénomène est particulièrement prononcé dans les pays à grande population pastorale tels que le Cameroun, le Tchad, Djibouti, l’Éthiopie, le Kenya, le Niger, le Nigéria, la Somalie, le Soudan du Sud et le Soudan. À mesure que les pressions environnementales intensifient les tensions foncières, ces populations migratoires font de plus en plus face à des confrontations avec les populations sédentaires présentes le long de leurs routes.
* Les données disponibles collectées sur l’ensemble des réfugiés, demandeurs d’asile, PDI du fait de conflits et autres migrants utilisées dans ce rapport, proviennent du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), du Centre de surveillance des déplacements internes (IDMC), du Centre des migrations mixtes (précédemment le Secrétariat régional pour les migrations mixtes (RMMS)), de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) et de la Division de la population du Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies (UNDESA).
Bien que plus de 25 millions d’Africains déplacés de force aient été identifiés à l’aide de ces sources, étant donné le caractère disparate et souvent irrégulier de ces bouleversements, – sans compter l’omission, aux fins de ce rapport, de 2 millions de personnes déplacées en moyenne chaque année par des catastrophes naturelles – il est probable que ces chiffres soient bien plus élevés. De même, calculer un nombre exact de migrants économiques suivant leur pays d’origine ou dans n’importe quel pays – en particulier sur le continent africain – peut s’avérer précaire. Par exemple, l’UNDESA, qui s’appuie sur les statistiques nationales, a constaté que 17% des pays africains ne disposaient d’aucune donnée sur les niveaux de migration internationale depuis 2000. Puisque ces sources sont les meilleures disponibles, l’auteur s’y appuie néanmoins pour observer les tendances. ⇑ Au retour ⇑