Surmonter les disparités dans l’accès aux vaccins contre la COVID en Afrique

L'Afrique est confrontée à des disparités majeures dans l'accès au vaccin contre la COVID par rapport à toute autre région du monde, ce qui amplifie les coûts humains supportés par les Africains du fait de la propagation du variant Delta.


Centre de test COVID à Madagascar. (Photo : Banque mondiale/HenitsoaRafalia)

Alors que le variant Delta gagne du terrain, l’Afrique connaît un pic spectaculaire et prévisible de cas et de décès liés à la COVID. Le nombre de cas est en augmentation dans 26 pays africains et les taux de létalité sont en Afrique parmi les plus élevés au monde. La Namibie, où seulement 1,2 % de la population est vaccinée, enregistre actuellement un décès pour 22 cas (soit 4,5 %). À titre de comparaison, au Royaume-Uni, où 50 % de la population est entièrement vaccinée, le taux de létalité récent est de 1 cas sur 750 (soit 0,1 %).

« Le nombre de cas est en augmentation dans 26 pays africains, et les taux de létalité en Afrique sont parmi les plus élevés au monde ».

Le continent africain compte actuellement 6 500 décès liés à la COVID par semaine, chiffre en augmentation de 43 % par semaine. En continuant sur cette lancée, l’Afrique devrait connaître plus de 150 000 décès au cours des deux prochains mois. Ce chiffre vient s’ajouter aux 160 000 décès confirmés liés à la COVID depuis le début de la pandémie. Compte tenu des tests limités, ce chiffre est sûrement sous-estimé. Les études sur la surmortalité en Inde suggèrent un taux de mortalité dix fois plus élevé que le bilan officiel de 414 000 morts.

L‘Afrique reste, de loin, la région du monde la plus vulnérable à la vague du variant Delta. Seulement 1,5 % de la population africaine a été entièrement vaccinée, et 1,5 % a reçu sa première dose. Les régions où le taux de vaccination est le plus faible sont l’Océanie et l’Asie, avec environ un quart de leur population totalement ou partiellement vaccinée. L’Amérique du Sud affiche un taux légèrement inférieur à 50 %. Selon l’OMS, environ 1,5 % des vaccins contre la COVID administrés dans le monde l’ont été en Afrique.

Cette énorme disparité dans l’accès aux vaccins contre la COVID persiste malgré la disponibilité excédentaire de vaccins dans le monde. On estime que les pays du G7 ont acheté suffisamment de doses pour vacciner l’ensemble de leur population et qu’il leur reste encore plus de 2,5 milliards de doses. Malgré cet excédent, les expéditions de vaccins vers l’Afrique se sont arrêtées au moment même où la vague du variant Delta prenait de l’ampleur.

La propagation de la pandémie en Afrique a des répercussions sur l’ensemble de la planète. Si le virus continue à muter dans les régions sous-vaccinées, comme l’Afrique, des variants plus transmissibles et potentiellement plus mortels et résistants aux vaccins représentent un risque pour l’ensemble de la population mondiale. En Tanzanie, par exemple, un variant est apparu arborant 34 mutations connues, plus que tout autre variant identifié jusqu’à présent. Il est impératif de s’attaquer aux disparités dans l’accès aux vaccins au niveau mondial, non seulement pour limiter les coûts humains dévastateurs en Afrique, mais aussi pour progresser dans le combat pour maîtriser la pandémie au niveau mondial.

Obstacles à l’accès aux vaccins en Afrique

L’Afrique est confrontée à une grave pénurie de vaccins, alors que, paradoxalement, l’offre mondiale est abondante. Selon la campagne One, « les pays riches disposent de suffisamment de doses excédentaires pour vacciner toute l’Afrique ». Quatre pays – les États-Unis, le Canada, l’Italie et la France – ont déjà atteint le point de bascule où l’offre dépasse la demande de vaccins contre la COVID-19. Le Royaume-Uni devrait atteindre ce point début août, et le Japon et l’Allemagne devraient l’atteindre en septembre.

Les pays riches conservent probablement une réserve de doses en cas de demande tardive de la part des populations réfractaires au vaccin, en particulier avec l’augmentation des cas liée au variant Delta. Les pays riches se préparent peut-être aussi à l’éventualité de la vaccination des enfants de moins de 12 ans. En attendant, des millions de doses pourraient être gaspillées car elles arrivent à leur date d’expiration dans les mois à venir. Aux États-Unis, par exemple, on estime que 26 millions de doses déjà allouées aux États dépassent les besoins et pourraient être immédiatement disponibles pour une réaffectation internationale, sous réserve d’une autorisation fédérale.

Les vaccins déjà distribués aux États américains sont particulièrement précieux d’un point de vue international, car ils sont prêts à être utilisés immédiatement. « Il s’agit de doses réelles qui se trouvent sur les étagères et qui n’attendent pas d’être fabriquées. Cela pourrait changer la donne en termes de rapidité », selon Jenny Ottenhoff, de la campagne ONE. « À l’heure actuelle, la chose la plus importante en termes de distribution des doses au niveau international est de les partager rapidement. » D’autres pays riches sont dans une situation similaire.

D’ici la fin de l’année 2021, l’ensemble des fabricants de vaccins devraient avoir produit un total d’environ 10,9 milliards de doses de vaccin contre la COVID. Ce chiffre est à peu près suffisant pour vacciner tous les adultes dans le monde. Sur ces près de 11 milliards de doses, 9,9 milliards ont déjà été achetées par les pays riches dans le cadre de leurs efforts pour assurer un approvisionnement suffisant à leurs populations. Il reste donc un solde relativement limité de 930 millions de doses de vaccins chinois encore disponibles à l’achat.

« L’Afrique est confrontée à une pénurie critique de vaccins, paradoxalement, alors que l’offre mondiale est abondante ».

Même si les pays riches visent à vacciner 100 % de leur population, il restera 3 milliards de doses supplémentaires à partager avec les pays qui ont besoin de vaccins. On estime qu’il y aura 1,9 milliard de doses supplémentaires dès la fin du mois d’août, soit plus qu’il n’en faut pour vacciner les 1,37 milliard d’habitants de l’Afrique.

Pour leur part, les États-Unis se sont engagés à partager 580 millions de doses au niveau international et ont été le principal contributeur financier de COVAX, l’initiative multilatérale mise en place pour faciliter l’accès aux vaccins dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

Les États-Unis ont également accepté de renoncer aux protections de propriété intellectuelle sur les vaccins contre la COVID et n’ont pris aucune mesure pour empêcher les interdictions d’exportation. L’Union européenne s’est récemment engagée à fournir 200 millions de doses à COVAX, mais continue de s’opposer à la levée des protections de la propriété intellectuelle. La Chine a fait don de 16,5 millions de doses à 66 pays, mais les 550 millions de doses qu’elle a accepté de fournir à COVAX seront uniquement destinées à l’achat.

Il en résulte que les pays riches contrôlent une offre excédentaire de vaccins pouvant sauver des vies alors que certaines parties du monde, notamment l’Afrique, connaissent une augmentation rapide de leur taux de mortalité.

COVAX et les initiatives du secteur privé pour améliorer l’accès aux soins de santé

Les pays africains se sont largement appuyés sur l’initiative COVAX pour leurs stratégies de planification de la vaccination. Le dispositif COVAX a été conçu pour coordonner le partage des vaccins à l’échelle mondiale, sachant que de nombreux pays pauvres ne seraient pas en mesure d’acheter seuls des quantités suffisantes de vaccins. Plus de 90 pays, dont 40 pays africains sont concernés par le dispositif COVAX. Les pays africains ont commencé à commander et à payer les doses au premier trimestre de 2020. Au total, l’Union africaine et les différents pays africains ont payé pour 1,33 milliard de doses.

COVAX avait initialement promis de livrer 700 millions de doses de vaccin à l’Afrique d’ici fin 2021. Toutefois, jusqu’à présent, moins de 50 millions de doses sont arrivées par le biais de COVAX. L’initiative a connu un sérieux coup d’arrêt lorsque le Serum Institute indien, principal contributeur de COVAX, a imposé une interdiction d’exportation de vaccins en mars, alors que l’Inde faisait face à sa propre vague de COVID. Toutefois, la dynamique pourrait s’inverser puisque la première livraison de doses données par les États-Unis est attendue sous peu. Si des doses supplémentaires sont disponibles, COVAX peut encore contribuer de manière significative à améliorer l’accès aux vaccins en Afrique.

Entre-temps, des dons du secteur privé sont intervenus pour combler les lacunes. La Fondation Mastercard, en partenariat avec l’Union africaine, a négocié un accord portant sur de vaccins unidoses de Johnson & Johnson, qui seront distribuées en Afrique d’août à septembre. L’accord comprend une option d’achat de 180 millions de doses supplémentaires jusqu’en 2022.

Les défis de la distribution en Afrique

L’Afrique a une expérience considérable en matière de campagnes de vaccination de masse, puisqu’elle a atteint une couverture quasi universelle pour la fièvre jaune et la polio et qu’elle a récemment fait face à de multiples épidémies d’Ebola. En outre, les pays africains disposent de structures actives de professionnels de santé locaux jusque dans les villages. Ces structures constituent un mécanisme établi et fiable pour administrer efficacement les vaccins contre la COVID dès qu’ils sont disponibles.

Centre de test COVID à Madagascar. (Photo : UNICEF/FrankDejongh)

L’Afrique est toutefois confrontée à une série d’obstacles logistiques pratiques qu’elle doit surmonter. Il s’agit notamment de redéfinir quelles sont les populations prioritaires pour recevoir les vaccins dont la date de d’expiration approche, de fournir l’infrastructure pour assurer la chaîne du froid nécessaire au transport de certains vaccins, de garantir le financement et le transport pour permettre aux campagnes de vaccination d’atteindre les zones rurales, et de former les agents de santé aux particularités de l’administration de chacun des vaccins contre la COVID disponibles.

Comme dans d’autres régions, les responsables africains de la santé publique doivent aussi constamment sensibiliser leurs populations à l’importance, à l’innocuité et à l’efficacité des vaccins contre la COVID – un défi rendu plus compliqué par la désinformation généralisée et le manque de confiance dans le gouvernement de certains pays africains.

Actions prioritaires nécessaires

L’Afrique est confrontée à un défi de santé publique sans précédent pour répondre à la vague du variant Delta et à la circulation d’autres variants mortels. L’inégalité dans l’accès aux vaccins rend cette tâche encore plus ardue. Des doses excédentaires de vaccin contre la COVID sont certes disponibles. Mais elles ne sont tout simplement pas là où le besoin est le plus impérieux.

Pour répondre à l’urgence de la menace à court terme, les pays riches doivent autoriser la mise à disposition des doses de vaccin excédentaires actuellement disponibles afin qu’elles puissent être réaffectées avant leur date d’expiration aux pays actuellement confrontés à une recrudescence des cas de COVID. Les pays riches devraient également redistribuer une partie des 10,9 milliards de doses déjà en leur possession aux pays qui en ont actuellement le plus besoin. C’est maintenant que l’Afrique est confrontée à une recrudescence des cas, et non à la fin de l’année 2021 ou en 2022, délai prévu dans certains programmes pour l’intensification des campagnes de vaccination en Afrique.

Les pays africains devraient figurer en tête de liste des destinataires de ces doses, car le continent est confronté à des taux de mortalité parmi les plus élevés au monde. Compte tenu de l’écart entre les taux de vaccination des différentes régions du monde, l’Afrique devrait rester la priorité en matière de distribution des vaccins jusqu’à ce qu’elle atteigne des niveaux de vaccination comparables à ceux des autres régions du monde. Six pays africains – l’Ouganda, la Tunisie, la Namibie, l’Afrique du Sud, la Zambie et le Zimbabwe – représentent actuellement plus de 80 % des décès enregistrés sur le continent et doivent être considérés comme prioritaires. La situation reste toutefois très fluctuante d’une semaine à l’autre, deux douzaines de pays africains enregistrant des taux d’incidence en hausse.

Des agents de santé au laboratoire de dépistage du COVID-19 de l’hôpital central de Mpilo, à Harare, au Zimbabwe. (Photo : KB Mpofu/ILO)

Les pays africains doivent également prendre des initiatives pour un déploiement réussi des vaccins en définissant les priorités et en préparant les populations vulnérables, les sites de vaccination et les installations frigorifiques. La négociation des défis logistiques, la formation du personnel de santé et les campagnes d’éducation du public sont autant de priorités avant l’arrivée des vaccins en quantités importantes. De plus, les responsables de la santé publique devraient augmenter le nombre de tests COVID afin de mieux cibler la distribution des doses limitées de vaccin lorsqu’elles seront disponibles.

Enfin, les investissements dans les capacités de production de vaccins en Afrique contribueront à résoudre les problèmes d’approvisionnement à moyen terme. L’OMS est en train de mettre en place un centre de production de vaccins en Afrique du Sud pour produire des vaccins contre la COVID-19 avec la technologie mRNA. L’Union africaine et le Centre africain pour le contrôle et la prévention des maladies, par le biais du Partenariat pour la fabrication de vaccins en Afrique, ont lancé simultanément une initiative visant à créer cinq centres régionaux de recherche et de production de vaccins sur le continent.

Le fait de disposer de plusieurs installations de production sur le continent augmenterait la diversité des chaînes d’approvisionnement, réduisant ainsi la dépendance de l’Afrique à l’égard d’une seule installation de production située en dehors du continent. La capacité de production locale permettrait en outre de réduire les coûts d’importation des vaccins et de la chaîne du froid. Il s’agirait également d’un investissement dans l’avenir. Le marché de la production d’autres vaccins, notamment un vaccin universel contre toutes les formes de coronavirus et le VIH, est considérable pour les dix prochaines années.


Ressources complémentaires