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Les pastoralistes d’Afrique : Un nouveau champ de bataille pour le terrorisme

Les groupes terroristes islamistes du Sahel et du Sahara tentent d'exploiter les revendications des pastoralistes pour mobiliser un plus grand soutien à leur projet.


Africa's pastoralists: New Battleground for Terrorists. Here, a Fulani man herds cattle in northern Cameroon

Ici, un Peul conduit son troupeau au nord du Cameroun. Photo: Philou.cn.

En janvier 2013, Hamadou Kouffa a mené les forces islamistes du nord du Mali au sud, vers Konna et Diabaly, ce qui a précipité une intervention africaine et française, chassant enfin les militants de leurs positions retranchées. Deux ans plus tard, Kouffa réapparaissait sur la scène internationale à la tête d’une nouvelle organisation, le Front de libération du Macina (FLM). Depuis janvier 2015, le groupe de Kouffa a revendiqué plusieurs attentats dans le centre du Mali, y compris des assassinats de personnalités politiques et des forces de sécurité locales, ainsi que la destruction d’un mausolée « idolâtre. »

Amadou Kouffa

Amadou Kouffa.

Dans ses objectifs et ses méthodes, le FLM ressemble à d’autres terroristes islamistes opérant au Sahel et au Sahara, comme Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).  Ce qui le différencie le FLM est sa tentative de rassembler les éleveurs nomades peuls à sa cause. Kouffa, un marabout peul, communique avec les membres du FLM en langue peule, et le nom de Macina remonte à un état peul du dix-neuvième siècle basé au centre du Mali et régi par la loi islamique.

La stratégie du FLM est potentiellement extrêmement déstabilisante, car elle risque d’amalgamer le terrorisme islamiste au Sahel, les doléances pastorales et la violence communautaire. Comme Kouffa essaie de le faire, mobiliser des communautés pastorales élargies comme les Peuls pour un programme islamiste, permettrait aux terroristes de gagner du terrain parmi des sociétés profondément enracinées qui couvrent de vastes étendues de territoire. Ceci accorderait une nouvelle intensité, ténacité et portée au terrorisme en Afrique.

Le conflit entre les éleveurs peuls et les populations d’agriculteurs a une histoire brutale en Afrique de l’Ouest qui remonte bien avant les défis terroristes de la sous-région. Depuis 2001, plus de 60 000 personnes, au Nigéria seul, ont perdu la vie lors de la violence liée au pastoralisme, souvent durant des pointes dans le carnage meurtrier. Au début de 2001, en quelques jours à Jos au Nigéria, 913 personnes ont trouvé la mort au cours de violences entre éleveurs et agriculteurs peuls. Ces tueries ont parfois compris des atrocités et des profanations. On raconte que les éleveurs peuls ont arraché le cœur de leurs victimes. Simultanément, des vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux nigérians montrent des agriculteurs en train de manger la chair grillée des victimes peules.

The Fulani Jihad States of West Africa, c. 1830.

The Fulani Jihad States of West Africa, c. 1830.

Les structures qui alimentent cette violence fanatique sont profondément enracinées et politiquement ancrées. Le gouvernement du Nigéria a accordé des droits fonciers préférentiels à ceux qu’il considère indigènes (autochtones) d’une région, ce qui alors marginalise et frustre les groupes soi-disant colons (étrangers) qui incluent parfois les nomades peuls. Les élites politiques ont ensuite modifié ces lois, mobilisant des partisans pour protéger le statut des indigènes ou attisant le mécontentement des colons pour gagner des votes. Au Mali, la Charte pastorale de 2001 a habilité les autorités locales à résoudre les litiges fonciers. Cependant, celles-ci peuvent être partielles aux agriculteurs qui constituent l’électorat stable des juridictions territoriales clairement définies ; un raisonnement qui, au fil du temps, tend à renforcer l’emprise des agriculteurs tant sur le terrain que sur le système politique.

Les tensions entre éleveurs et agriculteurs persisteront sans aucun doute en Afrique et seront aggravées par une association avec les terroristes qui exacerbent vivement les conflits et manipulent les différences ethniques et religieuses liées aux deux modes de vie.

Les revendications des agriculteurs pastoralistes sont courantes en Afrique. Dans de nombreux cas, ces tensions sont intensifiées par les divisions entre chrétiens et musulmans. En pénétrant les Peuls, le FLM vise l’un des groupes ethniques les plus importants en Afrique, une communauté d’environ 20 millions de personnes, principalement des éleveurs répartis dans près de 20 pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. Outre les Peuls, d’autres pastoralistes musulmans africains sont à présent confrontés à un défi terroriste dans des régions telles que le Sahel, le bassin du lac Tchad et la Corne de l’Afrique. Le nord du Kenya abrite plusieurs communautés d’éleveurs, y compris les Turkana et Pokot dont les affrontements avec les communautés voisines deviennent plus violents en raison de l’augmentation du trafic d’armes. L’Ouganda et le Soudan du Sud ont aussi été témoins de la violence pastoraliste. Dans un sondage de 2008, près de la moitié des répondants dans la région frontalière entre le Soudan du Sud et le Kenya avaient été les témoins d’au moins un événement violent.

Peul herders in Mali

Peul herders in Mali. Photo: KaTeznik.

Les revendications et les conflits pastoralistes de caractère général pourraient faciliter la poussée du terrorisme dans de nouvelles zones. Les terroristes islamistes pourraient mobiliser les communautés d’éleveurs pour pénétrer en République Centrafricaine et accélérer les éléments religieux de ce conflit.  Ils pourraient également exploiter les tensions pastoralistes pour étendre leur influence au Soudan et en République démocratique du Congo. Alors que la désertification et la sécheresse déplacent les zones de transhumance, de nouveaux conflits liés à l’eau et aux terres pourraient donner aux groupes terroristes d’autres occasions de s’implanter.

Pour contrer le stratagème du FLM, les autorités africaines et internationales et les communautés d’intérêt devraient s’efforcer de rassembler les agriculteurs et les éleveurs africains contre leur ennemi commun.  Il convient de rappeler que les pastoralistes ont également été victimes des terroristes.  Boko Haram a non seulement attaqué les fermes pour se nourrir, mais il a aussi attaqué les éleveurs pour s’approprier le bétail. Les marchés aux bestiaux ont été détruits, réduisant à néant les moyens de subsistance des pastoralistes, et les associations d’éleveurs signalent la perte de milliers de victimes et de centaines de milliers d’animaux dans le conflit.  De plus, Boko Haram exploite les tensions communautaires et aurait déguisé ses membres en éleveurs peuls pour ne pas être découverts et pour s’installer dans de nouveaux secteurs, pour alors mener des attaques qui intensifient la haine et l’instabilité entre éleveurs et agriculteurs.

Fulani boy in Niger herds his family's animals

Un jeune garçon Peul au Niger conduit un troupeaux de bétail. Photo: ILRI.

Rassembler les éleveurs et les agriculteurs contre le terrorisme exigera des efforts délibérés pour apaiser les tensions entre les deux communautés. Les journalistes et les rédacteurs devraient réfléchir à deux fois avant de publier des rapports incendiaires qui font passer les pastoralistes pour des « éleveurs des Enfers » qui continuent ou qui propagent le terrorisme de Boko Haram.  Un tel reportage exacerbe l’hostilité de la communauté et, en fin de compte, facilite la stratégie du FLM.  Les groupes de défense peuls devraient dénoncer ouvertement le terrorisme et ne devraient pas être dénigrés comme « terroristes » quand ils s’efforcent d’exprimer leurs doléances et de faire campagne pour les droits des pastoralistes.  Les chercheurs et experts en matière de terrorisme devraient reconsidérer le suivi de la violence perpétrée par les Peuls dans les conflits entre éleveurs et agriculteurs comme actes de terrorisme ; une méthodologie qui peut déboucher sur une analyse trompeuse qui caractérise les « Militants peuls » comme étant l’une des cinq premières organisations terroristes du monde avec l’État islamique, Al Shabbaab, les Talibans et Boko Haram.

Les pastoralistes ne sont pas des terroristes. Alors que Kouffa et autres militants islamistes visent à exploiter ces communautés traditionnelles, les journalistes, les experts et les décideurs politiques devraient travailler à souligner la différence et à renforcer la séparation.

Expert du CESA

Benjamin Nickels, Professeur agrégé, specialiste du contre-terrorisme et de la contre-insurrection