Les défis de sécurité fondamentaux que le Nigéria doit relever. Troisième défi : l’extrémisme


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Les interprétations extrémistes de l’islam faites par des communautés marginalisées du Nigéria rencontrent un fort écho comme moyen permettant de répondre aux injustices et aux inégalités économiques ressenties. Les dangers de l’extrémisme sont particulièrement prononcés dans le nord à majorité musulmane, fortement sous-développé par rapport à d’autres parties du pays. Les disparités économiques à elles seules sont frappantes : 72 % des habitants du nord vivent dans la pauvreté tandis que c’est le cas de 27 % seulement des habitants du sud. L’absence de confiance vis-à-vis des institutions publiques vient s’ajouter à ces réalités pour rendre les communautés du nord particulièrement sensibles aux messages extrémistes.

Cette situation a engendré un profond ressentiment au sujet du statu quo politique et alimenté une pensée extrémiste et protestataire dans laquelle Boko Haram a puisé efficacement pour recruter de nouveaux membres et renforcer son pouvoir. Les discours extrémistes de ce mouvement font appel à des griefs réels et ressentis, établissant fréquemment un lien entre les souffrances du nord et la corruption du « gouvernement chrétien », et accusant les leaders musulmans du nord d’être de connivence avec lui. Ces discours dépeignent également la corruption de la société nigériane comme une fonction de l’influence occidentale, considérée responsable de la situation défavorisée du nord.

Boko Haram fait valoir que la solution des problèmes du Nigéria repose sur un respect strict de la loi islamique. Dans les années qui ont suivi sa fondation en 2002, ce mouvement était en grande partie non violent. Suite à une série d’affrontements mortels entre ses partisans et les forces de sécurité, qui ont fait plus de 800 morts et entraîné la mort de son fondateur, Mohammed Yusuf, cette situation a changé en 2009. Le groupe est réapparu en 2010 après être passé dans la clandestinité. Beaucoup plus radical que son prédécesseur, son dirigeant actuel Abubakar Shekau a transformé Boko Haram en l’une des organisations terroristes les plus brutales de l’Afrique, à l’égal de l’État islamique, aussi connu sous le nom de Daech.

Non seulement les affrontements de 2009 ont marqué un tournant crucial, mais ils ont aussi eu des précédents historiques. En 1982, les adeptes d’un autre prédicateur musulman radical et charismatique, Mohammed Marwa (surnommé Maitatsine, « celui qui maudit ») se sont affrontés avec les autorités, entraînant la mort de 4 000 personnes, y compris de Maitatsine, dans la ville septentrionale de Kano. Toutefois, le mouvement de ce prédicateur musulman, comme celui de Mohammed Yusuf, a perduré. Ses adeptes se sont à nouveau soulevés vers la fin de cette année-là, lors d’affrontements prolongés avec les forces de sécurité qui ont fait 3 300 morts, puis à nouveau en 1984, dans l’état septentrional de Gongola, entraînant la mort de 1 000 personnes.

Pourquoi les origines historiques et contemporaines de Boko Haram sont-elles pertinentes aujourd’hui ?

The Kanem Bornu EmpireLe Nord du Nigéria a une longue tradition de gouvernements islamiques remontant à la dynastie des Sayfawa, qui a régné sur le royaume du Kanem-Bornou de 1086 à 1846. Des gouvernements islamiques ont également été établis par le califat de Borno (1380-1893) et le califat de Sokoto (1804-1903). Ces trois empires s’étendaient sur la plupart du territoire constituant le nord et le nord-est du Nigéria, le Burkina Faso et le Cameroun d’aujourd’hui, le Niger, l’ouest du Soudan et le sud de la Libye. La plupart des recrues de Boko Haram viennent du groupe des Kanuri, qui a régné sur le royaume du Kanem-Bornou à l’apogée de celui-ci. Le kanuri était aussi la langue officielle du califat de Borno plus récent. Les Kanuri continuent d’exercer une forte influence et ils ont fourni au Nigéria moderne plusieurs dirigeants politiques à l’échelle nationale.

The Sokoto CaliphateActuellement, cette communauté comptant environ 10 millions de membres qui résident sur les terres de cet ancien califat et dont les origines remontent principalement au royaume du Kanem-Bornou a l’impression d’être politiquement et économiquement désavantagée. Un grand nombre des Kanuri considèrent ces califats comme un motif de fierté et un système de gouvernance alternatif à l’État laïque d’aujourd’hui, perçu comme étant corrompu et incapable de répondre aux besoins des populations du nord. Boko Haram a exploité efficacement cette situation. Un discours majeur de sa propagande souligne combien la situation des Kanuri était meilleure sous le califat. Le califat déclaré par Boko Haram en 2014 représentait une tentative de tirer profit de ce sentiment, l’idéologie takfir venant toutefois remplacer les traditions soufies de la région, que Boko Haram juge non islamiques. La pratique takfir permet de déclarer que d’autres musulmans sont des mécréants et de chercher à les tuer, ce qui explique les meurtres de centaines de musulmans par Boko Haram.

Cette distinction reflète un problème majeur qui sous-tend la propagation de l’extrémisme au Nigéria. De nombreuses communautés musulmanes se sont tournées vers les institutions religieuses pour chercher un remède à la marginalisation croissante qu’elles ressentent. Toutefois, au cours des dernières décennies, l’identité « musulmane » au Nigéria a connu une mutation. Aujourd’hui, les interprétations militantes de l’Islam sont beaucoup plus répandues. Et l’histoire du règne des califats a procuré un solide point de référence pour faire progresser cette vision. Tous ces facteurs engendrent un contexte favorable à l’essor des idéologies extrémistes.

Bref, l’attrait idéologique sous-jacent des rébellions islamistes violentes dans des régions du nord du Nigéria a précédé Boko Haram. En l’absence d’une solution globale aux griefs de cette région, les idéologies extrémistes perdureront même après la défaite militaire de ce groupe.

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Experts du CESA