- Premier défi : L’identité
- Deuxième défi : les lignes de faille
- Troisième défi : l’extrémisme
- Quatrième défi : Boko Haram
- Cinqième défi : Stratégies de lutte contre l’extrémisme
- Sixième défi : Le professionnalisme des forces armées
- Septième défi : Sécurité maritime
- Huitième défi : Gouvernance
Le premier tour des élections présidentielles du Nigéria a retenu l’attention du monde entier. Pays voisins et parties prenantes internationales attendent avec impatience de voir comment le Nigéria va gérer le processus électoral tumultueux et qui dirigera le pays le plus peuplé et la plus grande économie de l’Afrique dans les années à venir. Le Nigéria est également au centre de l’attention en raison de l’augmentation des offensives de l’organisation extrémiste violente Boko Haram. Les attaques de ce groupe ont en effet entraîné la mort de plus de 10.000 personnes ainsi que des pertes territoriales dans d’État de Borno, dans le nord-est du pays. L’expansion des offensives de Boko Haram dans des pays voisins et les inquiétudes concernant l’incapacité du gouvernement nigérian à endiguer cette menace ont précipité la formation d’une coalition internationale pour contenir ce groupe terroriste et le vaincre. Fait moins reconnu, Boko Haram n’est que l’un d’une série de problèmes de sécurité et de gouvernance interdépendants que le prochain président du Nigéria devra confronter. Cette série en plusieurs volets passe en revue certains de ces autres défis stratégiques les plus pressants et étudie le leadership qui sera exigé pour les résoudre.
Premier défi : identité
Y a-t-il ce que l’on peut appeler une « nation nigériane » ? Que signifie être Nigérian ?
Depuis l’indépendance du pays en 1960, la présence de fortes identités ethno-religieuses fait obstacle au développement d’une identité véritablement pan-nigériane. Sur le plan politique, le Nigéria est une fédération de 36 États. Sur le plan ethnique, il compte 250 différentes ethnies, même si 68 % de la population appartient à l’un des trois plus grands groupes, les Haoussa-Fulani, les Yoruba et les Igbo. Sur le plan religieux, il est divisé en deux le long de sa ceinture centrale, qui sépare le nord principalement musulman et le sud majoritairement chrétien. De surcroît, la législation locale entérinée par la Constitution nationale accroît la division des citoyens entre « indigènes » et « colons » au sein de chaque localité. Les indigènes (« fils du sol ») jouissent de droits dont ne bénéficient pas les colons (même ceux dont les familles se sont installées il y a plusieurs générations). Parmi ces droits, l’on compte ceux de posséder des terres et d’accéder à l’éducation, à la vie politique et à la fonction publique.
L’érudit Francis Deng a fait remarquer que, si la façon dont les gens décident de s’identifier ne pose pas nécessairement problème, les autorités gouvernementales doivent, pour gérer une identité plurielle, créer un cadre national auquel chacun peut s’identifier quelque soit son ethnie, sa tribu ou sa religion. Comme la plupart des Nigérians tirent leur sentiment d’appartenance d’une perspective ethno-religieuse ou d’une affiliation qui leur est attribuée en tant qu’indigène ou colon, l’absence de citoyenneté commune entre Nigérians renforce les polarités relatives au statut ethnique, religieux, régional et légal. En l’absence d’une identité commune ou d’un engagement mutuel significatif, les voisins peuvent plus facilement réagir à des différences apparentes pour se dévaloriser les uns les autres. Au Nigéria, les conflits identitaires dissimulent des problèmes systémiques plus profonds au cœur desquels se trouvent les relations entre le pouvoir politique et l’accès aux ressources et aux débouchés économiques. La pensée et la mobilisation ethniques résultent de cette lutte pour le pouvoir, les richesses et les ressources, note Clément Mweyang Aapengnuo, non pas d’une haine intrinsèque.
Pourquoi les dirigeants du Nigéria ne sont-ils pas parvenus à édifier une nation véritablement nigériane ?
Depuis 1979, le Nigéria est gouverné selon une formule de partage du pouvoir conformément à sa Constitution, qui impose la représentation égale de toutes les communautés aux fonctions politiques et administratives clés « de façon à refléter la nature fédérale du Nigéria et la nécessité de promouvoir l’unité nationale ». Toutefois, au fil du temps, ce dispositif de gouvernance s’est mué en un système de favoritisme, un système pacificateur de distribution et d’attribution d’avantages. Au lieu de promouvoir un sentiment d’appartenance et d’égalité, ce favoritisme politique, souvent fondé sur des facteurs ethno-religieux, a contribué à la marginalisation et à la corruption, ce qui a engendré des problèmes d’intégrité et de légitimité pour le gouvernement.
Chris Kwaja explique que le favoritisme politique, ancré depuis longtemps dans la vie politique du Nigéria, « fournit aux opportunistes politiques une incitation institutionnalisée à acquérir du pouvoir sur la base de l’exclusion ». Bon nombre des pratiques qui y sont associées, telle que la délivrance frauduleuse de certificats attestant de la qualité « d’indigène » par des responsables politiques, « nuisent à la forme de gouvernement démocratique que le Nigéria aspire à respecter et sape à sa base même la notion de Nigérian ». Ceci explique par exemple pourquoi les dirigeants religieux bénéficient d’une loyauté plus grande que le gouvernement central à Abuja.
Dans sa réflexion sur les difficultés auxquelles le gouvernement est confronté depuis les crises de sécurité dans le nord-est, le long de la ceinture centrale, dans la région du delta du Niger et dans le golfe de Guinée, le spécialiste de longue date du Nigéria John Paden évoque l’incapacité du gouvernement à offrir un système efficace de répartition équitable, à gérer les relations ethno-religieuses, à respecter les principes d’une gouvernance responsable et à assumer la responsabilité de protéger sa population. Francis Deng émet cet avertissement qu’un État pluraliste n’obtiendra ni paix ni stabilité tant qu’il n’élaborera pas des normes et des moyens pour gérer la diversité dans un cadre unitaire. Il y va de la viabilité du Nigéria en tant qu’État-nation. Ceci supposera de prendre des mesures pour atténuer directement la violence ainsi qu’une réforme constitutionnelle pour s’attaquer aux perceptions de marginalisation. Il est regrettable que le discours électoral ne se soit pas attaché à promouvoir une telle vision.
Le volet suivant de cette série portera sur l’étude des nombreuses lignes de faille qui parcourent le Nigéria.
Aller plus loin
- Chris Kwaja, “Les moteurs pernicieux du conflit ethnico-religieux au Nigéria,” CESA Briefing sur la sécurité 14 (juillet 2011).
- Francis M. Deng, “Ethnicity: An African Predicament,” The Brookings Review 15, no. 3 (été 1997), 28-31.
- Michael Olufemi Sodipo, “Atténuer le radicalisme dans le nord du Nigeria,” CESA Briefing sur la sécurité 26 (août 2013).
- Clement Mweyang Aapengnuo, “La mauvaise interprétation des conflits ethniques en Afrique,” CESA Briefing sur la sécurité 4 (avril 2010).
- Togu Ogunlesi, “Nigeria’s Internal Struggles,” The New York Times, 23 Mars 2015.
Vidéos
- Hussein Solomon, “Governance Reforms May Be More Effective Than Military in Countering Boko Haram.” présentation au Centre d’Etudes Stratégiques de l’Afrique, National Defense University, Washington, D.C., 28 mars 2013.
- John Paden, panel presentation at “Understanding and Mitigating the Drivers of Islamist Extremism in Northern Nigeria” discussion au Centre d’Etudes Stratégiques de l’Afrique, National Defense University, Washington, D.C., 13 décembre 2013.
Experts du CESA
- Dorina Bekoe, Professeur de la prévention des conflits, d’atténuation et de résolution
- Raymond Gilpin, Doyen
- Joseph Siegle, Directeur de la recherche
En plus: Boko Haram Nigeria