Les coûts de l’inaction régionale face à la crise au Burundi

En dépit des graves conséquences humanitaires et économiques de la crise au Burundi, la réaction de ses voisins est restée remarquablement modeste.


Burundi on the EAC flag (From a photo by Henri Bergius)

(A partir d’une photo d’Henri Bergius)

En juin 2017, la Commission d’enquête de l’ONU sur le Burundi faisait état d’atrocités commises à grande échelle, parmi lesquelles, les exécutions extrajudiciaires, la torture, les violences sexuelles et violences à l’égard des femmes, les disparitions forcées et les charniers. La plupart des violations étaient accompagnées de discours haineux fondés sur l’ethnie prononcés par des fonctionnaires de l’État et des membres du parti au pouvoir. Plus de 400 000 Burundais se sont réfugiés dans les pays voisins, dont 240 000 au camp Nyarugusu en Tanzanie, qui est désormais le plus grand camp de réfugiés au monde. Il est prévu que le nombre de réfugiés burundais dépasse 500 000 personnes d’ici la fin de l’année, ce qui fera du Burundi la troisième plus grande source de réfugiés en Afrique sub-saharienne.

La Crise au Burundi coûte plusieurs millions de dollars à la CAE tous les ans.

La crise a de lourdes conséquences sur l’avenir économique de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE). De nombreux projets d’infrastructures sont menacés d’échec, y compris le projet d’extension d’un pipeline régional pour les produits pétroliers d’une valeur estimée à 53 M$ US. La mobilisation de ressources pour le segment Kenya-Ouganda-Rwanda, dont la valeur est estimée à 193 M$ US, se poursuit mais celle pour le segment au Burundi, qui devrait s’étendre jusqu’à Bujumbura, la capitale, a été interrompue. De même, les projets d’extension de la ligne ferroviaire des ports de Mombasa et Dar es Salam à Bujumbura sont au point mort et il en est de même pour le projet d’installation de lignes électriques à haute tension de 220Kv, qui fait partie d’un projet de 390 M$ US, destiné à relier les réseaux électriques du Kenya, de l’Ouganda, du Rwanda, du Burundi et de la République démocratique du Congo. Ces projets et d’autres grands projets économiques et d’infrastructures ont été interrompus en raison de préoccupations sécuritaires ainsi que de déficits budgétaires causés par les sanctions imposées au Burundi par ses principaux partenaires externes. En mars 2015, quelques mois avant le début de la crise, des bailleurs de fonds s’étaient engagés à un nouveau financement de 2 milliards de dollars pour les projets d’infrastructure prioritaires de la CAE. La portion européenne de ce financement fait partie d’une dotation de 600 M€ attribuée aux Communautés économiques régionales de l’Union africaine (UA) pour soutenir la Stratégie de développement régional de la CAE. En mars 2016, l’Union européenne a adopté des sanctions et d’autres mesures restrictives à l’encontre du Burundi et gelé plusieurs de ces engagements. Il ne fait aucun doute que de nombreux investissements privés dans la région ont également été annulés car les investisseurs veulent se prémunir de l’instabilité régionale.

Les conséquences économiques de la crise au Burundi se chifrent en plusieurs millions de dollars chaque année pour les pays de la CAE.

Malgré ces coûts réels, la réaction des voisins du Burundi a été remarquablement modeste. Des initiatives de résolution du conflit menées par la CAE sont compromises. En juillet 2015, l’organe régional a lancé un processus de négociation entre le parti au pouvoir et l’opposition, avec le président ougandais Yoweri Museveni comme médiateur et l’ancien président de la Tanzanie, Benjamin Mkapa comme facilitateur. Les deux leaders avaient joué un rôle de première importance dans le processus de paix d’Arusha entre 1996 et 2005, lequel avait permis de mettre fin à la première guerre civile du Burundi mais le processus actuel peine à démarrer. Six sommets de la CAE n’ont pas réussi à avoir un impact significatif et la seule action concernant le Burundi prise au sommet qui s’et tenu en mai 2017 a été un appel auprès de l’Union européenne pour la levée de sanctions à l’encontre du Burundi avant la signature de l’Accord de partenariat entre la CAE et l’UE par les États membres. Bien que l’AEC ait adopté le rapport d’activité de Mkapa sur les pourparlers, la Communauté n’a pas été en mesure d’aborder les questions qu’il avait soumises en vue d’une action immédiate comme mettre la pression sur le gouvernement du Burundi pour qu’il lève les mandats d’arrêt émis à l’encontre de ses opposants et crée des conditions favorables au retour des exilés politiques et des réfugiés, à la libération des prisonniers politiques et à l’inclusion des groupes armés dans le processus de paix.

Malgré le fait que le sommet du mois de mai ait été reporté deux fois pour tenir compte des emplois du temps des participants, seuls Museveni et le président tanzanien John Magufuli étaient présents sur six chefs d’État invités. Nkurunziza n’a pas assisté à un sommet depuis 2015. En 2016, la CAE avait annoncé qu’elle allait parvenir à un accord au plus tard en juin 2017 mais cette date butoir a été dépassée.

Cette inaction est considérée comme la raison de l’intransigeance grandissante de Nkurunziza et l’élément qui renforce ceux qui poursuivent une action militaire autour de lui. Cette inaction a également discrédité la CAE et remis en question l’utilité de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA) et son engagement déclaré de promouvoir « les solutions africaines aux problèmes africains. »

Absence de stratégies cohérentes entre les membres de la CAE

La faible volonté politique affichée par les voisins du Burundi a restreint la capacité de la CAE à gérer la crise de manière efficace. Le 30 mai 2015, les procureurs généraux de la CAE ont soumis une opinion juridique aux chefs d’État membres de la CAE. Cette opinion juridique a estimé que la poursuite d’un troisième mandat par Nkurunziza était inconstitutionnelle et une violation des Accords d’Arusha. Mais l’ancien président de la Tanzanie, Jakaya Kikwete, a convaincu ses homologues de se démettre en raison de leur absence d’autorité dans des affaires intérieures. En définitive, les chefs de la CAE ont appelé au « retour à l’ordre constitutionnel » et à la cessation de la violence. En juin 2015, Museveni a proposé à Nkurunziza un plan de sortie en 10 points qui aurait permis à celui-ci de rester au pouvoir pendant une période de transition de deux ans, laquelle déboucherait sur des élections auxquelles il ne se présenterait pas. Nkurunziza a immédiatement refusé la proposition. Depuis, l’Ouganda semble avoir délégué l’initiative à Mkapa.

Certains attribuent la faute au manque de cohésion durant la tentative de coup d’État du 13 mai 2015 organisé pendant le sommet de la CAE sur le Burundi à Dar es Salam. Les États membres étaient divisés sur la manière de répondre à la candidature de Nkurunziza à un troisième mandat. La tentative de le détrôner par des moyens anticonstitutionnels n’a fait que renforcer ces désaccords. Le Rwanda a boycotté le premier sommet d’urgence après la tentative de coup d’État. Le Kenya l’a rejoint pour le boycottage du deuxième sommet et l’Ouganda s’est joint à eux pour le troisième. Le quatrième sommet, que Mkapa avait convoqué spécialement pour « examiner les obstacles qui font traîner le dialogue en longueur », fut complètement annulé. (En proie à ses propres conflits, le Soudan du Sud, membre de la CAE, ne participe pas aux discussions sur le Burundi).

A 2009 meeting of EAC heads of state. (Photo: nukta77)

Une réunion en 2009 des chefs d’Etat de l’EAC. De gauche à droite: Yoweri Museveni d’Ouganda, Mwai Kibaki du Kenya, Paul Kagame du Rwanda, Jakaya Kikwete de Tanzanie, Pierre Nkurunziza du Burundi.(Photo: nukta77)

Les boycottages du Rwanda expriment son pessimisme et sa frustration. Le Rwanda a été en désaccord avec le régime Nkurunziza depuis l’éruption de la crise et le président Paul Kagame a ouvertement exprimé ses inquiétudes sur la violence au Burundi étant donné la similarité de la composition ethnique de la population et son passé génocidaire. En parallèle, les tensions entre la Tanzanie et le Rwanda se sont ajoutées aux difficultés auxquelles la CAE est confrontée. À la suite de l’appel de Jakaya Kikwete en juin 2013 au Rwanda invitant le pays à entamer un dialogue avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda – un vestige des forces accusées de génocide en 1994 – l’hostilité entre les deux pays s’est intensifiée avec des menaces d’action armée. Le successeur de Kikwete, John Magufuli, s’est attaché à faire baisser les tensions, mais la méfiance perdure en partie à cause de la relation étroite perçue de la Tanzanie avec le parti au pouvoir au Burundi.

Des décisions clés n’ont pas été mises en œuvre

La CAE a certes pris des mesures initiales audacieuses pour gérer la crise, mais elle n’y a pas donné suite et ne les a pas mises en œuvre. En septembre 2014, le sommet de la CAE a créé un panel conjoint des Sages de la CAE et du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) pour désamorcer les tensions. Après un séjour de trois mois au Burundi destiné à la consultation auprès du gouvernement, de la société civile, des chefs de l’opposition et du parti au pouvoir ainsi qu’auprès de l’armée, le panel a dressé une liste de dix thèmes de discussion prévus pour le dialogue national au Burundi animé par des Africains. Bujumbura a rejeté la proposition et, au lieu de considérer le rapport comme base de travail commune, la CAE l’a classé.

Par la suite, le Conseil des ministres des Affaires Étrangères de la CAE avait prévenu les chefs de la CAE avant le sommet d’urgence du 31 mai 2015 que permettre à Nkurunziza de rester au pouvoir risquait d’entraîner une crise de légitimité et d’éroder les Accords d’Arusha, de créer des discordes au sein de l’armée et d’intensifier la violence. Le sommet a fait pression en faveur d’un report de quarante-cinq jours des élections et de la mise en œuvre d’autres mesures – dont aucune n’a été mise en œuvre – afin de faire baisser les tensions. Le Burundi a reporté d’une semaine les élections présidentielles qui avaient été prévues pour le 21 juillet. Les élections ont été boycottées par l’opposition et marquées par la violence.

La CAE s’est retrouvée contrainte d’accepter un résultat électoral que ses organes avaient estimé contestable d’un point de vue juridique et politique.

Dans un environnement défavorable, l’UA a refusé d’envoyer des observateurs tandis que la mission d’observation de la CAE a conclu que les élections « n’avaient été ni libres ni équitables. » Cette situation aurait dû déclencher les articles 146 et 147 du traité de la CAE, deux dispositions qui prévoient des suites aux violations répétées des principes du traité et des décisions des membres qui nuisent à la population. Au lieu de cela, la CAE s’est retrouvée contrainte d’accepter un résultat électoral que ses organes avaient estimé contestable d’un point de vue juridique et politique. A l’issue du sommet de la CAE qui s’était tenue le 8 septembre 2016, une nouvelle feuille de route avait été approuvée, laquelle consistait en une série d’engagements entre décembre 2016 et mai 2017 qui devaient aboutir à un accord global en juin 2017. Cependant, les parties ne se sont pas rencontrées et le gouvernement a boycotté les pourparlers en février 2017 qui devaient aborder les questions non résolues avant la date butoir de juin.

L’Union africaine n’a pas été en mesure d’intervenir

Face à l’incapacité de la CAE à faire avancer le processus de paix, le rôle de l’Union africaine s’est trouvé renforcé. L’UA a fait de nouveaux progrès le 17 décembre 2015 en décidant de déployer une force de protection de 5 000 soldats en réponse au massacre perpétré à Bujumbura le 12 décembre de la même année et au rapport d’enquête de l’UA qui a été diffusé peu de temps après. Mais cette détermination a été de courte durée. Dans un premier temps, la Tanzanie et d’autres pays avaient soutenu la force avant de faire machine arrière. La décision a été adoptée par consensus au niveau du Conseil de paix et de sécurité de l’UA mais certains pays se sont plaints de n’avoir pas été « adéquatement informés » par leurs représentants au Conseil. De nombreuses délégations avaient également estimé que la commission de l’UA avait outrepassé les limites de sa compétence sur une décision qui, selon elles, incombait à l’Assemblée des chefs d’État et du gouvernement. D’autres encore ont soutenu qu’ils avaient été « induits en erreur par la société civile et « la couverture de la crise par la presse occidentale » et que la situation au Burundi n’était pas « si grave ». De telles hésitations ont joué un rôle central dans les décisions des pays comme la Tanzanie et l’Afrique du Sud de retarder la mise en œuvre de la décision du Conseil de paix et de sécurité de l’UA quant au déploiement de la force.

Des messages contradictoires ont porté atteinte à la crédibilité et à l’influence de l’UA

En janvier 2016, Ibrahim Fall, le représentant spécial de l’UA pour les Grands Lacs, a mis en lumière des contradictions en déclarant publiquement que l’UA « n’avait jamais eu l’intention d’intervenir » et que l’idée de déployer une force était « inconcevable ». Ces messages contradictoires ont porté atteinte à la crédibilité et à l’influence de l’UA. En conséquence, Nkurunziza a menacé de tirer sur la force de l’UA si elle entrait au Burundi, une menace sans précédent qui a été accueillie par le silence. Il a persisté en refusant le déploiement d’observateurs des droits humains de l’UA et la police non armée des Nations Unies, rendant l’UA incapable d’appliquer ses décisions.

Les futures étapes pour la CAE

En février 2017, Benjamin Mkapa a déclaré aux chefs de la CAE qu’il était « impératif » qu’ils « s’investissent personnellement » pour inciter les autorités burundaises à « s’engager dans un dialogue sérieux sans conditions préalables ». Au sommet de juin, alors qu’un accord définitif était censé avoir été conclu, il poursuivait « Nous sommes dans une impasse parce que le gouvernement du Burundi hésite à parler à ses opposants et à choisir des acteurs favorables avec qui parler en ignorant les autres. » Il a signalé que le gouvernement « devait se rendre compte que la réconciliation se faisait entre deux camps opposés et non entre amis. »

La CAE, qui n’existe dans sa forme actuelle que depuis 2000, n’a pas vocation à jouer un rôle dans la résolution de conflits

But the EAC, which has only existed in its current form since 2000, was not designed to play a conflict resolution role and had not previously been involved in those efforts. It stayed out of the post-election crises in Kenya in 2008 and in Burundi in 2011. In addition, the EAC faces multiple institutional and political disputes that have undermined its ability to engage in high-level peacemaking.

La CAE, qui n’existe dans sa forme actuelle que depuis 2000, n’a pas vocation à jouer un rôle dans la résolution de conflits et n’avait jamais participé à de telles initiatives. Elle n’est pas intervenue dans les crises post-électorales de 2008 au Kenya ni au Burundi en 2011. En outre, la CAE est confrontée à de nombreux conflits politiques et institutionnels qui ont érodé sa capacité à s’engager dans des négociations de paix de haut niveau.

Depuis 2013, le Kenya, le Rwanda, et l’Ouganda ont initié en commun des projets d’envergure afin d’accélérer l’établissement de la Fédération de l’Afrique de l’Est en dépit des réticences de la Tanzanie et du Burundi. Les États membres ont fait face à des désaccords sur les droits de douane, les quotes-parts et les questions de gestion alors que la CAE ne pouvait pas assumer les coûts de la médiation du Burundi en raison de contraintes budgétaires. Le Kenya est le seul pays à avoir payé entièrement ses quotes-parts.

Cependant, une possibilité d’unité et de progrès demeure. Certaines membres de la CAE étaient membres de l’Initiative régionale des Grands Lacs pour la paix au Burundi, un organe créé en 1999 dans le but de renforcer le processus de paix d’Arusha dont la médiation a été assurée par les anciens présidents de la Tanzanie et de l’Afrique du Sud, Julius Nyerere et Nelson Mandela. L’Initiative régionale s’est exprimée d’une seule voix et a adopté une vision commune qui lui a permis de mobiliser les voisins du Burundi pour qu’ils imposent un blocus terrestre et un embargo commercial afin de contraindre les parties à négocier. En tant que membre essentiel de l’initiative, l’Afrique du Sud a envoyé une force de protection civile. Deux autres membres se sont ensuite joints à l’Afrique du Sud, à savoir, l’Éthiopie et le Mozambique, puis ce fut au tour de la Mission africaine au Burundi, dont ce fut la première mission d’imposition de la paix de l’UA.

Bien que des dirigeants de l’étoffe et de la force de persuasion morale de Nyerere et Mandela soient rares désormais, même Mandela n’aurait pu aboutir sans le soutien entier et coordonné des membres de l’Initiative régionale. Cette leçon est particulièrement pertinente aujourd’hui au vu des appels répétés de Mkapa aux dirigeants à intensifier leur soutien au processus de paix.

« Nous sommes dans une impasse parce que le gouvernement du Burundi hésite à parler à ses opposants et à choisir des acteurs favorables avec qui parler en ignorant les autres. »

Benjamin Mkapa

La résolution de conflit n’est pas une mince affaire même dans les meilleures conditions. Le processus de paix d’Arusha a englouti quatre années de pourparlers, trois années de transition et deux années de pourparlers pour un cessez-le-feu. Le processus de paix au Soudan a duré onze ans. Il a commencé par la Déclaration de principes de 1994 et pris fin avec l’Accord de paix global de 2005. Ces processus étaient portés par une volonté politique robuste des acteurs régionaux associée à une démarche commune et une action décisive et la responsabilité était partagée avec des acteurs extrarégionaux qui ont joué des rôles complémentaires. La CAE devra prendre en compte ces leçons et le rôle qu’elle espère jouer en tant qu’organe régional si elle à l’intention de sauver les initiatives de médiation actuelles au Burundi. Alors, elle pourrait peut-être annuler les coûts économiques et politiques de la crise politique persistante au Burundi supportés par ses membres.

 

Références supplémentaires