Le 29 juillet, les Maliens ont voté pour élire un nouveau chef de l’État. Le Président sortant, Ibrahim Boubacar Keïta (ou IBK comme tout le monde l’appelle), et 24 autres candidats ont participé au premier tour de l’élection. Comme aucun candidat n’a franchi le seuil des 50 pourcent, IBK, qui a obtenu 41,4 pourcent du suffrage fera face au chef de file de l’opposition, Soumaila Cisse, arrivé second avec 17,8 pourcent, pour le deuxième tour prévu le 12 août. Les élections prennent place alors que le Mali continue de se remettre d’une insurrection séparatiste et d’un coup d’état militaire en 2012. Par ailleurs, le Mali subit toujours la menace de groupes militants islamistes dans le nord du pays, celle-là même qui avait précipité une intervention militaire d’abord française puis régionale en 2013. Le Mali est à la 175ème place dans l’index de développement humain des Nations Unies. Avec une population de 18 millions, presque le double de celle de l’année 2000, et un vaste territoire enclavé de 1,2 million de kilomètres carrés (soit deux fois la taille de la France) et qui s’étend des fleuves Niger et Sénégal dans le sud au milieu du Sahara dans le nord, le pays fait face à un paysage sécuritaire redoutable.
Cependant, les progrès au niveau politique depuis le retour à un gouvernement civil en 2013 restent mitigés. Les perceptions de la responsabilité du gouvernement se sont améliorées grâce au travail d’institutions gouvernementales telles que le Bureau du vérificateur général et d’ONG anticorruption et les citoyens disent que la corruption est exposée. Mais la capacité du système judiciaire à poursuivre ces cas nouvellement documentés d’abus et de corruption reste à développer. C’est pourquoi alors que le pourcentage de Maliens qui croient que le gouvernement est redevable de ses actions a augmenté de 57 pourcent en 2014 à 78 pourcent en 2017, le pourcentage de citoyens qui qualifient le gouvernement d’efficace à en revanche a diminué de 41 à 21 pourcent, selon des sondages d’Afrobaromètre.
Pourquoi ces élections sont-elles si importantes?
Les défis sécuritaires au Mali sont multidimensionnels. Le pays se remet encore de la rupture à son tissu politique subie en 2012. L’insurrection Touarègue a exposé les profondes divisions sociales entre la minorité nomade Berbère dans le nord aride et peu peuplé du pays et les groupes Mandé sédentaires (qui forment la moitié de la population) du sud plus fertile et qui dominent la vie politique du pays depuis l’indépendance de la France en 1960. L’inefficacité de la réponse militaire à cette rébellion avait donné suite à un coup d’état de l’armée qui avait mis en relief la faiblesse du secteur de sécurité du Mali ainsi que de l’État en général. Ces faiblesses sont depuis exploitées par des groupes militants islamistes, pour la plupart associés à Jama’at Nusrat al Islam wal Muslimin (JNIM), même si l’état islamique au Sahara a aussi organisé des attaques.
Le risque que ces groupes de militants islamistes prennent les régions plus peuplées du sud du pays a conduit la France et des pays voisins à intervenir en 2013. La sécurité du Mali continue d’être appuyée par une mission de maintien de la paix de l’ONU (MINUSMA), la France et son opération Barkhane, et la nouvelle Force Conjointe du G5 Sahel qui comprend des soldats de la Mauritanie, du Niger, du Tchad, du Burkina Faso et du Mali. Depuis 2015, les attentats sont devenus plus fréquents et se sont déplacés vers le centre du pays.
L’élection présidentielle est une étape importante dans la reconstruction de la trajectoire politique du Mali qui avait été établie entre 1991 et 2012. Cependant, étant donné la fragilité continue du pays, ce processus électoral est risqué. Si la violence et l’insécurité affectent suffisamment la participation de l’électorat, l’opposition et les groupes armés pourraient mettre en question la légitimité du résultat. La violence dans le nord et le centre du pays rendent difficiles le transport et la distribution par les autorités des cartes d’électeurs dans ces régions. D’ailleurs, même à Bamako, presque 60 pourcent des électeurs n’ont pas encore retiré leurs cartes.
Quels sont les principales préoccupations en ce qui concerne la participation au scrutin?
Les menaces des groupes islamistes militants constituent une préoccupation majeure puisque les décès associés aux attaques se produisent aujourd’hui à la fois le nord et le centre du Mali.
L’instabilité empêche toujours les représentants de l’État de maintenir leur présence sur une partie du territoire. Seuls 20 pourcent des sous-préfets sont présents dans les communes du nord en 2017, comparé à 36 pourcent en 2016. À Mopti, dans le centre du pays, seuls 33 pourcent des fonctionnaires étaient présent à leurs postes.
Si la menace dans le nord vient majoritairement des groupes militants islamistes, la menace dans le centre est multidimensionnelle. L’ethnicité, la compétition entre les fermiers et les bergers sur l’usage des terres, et les vieilles tensions entre les classes sociales formées d’anciens nobles d’une part et de leurs esclaves de l’autre, contribuent à augmenter la violence en l’absence d’une sécurité stable provenant de l’État.
Début juillet par exemple, une milice de chasseurs traditionnels Dogons—formée parce que ces chasseurs et fermiers se sentent menacés par une tension grandissante avec des berges nomades Foulani—se sont battus avec l’armée après que les chasseurs aient menacé d’empêcher la tenue du scrutin. Des soldats de l’armée, qui avaient essayé d’empêcher un rassemblement de Dogons, ont aussi confisqué leurs armes et brulé leurs motos. Cependant, des groupes militants islamistes cooptent et tirent avantage de ces divisions pour déstabiliser la région et menacer l’État.
En grande partie à cause des attaques de groupes militants islamistes, le gouvernement a enregistré 60 600 déplacés à l’intérieur du pays et 590 000 revenants en Juillet 2018, une augmentation comparé à 2017. De plus, 137 697 Maliens sont réfugiés dans des pays voisins.
Le gouvernement fait aussi face au défi de la confiance que ses citoyens lui portent. Les sondages d’Afrobaromètre suggèrent que seule la moitié des Maliens font confiance à la Commission électorale nationale indépendante. Si 65 pourcent des Maliens considèrent que la démocratie est la meilleure forme de gouvernement, 60 pourcent se disent mécontents de comment la démocratique fonctionne en pratique dans leurs pays. La participation aux élections au Mali est, historiquement, d’à peu près 40 pourcent, même si elle avait tout juste dépassé les 50 pourcent en 2013. La participation sera alors un indicateur important non seulement de la sécurité mais aussi de la confiance des citoyens dans le processus électoral.
Le manque de confiance a aussi été aggravé par le fait que certaines unités militaires se comportent de manière abusive et prédatrice, et sont aussi accusées d’avoir tué des civils, quand elles se déploient dans des parties du pays ou elles étaient jusque-là absentes. Ce type de comportement rend les défis de sécurité encore plus difficiles en alimentant les récits des extrémistes sur le gouvernement en dépit du fait que certains de ces groupes militants commettent de bien pires exactions sur les civils.
Un autre défi est celui de la logistique complexe pour assurer que tous les bureaux de votes auront ce qui leur faut et seront suffisamment sécurisés pour accueillir les citoyens. En l’occurrence, le gouvernement travaille à augmenter le nombre de bureaux de vote de 7 000 pour que les Maliens soient plus proches de leurs bureaux de vote. La MINUSMA fournit une assistance technique aux institutions chargées de gérer les élections, y compris une assistance logistique et technique ainsi que d’organiser des réunions d’information pour les électeurs. Les troupes de la MINUSMA fourniront aussi une sécurité supplémentaire le jour du scrutin. Par ailleurs, l’Union Africaine, la CEDEAO, et l’Union européenne ont aussi dépêché des équipes pour observer la totalité du processus électoral. Leur capacité à certifier que le vote s’est bien passé sera importante pour conférer de la légitimité.
Les Maliens sont aussi concernés par les questions économiques—un dossier sur lequel la plupart qualifient la performance du gouvernement de négative. Par exemple, selon les sondages d’Afrobaromètre, plus de 70 pourcent disent que le gouvernement n’a pas bien soutenu la création d’emplois, n’a pas réduit les inégalités et n’a pas amélioré les conditions de vie des citoyens les plus pauvres. De même, presque 1 million de personnes auront besoin d’aide alimentaire d’urgence en 2018, 55 pourcent de plus qu’en 2017.
Quel est le statut de l’effort de réconciliation ?
L’Accord Pour la Paix et la Réconciliation au Mali –Issu du Processus d’Alger de 2015 (dénommé ainsi car il a été négocié à Alger) a été signé à Bamako par le gouvernement et deux coalitions de groupes rebelles, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et la Plateforme des groupes armés (la Plateforme). L’accord sert de base aux efforts de réconciliation dans le nord. Aujourd’hui anciens rebelles, ces groupes ne cherchent plus à établir un Azawad indépendant dans le nord, même si l’accord prévoit plus d’autonomie dans la gouvernance et l’administration de la région, ainsi qu’un processus de réconciliation. En résumé, les signataires tentent de résoudre leurs griefs politiques et socioéconomiques. Depuis sa signature, des éléments de ces groupes se battent parfois aux cotés de l’armée malienne.
Les signataires se sont mis d’accord pour travailler à créer les conditions d’une paix juste et durable au Mali en se concentrant sur les quatre sujets suivants :
- Le développement d’institutions politiques nationales et régionales (y compris la création d’un sénat et l’organisation d’élections locales pour former des assemblées locales et gérer les affaires régionales)
- La réforme du secteur de la défense et du secteur de la sécurité (y compris le désarmement, la démobilisation, la restructuration du secteur de la sécurité, et le déploiement des forces de sécurité à travers le pays)
- Le développement économique et culturel
- Les questions de justice, de réconciliation, et d’aide humanitaire
Démontrer que l’Accord a été mis en œuvre, même si ce n’est que de manière limitée, est important puisque que cela démontre un engagement pour la paix. En revanche, l’échec de la mise en œuvre de parties importantes de l’accord, en dépit de l’organisation d’une Conférence d’entente nationale ou de la tenue de réunions du Comité de suivi de l’Accord d’Alger, met en relief un manque de progrès, une défaillance de volonté politique, et même de la mauvaise foi de la part des signataires.
Un important défi pour le nouveau gouvernement sera de répondre aux griefs qui alimentent le conflit dans le centre du pays.
L’opposition politique, ainsi que plusieurs groupes non-signataires, disent que la lenteur de la mise en œuvre de l’Accord montre que le gouvernement d’IBK ne fait que le strict minimum et démontre que l’adhérence aux termes de la mise en œuvre de l’accord l’intéresse moins que de se maintenir au pouvoir.
Le processus d’Alger n’a pas inclut de parties prenantes du centre du pays, même d’endroits occupées temporairement par des rebelles en 2012. Qui plus est, le processus de mise en œuvre de l’Accord ne s’applique pas à ces régions. Etant donné l’insécurité grandissante dans le centre, un important défi pour le nouveau gouvernement sera de répondre aux griefs qui alimentent le conflit dans cette région et de travailler à une réconciliation efficace à travers le pays.
Que doit-il se passer pour que ces élections contribuent à une stabilité durable au Mali ?
Les élections ne sont qu’une conjoncture dans la série de défis à la stabilité du Mali. Cependant, elles pourraient être transformatives si les résultats sont perçus comme conférant de la légitimité aux élus. Les dirigeants nationaux s’en trouveraient habilités à prendre les décisions difficiles mais nécessaires à avancer la réconciliation, poursuivre les réformes, et décider de priorités parmi les nombreux intérêts divergents auxquels le Mali fait face.
Il sera important que le gagnant s’engage à surmonter les divisions sociales en mettant en œuvre l’Accord d’ Alger et d’autres efforts de réconciliation. Le Mali reste un État faible. Le stabiliser requiert une réponse continue aux besoins des communautés marginalisées, la mise en œuvre d’efforts de réconciliation, et l’extension d’une présence efficace de l’État à travers le pays. Ceci devra comprendre des efforts à renforcer la capacité et la surveillance des institutions de sécurité maliennes ainsi que d’augmenter la confiance et des liens plus étroits entre les fonctionnaires et les communautés à travers le pays.
Experts du Centre de l’Afrique
- Alix Boucher, Chargée de recherche adjointe
- Dorina Bekoe, Professeure associée
Ressources complémentaires
- Richard Reeve, “Le Mali à la croisée des chemins” Peace Direct, juillet 2018.
- Fadimata Hidara et Thomas Isbell, “Perceptions populaires des élections, de l’action publique et de la démocratie au Mali,” Afrobaromètre Dépêches No. 219, 4 juillet 2018.
- Conseil de sécurité des Nations unies, Rapport du Secrétaire général sur la situation au Mali, S/2018/541, 6 juin 2018.
- The Carter Center, “Rapport de l’observateur indépendant: Observations sur la mise en œuvre de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger, Période d’observation: 15 janvier au 30 avril 2018,” 28 mai 2018.
- Jonathan Sears, “Les élections de 2018 au Mali: un tournant?” Bulletin FrancoPaix, Vol. 3, No. 4, avril 2018.
- Aurélie Campana, “Entre déstabilisation et enracinement local: Les groupe djihadistes dans le conflit malien depuis 2015,” Centre FrancoPaix, mars 2018.
- Centre d’études stratégiques sur l’Afrique, « La force conjointe du G5 Sahel prend de l’envergure », Éclairage, 27 février 2018.
- Arthur Boutellis et Marie-Joëlle Zahar, “Un processus en quete de paix: Les enseignements tirés de l’accord intermalien,” International Peace Institute, janvier 2018.
En plus: Démocratisation Stabilisation des États fragiles Mali