Selon les généraux américains et africains : la qualité du leadership cruciale à la prise de décision stratégique


La préparation des dirigeants à des responsabilités plus définies de commandement et de politique  visant à la prise de décision au niveau stratégique autant qu’au niveau opérationnel est le prérequis majeur à la réussite de la gestion efficace et raisonnée des affaires d’Etat et de la politique stratégique, a annoncé le 9 juin 2014 un groupe de chefs d’état internationaux lors du séminaire des hauts responsables du Centre d’études stratégiques de l’Afrique.

Le continent africain, ces dernières dix années, a connu la croissance exponentielle du développement d’écoles d’état-major et de commandement,  des écoles de formation à la fonction publique, des écoles de formation à la diplomatie et des écoles de préparation à la défense nationale, un indicateur qui montre que plus d’attention et de ressources sont dirigées vers l’amélioration du leadership aussi bien que la fondation professionnelle et universitaire des dirigeants civils et militaires.

Aux Etats-Unis, la formation des chefs militaires est assurée par trois types d’écoles : les académies de premier niveau comme l’académie militaire des Etats-Unis de West Point dans l’état de New York,  des écoles de niveau intermédiaire comme l’école de commandement et d’état-major de l’armée de terre à Fort Leavenworth au Kansas et des écoles d’études militaires supérieures comme l’école supérieure de guerre à l’université de la défense nationale de Fort McNair à Washington, D.C. Quoique que le système de formation soit bien développé aux trois niveaux pour chacun des quatre corps d’armée des Etats-Unis, la formation et le maintien des chefs militaires demeure une difficulté permanente et constitue un processus d’apprentissage permanent pour les Etats-Unis, déclarent les représentants américains.

Les généraux africains et américains ont réfléchi à ces difficultés lors du 16ème séminaire annuel des hauts responsables organisé par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, qui a démarré le 9 juin 2014 à  Washington D.C. La durée du programme était prévue sur deux semaines.

General (ret.) George Casey Jr.Le premier groupe d’experts a été dirigé par George Casey Jr., général en retraite, qui a occupé les fonctions du 36ème Chef d’état-major des armées américaines de 2007 à 2011.

Partager de nombreuses anecdotes de ses  41ans de carrière militaire,  le général retraité qui a aussi commandé la Force multinationale en Iraq, une coalition rassemblant plus de 30 pays, a annoncé que les principes du leadership sont les mêmes à la fois dans le monde militaire que civil.

« Ceci revient à se concentrer sur des choses qui auront le meilleur retour sur investissement », a-t-il ajouté.

Il a vivement encouragé les dirigeants africains à focaliser leur temps et énergie là où c’est nécessaire afin de traiter les difficultés principales auxquelles ils sont confrontés, de toujours prévoir et planifier le futur et de créer des  échéances de pair avec les subordonnés et de créer un objectif et un engagement communs par rapport aux résultats escomptés.

« La complexité et l’ambiguïté rendent facilement les personnes confus, en conséquence de quoi ils n’agissent pas, ce qui est la raison pour laquelle il est important de fonder le consensus avec les collègues et les subordonnés à tous les niveaux de votre organisation, y compris ceux qui ne sont pas dans votre zone de responsabilité », a-t-il conseillé.

Le général Casey a par ailleurs évoqué le modèle VUCA (voir explication ci-après) comme l’un des nombreux cadres d’orientation utilisés dans les idées  émergentes du leadership stratégique, un modèle qui est toujours utilisé par diverses organisations allant de l’armée aux sociétés privées et à l’éducation.

Ce modèle sert à réfléchir sur les quatre points essentiels :

  1. volatilité [Volatility], qui a rapport avec la nature, la dynamique et la rapidité du changement,
  2. incertitude [Uncertainty], qui offre des perspectives de surprise,
  3. complexité [Complexity], qui reflète la confusion qui souvent entoure la prise de décision et,
  4. ambiguïté [Ambiguity], être conscient, s’adapter et adresser en permanence ces quatre points sont essentiels pour réussir à trouver une solution à de nombreux problèmes qui affectent la prise de décision à tous les niveaux, explique-t-il.

Le général, dans ses remarques de conclusion, a rappelé aux participants l’importance d’anticiper le futur. « Se tourner vers le futur signifie également que vous devez, en tant que chefs, vous investir à accroître la prochaine génération de dirigeants africains ».

La deuxième partie du programme a été conduite par le général de brigade Saleh Bala, ancien Chef d’état-major au Centre opérationnel d’infanterie du Nigéria et Kathleen Gainey, général 3 étoiles, en retraite des forces aériennes américaines qui a servi en tant que commandant en second du United States Transportation Command à la base aérienne de Scott dans l’Illinois.

Le général Bala, diplômé également du National War College (école nationale de guerre) à l’université de la Défense nationale (National Defense University) à Washington, a attribué la gageure en matière de leadership à trois problèmes : une faible gouvernance, exacerbée par des cultures démocratiques faibles et sous-développées, le manque de planification et de prise de décision basée sur des données et des statistiques au niveau national et des attitudes négatives à nourrir l’élitisme, le népotisme et enfin la violence religieuse et ethnique.

Le général retraité, qui a précédemment occupé le poste de Chef d’état-major des forces armées pour l’opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (UNOCI), a dénoncé la dépendance excessive en Afrique de l’armée pour résoudre les différends.

« Nous avons une situation sur le continent », a-t-il fait état, « où l’armée a évolué pour devenir l’institution de l’Etat la plus éminente et dominante, en conséquence de quoi tous les problèmes sont résolus à l’aide de moyens militaires, y compris ceux qui peuvent être résolus à l’aide de la diplomatie, des services de police et autres outils de gouvernance »,  a-t-il ajouté. Exacerber davantage le problème, à son avis, est qu’en dépit de sa prépondérance, l’armée en Afrique est pour la plupart faible, et dans de nombreux cas souffre d’un leadership insuffisant.

En conséquence la dépendance trop importante de l’instrument militaire a généré la méfiance entre les services de sécurité et les civils et dans le processus a sapé la quête à établir des sociétés plus stables et inclusives sur le continent. Selon sa présentation, un changement radical, par conséquence, s’impose dans le mode de penser au niveau de la manière dont l’Etat des pays africains est organisé.

Bala a également note que l’évolution de l’environnement en matière de sécurité en Afrique exige des réponses plus globales et sophistiquées qui vont au-delà de la simple dépendance sur l’armée. Il a cité les exemples à part de la propagation du terrorisme dans les pays tels la Somalie, le Mali et maintenant le Nigéria.

Il a affirmé que les terroristes exploitent les griefs sociaux, économiques, ethniques et religieux qui sont créés en premier lieu car le contrat social entre le gouvernement et les citoyens a été rompu.  L’usage de la puissance de combat power seule est par conséquent la voie conduisant à l’échec, afin d’être efficaces, les opérations de lutte contre le terrorisme doivent reposer sur l’utilisation de tous les outils de gouvernance, et par-dessus tout, le  contrat social entre l’Etat et les citoyens doit être restauré par des interventions aux objectifs sociaux et économiques.

« Nous devons nous éloigner du piège qui consiste à penser que, parce que nous avons un marteau, chaque problème est en fait un clou qu’il faut enfoncer, nous devons à la place nous investir dans d’autres outils de puissance nationale », a suggéré le général.

Il a aussi cité le problème de la dépendance de l’Afrique à des puissances extérieures.

« Nous avons eu connaissance, par exemple, qu’une puissance étrangère a donné des millions de dollars à un pays africain afin d’acheter des lampes de poche pour ses services de sécurité. … Maintenant, lorsque vous vous trouvez dans une situation où vous ne pouvez même pas fournir des lampes de poche à vos troupes, alors il y a vraiment un gros problème », a-t-il ajouté. Le général a vivement encouragé les chefs d’Etat africains à être plus sérieux quant à produire leurs propres ressources pour gérer les problèmes de sécurité.  Ceci, a-t-il suggéré, est l’un des derniers tests de leadership réussi.

En termes de leadership opérationnel, le général  Bala a cité à part les exemples de la mission de l’Union africain en Somalie (AMISON), de la mission international de soutien au Mali sous conduite africaine (AFISMA) et les missions des Nations Unies au Libéria et au Sierra Léone à titre d’expériences valant la peine d’être étudiées en détails afin d’élaborer des modèles pour savoir comment le leadership peut être exercé dans le contexte d’opérations multidimensionnelles et complexes d’imposition de la paix.

Il a identifié trois éléments en particulier qui ont été appliqués dans une certaine mesure dans les trois missions : 1) l’orchestration des éléments de la puissance nationale,  2) la collaboration et la coopération interinstitutions et, 3) des relations civilo-militaires solides.

Ces expériences, à son avis, doivent être adaptées au contexte national.

« Ici à l’université de la Défense nationale, nous sommes formés à intégrer tous les éléments de gouvernance, aux niveaux diplomatique, informationnel, militaire et économique, afin d’atteindre les résultats escomptés et c’est quelque chose que nous, en tant que chefs d’opérations stratégiques, pouvons adapter à l’environnement africain », a-t-il fait remarquer.

« A ceci, nous devons ajouter la trinité clausewitzienne représentant l’armée, l’Etat et les citoyens afin d’établir des relations civilo-militaires stables », a-t-il annoncé. « Nous devons aussi nous éloigner des réformes cosmétiques pour passer à des réformes concrètes qui traitent les problèmes fondamentaux que l’Etat de l’Afrique contemporaine traverse ».

Kathleen Gainey, générale de division 3 étoiles à la retraite de l’armée de l’air des Etats-Unis,  s’est concentrée sur les complexités à exercer les qualités de leadership et de discernement dans un environnement dynamique comblé d’ambiguïtés et de surprises.

« Dans la plupart des situations de prise de décision, plusieurs personnes en quête d’intérêts divers, aux opinions divergentes que la nature des problèmes à résoudre et aux ressources limitées, sont présentes pour effectuer les changements désirés », a-t-elle observé. « Afin d’opérer efficacement dans ces conditions, les dirigeants doivent définir correctement la problématique, identifier tous les acteurs et leurs intérêts et fonder le consensus ».

« Si vous pouvez cartographier l’environnement », a annoncé le général à ses homologues, et « faire un bon usage de la négociation et de la recherche du consensus, vous serez en route vers la victoire ».

Basé sur son expérience au soutien de l’apport logistique sur le théâtre de guerre, la générale en retraite a insisté sur l’importance de l’adaptabilité et de l’improvisation.

« Sur une mission, j’ai réalisé que répondre à tous mes indicateurs de réussite ne se traduisait pas nécessairement en succès. … Je faisais en sorte de livrer les articles à temps mais mes collègues dans le théâtre n’avaient pas assez d’entrepôts, alors mes livraisons créaient réellement des problèmes », a-t-elle annoncé.

« Nous avons par conséquent changé notre calendrier de livraison afin de prendre en compte le manque d’espaces de stockage,  et nous avons mis en œuvre  un plan pour acquérir plus d’entrepôts et dans cette démarche, nous avons pu livrer plus rapidement sous 11 jours », a annoncé la générale  Gainey. « Ceci a néanmoins signifié que je devais convaincre mes supérieurs à modifier mes indicateurs et à prendre en compte les changements nécessaires ».

Madame Gainey a vivement encouragé les participants à faire participer tous leurs subordonnés dans le processus de planification, de capitaliser sur la réussite et de communiquer efficacement et régulièrement avec leurs homologues, supérieurs hiérarchiques, concitoyens et subordonnés.

« Tout le monde, à tous les niveaux, opérationnels et tactiques, doit comprendre la mission  et leur rôle au sein de celle-ci », a-t-elle conseillé. « Si vous communiquez avec vos homologues dans l’espoir qu’ils vous renverront en quelque sorte à leurs subordonnés, vous risquez d’avoir des surprises. … Un bon dirigeant descend jusqu’au niveau tactique afin d’inspirer les combattants ».

Pendant la séance  questions-réponses, le général a résumé sa présentation accompagnée de plusieurs conseils thématiques : 1) Ne pas perdre de vue la mission, 2) Se concentrer sur les difficultés majeures, 3) Effectuer des vérifications au niveau hiérarchique inférieur, 4) Identifier les problèmes et apporter une solution, 5) Contrôler personnellement les progrès au premier niveau de l’organisation et, 5) Se tourner vers le futur.

Le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, qui organise le séminaire, a reconnu en 1999 à son lancement la nécessité d’un programme des hauts responsables afin de compléter les programmes destinés aux jeunes officiers militaires et civils de niveau intermédiaire qui se déroule sur le continent africain et aux Etats-Unis. Le séminaire de deux semaines constituera en partie l’ossature du programme du sommet des dirigeants africains prochain organisé par le Président des Etats-Unis, Barack Obama en août.