Le 7 janvier 2017, le Ghana a tenu sa septième investiture présidentielle, pratique organisée régulièrement tous les quatre ans depuis 1992. Il s’agit du troisième changement de parti au pouvoir, un évènement inhabituel en Afrique où la grande majorité des pays organisent un référendum, néanmoins le parti au pouvoir reste presque toujours en poste. Parmi les 54 pays du continent africain, seuls 19 leaders africains sortant issus de 11 pays ont été renversés depuis la fin de l’ère coloniale. Ces deux prouesses en elles-mêmes – le fait d’organiser des élections et de remplacer le parti au pouvoir – ont concouru à institutionnaliser le processus de transition politique au Ghana par la tenue d’élections.
Près d’un quart de siècle après avoir choisi la voie de la démocratisation, l’incertitude était toutefois apparente préalablement aux élections de décembre 2016 au Ghana, le candidat du Congrès démocratique national (CDN) au pouvoir, John Dramani Mahama, étant confronté à son principal opposant, Nana Addo Dankwa Akufo-Addothe du Nouveau parti patriotique (NPP). Six mois avant les élections, il était inquiétant de noter que les Ghanéens avouaient qu’ils se méfiaient fortement des commissions judiciaires et électorales – deux institutions essentielles à l’administration d’une transition politique pacifique et légale. La violence avait éclaté au cours des divers processus électoraux, et les politiciens et leurs affiliés ont régulièrement utilisé des propos incendiaires durant la campagne. La Commission électorale (CE) a en effet identifié 81 circonscriptions comme étant des points chauds. Plus particulièrement, la police a identifié 5,000 bureaux de vote (sur un total de 29 000) comme étant potentiellement volatiles. En résumé, les analystes étaient incapables de prédire de manière définitive si la transition politique au Ghana se déroulerait sans violence.
Malgré les signaux troublants, la transition politique au Ghana s’est finalement déroulée sans heurt. Des représentants politiques ont contesté certains résultats du scrutin et ont accusé l’autre parti d’avoir truqué les élections, néanmoins tous ont accepté les résultats sans aucune violence. Comment expliquer cette issue finale ? Une analyse de la dynamique politique du Ghana montre que, pendant les mois ayant précédé les élections, des actions critiques ont été entreprises par la Commission électorale du Ghana, les leaders politiques et la société civile afin d’éviter une transition houleuse.
Hausse de confiance dans la Commission électorale
Des enquêtes menées en juillet 2016 et en octobre 2016 par le Centre du Ghana pour le développement démocratique (CDD) illustrent le changement positif qui s’est opéré en matière de crédibilité dans la Commission électorale. En juillet, 58 % des Ghanéens jugeaient la Commission électorale comme étant préparée aux élections, mais en octobre, ce nombre était passé à 73 %. Cette importante augmentation des perceptions positives par les citoyens ghanéens peut être attribuée aux initiatives de la CE d’amélioration de la crédibilité des registres électoraux, de mise en œuvre des processus d’inscription continue et de facilitation du vote.
La Commission électorale a pris des mesures très visibles pour améliorer la crédibilité du registre électoral.
Tout au long de la campagne, les partis d’opposition ont alimenté les soupçons sur la neutralité de la CE. Le NPP a réclamé un nouveau registre électoral, leur enquête ayant révélé que près de 76,000 Togolais avaient traversé la frontière pour voter aux élections du Ghana en 2012. Il convient de noter que les Togolais partagent des liens ethniques et linguistiques avec la région de la Volta – un siège du CDN. La décision de 2015 du CE d’améliorer le registre électoral de 2012 existant plutôt que d’en créer un nouveau a donc été fortement critiqué par le NPP.
Le CE a, par la suite, entrepris certaines démarches manifestes pour améliorer la crédibilité du registre électoral, surtout à l’approche des élections. En juin 2016, la Cour suprême du Ghana a ordonné au CE de supprimer environ 57 000 électeurs qui avaient utilisé la carte du Régime national d’assurance santé (NHIS) comme identification, ce que la cour a jugé comme étant illégal. Le CE n’a pas seulement promis de supprimer ces noms et tout nom supplémentaire inscrit grâce à la carte du NHIS mais il a également publié en ligne la liste des noms. Le CE donnait aux personnes figurant sur la liste de noms de NHIS la possibilité de se ré-inscrire officiellement en juillet et en août. Au final, 62 % des Ghanéens ont jugé que le CE avait traité la ré-inscription de manière satisfaisante. En août également, le CE a lancé son processus d’inscription continue qui donnait aux nouveaux électeurs une nouvelle possibilité de s’inscrire. L’enquête du CDD montre que dès octobre, près de 69 % des Ghanéens étaient satisfaits de la manière avec laquelle le CE avait traité cette fonction, et 60 % considéraient le registre comme étant valide.
Le CE a également facilité le vote. Grâce au système de transfert du vote, les Ghanéens pouvaient changer leur inscription originale vers un bureau de vote en un lieu qui leur serait plus pratique (par exemple, passer d’un bureau de vote de leur résidence à celui qui serait plus proche de leur lieu de travail). Dans l’ensemble, ce processus s’est déroulé de manière satisfaisante. L’enquête du CDD d’octobre 2016 a révélé que 65 % des citoyens pensaient que le CE s’était bien acquitté de cette tache.
Malgré l’opinion plus positive du CE et de ses démarches au cours de la deuxième moitié de l’année 2016, beaucoup de Ghanéens continuaient de redouter le manque d’intégrité des élections. Lors des enquêtes de juillet et d’octobre du CDD, la moitié seulement des Ghanéens pensaient que les résultats annoncés rendraient effectivement compte des bulletins de vote soumis. Dans l’enquête d’octobre, une faible majorité (54 %) pensaient également que les politiciens utiliseraient la violence durant les élections. Pourtant, dans l’enquête d’octobre, une forte majorité pensaient que les partis politiques devaient résoudre leurs revendications électorales par le système judiciaire (70 %) plutôt que de participer à de violentes protestations (5 %) ou même des manifestations pacifiques (40 %).
Augmenter la transparence du processus électoral
Contrairement à « la Chambre Forte », le « National Collation Center (NCC) ». est accessible à tous les membres des partis politiques, de la société civile, des médias et des observateurs électoraux pour assister aux rapports des agents électoraux sur le vote.
Par le passé, la « chambre forte » située au siège du CE, servait de site pour rassembler et vérifier les résultats. Mais son aspect restrictif générait des soupçons. Quoique la chambre forte ait rassemblé les partis politiques, elle était aussi opaque et seulement accessible à quelques partis politiques et représentants de la commission électorale —générant des rumeurs sur d’éventuels trucages. Pour faire suite au cas renvoyé devant la Cour suprême en 2013 dans lequel le NPP contestait la victoire du CDN aux élections de 2012, une importante réforme comportait le remplacement de la chambre forte par le National Collation Center (NCC). Par contraste avec la chambre forte, le NCC, financé par le Programme de développement de l’ONU, permet plus de transparence car il est accessible à tous les membres des partis politiques, de la société civile, des médias et des observateurs des élections ; ceux-ci peuvent en effet être témoins des rapports sur le scrutin émanant des responsables des élections. Chaque candidat à la présidence pouvait nommer deux membres au NCC, et chaque candidat à un poste parlementaire pouvait affecter deux représentants aux Constituency Collation Centers (CCC). Le CE avait également annoncé qu’il autoriserait la présence de caméras de télévision au NCC, une première au Ghana. De nombreuses agences d’information diffusaient en direct du NCC durant les élections de 2016. Le CE avait aussi promis de publier les résultats des bureaux de vote sur son site Web, cependant, des pirates ayant attaqué le site Web, les résultats n’ont pu paraître. Le CE s’est toutefois efforcé de réduire les soupçons risquant de peser sur les résultats électoraux grâce à une forte transparence.
Les résultats des bureaux de vote ayant été rendus facilement accessibles, un grand nombre de partis politiques et de médias ont pu proclamer la victoire d’Akufo-Addo aux élections, longtemps avant que le CE n’annonce ses résultats officiels. Comme par le passé, la Coalition des observateurs nationaux des élections (CODEO) du Ghana a employé le parallel vote tabulation (PVT), un processus par lequel les observateurs, positionnés dans différents bureaux de vote de chacune des 275 circonscriptions, enregistrent des données sur les élections, notamment les résultats. Le PVT a estimé qu’Akufo-Addo avait réuni 53,75 % des votes, contre le résultat officiel du CE de 53,85 %. De même. le PCT a estimé que Mahama avait obtenu 44,32 % des votes, contre le résultat officiel du CE de 44,40 %, ce qui établit la crédibilité des résultats du CE.
Même si le NDC a contesté la victoire du NPP jusqu’à la dernière minute, sans le consensus et la transparence des données, l’environnement aurait probablement été plus tendu.
Le NPP a aussi entrepris une version du PVT. Ayant recruté un spécialiste de la technologie de l’information de la NASA, le NPP a mis en place un système lui permettant de profiter de la nouvelle ouverture aux rapports des résultats. Le NPP exigeait que les deux agents des partis dans chacun des 29 000 bureaux de vote du Ghana envoient un ensemble de résultats à l’agent du NPP au CNC et un autre ensemble à l’agent du NPP aux CCC. De ce fait, le NPP a pu comparer les résultats officiels aux résultats que le parti avait compilés. Ces résultats étant en harmonie, ils donnèrent au parti une certaine assurance de la crédibilité de la tabulation officielle. Ces résultats étant aussi en ligne avec les données des bureaux de vote, le NPP a pu annoncer dans un délai de huit heures après la fermeture des bureaux de vote qu’Akufo-Addo avait remporté les élections de près de 10 points.
Les membres des médias, d’autres partis politiques et d’organisations de la société civile ont également suivi étroitement les résultats. Dès les premières heures, le matin du 9 décembre, le CE et le CDN étaient les seules majeures parties prenantes à n’avoir pas annoncé les résultats. Même si le CDN a contesté la victoire du NPP jusqu’à la dernière minute, sans le consensus et la transparence des données, l’environnement aurait vraisemblablement été plus tendu.
Leadership et communication
La réussite du processus électoral du Ghana en 2016 a prouvé que le leadership est important. Lorsque les frustrations ont commencé à s’amplifier, faute de voir le CE déclarer un vainqueur deux jours après l’élection, Mahama a appelé au calme et affirmé sa confiance dans le CE : « Je tiens à assurer la nation que nous accepterons le résultat de l’élection, qu’il soit positif ou négatif ». À ce stade, nombreux étaient ceux qui avaient annoncé que le CDN semblait avoir perdu les élections. Parallèlement, Akufo Addo insistait combien « il est important de rester calme. Nous avons déjà connu cela… Laissez le CE faire son travail [sic].» Ces déclarations étaient semblables à leurs promesses conjointes de mai 2013 selon lesquelles ils respecteraient la décision de la Cour suprême quant au gagnant des élections de 2012, avant que la Cour n’annonce sa décision.
Des déclarations ponctuelles émanant d’autres leaders ont, de même, eu un effet stabilisateur. Quelques jours avant les élections, Mohamed Ibn Chambas, le Représentant spécial des Nations Unies du Secrétaire général du Bureau de l’ONU en Afrique de l’Ouest, qui a joué un rôle important dans le processus pré-électoral, et la présidente du Liberia, Ellen Johnson Sirleaf, qui a présidé la Communauté économique d’Afrique de l’Ouest, ont appelé les candidats à maintenir la paix. L’Accord de paix d’Accra d’août 2016 – signé par les sept candidats en présence de M. Chambas, Mme Sirleaf et de l’ex-président d’Afrique du Sud, Thabo Mbeki – a renforcé les demandes de maintien d’élections pacifiques. L’ancien Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, déclaré et conseillé aux partis politiques de laisser le CE faire son travail en louant tous ceux qui avaient déjà reconnu les résultats. Ban Ki Moon, alors Secrétaire général de l’ONU, avait aussi appelé au calme et à la patience durant le décompte.
Toutes les élections auront des crises, des moments de confusion et des points de discorde. La clé d’une résolution pacifique réside dans les différentes parties prenantes qui gèrent ces événements d’une manière ouverte, rapide et inclusive.
L’expérience du Ghana a prouvé que la communication était importante. Le CE a établi son premier département de la communication et, durant tout le processus du décompte des votes, le directeur de la communication du commissaire électoral était présent et prêt à intervenir face aux évènements en cours. L’accessibilité au CE a réduit la possibilité que des rumeurs se développent et se répandent. Toutes les élections connaîtront des crises, des moments de confusion et des points de désaccord. Pour assurer une résolution pacifique, il est essentiel que différentes parties prenantes gèrent librement, rapidement et de manière participative tous ces évènements.
Conclusion
La transition politique pacifique du Ghana est porteuse de leçons pour d’autres États africains. Elle souligne quatre conditions importantes. Premièrement, l’organe de gestion électoral doit entreprendre des démarches concrètes et visibles pour aborder les perceptions ou les allégations prouvées de partialité politique. Deuxièmement, les données électorales doivent être accessibles à une vaste diversité de parties prenantes pertinentes. Troisièmement, l’organe de gestion électoral devrait maintenir une ligne de communication franche avec les agences d’information traditionnelles et les médias sociaux. Enfin, les leaders politiques doivent choisir des formules et des actions qui évitent l’escalade au sein d’environnements politiques tendus. Ensemble, ces pratiques renforceront la crédibilité du processus électoral, permettant aux candidats et au grand public d’accepter les résultats.
Expert du CESA
Dorina Bekoe, Professeure associée Spécialisée dans la prévention, l’atténuation et la résolution des conflits.
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