Élections parlementaires
15 février
À toutes fins utiles, les élections présidentielles de 2025 au Togo ont de fait eu lieu en mars 2024 lorsque les parlementaires de l’Assemblée nationale dominée par le parti au pouvoir, l’Union pour la République (UNIR), ont voté par 87 voix contre 0 l’adoption d’un changement constitutionnel qui élimine le droit des citoyens à élire directement le dirigeant du pays.
Résultat, une voie incontestée a été créée permettant au président Faure Gnassingbé de prolonger son emprise de 20 ans sur le pouvoir et de perpétuer la dynastie familiale de 58 ans sur ce pays côtier d’Afrique de l’Ouest de 9,3 millions d’habitants.
À toutes fins utiles, les élections présidentielles de 2025 au Togo ont eu lieu en mars 2024, lorsque les parlementaires ont supprimé le droit des citoyens à élire directement le dirigeant du pays.
La constitution révisée crée un puissant nouveau poste à la tête de de l’exécutif, celui de président du Conseil des ministres (PCM). Élu par l’Assemblée nationale, cet individu, sera, comme un Premier ministre qui dispose cependant de de tous les pouvoirs de prise de décision, et de l’autorité civile et militaire du gouvernement. Le PCM sera issu du parti ayant obtenu le plus grand nombre de sièges à l’Assemblée nationale. Des élections législatives unilatérales, organisées à la hâte le mois suivant la révision constitutionnelle, ont donné à l’UNIR 108 des 113 sièges de l’Assemblée nationale, ce qui devrait permettre à Gnassingbé d’être le premier PCM.
Les élections de février 2025 concerneront les postes de sénateurs qui créeront une nouvelle chambre haute au sein du parlement du Togo. Deux tiers de ces sièges seront élus par les représentants des autorités locales et un tiers sera nommé directement par le PCM.
Le mandat du PCM sera de 6 ans — contre 5 ans pour le président aujourd’hui — mais il sera renouvelable indéfiniment. Ceci est significatif dans la mesure où l’adoption d’une limite de deux mandats présidentiels avait, pendant des années été un point central du débat politique au Togo, notamment dans le cadre des efforts de l’opposition pour établir une lime à la durée limitée de la dynastie des Gnassingbé. La question de la limitation du nombre de mandats avait suscité des manifestations massives dans tout le pays jusqu’à ce que la disposition relative à la limitation du nombre de mandats soit incluse dans la Constitution de 2019.
Paradoxalement, la suppression du droit des citoyens au suffrage universel effectuée en mars 2024 (et de la limite de deux mandats) n’a pas été décidée par référendum, mais par l’action législative du parti au pouvoir. Le texte des modifications n’avait même pas été rendu public avant le vote.
Les efforts de l’opposition pour mobiliser les protestations contre les chicaneries constitutionnelles de l’UNIR ont été bloqués par le gouvernement. Même l’Église catholique, qui joue un rôle essentiel dans la société togolaise, a été empêchée d’observer les élections législatives d’avril 2024.
L’UNIR a pu imposer ces changements grâce à son quasi-monopole sur l’Assemblée nationale obtenu à la faveur d’irrégularités généralisées lors des élections précédentes, ce qui avait entraîné un boycott de l’opposition. Ce décompte controversé des voix s’était produit lors de l’élection présidentielle de 2020, quand l’opposition avait largement été considérée comme ayant obtenu une pluralité de voix. En 2015, l’opposition avait obtenu plus de 40 % du vote officiel.
Les rassemblements politiques sont interdits au Togo depuis 2022.
L’UNIR vise à utiliser ce tour de passe-passe bureaucratique pour institutionnaliser sa domination politique en l’absence de mandat électoral. En lui fournissant un mécanisme qui lui permet de rester au pouvoir à vie, elle vise également à protéger M. Gnassingbé contre toute contestation ultérieure de ses multiples contournements de la limitation des mandats.
Afin d’éloigner encore davantage la participation populaire au processus politiques, les rassemblements politiques sont interdits au Togo depuis 2022.
Les deux principaux partis d’opposition ont indiqué qu’ils boycotteraient les élections sénatoriales. L’Alliance nationale pour le Changement (ANC), l’un des principaux partis d’opposition, a annoncé qu’elle ne participerait pas aux élections, les qualifiant de « mascarade » et critiquant les précédentes élections législatives et régionales pour avoir été entachées de fraudes et d’irrégularités. Ce sentiment a été repris par la coalition de l’opposition, la Dynamique pour la Majorité du Peuple (DMP), qui a décrit les élections sénatoriales comme faisant partie d’un « coup d’État constitutionnel ».
La police et l’armée togolaises sont considérées comme étroitement liées au parti au pouvoir, l’UNIR. L’armée a contribué à ce que Faure Gnassignbé succède à son père, Gnassingbé Eyadéma, à la mort de ce dernier en 2005. La réponse des forces de sécurité aux manifestations de 2005 a fait des centaines de morts et la répression policière violente des manifestations politiques s’est poursuivie sous le régime de Faure Gnassingbé. L’armée togolaise se distingue par le fait que 70 % de ses membres sont issus de l’ethnie Kabye de Gnassingbé, alors que cette tribu ne représente que 13 % de la population.
Le modèle de parti dominant enraciné au Togo a déjà coûté très cher à la population. Le taux de pauvreté est de 45 % et le revenu réel par habitant est inférieur à 900 dollars par an, ce qui fait du Togo l’un des pays les plus pauvres de la région. Avec une dette publique de 68 % du produit intérieur brut et des investissements étrangers directs limités, l’emploi et le développement restent médiocres, ce qui exacerbe les inégalités.
L’accent que l’armée met sur la politique a détourné son attention de sa mission principale, c’est à dire la protection des civils, une question de plus en plus préoccupante compte tenu de l’aggravation de l’insurrection islamiste militante au Burkina Faso voisin, qui déborde de plus en plus de la frontière et menace de déclencher une plus grande instabilité dans le nord du Togo.
Les « élections » de 2025 sont donc l’aboutissement d’une stratégie de plusieurs années visant à affaiblir les institutions démocratiques naissantes du Togo. Ce faisant, l’UNIR supprime également les moyens légaux d’exercer les droits fondamentaux de la libre expression, de réunion et de suffrage. Bien que cela puisse sembler être une victoire politique pour l’UNIR, ces actions risquent de mettre le pays sur la voie d’une plus grande instabilité.
Hany Wahila est assistante de recherche au Centre d’études stratégiques de l’Afrique.
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