Les limites de la diplomatie transactionnelle de la Chine en Afrique

La diplomatie agnostique de la Chine en Afrique consistant à investir dans des pays indépendamment de l'adhésion de leur gouvernement à l'État de droit, comporte des risques inhérents pour les investissements chinois et la stabilité régionale.


Chinese and Nigerien workers next to a large pipe emerging from the ground

Des ouvriers chinois et nigériens sur le chantier de construction de l’oléoduc Agadem-Sèmè dans la région de Gaya au Niger, près de la frontière avec le Bénin. (Photo : AFP/Boureima Hama)

La Chine a longtemps vanté sa stratégie non interventionniste consistant à s’engager auprès de tout type de gouvernement en place, quel que soit le moyen par lequel il est arrivé au pouvoir. Pourtant, la légitimité d’un gouvernement et son engagement à faire respecter l’État de droit ont des implications fondamentales pour la stabilité et les perspectives de retour sur investissement. L’expérience de la Chine au Niger en est une illustration instructive.

En mars 2025, trois cadres pétroliers chinois travaillant pour la China National Petroleum Corporation (CNPC) et ses filiales ont été expulsés du Niger. Il s’agit du dernier revers en date dans les relations de la Chine avec la junte militaire du général Abdourahamane Tiani, qui a pris le pouvoir en juillet 2023. Le régime avait déjà retiré la licence d’un hôtel appartenant à des Chinois à Niamey après l’avoir accusé de « pratiques discriminatoires et de violations administratives ». La situation s’est aggravée en mai lorsque le gouvernement militaire a ordonné à la CNPC et à sa raffinerie de pétrole, la Soraz, de suspendre les permis de travail des employés expatriés ayant plus de quatre ans d’ancienneté.

Il existe des risques financiers inhérents à la conclusion de transactions dans des contextes où l’ordre constitutionnel a été renversé.

Ces développements, qui font suite à la stratégie de la junte fondée sur le nationalisme des ressources, le populisme économique et la ferveur révolutionnaire contre ce qui est perçu comme une domination étrangère, menacent les investissements considérables de la Chine au Niger. Il s’agit notamment du développement et de l’exploitation du gisement pétrolier d’Agadem par la CNPC et de l’oléoduc de 2 000 km qui relie le sud-est isolé du pays enclavé au port maritime atlantique de Sèmè, au Bénin voisin. Pierre angulaire de la stratégie chinoise de la « Nouvelle route de la soie » (connue internationalement sous le nom d’« Initiative route et ceinture ») dans le Sahel, l’oléoduc est entré en service en 2024, après plus d’une décennie de développement et 5 milliards de dollars d’investissements. La raffinerie Soraz a été achevée en 2011, avec un investissement de CNPC de 980 millions de dollars.

La Chine est devenue le principal bailleur de fonds de la junte nigérienne après avoir abandonné sa collaboration de longue date avec le précédent gouvernement démocratiquement élu du président Mohamed Bazoum. Alors qu’elle avait initialement appelé à un retour rapide à l’ordre constitutionnel, la Chine a changé de cap et est devenue le principal partenaire international du régime. Elle a même accordé à la junte un renflouement de 400 millions de dollars, sapant ainsi les sanctions imposées par l’Union africaine (UA) et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour la prise de pouvoir extraconstitutionnelle de la junte.

Malgré cette approche transactionnelle, une grande partie des affaires conclues par la Chine au Niger a tourné au vinaigre.

À la suite du coup d’État militaire, le nombre de décès liés à des groupes islamistes militants a augmenté de 66 % au Niger et plus d’une douzaine d’embuscades majeures contre les forces de sécurité nigériennes ont coûté la vie à des centaines de soldats.

Un autre groupe militant, le Front patriotique de libération (FPL), a lancé des attaques contre l’oléoduc – entraînant une marée noire massive et l’arrêt des opérations – et a exigé la libération du président Bazoum. Des risques importants pèsent également sur les travailleurs chinois, le FPL ayant demandé à plusieurs reprises à la Chine de mettre fin à ses relations avec la junte et de suspendre les activités de la CNPC dans le pays.

Cette instabilité complique la capacité du Niger à rembourser ses prêts, ce qui signifie que la Chine risque de perdre beaucoup d’argent. La Chine souffre également d’une atteinte à sa réputation en raison de son association étroite avec la junte, qui est considérée comme de plus en plus répressive à l’égard des citoyens.

Les investissements chinois au Niger comportent des risques

La Chine est le deuxième investisseur étranger au Niger après la France, avec un investissement direct étranger actuel de 2,3 milliards de dollars. PetroChina, la société mère de CNPC, a conclu un accord de partage de la production avec le gouvernement civil du président Mamadou Tandja en 2008 pour développer le champ pétrolifère d’Agadem. La production a commencé en 2011 sous le gouvernement du président Mahamadou Issoufou. PetroChina a également investi dans la construction de la raffinerie de Soraz, près de la frontière nigérienne, en prenant une participation de 60 %, avec une capacité de 20 000 barils par jour (bpj), principalement pour le marché intérieur. L’oléoduc Agadem-Sèmè, le plus long du genre en Afrique, constituait la deuxième partie du projet, avec une production maximale de 90 000 bpj pour le marché chinois.

La Chine a deux autres grands projets au Niger : une coentreprise entre la China National Nuclear Corporation (CNNC) et le gouvernement nigérien pour développer la mine d’uranium d’Azelik et un accord sur les hydrocarbures entre le géant chinois du pétrole et du gaz, Sinopec, et le président Bazoum, signé en 2023.

La Chine a également cherché à accroître ses ventes d’armes au Niger et à ses homologues du Burkina Faso et du Mali. Collectivement, les trois gouvernements militaires ont reçu au moins 10 cargaisons d’armes chinoises en 2023 et 2024. Ces livraisons ont été effectuées par la China North Industries Corporation (NORINCO), qui a ouvert un bureau au Sénégal en 2023 (son quatrième en Afrique) afin d’étendre ses activités au Sahel. Les livraisons comprenaient des armements légers et lourds, un assortiment de véhicules de combat (y compris amphibies), des drones et d’autres matériels, ainsi que des instructeurs.

La stratégie de la junte, fondée sur le nationalisme des ressources, le populisme économique et la ferveur révolutionnaire à l’encontre de ce qui est perçu comme une domination étrangère, menace les investissements considérables de la Chine.

Il existe toutefois des risques financiers inhérents à la conclusion de transactions dans des contextes où les règles constitutionnelles ont été renversées ou ignorées. La junte nigérienne a apporté des changements radicaux à son accord avec la CNPC en mars 2025, exigeant des arriérés d’impôts, l’égalité des salaires entre les locaux et les expatriés, la présence d’un plus grand nombre de locaux aux postes de direction et la sous-traitance à des entreprises locales. Ces décisions n’ont pas été prises dans le cadre d’un processus de médiation ou par un arbitre indépendant, mais par une junte militaire qui gouverne par décret. Cette situation engendre une incertitude et une instabilité considérables dans l’interprétation et l’application des lois.

La détérioration des relations entre la Chine et la junte peut conduire à une rupture de contrat, les entreprises chinoises ayant le droit de récupérer leur investissement. Cependant, elles n’ont que peu de recours, étant donné que le gouvernement a renversé la constitution, compromis le système judiciaire et gouverne par décret.

Les décès liés aux groupes islamistes militants ont augmenté sous la junte militaire et sont en passe d’atteindre les 1 400 décès signalés en 2025, soit près de trois fois plus qu’en 2022. Ces groupes militants ont également pris le contrôle d’un plus grand nombre de territoires, y compris des routes principales menant à Niamey, laissant la capitale de plus en plus isolée.

La junte nigérienne n’a pas respecté quatre échéances de remboursement de la dette et se trouve désormais en défaut de paiement pour un montant de 519 millions de dollars envers les bailleurs de fonds internationaux. En outre, le gouvernement militaire a révoqué les lois de contrôle exigeant une comptabilité transparente du secteur de la défense.

Parallèlement, les violations des droits de l’homme liées au gouvernement militaire se multiplient. La Chine est donc confrontée au risque politique d’être considérée comme le principal acteur étranger soutenant le régime impopulaire.

La Société d’exploitation des produits pétroliers du Niger (SONIDEP) à Niamey.

Les différends entre la junte nigérienne et le Bénin ont entraîné des fermetures répétées de la frontière. En mai 2024, le Bénin a interdit le chargement de pétrole destiné à la Chine au terminal de Sèmè. Cela a suscité une initiative de médiation intensive de la part de la Chine pour rétablir le flux de pétrole, impliquant les ambassades chinoises à Cotonou et à Niamey. Le ministre des Affaires étrangères, Wang Yi, a mené personnellement certains des pourparlers.

Ces efforts de médiation se sont poursuivis lors du neuvième Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) à Pékin en septembre 2024, où le président Xi Jinping a rencontré en privé le président béninois Patrice Talon et le général nigérien Tiani pour parvenir à un accord.

Le sommet du FOCAC lui-même a souligné les tensions résultant du soutien de la Chine à la junte nigérienne et à celles du Burkina Faso et du Mali. Le FOCAC est limité à la Chine, aux membres de l’UA en règle (et qui reconnaissent Pékin) et à la Commission de l’UA. Les trois juntes ayant été suspendues par l’UA, elles n’auraient pas dû participer au forum. Pourtant, la Chine a ignoré cette norme de longue date de l’UA et a chaleureusement reçu les juntes, notamment en organisant des visites très médiatisées dans les usines NORINCO. Ces mesures ont affaibli la position de l’UA consistant à isoler les dirigeants qui accèdent au pouvoir de manière inconstitutionnelle.

Pertinence pour la stratégie d’investissement plus large de la Chine au Sahel

La Chine a une politique déclarée de non-ingérence dans les affaires intérieures, fondée sur le respect de « l’autorité souveraine » (guoquan ; 国权) et le « maintien de la stabilité » (weiwen;维稳), qui considère que la légitimité découle du contrôle incontesté du pouvoir de l’État. En pratique, cela rend la Chine « agnostique en matière de régime », et c’est ainsi que certains commentateurs africains décrivent la préférence de la Chine pour la collaboration avec des gouvernements de tous bords – autoritaires, militaires, civils, démocratiques – tant que leur emprise sur le pouvoir est relativement solide.

Cette stratégie signifie également que la Chine investit dans la stabilité du régime, une politique particulièrement prononcée dans des contextes fragiles comme le Niger, où elle a tout intérêt à ce que le régime reste en place. En d’autres termes, la non-ingérence est en fait une stratégie centrée sur le régime plutôt que sur les citoyens. La Chine, quant à elle, est fortement impliquée dans les affaires intérieures de ces pays.

Lorsque l’État de droit est arbitraire, les investisseurs courent un risque permanent.

La Chine a mené des politiques étonnamment similaires au Burkina Faso, au Mali et en Guinée, pays dirigés par des juntes. En 2023, China-EXIM a approuvé un prêt de 49 millions de dollars pour le régime à court d’argent du capitaine Ibrahim Traoré au Burkina Faso pour une centrale solaire à Loumbila. En 2024, le Mali, également à court d’argent, a conclu un accord avec le géant chinois de l’énergie, Sinohydro, pour construire une centrale solaire de 100 mégawatts à Safo. China Ganfeng Lithium Company, un acteur majeur de l’industrie chinoise des véhicules électriques, détient une participation de 40 % dans la mine de lithium malienne de Goulamina, l’un des plus grands projets de lithium au monde.

La Chine est de plus en plus consciente des difficultés auxquelles se heurtent ses transactions dans certaines régions d’Afrique. Un rapport publié en mai 2025 par la Commission municipale du commerce de Shanghai a mis en garde contre l’instabilité politique en Afrique, qui crée un environnement opérationnel complexe pour les entreprises d’État chinoises. Il met en avant le Niger et les menaces sécuritaires généralisées au Sahel, conseillant aux entreprises « d’adopter une stricte neutralité, d’éviter tout engagement politique, d’interdire aux employés de discuter de politique ou de faire des commentaires provocateurs sur les médias sociaux ».

Cette Commission est particulièrement préoccupée par ces développements, étant donné que Shanghai – une plaque tournante majeure pour le commerce africain – abrite certaines des plus grandes entreprises d’État étrangères opérant en Afrique.

En juin 2025, le ministre des Affaires étrangères Wang Yi a reçu à Pékin une délégation de haut niveau de la junte nigérienne, l’exhortant à gérer les différends avec la CNPC « correctement et par le dialogue » et lui rappelant que Pékin attendait d’elle qu’elle « assure la sécurité et les droits des entreprises et des citoyens chinois au Niger ».

Les stratégies d’investissement international ont un impact sur la sécurité

Les investisseurs internationaux qui soutiennent des normes de gouvernance plus élevées contribuent à créer un environnement d’investissement plus stable et plus attrayant.

Il faut retenir que la bonne gouvernance est un élément fondamental d’une stratégie d’investissement réussie. Les investissements reposent sur le respect de l’État de droit, la stabilité, l’indépendance des tribunaux et des moyens d’arbitrage, la transparence et la prévisibilité. Ces environnements sont plus enclins à respecter les contrats et à protéger les investisseurs contre les règles et les décrets arbitraires. Il s’agit de reconnaître que les litiges relatifs aux grands projets d’investissement ne sont pas rares. Ce qu’il faut, c’est un moyen fiable de résolution des conflits.

Les relations transactionnelles avec des gouvernements qui ne respectent pas les règles constitutionnelles ou qui gouvernent par décret ou dans un style très personnalisé sont intrinsèquement instables. Lorsque l’État de droit est arbitraire, les investisseurs courent un risque permanent. Cela signifie que la nature et la qualité de la gouvernance doivent être des éléments clés dans les décisions d’investissement. Les investisseurs internationaux qui soutiennent des normes de gouvernance plus élevées contribuent à créer un environnement d’investissement plus stable et plus attrayant. Ce faisant, ils renforcent la sécurité de leurs entreprises et de leur personnel opérant dans des contextes difficiles.


Ressources complémentaires