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Burundi : Une Phase Critique


Burundi Senate President Révérien NdikuriyoLa crise au Burundi, qui sévit depuis l’annonce du 25 avril par le président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat, entre dans une phase dangereuse. Dans un discours prononcé le 3 novembre, le président du Sénat burundais Reverien Ndikuriyo a incité à la violence fondée sur l’appartenance ethnique : « Vous dites à ceux qui veulent exécuter la mission : sur cette question, vous devez pulvériser, vous devez exterminer – ces gens ne sont bons qu’à mourir. Je vous donne cet ordre, allez-y ! ». Ce langage nous ramène à la troublante guerre civile qui a eu lieu entre 1993 et 2005 au Burundi au cours de laquelle 300 000 personnes ont été tuées. Les rapports des médias indépendants ont par la suite signalé d’importants mouvements de population dans les zones du sud du Burundi où la population tutsie ethnie minoritaire est concentrée. Soulignant la préoccupation croissante de l’apparition de la violence génocidaire, le 6 novembre, le Procureur de la Cour Pénale Internationale a publié une déclaration :

« … que toute personne au Burundi qui incite ou se livre à des actes de violence de masse, y compris par le commandement, la demande, l’encouragement ou la contribution de toute autre manière à la commission de crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale [dont le Burundi est signataire] est passible de poursuites devant la Cour ».

L’Union Africaine a averti que si la crise n’est pas résolue de toute urgence, il y aura des conséquences dévastatrices pour le Burundi et la région tout entière. Le rapporteur spécial des Nations Unis sur la justice transitionnelle, Pablo De Grieff a déclaré que l’inaction sur le Burundi démontre que « l’architecture internationale montre ses limites » face à une crise qui a déjà donné lieu à plus de 200 000 réfugiés enregistrés.

Origines politiques

F2120990-001D-4D0E-B9F0-9C5CC3BA8EA8_cx15_cy14_cw76_mw1024_s_n_r1-300x168Au cœur de la crise se situe la décision prise par Pierre Nkurunziza de tenter de rester au pouvoir pour un troisième mandat. De nombreux observateurs nationaux et internationaux considèrent cette décision comme une violation de la Constitution du Burundi et des termes de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation en 2000 qui prévoit les conditions pour mettre fin à des cycles de violence, y compris le génocide. Cet accord, que beaucoup de Burundais estiment être la « Grande Charte », a donné au pays « sa seule véritable chance pour la paix », selon l’un de ses principaux architectes, l’ancien président Sud-Africain, Thabo Mbeki. Depuis l’annonce de briguer un troisième mandat, le Burundi a vu  plus de deux mois de manifestations quotidiennes, l’intimidation des partis d’opposition et des communautés par des milices parrainées par le gouvernement, une tentative de coup d’Etat manqué, la fuite en exil de plusieurs hauts fonctionnaires du gouvernement et des chefs militaires, et le déplacement de 10 pour cent de la population du pays.  La violence entre les forces du régime et celles de l’opposition s’est intensifiée ces derniers mois avec des coups de feu et des explosions de grenades se produisent tous les jours et des assassinats ciblés des  deux côtés. Il est d’autant plus difficile de maintenir la trace de ces développements nouveaux parce que le Burundi vit toujours un embargo médiatique suite à la fermeture des médias indépendants par les forces gouvernementales au mois de mai.

Le professionnalisme militaire

4324775373_6966ca164d_zEn dépit des pressions politiques extraordinaires, l’armée burundaise est restée principalement neutre pendant une grande partie de la crise. Au cours des manifestations, les soldats ont régulièrement servi de tampon entre les manifestants et la police et les milices affiliées au gouvernement. La résistance à la politisation a été largement attribuée au Programme de Développement de 8 ans du Secteur de la Sécurité (Security Sector Development [SSD]) du Burundi.  À titre de concrétisation des Accords d’Arusha, le SSD a contribué à la cohésion multi-éthnique et ont permis au Burundi de devenir un important contributeur aux missions de maintien de la paix africaines et internationales. Le coup d’État manqué et les purges à fondement ethnique des forces de la sécurité, ont toutefois érodé cette cohésion. Emile Ouédraogo fait remarquer que la rupture dans le professionnalisme militaire découle souvent des motivations politiques lorsque l’armée succombe à la manipulation des élites politiques poursuivant des objectifs contraires à l’éthique. L’armée burundaise, par conséquent, est confrontée à négocier les exigences contradictoires de son leadership politique et le maintien de son intégrité institutionnelle durement gagnée.

La responsabilité de protéger (R2P)

Selon les Nations Unies, le devoir d’empêcher et de mettre fin au génocide et aux atrocités de masse est d’abord et avant tout la responsabilité de l’État. A défaut, toutefois, la communauté internationale a :

« La responsabilité d’utiliser des moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens appropriés qui sont nécessaires pour protéger les populations de ces crimes. Si un État est manifestement incapable de protéger ses populations, la communauté internationale doit être prête à prendre des mesures collectives pour protéger les populations, conformément à la Charte des Nations Unies. »

Dans de telles circonstances, la souveraineté ne protège plus les États de l’intervention étrangère. Ce principe est inscrit dans l’article 1 de la Convention sur le Génocide et dans le principe de « souveraineté responsable » et dans le concept de la responsabilité de protéger. En réponse à la crise du Burundi, le 17 octobre, le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine a autorisé :

  • Une augmentation du nombre d’observateurs militaires et de la police des droits de l’homme de l’Union Africaine déployés
  • Un rapport sur les violations des droits de l’homme au Burundi doit être soumis au plus tard le 1er décembre
  • Une compilation d’une liste des personnes et des entités à cibler par des sanctions globales
  • La planification d’urgence accélérée de l’éventuel déploiement de la Force en Attente de l’Afrique Orientale pour empêcher toute généralisation de la violence

Le déploiement d’une telle force interventionnelle serait axé sur la protection des citoyens. Paul Williams met en évidence plusieurs leçons globales pour la protection des civiles en se basant sur les opérations de la paix au cours des 15 dernières années:

  • Un système efficace de collecte et d’analyse des informations qui détecte les modèles d’atrocités et élabore des stratégies et des approches opérationnelles permettant d’optimiser l’efficacité de la protection civile
  • Un concept multi-niveau de protection basée sur une analyse solide des conflits et des directives opérationnelles
  • Des ressources suffisantes pour entreprendre une mission efficace de protection civile et inclure des tâches opérationnelles et tactiques.

Arusha comme Cadre du Processus de Paix

En dépit de la polarisation continue de l’environnement politique du Burundi, le cadre d’une solution est déjà en place.  Conçu comme un mécanisme servant à rompre avec le passé tragique du Burundi, l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation est considéré par une grande majorité des Burundais de tous les milieux comme la seule option viable pour une paix inclusive. En outre, malgré le climat de méfiance croissante, de nombreux Burundais n’ont pas permis aux anciennes divisions sectaires de prendre racine. Fondamentalement, les Burundais conviennent que l’origine ethnique, en soi, n’est pas la source de leurs problèmes. Hutu, Tutsi, et leurs frères les Twa, partagent tous la même langue et la culture. C’est au contraire une manipulation politique de leurs différences identitaires qui a conduit à des conflits entre les groupes extrêmes et, finalement, le génocide. Quinze ans après la signature de l’Accord d’Arusha, le Burundi se retrouve à un carrefour entre la paix et la violence. Les perspectives de stabilité dépendront en majeure partie de la façon dont les Burundais continuent à défendre la vision multi-ethnique incarnée dans ces accords.

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