Des milliers de maliens sont descendus dans la rue pour démontrer leur soutien au coup d’État militaire contre le président démocratiquement élu Ibrahim Boubacar Keita. Selon plusieurs reportages cela reflétait une validation populaire du coup d’État et le besoin, pour les médiateurs régionaux, de trouver un terrain d’entente lors des négociations avec les putschistes. Pour de nombreuses raisons, ce raisonnement est cependant problématique.
D’abord, un coup d’État reste en coup. En fin de compte, ce sont des individus, militaires, qui estiment avoir l’autorité de remplacer un dirigeant démocratiquement élu. Portant ce raisonnement à sa fin, qu’est ce qui empêcherait d’autres militaires d’avoir le droit de remplacer la junte et ainsi de suite ?
« Il se passe surement beaucoup plus derrière la scène que des maliens fêtant le limogeage d’un dirigeant démocratiquement élu. »
Si grande attention à été portée sur les milliers de maliens qui sont descendus dans la rue soutenir le coup, quid des millions de maliens qui sont restés chez eux? Où se trouvent leurs voix et comment sont-elles représentées dans cet acte de rupture constitutionnelle? C’est là même l’objectif d’une élection. Et malgré des manifestations et une forte opposition lors de l’élection présidentielle de 2018, Keita a remporté l’élection avec 67% des voix. De plus les observateurs de l’UE et d’autres on estimé que le scrutin n’avait pas été entaché de fraude.
Rationaliser un coup au motif que des gens sont dans la rue fait oublier le fait que presque tous les coups sont accueillis avec enthousiasme par certaines personnes. Les citoyens (en majorité les jeunes hommes) frustrés par le manque d’emplois, la perception de l’incompétence et de la corruption, ou d’autres griefs, peuvent par reflexe accueillir un changement parmi les dirigeants politiques.
Mais ces foules ne réalisent probablement pas qu’ils acclament aussi la perte de leurs libertés démocratiques. Une fois que les leaders du coup ont pris le pouvoir, les protections constitutionnelles disparaissent. En l’absence de règles constitutionnelles, ce qui est considéré légal ou illégal et l’application de la loi dépend de ceux qui tiennent le pouvoir, y compris si et quand les citoyens pourront de nouveau voter pour choisir leur dirigeants. C’est cette réalité dont les Egyptiens et les Zimbabwéens, qui étaient descendus dans la rue pour soutenir les militaires, font aujourd’hui les frais.
Par ailleurs, regarder vers les manifestants pour légitimer une prise de pouvoir ignore le fait que ces dernières années ont vu une augmentation importante du nombre de manifestations en Afrique. En effet, 32 pays du continent ont subi des manifestations soutenues dans l’année écoulée. Celles-ci demandaient des améliorations dans la gouvernance, la transparence et la livraison des services. De telles grandes manifestations deviendront de plus en plus faciles à organiser avec l’urbanisation rapide de l’Afrique. Si les manifestations sont une forme d’expression populaire bien établie et démocratique pour obtenir des réformes, elles n’en deviennent cependant pas une justification pour l’armée de limoger un dirigeant démocratiquement élu.
Si les manifestations qui ont précédé le coup au Mali ont soulevé des griefs valables, il faut aussi savoir qu’elles avaient été organisées par une coalition de partis d’opposition, ainsi que par l’imam islamiste Mahmoud Dicko, qui ont tous leurs propres intérêts. Ces acteurs pourraient aujourd’hui gagner en influence, ou même en pouvoir, suite au coup d’État. En amenant les gens dans la rue, ces opportunistes politiques, qui n’ont pas su remporter seuls une élection équitable, pourraient tenter d’user des troubles civils comme d’un cheval de Troie pour leurs propres intérêts politiques.
Les représentations de soutien populaire au coup ont aussi été accompagnées d’images incongrues de maliens brandissant des drapeaux russes et des messages pro-russes. Étrange coïncidence que ces sentiments pro-russes sont devenus plus importants après la signature entre la Russie et le Mali d’un accord de coopération sécuritaire très opaque en juin 2019.
C’est aussi à cette époque que la tristement célèbre entreprise de mercenaires russes, le Wagner Group, serait arrivée au Mali. La Russie et Wagner deviennent de plus en plus actifs en Afrique, notamment en République centrafricaine et en Libye, où ils espèrent utiliser le modèle adopté en Syrie qui consiste à entrer dans un État fragile faisant face à une menace sécuritaire, et ce faisant, maximiser l’influence géopolitique russe, souvent pour accéder aux ressources naturelles du pays.
Ces activités russes sont toujours liées à des campagnes de désinformation ciblées pour délégitimer la gouvernance démocratique et l’Occident. Ce sont ces messages qui sont devenus de plus en plus présents au Mali cette année. Il n’est donc pas surprenant que les manifestants se sont montrés particulièrement critiques de la France, l’ancienne puissance coloniale, ou qu’ils ont aussi dénoncé la coalition internationale qui travaille avec le gouvernement malien à vaincre les groupes islamistes militants dans la région.
En d’autres termes, il se passe surement beaucoup plus derrière la scène que des maliens fêtant le limogeage d’un dirigeant démocratiquement élu.
Le 28 août, suite à un sommet extraordinaire de la CEDEAO, l’organisme régional a émis neuf lignes directrices pour l’établissement d’une transition politique au Mali. Celles-ci appellent à la création d’un gouvernement d’intérim, dirigé par un président civil et un premier ministre civil qui seraient chargés d’organiser des élections dans les 12 mois. La sélection des dirigeants du gouvernement intérimaire serait faite sur la base de consultations avec la Cour Constitutionnelle, les partis politiques et la société civile. Les militaires sont sommés de jouer un rôle subordonné aux dirigeants civils.
« Si les manifestations sont une forme d’expression populaire bien établie et démocratique pour obtenir des réformes, elles n’en deviennent cependant pas une justification pour l’armée de limoger un dirigeant démocratiquement élu. »
Étant donné les circonstances, Keita ayant dit à la CEDEO qu’il ne souhaite pas reprendre la présidence, ces directives de la CEDEO sont une voie pour le Mali de retrouver l’ordre constitutionnel. Pour être efficace, ce plan requiert que la CEDEO continue de refuser aux leaders du coup toute légitimité comme autorité souveraine du pays. Toute reconnaissance donnerait à la junte trop d’influence sur la transition. Les sanctions et la condamnation internationale devraient donc rester en place. Cela inclut aussi la France qui souhaiterait peut être reprendre rapidement sa coopération sécuritaire afin de maintenir la pression dans la bataille avec les djihadistes.
Les négociateurs régionaux doivent aussi reconnaitre que l’influence de la junte est limitée. En l’absence de soutien politique et financier international, elle ne pourra pas perdurer. Le risque de crise économique et de la perte du soutien populaire dont elle jouit la laisse avec très peu d’options.
La CEDEAO et la communauté internationale doivent continuer d’insister pour une voie de l’avant basée sur la constitution. Il faudra user de diplomatie et de créativité, ce dont la CEDEAO a déjà fait preuve lors de précédentes ruptures de l’ordre constitutionnel dans la région, y compris quand elle avait aidé à guider le retour au gouvernement civil suite au coup de 2012 au Mali. Mais le Mali a besoin de plus qu’une réplique de 2012. Ce sont en effet les leçons de 2012 qui devraient guider la CEDEAO à mettre le Mali sur le chemin du renouveau plutôt que d’un retour aux affaires comme avant.
Le « soutien populaire » au coup au Mali masque une armée politisée, des personnalités de l’opposition opportunistes et peut être une ingérence russe. S’il est permis aux leaders du coup de continuer à jouer un rôle politique, ou si les acteurs de l’opposition peuvent utiliser leur influence pour prendre le pouvoir, cela invitera d’autres efforts pour renverser des gouvernements légitimes. La leçon pour toute personne qui souhaiterait organiser un coup d’État ou usurper le pouvoir serait donc tout simplement de faire descendre les gens dans la rue.
Cet article est apparu pour la première fois sur AllAfrica.com.
En plus: Démocratisation Mali