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Arrêter l’engrenage de la violence au Burundi


« Le problème que nous essayons de résoudre au Burundi est de nature politique et ne peut pas être résolu par des moyens militaires. Ces contingents [de maintien de la paix] ne pourront pas résoudre le conflit mais pourront créer un environnement favorable à continuer les pourparlers de paix ».

Nous sommes le 16 octobre 2001 et l’intervenant est l’ancien président sud-africain, Nelson Mandela. A titre de médiateur des pourparlers de paix tenus à Arusha sur le Burundi, il avait simplement demandé à son successeur, le président Thabo Mbeki, de déployer des forces sud-africaines en appui du processus. Le gouvernement burundais, à ce moment, dirigé par le président Pierre Buyoya, était vivement opposé à une telle force en déclarant : « Le peuple burundais n’est pas heureux avec cette décision et ne l’acceptera jamais ». L’idée de déployer une force neutre au Burundi a été envisagée il y a plusieurs années par l’ancien médiateur, Mwalimu Julius Nyerere, président retraité de la Tanzanie, qui aime les idées de Mandela, a affirmé que : « L’intervention militaire ne résoudra pas le problème mais vous ne pouvez pas l’exclure totalement car les massacres et les meurtres et les assassinats se poursuivent et avec une population sous une frayeur totale, nous ne pouvons pas rester assis et les laisser continuer ».

South African PeacekeepersMalgré la résistance du gouvernement burundais, le 30 octobre 2001, Pretoria a déployé un détachement du service de police d’Afrique du Sud ( South African Protection Service Detachment : SAPSD ) sur le Burundi afin de protéger les personnes exilées de retour pour négocier les dernières étapes des pourparlers de paix. En 2003, lors de l’impulsion donnée par les pourparlers de cessez-le-feu, l’Union africaine a déployé la Mission africaine au Burundi (AMIB), comprenant en grande partie des contingents sud-africains, éthiopiens et mozambicains pour protéger les civils, entres autres tâches. Le commandement de l’AMIB fut ultérieurement transféré aux Nations Unies avec le mandat Opération des Nations Unies au Burundi (ONUB), avec les Forces spéciales sud-africaine restant à titre de Force d’équipe spéciale de l’Union africaine (AUSTF) à part jusqu’en 2007. Ces déploiements ont permis le retour des personnes exilées pour négocier les dernières négociations sur le statut final, ont apporté la protection aux civils, ont créé un climat de confiance pour le retour des réfugiés et ont aidé à la mise en œuvre de dispositions transitoires, y compris la réforme relative au désarmement et à l’armée.

Quinze ans après, la prise de position par un autre gouvernement burundais pour prévoir une force de protection africaine est à nouveau au goût du jour. En réponse à la brutale explosion de violence le 12 décembre 2015, l’Union africaine (AU) a pris l’engagement de déployer la Mission africaine de prévention et de protection au Burundi (MAPROBU) afin de protéger les civils en danger imminent et créer le climat destiné au dialogue politique. Cette mesure a été prise après que les forces du gouvernement burundais aient mené des représailles violentes dans les quartiers de l’opposition au régime à la suite d’une coordination d’attaques rebelles sur plusieurs bases militaires. Les autorités burundaises ont annoncé le nombre de victimes par jour à 87. Les estimations non officielles indiquent que le nombre de personnes tuées est bien plus élevé. L’équipe en charge des droits de l’homme surveille les exécutions extrajudiciaires recensées, les arrestations arbitraires, le pillage et les nombres corps gisant dans les rues, beaucoup tués d’une seule balle à la tête et certains aux mains attachées dans le dos. La vaste majorité de ceux qui étaient visés étaient Tutsis, selon le bureau du Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies. Début janvier 2016, les Nations Unies ont annoncé qu’une analyse des images satellites était effectuée afin d’enquêter les rapports de témoins sur au moins neuf fosses communes, y compris celle d’un camp militaire, contenant plus de 100 corps.

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En réponse à l’annonce de l’Union africaine sur la mission MAPROBU, le président du Burundi a lancé un avertissement le 30 décembre : « Nous n’avons pas besoin d’eux … tout le monde doit respecter les frontières du Burundi … si on ne le fait pas, ils auront attaqué le Burundi et les burundais doivent se mobilier et les attaquer ». La reprise des pourparlers de paix qui avait été prévue le 6 janvier 2016 en Tanzanie, n’a pas été enclenchée lorsque le gouvernement a fait part de ses désaccords sur la date et la composition des délégations de l’opposition et de la société civile. Le 7 janvier, le ministre des Affaires étrangères de Tanzanie, M. Augustine Mahiga, a appelé à une rapide reprise des négociations car c’est  « le seul moyen d’arrêter les effusions de sang ».

Par réaction à la résistance du gouvernement du Burundi à la mission MAPROBU, il a annoncé : « Le Burundi a adopté une position qui n’est pas basée sur une réelle compréhension de cette force ». « Son objectif est de protéger les populations … garantir un espace sûr pour dialoguer, aider au processus de désarmement et protéger les installations essentielles », a-t-il expliqué. Le ministre de la Défense ougandais et facilitateur des pourparlers de paix, Dr. Chrispus Kiyonga, a décrété : « Tuer des soldats de la paix de l’Union africaine serait une grande erreur » , et d’ajouter : « nous sommes tous contraints aux décisions de l’Union africaine … si quelqu’un n’est pas satisfait, il peut la disputer par les circuits normaux ».

Retards en diplomatie et accélération du conflit

Le conflit a été déclenché en avril par la décision du président Pierre Nkurunziza de se représenter pour un troisième mandat duquel les membres de l’opposition disent qu’il ne respecte pas les termes de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi du 28 août 2000, plan d’action qui mit fin à une violente guerre civile de 12 ans et aux cycles de violence meurtrière, y compris des massacres et génocides. Lorsque la médiation commença à la mi-mai sous les auspices de la Communauté de l’Afrique de l’est (EAC), le nombre de décès était de 18 et 40 000 personnes avaient fui à titre de réfugiés. Le médiateur de l’EAC, le président de l’Ouganda, Yoweri Museveni, ont essayé en vain de parvenir à un accord avant les élections prévues pour juillet. Les sondages sont sortis, ni l’Union africaine ni la Communauté de l’Afrique de l’Est n’est reconnue crédible.  Immédiatement après les élections entachées, le nombre de décès était de 77, avec environ 500 blessés. Le nombre de réfugiés est passé à 177 000.

En même temps que cette augmentation de victimes et de réfugiés, un changement au niveau des caractéristiques de la violence est apparu. Une semaine avant les sondages, des affrontements entre les forces gouvernementales et rebelles ont éclaté dans le Burundi du nord de type guérillas revendiqués par des officiers burundais qui  avaient déserté de l’armée. Début août, la figure militaire la plus crainte et allié principal à Nkurunziza, le Général Adolphe Nshimirimana, a été tué dans une attaque à la roquette bien orchestrée. Un jour plus tard, un représentant  important de la société civile, Pierre Claver Mbonimpa, a été tué à bout portant au visage et s’est enfui rapidement à l’étranger pour recevoir des soins. Quelques jours plus tard, Côme Harerimana, président du CNDD/FDD local au pouvoir, a été obligé de descendre de sa moto et tué . Les loyalistes pro-régime se sont vengés le 15 août lorsqu’un ancien Chef d’Etat-major de l’armée burundaise, le Colonel Jean Bikomagu, a été abattu en face de sa maison. Trois jours plus tard, quatre membres du CNDD/FDD ont été tués dans un bar situé dans le quartier  Musaga de Bujumbura. Le 23 août, Pontien Baratwanayo, administrateur local du FNL d’opposition, a été abattu.

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Ces tueries en représailles ont empiré sur les mois qui suivirent lorsque plusieurs douzaines d’agents des services de police et du renseignement aussi bien que des défenseurs de la société civile et de l’opposition ont été soit tués ou visés. Début septembre, le Général Chef d’Etat-major de l’Armée de terre, Prime Niyongabo, a échappé de justesse à une attaque bien coordonnée sur son convoi alors qu’il se rendait au travail. A la fin du même mois, l’Organisation internationale pour les migrations a rapporté que 192 000 réfugiés avaient été enregistrés. Le nombre de décès officiel était passé à 150 et plus de 700 personnes avaient été arrêtées. Novembre connu une relance de tension lorsqu’une nouvelle vague de réfugiés ont quitté le pays avant une opération importante de sécurité destinée à débusquer les armes. Cette opération a coïncidé avec le discours du 3 novembre  du président du Sénat, Reverien Ndikuriyo, qui a incité à la violence ethnique : « Vous dites à ceux qui veulent exécuter la mission : sur ce point, vous devez pulvériser, vous devez exterminer  – ces personnes ne sont bonnes qu’à mourir. Je vous le feu vert, allez-y ! » Dans la vague de tueries qui s’est produite les 6 et 8 novembre lorsque l’opération a été exécutée, le fils du leader de la société civile, Claver Mbonimpa, était parmi les personnes tuées. A la fin du mois, le nombre de réfugiés a grossi à 216 000. Le 12 novembre, le Conseil de sécurité des Nations Unies a répondu en appelant à reprendre d’urgence le dialogue afin de trouver une solution. Ceci a renforcé une décision du 17 octobre de l’Union africaine visant à précipiter des plans de secours pour le déploiement d’une mission de maintien de la paix dirigée par l’Union africaine afin d’empêcher encore plus de violence.

A la mi-Janvier 2016, le nombre des décès officiel était à 500, mais des estimations non officielles indiquent que 900 personnes étaient mortes et le nombre de réfugiés est passé à presque 250 000, la vaste majorité étant des femmes et des enfants.

Risques d’instabilité plus prononcée

S’il maintient sa position actuelle, tout indique que l’environnement en matière de sécurité au Burundi va continuer à se détériorer à une cadence croissante. Les facteurs probables à contribuer à cette tendance comprennent :

  1. Le langage incendiaire fondé sur l’ethnie est de plus en plus invoqué par les hautes personnalités du gouvernement soulevant des craintes que  les conditions à un accroissement de la violence sont posées. Bien que le peuple burundais n’ait pas été jusqu’ici réceptif  aux incitations de violence ethnique, les craintes sont que la polarisation ethnique accablera les résiliences des populations et pourra mener à une répétition des massacres et des génocides passés du Burundi.
  2. Les doutes sur la sincérité et la volonté du gouvernement à engager le dialogue sont sérieux. Une partie importante de Burundais sont arrivés à la conclusion que la seule pression à laquelle  Nkurunziza répondra est la force. Depuis la mi-juillet, de nombreux groupes rebelles se sont formés et 60 incidents d’affrontements entre le gouvernement et les forces rebelles ont été enregistrés notamment une attaque au mortier sur le palace présidentiel à la mi-novembre. Aggravant encore davantage le conflit est l’émergence de groupes civils armés dans certains des quartiers  les plus touchés par la violence. Constitués par des jeunes qui affirment « nous avons décidé d’agir ainsi afin de nous protéger » ; ces groupes viennent s’ajouter à un mélange  explosif de milices pour et contre le gouvernement qui sera difficile  à contrôler si la situation continue à se détériorer et qu’aucune riposte efficace n’est disponible.
  3. Les divisions au niveau de l’armée sont en augmentation. Une vague de désertions s’est produite après la tentative manquée de coup d’état en mai, avec environ 150 officiers et engagés provenant de la 11ème Brigade blindée et du 121ème Bataillon des parachutistes et partant en exile ou en rébellion. L’usure des effectifs parmi les officiers importants a continué depuis. En octobre, des officiers du 17ème Bataillon de chasseurs (y compris son commandant adjoint) et la Brigade chargée de la logistique, ont quitté la force armée avec environ 120 officiers et engagés, des armes et le matériel de communication. Après le coup d’Etat, le gouvernement a entrepris des purges de ceux de l’armée considérés comme n’étant pas suffisamment loyaux. Ceci a alimenté la méfiance dans l’une des institutions qui est considérée comme ayant fait de réels progrès en mettant en avant l’esprit multi-ethnique des accords d’Arusha. La Force est composée équitablement de soldats des ex-forces armées burundaises (ex-FAB), qui sont en prédominance tutsis et des miliciens de groupes rebelles en majorité hutus qui se sont battus contre les gouvernements successifs dirigés par des tutsis. Les représailles du gouvernement de Nkurunziza qui ont fait suite à la tentative de coup d’Etat ont en grande partie visées les ex-FAB. Certains anciens rebelles n’y ont cependant pas échappés aussi. Le gouvernement opère par des chaînes de commandement parallèle sur lesquelles il conserve le contrôle politique et ethnique. Par conséquence, bien que l’armée soit largement restée politiquement neutre pendant le conflit, on peut s’attendre à ce que la pression pour afficher les loyautés du parti et des ethnies ne se répercuté sur professionnalisme militaire. Ceci ne peut qu’alimenter plus d’instabilité.

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Les menaces prodiguées par le gouvernement Nkurunziza ont donné lieu à des questions sur le déploiement de la mission MAPROBU ou mission africaine de prévention et de protection au Burundi. Bien que tous les cas de figure doivent être envisagés, la probabilité et l’efficacité de telles représailles demeurent. Premièrement, il est peu probable que les membres de l’armée du Burundi, réduite comme elle est, risqueraient de mettre en péril leur participation continuelle au sein des missions de l’Union africaine. Deuxièmement, bien que les milices alliées au régime telles les Imbonerakure (ligue des jeunes soutenue par le parti au pouvoir), détiennent le rapport de force sur des civils non armés, il est peu probable qu’elles seraient capables de tenir tête aux  forces organisées. Troisièmement, la controverse stratégique qui serait créée par un Etat membre de l’Union africaine ouvrant le feu sur des forces armées africaines fait d’elle qu’elle ne peut pas être ignorée.

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Il faut, par ailleurs, rappeler que la décision de déployer la mission MAPROBU ne s’est pas fondée uniquement sur les réalités présentes au Burundi mais pour le bénéfice de toute la région des Grands Lacs. Si le Burundi reste sur sa position d’intensifier les conflits, celle-ci aura des effets déstabilisants sur tous ses pays voisins. La nécessité de déployer des forces à titre de prévention afin d’éviter  des atrocités de masse et des prolongations de conflits, de plus, a été  le facteur incontestable derrière la création de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA) de l’Union africaine. Si le Burundi bascule dans une autre guerre civile véritable, en l’absence du déploiement de la mission MAPROBU, la crédibilité et la réelle logique du projet entier de l’architecture APSA seront remises en question.

Comme Nelson Mandela et Julius Nyerere l’ont fait remarquer, le déploiement de forces régionales au Burundi n’est pas une solution en soi. Toutefois, comme lors des conflits précédents au Burundi, il peut constituer une étape indispensable pour créer un environnement favorable à pourparlers de paix dignes de ce nom permettant d’aller de l’avant.

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