L’urbanisation sans précédent de l’Afrique modifie le paysage sécuritaire

Alors que l'Afrique s'urbanise à un rythme record, les politiques de sécurité nationale devront s'adapter à l'évolution de la situation géographique et des types de menaces dans les zones urbaines par rapport aux zones rurales.


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Le rythme de l’expansion urbaine en Afrique est sans précédent dans l’histoire de l’humanité et laisse présager des changements fondamentaux dans les approches de la sécurité.

  • Près de la moitié des Africains, soit plus de 700 millions de personnes, vivent déjà dans des zones urbaines, un chiffre qui devrait doubler pour atteindre 1,4 milliard d’ici à 2050. Ce rythme d’expansion urbaine est sans précédent dans l’histoire de l’humanité et laisse présager des changements fondamentaux dans les approches de la sécurité.
  • Plus de 60 villes africaines comptent aujourd’hui plus d’un million d’habitants, soit autant que l’Europe. D’ici 2050, ce nombre devrait atteindre 159 villes.
Aerial view of the Yopougon district beside a highway running to Abidjan, Côte d'Ivoire.

Vue aérienne du quartier de Yopougon au bord de l’autoroute menant à Abidjan, Côte d’Ivoire. (Photo : AFP/Alexis Huguet)

  • Les taux d’urbanisation les plus rapides en Afrique sont concentrés dans deux corridors géographiques : le Sahel occidental (plus le Ghana) et une ceinture d’Afrique de l’Est qui s’étend de l’Éthiopie au Mozambique. Ces zones illustrent la combinaison complexe des forces qui alimentent la croissance de la population urbaine sur le continent.
    • Une grande partie de la croissance urbaine de l’Afrique se fait à l’intérieur des villes. Dans des pays comme l’Ouganda, l’Éthiopie et le Rwanda, 60 à 70 % de la croissance urbaine est le résultat de naissances plus nombreuses que de décès. Cela reflète l’amélioration des services de santé combinée à des taux de fécondité relativement élevés dans les villes, ce qui se traduit par un retard dans la transition démographique.
    • Les facteurs d’attraction urbains accélèrent la migration, en particulier dans des pays comme le Kenya, la Tanzanie et le Ghana, où des villes comme Nairobi, Dar es Salaam et Accra offrent un accès à l’emploi, à l’éducation et aux services. Ces villes sont des aimants pour les jeunes ruraux, qui sont attirés par les opportunités économiques formelles et informelles.
    • Les facteurs de poussée rurale – notamment les conflits, les déplacements, l’insécurité alimentaire, la pression foncière et les inondations – sont particulièrement graves dans les pays du Sahel, à savoir le Mali, le Niger et le Burkina Faso. La violence des islamistes militants et le stress environnemental ont déplacé des millions de personnes, dont beaucoup ont fui vers des villes comme Ouagadougou, Niamey et Bamako à la recherche de sécurité et de services de base.

Perspectives de la population et de l’urbanisation en Afrique

AnnéePopulation totale
(milliards)
Population urbaine
(pourcentage)
Population urbaine
(milliards)
Nombre de villes > 1 million
2025~1.54~45%~0.70~60
2030~1.73~48%~0.97~80
2050~2.47~60–65%~1.4–1.5~159

Sources: Worldometers.info, Nations Unies, Africapolis/OCDE, projections de la BAD.

Les zones urbaines de plus en plus touchées par les conflits

Map of Human Geography of Organized Armed Violence in Africa

  • Même si l’urbanisation s’accélère, les zones rurales restent l’épicentre des conflits armés organisés en Afrique. En 2024, 74 % des événements violents armés organisés se sont produits dans des zones rurales ou semi-rurales, tandis que 26 % seulement se sont produits dans des villes de plus de 20 000 habitants (18 827 événements ruraux ou semi-ruraux contre 6 647 événements urbains). Ce clivage reflète les schémas opérationnels de la plupart des groupes armés africains, qui continuent à fonctionner comme des insurrections rurales.

L’urbanisation croissante de l’Afrique, associée à la persistance de conflits non résolus, laisse à penser que les guerres africaines prendront une tournure de plus en plus urbaine.

  • Les groupes militants ont tendance à prospérer dans les régions isolées et peu peuplées, en particulier là où la présence de l’État est faible. Dans l’ouest du Sahel, les factions islamistes militantes opèrent dans des zones rurales peu gouvernées, où elles peuvent prendre le contrôle du territoire et des ressources.
  • Néanmoins, 587 des 4 930 villes africaines ont connu des morts liées à la violence armée organisée en 2024. Ce chiffre a augmenté ces dernières années, ce qui indique que les zones urbaines d’Afrique deviennent progressivement une cible dans les guerres civiles ou les insurrections enracinées du continent.
  • L’urbanisation galopante de l’Afrique, associée à la persistance de conflits non résolus, laisse à penser que les guerres africaines prendront une tournure de plus en plus urbaine, ce qui aura de profondes répercussions sur les pertes, les politiques de sécurité et les structures des forces.
  • 92 % des décès urbains liés à la violence armée organisée en Afrique en 2024 sont concentrés dans huit pays (Soudan, Somalie, Burkina Faso, Mali, Niger, Nigeria, Éthiopie et République démocratique du Congo (RDC)).

La prolifération croissante des drones dans le conflit soudanais a rendu les zones urbaines de plus en plus vulnérables aux attaques.

    • Le Soudan pourrait être un précurseur de ce nouveau modèle. Le Soudan est l’épicentre de la violence armée organisée qui touche les centres urbains en Afrique, représentant 38 % de toutes les morts de ce type sur le continent. Ces 5 442 morts représentent 35 % des morts liées aux conflits signalées au Soudan. Le conflit entre les forces armées soudanaises et les forces de soutien rapide a englouti des villes à forte densité de population comme Khartoum, Omdurman et El Fasher, transformant les centres urbains en champs de bataille actifs. La prolifération croissante des drones dans ce conflit a rendu les zones urbaines de plus en plus vulnérables aux attaques.
    • Les insurrections islamistes militantes au Burkina Faso, au Mali et au Niger ont fait 1 165 morts dans les zones urbaines (9 % du total régional). Les récentes incursions dans les périphéries urbaines et les centres municipaux – comme l’attaque de Bamako en septembre 2024—laissent entrevoir la possibilité d’un nombre croissant de victimes urbaines à mesure que les insurrections progressent vers le sud et l’ouest, dans des zones plus peuplées de ces pays.
    • Les 644 morts en milieu urbain liées à la violence organisée en Somalie représentent 12 % du total des morts dans ce pays ravagé par le conflit. Ces incidents, survenus principalement à Mogadiscio, Baidoa et Kismayo, reflètent le recours d’Al Shabaab à des formes de violence à distance dans les zones urbaines, notamment les drones, les engins explosifs improvisés et les attentats à la bombe, alors même que le groupe est engagé dans des batailles avec l’armée et les milices d’État dans ses fiefs ruraux.

Les zones urbaines sont confrontées à d’autres formes de violence

De nombreuses zones urbaines sont confrontées à d’autres formes de criminalité violente, telles que les agressions, les vols, les meurtres et les délits sexuels, qui nécessitent un ensemble différent de réponses politiques.

Map of Perceptions of Urban Insecurity in Africa

Map of Urban Slums in Africa

Nécessité d’innovations en matière de gouvernance et de sécurité urbaines

L’urbanisation rapide de nombreux pays africains nécessitera une réévaluation des stratégies visant à assurer la sécurité des citoyens. Si les forces armées restent essentielles pour assurer la sécurité des frontières et répondre à la menace des groupes armés organisés dans les zones rurales, les décideurs politiques doivent de plus en plus tenir compte de l’impact de la menace des groupes armés organisés sur les populations urbaines.

L’urbanisation rapide de nombreux pays africains nécessitera une réévaluation des stratégies visant à assurer la sécurité des citoyens… Cela exigera au moins un renforcement de la formation des forces de police

La densité croissante de la population dans les zones urbaines d’Afrique et l’expansion des établissements périurbains et informels – qui ne relèvent souvent pas de l’autorité municipale – modifient également la nature des menaces pour la sécurité sur le continent. Cela exigera au moins un renforcement de la formation des forces de police, qui représentent 48 % du personnel en uniforme des forces de sécurité en Afrique. Les décisions relatives à la taille des forces, à leurs capacités, à leur déploiement ainsi que leur rôle et leur autorité au sein des centres de population devront également être reconsidérées.

L’augmentation de la population en Afrique a donné lieu à diverses initiatives remarquables en matière de gouvernance urbaine, de planification et de stratégie de sécurité.

Demonstrators speak with police officers during a demonstration in Lilongwe, Malawi.

Des manifestants discutent avec des policiers lors d’une manifestation à Lilongwe, au Malawi. (Photo : AFP/Amos Gumulira)

  • Initiatives en faveur de l’emploi des jeunes – En Afrique, les gouvernements des villes et des États développent des programmes d’emploi des jeunes qui servent de modèles aux responsables des politiques urbaines. Au Nigeria, l’initiative EdoJobs , lancée par le gouvernement de l’État d’Edo, offre une formation professionnelle et des services de placement pour lutter contre le chômage des jeunes, contribuant ainsi à réduire le taux de chômage de l’État. Au Kenya, le projet KYEOP (Kenya Youth Employment Opportunities Project), soutenu par le gouvernement national, propose des formations et des subventions d’entreprise aux jeunes. Le KYEOP a touché plus de 358 000 jeunes et 77 % des participants ont trouvé un emploi.
  • Programmes de police de proximité – Dans la commune d’Abobo, à Abidjan, en Côte d’Ivoire, des « comités de vigilance » locaux se sont associés à la police pour lutter contre l’augmentation de la criminalité urbaine. Ces comités servent d’intermédiaires entre les habitants et les forces de l’ordre, facilitant la communication et la confiance. Cette approche collaborative a contribué à améliorer les relations entre la communauté et la police et à rendre plus efficaces les stratégies de prévention de la criminalité.

Pour relever les défis sécuritaires liés à la mutation démographique urbaine en Afrique, il sera essentiel d’éviter de considérer des quartiers ou des populations entiers comme des menaces pour la sécurité. Historiquement, de telles approches caractérisées par le bouclage de certains quartiers, des expulsions forcées et des mesures répressives de la police n’ont fait qu’exacerber la méfiance et renforcer la brutalité des forces de sécurité qui est l’une des formes les plus dommageables d’insécurité dans des villes à croissance rapide comme Lagos ou Kinshasa. Les autorités locales doivent plutôt s’efforcer de comprendre ces populations, de reconnaître leur rôle dans la résilience et la vitalité urbaines, et de les intégrer plus pleinement dans les systèmes économiques et sociaux de la ville.


Ressources complémentaires