Trois leçons à tirer de la décision de la Cour suprême du Kenya

La décision de la Cour d'annuler les résultats de l'élection présidentielle reflète l'importance des institutions indépendantes pour la légitimité et la stabilité en Afrique.


Kenya Supreme Court and flag

Le 1er septembre, la Cour suprême du Kenya a annulé les résultats de l’élection présidentielle du pays et a ordonné la tenue de nouveaux scrutins dans les 60 jours. Le président actuel Uhuru Kenyatta avait été déclaré vainqueur – un résultat que l’opposant Raila Odinga a contesté. La Cour de six personnes a constaté que les élections du 8 août étaient entachées d’irrégularités et que les fonctionnaires responsables du bon déroulement du scrutin «ont échoué, négligé ou refusé de mener les élections présidentielles conformément aux règles de la Constitution».

Cette décision historique est manifestement capitale pour le Kenya. Cependant, l’action de la Cour suprême a également des implications plus larges pour le développement démocratique en Afrique. Voici trois enseignements essentiels:

  1. En 2010, la Constitution du Kenya a introduit une série de réformes institutionnelles visant à atténuer les conflits. Parmi ces réformes figurent les mesures visant à garantir l’indépendance administrative, opérationnelle et financière du system judiciaire, qui avait déjà été vulnérable aux influences du pouvoir exécutif dans le passé. Cette nouvelle indépendance du pouvoir judiciaire a été évidente tout au long du processus électoral. Au cours de l’élection, la Haute Cour a rendu plusieurs jugements clés, y compris celui qui concerne la lecture obligatoire des résultats dans chaque bureau de vote, limitant ainsi la possibilité de modifier les résultats du vote à Nairobi. Dans un autre cas, la Cour a annulé une offre pour l’impression de bulletins de vote présidentiels au motif que les procédures légales avaient été violées.

La décision de la Cour suprême de mener de nouvelles élections démontre l’importance de créer des institutions indépendantes comme moyen de renforcer la confiance dans les organes gouvernementaux et dans leurs décisions.

  1. Le pouvoir judiciaire est un instrument essentiel pour la gestion des conflits. Les réformes apportées par la Constitution kenyane ont créé des mécanismes pour traiter les griefs liés aux élections, y compris les recours possibles en cas d’irrégularités présumées dans la conduite des élections. En fournissant une voie légale et sécurisée pour résoudre les différends, les réformes ont apportées d’autres voies que celle de la violence qui était souvent le recours final. Compte tenu de l’histoire du Kenya  et de la violence mortelle liée aux élections et de l’impact négatif de la fraude électorale sur la sécurité et la stabilité en Afrique, il s’agit d’un pas en avant significatif. L’émergence d’un pouvoir judiciaire indépendant pourrait donc renforcer non seulement la démocratie du Kenya, mais sa stabilité et son développement économique.
  2. L’action de la Cour suprême kenyane souligne également l’institutionnalisation croissante des processus démocratiques dans certaines parties de l’Afrique. Comme on l’a vu au Kenya et ailleurs, les parlements, les tribunaux, les médias et la société civile cherchent de plus en plus à élargir l’espace démocratique. Ces efforts persistent malgré les résistances visant à compromettre, à affaiblir et à intimider ces institutions. Si le principe du constitutionnalisme prend du temps à s’enraciner, l’expérience kenyane suggère que les conséquences sur la légitimité et l’intégrité des institutions politiques africaines peuvent être profondes.

Experts du CESA

  • Dorina Bekoe, Professeure associée Spécialisée dans la prévention, l’atténuation et la résolution des conflits
  • Godfrey Musila, Chercheur universitaire
  • Joseph Siegle, Directeur de la recherche