Un instantané des tendances en matière de sécurité en Afrique en 2024 illustre l’effet cumulatif des conflits non-résolus, des insurrections des extrémistes violents, des acteurs extérieurs autoritaires qui cherchent à exercer leur influence et des catastrophes naturelles. Collectivement, ces tendances mettent en relief les pressions grandissantes sur les capacités de gestion des pays et des régions affectées et le fossé grandissant entre les régions stables et instables.
1. La violence des islamistes militants atteint un niveau record, en grande partie dû à la violence enregistrée au Sahel
- Les événements violents et les morts impliquant les groupes islamistes militants demeurent a un niveau record en 2024, le résultat de niveaux records de violence enregistrés au Sahel.
- Plus de la moitié des attaques des groupes islamistes militants d’Afrique se sont produites au Sahel en 2024, et les morts signalées y ont triplé depuis 2020 pour atteindre environ 11 000. Des groupes tels que la coalition Jama’at Nusrat al Islam wal Muslimin (JNIM) et l’État islamique au Grand Sahara ont intensifie leurs attaques et, à mesure qu’ils poussent vers le sud et l’ouest, contrôlent plus de territoire au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
- La violence contre les civils perpétrée par les forces de sécurité des juntes et de leurs partenaires paramilitaires, y compris les forces russes de l’Africa Corps, a aussi augmenté. Le nombre d’attaques contre les civils commises par ces acteurs sécuritaires a augmenté de 76 % entre 2022 et 2024 (d’environ 230 à 400 attaques). Au cours des trois dernières années, ces forces ont tué environ 4 740 personnes. Cette année, les juntes militaires sahéliennes et les milices qui leurs sont alliées ont tué plus de civils (2 430) que les groupes islamistes militants (2 050).
- Les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest subissent cette contagion depuis le pays sahéliens puisque plus de 500 événements violents s’y sont produits dans un rayon de 50 km de leurs frontières en 2024 alors que seuls 50 s’y étaient produits en 2020.
2. Le conflit alimente la crise croissante des déplacements forcés en Afrique
- Le nombre d’Africains déplacés de force a augmenté pour la treizième année consécutive, dépassant les 45 millions de personnes. Ce chiffre représente une augmentation de 14 % par rapport à l’année dernière.
- 14 des 15 pays où le plus grand nombre de personnes sont déplacées de forces sont en conflit.
- Avec 3 % de sa population totale déplacée de force, l’Afrique compte à la fois la part et le nombre absolu de personnes déplacées de force plus importants que n’importe quelle autre grande région du monde.
- La population déplacée de force en Afrique a doublé depuis 2018. Les trois quarts de ces personnes – 34,5 millions – sont déplacées à l’intérieur de leur propre pays. L’Afrique accueille désormais plus de 48 % des personnes déplacées en interne (PDI) dans le monde.
3. Un bilan partagé pour une année d’élections en Afrique
- Cette année électorale, au début de laquelle 19 élections étaient anticipées, a débouché sur un bilan partagé.
- Les autorités de cinq pays, dont celles des juntes du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée, ne se sont pas senties obligées d’organiser les élections qu’elles avaient néanmoins promis de ternir cette année. Dans six autres pays, les élections qui se sont tenues se sont révélées des exercices tellement mis en scène que leur résultat ne pourrait être considéré comme passant quelconque seuil de liberté, de justice ou dont le résultat pourrait être considéré comme légitime.
- Huit pays et territoires africains ont tenus des élections compétitives, notamment le Sénégal, l’Afrique du Sud, la Mauritanie, le Botswana, Maurice, la Namibie, le Ghana, et le Somaliland, un territoire non reconnu. Les présidents sortants ont retenu le pouvoir dans trois de ces pays, alors que l’opposition a prévalu dans le reste. Chacun des transferts de pouvoirs s’est produit paisiblement, envoyant un puissant message sur les perspectives de partage du pouvoir et de renouveau démocratique sur le continent.
- À noter parmi ces transitions : le premier transfert de pouvoir entre parti depuis l’indépendance au Botswana et la creation d’un gouvernement uni de transition en Afrique du Sud où l’African National Congress a perdu la majorité absolue au Parlement.
4. Détérioration de la situation sécuritaire sous les juntes militaires
- En 2024, les juntes militaires du Burkina Faso, de la Guinée, du Mali et du Tchad ont toutes reporté ou déraillé les élections pourtant promises portant à achever la transition vers un retour à la gouvernance civile démocratique. Ce faisant, elles ont privé les citoyens du choix de déterminer la trajectoire de leur pays. Cela perpétue un schéma selon lequel 70 % des dirigeants africains qui contournent les limites de mandats ont par ailleurs pris le pouvoir par un coup d’État militaire.
- Ces juntes ont non seulement empêché un retour à la gouvernance participative, elles sont aussi associées à des niveaux plus importants de répression contre les acteurs politiques indépendants, à la détérioration de la sécurité et à des difficultés économiques de plus en plus importantes.
- Les morts ont été multipliées par trois depuis 2020 sous la coupe des militaires sahéliens. Au Niger, les morts associées aux groupes extrémistes devraient augmenter de 60% en 2024. Les groupes militants au Mali, au Burkina Faso et au Niger contrôlent de plus en plus de territoire. Étant donné la diminution dramatique de la liberté de la presse depuis les putschs, le nombre d’événements violents et de morts est certainement sous-estimé.
5. Les acteurs externes autoritaires sapent la démocratie en Afrique
- Des acteurs autoritaires extérieurs, principalement la Russie, la Chine, et de plus en plus l’Iran, ont contribué à un recul de la démocratie en Afrique ces dernières années. Ces acteurs extérieurs ont tenté, à travers la désinformation, l’ingérence directe dans les élections, le déploiement de mercenaires, le soutien aux prises de pouvoir anticonstitutionnelles et en sapant les Nations unies, de renforcer et normaliser les gouvernements autoritaires tout en paralysant la souveraineté populaire pour étendre leur influence en Afrique.
- La Russie a tenté de sape la démocratie dans au moins 28 pays à travers le continent, le plus fréquemment en utilisant la manipulation de l’information et l’ingérence politique. Ces outils ont notamment été déployés au Nigeria et au Kenya afin de tenter de détourner des manifestations et de saper la confiance dans le gouvernement et la démocratie.
- Ces dernières années, la Chine a davantage promu en Afrique les normes de son modèle de parti dominant selon lequel l’État, les médias et l’armée sont subordonnés au parti. L’ouverture de la première école politique de la Chine en Afrique, avec des formations supplémentaires pour les dirigeants de partis africains et des efforts pour façonner les paysages médiatiques africains contribuent aussi à cette tendance.
6. Essor de la manipulation étrangère de l’information
- Les campagnes de désinformation (aussi appelées campagnes étrangères de manipulation et d’ingérence) visant à manipuler les systèmes d’information africains ont presque quadruplé en Afrique depuis 2022, entraînant des conséquences déstabilisantes et antidémocratiques. Ces campagnes n’ont pas cessé de proliférer en 2024, notamment dans les zones de conflit du continent.
- L’Afrique de l’Ouest est quant à-elle devenue l’épicentre de la désinformation sur le continent. Les juntes sahéliennes, aidées dans leur prises de pouvoir par ces campagnes, sont devenues des laboratoires pour le déploiement de la boite à outil de la désinformation russe. Couplé à l’assaut des juntes contre les médias, cela a contribué à transformer la région en un environnement où l’information est extrêmement malléable.
- Les campagnes de désinformation russes basculent secrètement les débats nationaux dans le pays visés (comme en Afrique du Sud, au Kenya et au Nigeria), alors même que l’African Initiative associée au Kremlin recrute des intermédiaires locaux pour répandre des complots sur la santé publique en Afrique.
- Les campagnes de désinformation soutenues par le parti communiste chinois ont bénéficié de son contrôle opaque sur les médias africains pour produire des reportages biaisés et trompeurs qui sont ensuite amplifiés dans ces mêmes campagnes de désinformation chinoises.
- Les élections démocratiques en Afrique continuent d’être une cible privilégiée des campagnes de désinformation. L’Afrique du Sud et le Ghana ont ainsi subi un assaut de messages trompeurs et faux émanant d’acteurs extérieurs. Cependant, ces deux pays ont pris cette menace au sérieux et ont commencer à développer des moyens de résilience afin de déceler, analyser, alerter et habiliter les citoyens et les parties prenantes importantes à faire face à ces campagnes.
7. Implications régionales du conflit au Soudan
- Le conflit entre les factions militaires rivales du Soudan a provoqué dans le pays la plus importante crise de déplacement au monde. Plus de 11,5 millions de personnes sont déplacées en interne et plus de 2,3 millions ont fui le pays depuis le début de la guerre en avril 2023. On estime que les pénuries de denrées alimentaires et la famine provoquent la mort de centaines de personnes tous les jours. Environ 3 millions de personnes font aussi face à l’insécurité alimentaire aigüe cette année.
- L’implosion du Soudan s’est répercutée à travers cette région déjà fragile, multipliant les conflits et l’instabilité dont souffraient les pays voisins. L’instabilité au Soudan ne fait que compliquer davantage les conflits internes en Libye, au Tchad, en République centrafricaine, au Soudan du Sud et en Éthiopie.
- Les puissances étrangères, notamment les Émirats arabes unis, la Russie, l’Iran et l’Égypte attisent le conflit au Soudan en y déployant drones, munitions, mercenaires et contrebande des ressources. Cette ruée pour l’influence régionale risque de transformer le Soudan en une collection d’États-clients où les voix civiles et la souveraineté populaire restent sur la touche.
8. Une course pour protéger le bassin du Congo de l’exploitation forestière illégale
- Les forêts tropicales du bassin du Congo représentent environ 70 % de la couverture forestière de l’Afrique, ce qui en fait le plus important puits de carbone terrestre au monde. Le bassin du Congo est essentiel aux cycles d’eau qui soutiennent le bassin du Nil et l’Afrique de l’Ouest. Mais seul 14 % de sa superficie bénéficie d’un statut de protection et le bassin a perdu % de la couverture forestière a disparu depuis 2001, en grande partie à cause de l’exploitation commerciale et minière non réglementée. Les forêts du bassin du Congo diminuent de 1 à 5 % par an.
- Protéger le bassin du Congo, ses ressources écologiques et les millions de moyens de subsistance qu’il soutient est un impératif de sécurité régionale aux implications continentales et planétaires. Les réseaux criminels transnationaux tirent parti de de la faible gestion des forêts dans la région pour piller cette ressource si riche.
- L’amélioration de la gestion et de la protection des forêts tropicales du bassin du Congo nécessitera une meilleure connaissance du domaine forestier ainsi qu’un réalignement des incitations pour les communautés locales, les fonctionnaires et les intérêts internationaux en matière d’exploitation forestière.
9. Vulnérabilité maritime dans la mer Rouge et l’ouest de l’océan Indien
- Plus de 100 attaques de sabotage et de pirates contre des navires en mer Rouge dans l’ouest de l’océan Indien ont mis en évidence la vulnérabilité de la sécurité maritime africaine. Les attaques de la milice Houthi et des pirates somaliens sont les principaux responsables de ces perturbations qui bouleversé le transport maritime le transport maritime, coulé des navires et endommagé des câbles sous-marins.
- Avec ces attaques, les citoyens africains ont payé le prix des retards, des biens de consommation plus chers, de la perturbation des entités économiques locales et de la pollution des cours d’eau à cause des munitions et des bateaux coulés dans la mer Rouge et l’ouest de l’océan Indien.
- La crise de sécurité maritime dans la mer Rouge illustre non seulement comment des actes perpétrés par un acteur non étatique considéré comme lointain peut affecter les dynamiques économiques mondiales, mais aussi le fait que l’Afrique est au cœur du transport maritime mondial.
- La piraterie et les vols à main armée commis en mer ont cependant diminué dans le Golfe de Guinée en 2024 pour atteindre leur plus bas niveau depuis des années, ce en grande partie grâce aux patrouilles plus nombreuses et à la collaboration parmi les membres du Protocole de Yaoundé sur la sécurité maritime.
10. La famine et les inondations ravagent le continent
- L’insécurité alimentaire aiguë a affecté 163 millions d’Africains en en 2024, soit plus de 10 % de la population du continent. Ce chiffre a quasiment triplé depuis cinq ans, soulignant l’escalade rapide de la situation d’urgence alimentaire en Afrique.
- 80 % des Africains en situation d’insécurité alimentaire aiguë se trouvent dans des pays en conflit. La famine a été confirmée au Soudan et dans certaines parties du Soudan du Sud et du Mali.
- Si le Nigeria, le Soudan et la République démocratique du Congo sont les trois pays où le plus grand nombre de personnes se trouvent en situation d’insécurité alimentaire aiguë, puisque dans chacun de ces pays, plus de 20 millions de personnes se trouvent au moins à un niveau de crise d’insécurité alimentaire, plus de 10 % de la population des 23 des 54 pays d’Afrique souffre d’insécurité alimentaire aiguë.
- En 2024, 27 pays situés dans la zone tropicale d’Afrique ont subi des pluies exceptionnellement importantes comparé à leur moyenne historique. Cela a provoqué des milliers de morts, le déplacement de millions de personnes et l’inondation de millions d’hectares de cultures.
- Si les pluies exceptionnelles dans toute la zone tropicale ont servi de gâchette, les facteurs de gouvernance, tels que la capacite à gérer les catastrophes, la transparence et la démocratie ont aussi joué un rôle essentiel dans la capacité à limiter le nombre de personnes affectées par les inondations.
- Les effets cumulatifs des catastrophes naturelles sur la mauvaise gouvernance révèlent un schéma selon lequel 13 des 27 pays affectés par les inondations sont aussi en conflit. Ce dernier, au-delà du fait qu’il révèle des niveaux élevés de friction sociale, détourne les ressources qui pourraient être consacrées à la résilience et aux réponses aux catastrophes.