L’accord de 2015 sur la résolution des conflits au Soudan du Sud (ARCSS) identifie la réforme du secteur de la sécurité (RSS) comme l’une des questions les plus essentielles à traiter si le Sud‑Soudan veut recouvrer la paix. La priorité accordée à la RSS dans l’accord ARCSS est illustrée par le fait qu’elle vient immédiatement après les dispositions relatives à l’établissement du gouvernement d’union nationale de transition (TGoNU). À titre d’élément fondamental de la RSS, l’ARCSS précise qu’une revue stratégique de défense et de sécurité nationale (RSDS) soit entreprise par un Conseil multipartites en charge de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale (CRSDS).1 Le processus de la revue RSDS doit produire un plan‑cadre global de RSS, qui, après sa mise en œuvre, transformera radicalement le secteur de la sécurité du Soudan du Sud.
« Que faudra-t-il pour réaliser des réformes organiques qui aboutissent à la stabilité? »
A cause de l’instabilité régnant au TGoNU, y compris la reprise des conflits armés en juillet 2016 et les violations répétées des accords de cessez-le-feu, les protagonistes ayant reçu le mandat de mener le processus de développement d’un projet de réforme, n’ont pas réalisé de progrès significatifs. Les questions qui en découlent, par conséquent, sont : que faudra-t-il pour réaliser des réformes organiques qui aboutissent à la stabilité ? Comment les problèmes qui ont marqué les efforts passés de réforme doivent-ils façonné la RSDS et la RSS en général ?
Pour instituer un processus de réforme par lequel un secteur de la sécurité capable, efficace et responsable puisse être établi afin d’engendrer une stabilité durable au Soudan du Sud, il faut relever divers problèmes associés à l’environnement politique dans lequel la conduite d’une RSDS se trouverait. La RSS implique assurer la sécurité intérieure et des populations dans le cadre d’un plan de gouvernance démocratique.2
Elle permet d’institutionnaliser le but, les rôles et les responsabilités des protagonistes du secteur de la sécurité vis‑à‑vis des autorités civiles et des citoyens dans un État souverain et démocratique. En bref, la SSR est un processus qui vise à structurer les services de sécurité d’un État de telle sorte à ce qu’ils répondent au mieux aux besoins en sécurité des citoyens et de l’État.
La fin de la guerre froide a entraîné un changement décisif de pensée du rôle de l’armée dans les pays en développement. Dans de nombreux conflits intra-étatiques de l’après-guerre froide, les forces de sécurité ont été la principale source de l’insécurité. La conviction subsiste donc que, si les forces de sécurité sont « gérées, contrôlées et tenues responsables », elles cesseront d’être une source d’insécurité.3 Cette conclusion est particulièrement adaptée au Soudan du Sud, où l’échec de précédents efforts de réforme du secteur de la sécurité sont au cœur du chaos aujourd’hui.4
L’enseignement tiré des initiatives et propositions passées visant à réformer le secteur de la sécurité
Conformément aux dispositions de l’accord de paix global (CPA) de 2005, les forces de sécurité du Soudan du Sud, qui comprennent des membres des composantes militaires, de police, des services de protection de la nature, des prisons et du renseignement, étaient supposées être restructurées, pendant que les nombreuses milices qui existaient pendant la guerre civile au Soudan seraient démobilisées.5 Cependant, la restructuration et la démobilisation ne se sont pas produites. Ceci était en partie parce que le Président Salva Kiir a adopté une politique générale de « Grande Tente » qui a intégré des opposants politiques dans l’armée populaire de libération du Soudan (SPLA). Au cœur de cette politique était l’idée que faciliter l’accès des principaux belligérants au statut social et aux avantages matériels en échange d’un acquiescement politique créerait plus de stabilité.6
Bien que cette politique ait apporté un peu de paix et de stabilité politique dans la période d’entre-deux-guerres (2005–2013), le prix payé a été élevé. Elle a gâché une occasion de réformer et a affaibli la cohésion et la professionnalisation des forces armées. Les divisions constantes entre les différents éléments du secteur de la sécurité ont par la suite contribué à l’éclatement de la guerre civile à la suite de la crise politique au sein du parti du mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM) en décembre 2013. Le fait de récompenser les chefs rebelles a créé un cycle incessant de rebellions en incitant les perturbateurs de la paix. C’était souvent le cas que, lorsqu’inadéquatement satisfaits par des accords d’amnistie, les groupes se scindaient, formant de nouvelles factions armées à accommoder.
Au moment d’obtenir l’indépendance en 2011, le secteur de la sécurité du Soudan du Sud avait un effectif excessif. L’intégration des différentes milices (connues également sous l’appellation des « autres groupes armés » ou OGA) dans les effectifs des forces de la SPLA a fait augmenter leur nombre qui est rapidement passé à environ 207 000 combattants.7
Cette mesure a déformé la structure des forces de la SPLA, dotée d’un nombre important de généraux. Elle a également gonflé le budget de la défense avec des estimations mettant la proportion du budget de la défense à 50 pour cent des recettes nationales. Les dépenses de l’armée ont laissé le nouveau gouvernement dans l’incapacité d’investir dans des programmes de développement social, ce qui a davantage compliqué la situation en matière de sécurité. Le livre blanc de 2008 sur la défense, qui visait à restructurer la SPLA en une force professionnelle subordonnée à l’autorité civile, a échoué suite à des flambées successives de violence, notamment à Jonglei en 2012 et l’éclatement de la guerre civile en 2013.
Conformément au programme de désarmement, démobilisation et réinsertion de l’accord CPA (CPA‑DDR), les forces armées soudanaises (SAF) et la SPLA ont vu leur effectif diminués de 90 000 membres chacune.8 Cependant, quand le programme CPA-DDR, financé par les Nations Unies, a pris fin en décembre 2011, « pas grand-chose n’avait été réalisé ».9 Le programme CPA-DDR était loin d’avoir réalisé ses objectifs car aucune des deux parties n’était prête à réduire les effectifs de ses forces lorsque le conflit était encore très présent.
« En tout, 150 000 personnes étaient destinées à se soumettre au programme DDR. »
Une autre initiative du programme DDR a été lancée par le Conseil national de coordination du programme DDR, à la suite du référendum sur l’indépendance de janvier 2011. Ce programme visait à accroître les opportunités de subsistance pour les ex-combattants dans les communautés de retour et à faciliter la libération, le retour et la réinsertion des enfants associés aux belligérants (en général en tant que combattants, porteurs et nettoyeurs). En tout, 150 000 personnes (80 000 provenant de la SPLA et 70 000 d’OGA) étaient destinées à se soumettre au programme DDR. Cependant, en mars 2013, lorsque l’initiative a été interrompue, les estimations indiquent que seulement 12 525 soldats avaient été démobilisés, dont 5 000 réinsérés.10
Le coût approximatif de l’initiative du Conseil national de coordination du programme DDR était de $1,2 milliard et le gouvernement s’était engagé à en couvrir 64 pour cent.11 Quand l’initiative a été interrompue, le montant qu’avait contribué le gouvernement est resté flou. Les donateurs avaient dépensé $50 millions sur le processus.12 La commission d’enquête de l’Union africaine a conclu que l’initiative a failli principalement parce que « le gouvernement ne s’y était pas engagé ».13 Le manque d’enthousiasme du gouvernement s’explique pour deux raisons, à savoir la détérioration de la situation en matière de sécurité sur la frontière avec le Soudan et les mesures d’austérité en raison de l’arrêt de la production de pétrole en 2012.14
Les initiatives connexes envisagées à l’époque mais qui ont été affectées par la flambée de violence en 2013, comprennent :
- Le fond national de pension pour les militaires (en vertu duquel tous les membres de la SPLA recevraient une pension en fonction de leur de service à compter du 9 janvier 2005)
- Le fond national de gratification pour la liberté (qui assure aux généraux qui n’ont pas été traités par le programme DDR de recevoir une indemnité de départ (« une poignée de main dorée ») en reconnaissance de leur contribution).
- La stratégie et le programme de transformation 2012–2017 (développé avec le soutien technique provenant du projet de transformation de la défense et du développement du secteur de la sécurité (SSDDT) du Royaume‑Uni, qui visait à transformer le corps des officiers de la SPLA. Il a développé des descriptions de fonction pour les officiers supérieurs de la SPLA et a commencé ses travaux sur les structures sectorielles de commandement).15
La revue stratégique de défense et de sécurité
La RSDS envisagée dans l’ARCSS était censée préparer le terrain pour la réforme du secteur de la sécurité au Soudan du Sud par la création d’un plan-cadre de transformation du secteur de la sécurité. La RSDS devait être conduite par les entités multipartites regroupées en vertu du mandat du CRSDS qui serait lui-même composé de quatre représentants de chacune des parties belligérantes c’est-à-dire du SPLM-au gouvernement (SPLM‑IG) et SPLM-à l’opposition (SPLM‑IO), deux representants d’anciens détenus, deux représentants des partis politiques de l’opposition, et un représentant de chaque organisation suivante : les leaders religieux, l’opposition à l’Assemblée nationale législative (ANL), des indépendants à l’ANL, des personnalités éminentes, des universitaires, des femmes, des jeunes et des organisations de la société civile.
Une représentativité plus variée au sein du CRSDC visait à garantir l’appropriation locale du processus de réforme. Le résultat principal de la RSDS serait un plan-cadre de la transformation du secteur de la sécurité qui entraînerait l’unification du commandement des différents groupes armés au Soudan du Sud dans les forces armées Sud‑soudanaises de défense nationale (FASSDN). En termes d’échéances, l’ ARCSS stipulait que la RSDS devait être terminée en 280 jours. Les activités à entreprendre au cours de cette période comprenaient :
- L’évaluation globale des besoins de l’armée afin de faciliter la formulation des politiques de défense et de sécurité du pays.
- L’évaluation des problèmes de sécurité d’origine militaire et non militaire (internes et externes) auxquels le pays est exposé.
- La clarification des responsabilités des différents organes et organismes du secteur de la sécurité, y compris la gestion et le contrôle interne de ce dernier.
- L’identification de la mission, de la vision et du rôle spécifique de l’armée nationale.
Prises ensemble, ces activités ont constitué le plan-cadre de la transformation du secteur de la sécurité. Les échéances destinées à la conduite de la RSDS n’ont pas été respectées à cause du retour retardé du commandement du mouvement SPLM‑IO après la signature de l’ARCSS et la reprise des combats à Djouba en juillet 2016 qui a vu l’expulsion du mouvement SPLM‑IO, le principal cosignataire de l’ARCSS.
Les défis de la réforme du secteur de la sécurité
Au-delà des conflits en cours, il existe plusieurs obstacles que les efforts de RSS devront surmonter afin de gagner du terrain. Premièrement, l’absence presque totale de l’état de droit et le manque de confiance en résultant dans les institutions chargées de la sécurité pose de multiples difficultés aux efforts de désarmement. L’échec des efforts passés de RSS est dû, en partie, à la violence cyclique qui n’aide pas les membres des factions armées à croire qu’ils peuvent être en sécurité sans leurs armes. À cause de la militarisation de la vie publique, le port d’armes au Soudan du Sud permet de sécuriser ses biens et de se faire entendre. Les armes constituent la voie pour faire valoir une influence au niveau local et gagner l’accès à la richesse et au prestige.16 Il est significatif que le président de la commission mixte de suivi et d’évaluation (JMEC), Festus Mogae, a décrié l’opinion dominante par les parties armées que la RSS est « une menace à laquelle il faut résister ».17Dans les circonstances actuelles, il est extrêmement difficile d’espérer que les belligérants fassent confiance à toute mesure qui leur retire ce qu’ils considèrent comme une source de sécurité et de subsistance. C’est pourquoi convaincre les groupes armés que tout ira bien pour eux lorsqu’ils rendront leurs armes, condition préalable à la RSS, doit être adressé par le processus de RSDS.
Deuxièmement, la réforme du secteur de la sécurité exige des structures militaires qu’elles soient responsables vis‑à‑vis des civils. Au Soudan du Sud, dire que les forces de sécurité sont sous l’autorité civile est une aberration. La distinction entre l’autorité civile et l’autorité militaire n’a jamais existé. La plupart des élites politiques dotées d’une influence quelconque sur la politique en matière de sécurité ont un passé dans l’armée. Le MPLS au pouvoir n’a jamais été autre qu’un parti politique muni d’une aile militaire c’est-à-dire la SPLA. Une stabilité à long terme au Sud‑Soudan dépend de la scission du binôme militaire‑politique.
« La prolongation des conflits armés et la prolifération des groupes armés non seulement rendent difficile de conduire une revue stratégique globale de la sécurité, mais intensifie aussi l’obstacle à surmonter de la mise en place d’un programme DDR une fois les hostilités terminées. »
De plus, la société civile et les médias, qui normalement assureraient la surveillance du secteur de la sécurité, sont faibles, handicapés par des lois qui restreignent leurs activités. Le « sentiment de privilège » parmi certains membres du mouvement MPLS, l’idée que ceux qui ont lutté pour la libération ont le droit de régner sans être dérangés ou « méritent leur part avant les autres » sert à mépriser le principe de responsabilité et à réduire au silence les citoyens.
Enfin, la prolongation des conflits armés et la prolifération des groupes armés non seulement rendent difficile de conduire une revue stratégique globale de la sécurité, mais intensifie aussi l’obstacle à surmonter de la mise en place d’un programme DDR une fois les hostilités terminées. En plus du groupe SPLA-IO, il y a maintenant au moins deux douzaines de formations armées actives au Soudan du Sud et les conflits se sont propages depuis les théâtres d’action d’origine sur d’autres confins du pays après juillet 2016.
La démission et la déclaration de rébellion à l’encontre du gouvernement de plusieurs officiers supérieurs de l’armée, y compris du chef d’état-major adjoint de la SPLA pour la logistique, du président des tribunaux militaires de la SPLA , du directeur de la justice militaire de la SPLA , du commandant de brigade du soutien logistique de la SPLA, et de l’ancien chef d’état-major des armées, le général Paul Malong, indiquent que la SPLA se divise en factions et qu’il faudra y surmonter.
Priorités pour aller de l’avant
Il est entendu que la cessation des hostilités et une certaine mesure de volonté politique s’imposent avant que la véritable réforme du secteur de la sécurité ne puisse être engagée au Soudan du Sud. En reconnaissant ceci, le gouvernement du Soudan du Sud et ses opposants, avec l’aide de personnes et entités bien intentionnées, doivent donner la priorité à s’appuyer sur les quelques éléments prometteurs destinés à réformer le secteur de la sécurité capturés dans l’ARCSS.
Revoir les précédentes initiatives DDR et SSR afin de déterminer les raisons pour lesquelles elles n’ont pas été efficaces. Ceci façonnera l’initiative actuelle SDSR de sorte qu’elle réussisse.
Rajeunir le CRSDS qui conduit la RSDS. Ceci exigera de remettre en question la sélection des membres du conseil, afin qu’il soit perçu comme légitime, capable et représentatif de la diversité des parties prenantes dont les intérêts doivent être considérés. De même, un nouveau calendrier et un appui budgétaire transparent doivent être identifiés de sorte le CRSDS puisse lancer sa revue dès que l’opportunité se présente.
Phillip Kasaija Apuuli est professeur associé de sciences politiques à l’Université Makerere à Kampala, Ouganda.
Notes
- ⇑ See Chapter II, Part 6, Agreement on the Resolution of the Conflict in the Republic of South Sudan, 17 août 2015.
- ⇑ Tahani Mustafa, “Insecurity through Security Sector Reform,” Ethnopolitics Papers 5, no. 36 (2015), 2.
- ⇑ Sarah Detzner, “Modern post-conflict security sector reform in Africa: patterns of success and failure,” African Security Review 26, no. 2 (2017), 118.
- ⇑ Alex de Waal, “What went wrong,” The Cipher Brief, 3 août 2016.
- ⇑ See Annexure I: Permanent Ceasefire and Security Arrangements Implementation Modalities and Appendices, The Comprehensive Peace Agreement between The Government of the Republic of The Sudan and The Sudan People’s Liberation Movement/Sudan People’s Liberation Army, 31 décembre 2004.
- ⇑ Richard Rands, “In Need of Review: SPLA Transformation in 2006–10 and Beyond,” HSBA Working Paper No. 23 (Geneva: Small Arms Survey, 2010), 10.
- ⇑ Keith Krause, “Reforming the security sector and rule of law: the hidden transcripts of local resistance,” in Peacebuilding in Crisis: Rethinking paradigms and practices of transnational cooperation, eds. Tobias Debiel, Thomas Held, and Ulrich Schneckener (London: Routledge, 2016), 163.
- ⇑ African Union, “Final Report of the African Union Commission of Inquiry on South Sudan” (Addis Ababa: AU, 2015), para. 200.
- ⇑ Ibid., para. 201.
- ⇑ Ibid., para. 204.
- ⇑ Jairo Munive, “Disarmament, Demobilization and Reintegration in South Sudan: The Limits of Conventional Peace and Security Templates,” DIIS Report No. 7 (Copenhagen: Danish Institute for International Studies, 2013), 30.
- ⇑ Krause, 163.
- ⇑ African Union, para. 206.
- ⇑ Munive, 30.
- ⇑ African Union, paras. 208-209.
- ⇑ Matthew LeRiche, “Security Sector Reform in South Sudan and prospects for peace,” Centre for Security Governance, June 3, 2015.
- ⇑ Festus G. Mogae, “Opening Statement as Delivered by H.E. Festus G. Mogae, Chairperson of JMEC,” (speech delivered during the Plenary Meeting of the Joint Monitoring and Evaluation Commission, Juba, South Sudan, January, 12, 2016), 6.
En plus: Gouvernance du secteur de la sécurité Stabilisation des États fragiles Soudan du Sud