Cette semaine, le monde commémore le 23ème anniversaire du génocide du Rwanda au cours duquel entre 800 000 et 1 million de Tutsis ont été tués en l’espace de 100 jours. Chaque année, nous nous souvenons de ceux et celles qui ont péri et nous réfléchissons sur les moyens d’éviter qu’une telle tragédie ne se répète et de faire respecter l’appel simple et pourtant si pesant « plus jamais ! »
Les commémorations sont particulièrement poignantes cette année alors que le continent se trouve confronté à crises actuelles au Soudan du Sud, au Burundi, en République démocratique du Congo et en République centrafricaine qui augurent un retour du génocide. Le Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations Unies sur le génocide, Adama Dieng, a récemment rappelé à l’attention du monde le risque croissant de génocide au Soudan du Sud, et la Commission des Nations Unies sur les droits de l’homme au Soudan du Sud a souligné l’appel à l’action. Au Burundi, le Comité des Nations Unies sur l’élimination de la discrimination et le Secrétaire général de l’ONU ont tous deux exprimé leurs inquiétudes et condamné le profilage ethnique dans la fonction publique et le nombre croissants de cas de rejet verbal, d’incitation à la violence ethnique et d’utilisation systématique du viol comme outil d’intimidation.
En 1998, une enquête par le Groupe international d’éminentes personnalités nommé par l’Organisation de l’Unité africaine (le précurseur de l’Union africaine) visant à examiner les circonstances entourant le génocide du Rwanda a conclu que le génocide aurait pu être évité si la communauté internationale avait agi de manière décisive. Cette enquête a signalé qu’ « il existait un moyen honorable et excessivement utile par lequel le monde aurait pu s’acquitter de cette responsabilité ».
Dans le contexte des crises actuelles en Afrique, une élaboration des normes, des pratiques et des institutions a surgi de l’expérience rwandaise, avec pour objectif de prévenir de futurs génocides.
Évolution du concept de crimes de guerre
Aujourd’hui, il est bien entendu que le génocide est un crime international, le plaçant au sein d’une petite catégorie d’actes illicites (aux cotés des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité) qui ont été élevés à ce stade par la communauté des nations du fait de la gravité qu’elles attachent à leur perpétration. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Le concept de génocide, s’inspirant des initiatives de Raphael Lemkin, qui, galvanisé par le génocide arménien et ses activités en Biélorussie, a proposé une définition du crime en 1943. Il a œuvré inlassablement à la rédaction et à la promotion de l’adoption finale de la Convention sur la prévention et la punition du crime de génocide en 1948. Elle représente le premier traité majeur adopté après la Charte des Nations Unies qui a créé elle-même les Nations Unies.
La norme et l’injonction de poursuite en justice pour crimes de guerre ont finalement été réalisées 50 ans plus tard avec la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui devint en 1998 le premier tribunal international à interpréter la Convention sur le génocide et à inculper un auteur pour le crime de génocide. Durant le même mois, Jean Kambanda, ancien premier ministre du Rwanda, est devenu le premier chef d’État condamné et emprisonné pour génocide.
En codifiant l’intervention humanitaire, l’Acte constitutif de l’Union africaine se lance sur un nouveau terrain, étant le premier et le seul traité multilatéral à le faire.
L’écart de 50 ans séparant l’établissement de la Convention et sa première condamnation peut s’expliquer en partie par le schisme de la Guerre froide entre l’Est et l’Ouest ayant gelé la création d’un tribunal pénal international permanent qui allait poursuivre en justice, non seulement les crimes internationaux codifiés lors du Tribunal militaire international (TMI) de Nuremberg, mais aussi le crime de génocide. Le TMI a jugé des criminels de guerre nazis en 1946 et posé les bases d’une institution permanente prévue par la Convention sur le génocide, mais il aura fallu la guerre dans les Balkans et le génocide du Rwanda pour raviver le débat et donner l’impulsion aboutissant à l’établissement de la Cour pénale internationale en 1998.
Les résultats du Groupe international d’éminentes personnalités allaient inspirer de nouvelles normes pour les États africains, qui vinrent s’intégrer à l’Acte constitutif de l’Union africaine (UA) en 2000. Dans l’Article 4(h), l’UA s’engage à intervenir militairement dans tout État membre afin d’arrêter la perpétration d’un génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. C’est notamment pour cette raison que la Force africaine en attente (FAA) fut créée en 2000. Le sixième « scénario de mission » souligné dans le cadre de politique de la FAA et l’intervention dans des situations de génocide quand la communauté internationale n’agit pas dans les meilleurs délais. En codifiant l’intervention humanitaire, l’Acte constitutif innove en étant le premier et le seul traité multilatéral à le faire. Aux Nations Unies, le droit d’intervenir militairement dans ce type de situations est né de la pratique, une norme du droit international coutumier, bien que la mise en œuvre manque de cohérence.
Émergence d’institutions de prévention du génocide
L’engagement normatif visant à prévenir le génocide et à punir les auteurs est soutenu par un cadre institutionnel intégré au Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA. Les décisions d’intervenir militairement dans un État membre en cas de « graves circonstances », pour arrêter un génocide et d’autres crimes internationaux, sont prises par l’Assemblée des chefs d’État et de gouvernement (ACEG), comme demandé par le CPS. Ils sont mandatés, et ont effectivement exercé ce pouvoir, pour sanctionner les États qui violent les normes approuvées, notamment celles qui concernent le changement inconstitutionnel de gouvernement. Ceci revêt une dimension préventive car les contestations de pouvoir en Afrique peuvent conduire à des conflits au cours desquels sont commis de graves violations des droits de l’homme et crimes. Par ailleurs, le risque de génocide n’est jamais très éloigné car la mobilisation ethnique est une des principales caractéristiques présentes dans de nombreux contextes. Fréquemment, l’UA intervient avec fermeté dans des zones de conflits en Afrique, toutefois son rôle dans le contexte de la paix et la sécurité internationale est quelque peu limité par les Articles 53 et 54 de la Charte de l’ONU qui les subordonnent au Conseil de sécurité de l’ONU. C’est la raison d’une apparente tendance aux missions de maintien de la paix hybrides entre l’UA et l’ONU. Néanmoins, l’UA a souvent dirigé des initiatives collectives pour gérer des crises et empêcher un génocide sur le continent africain.
Ce qui manque le plus souvent, c’est la capacité matérielle d’intervention, mais le courage de dépenser des capitaux politiques et diplomatiques pour le faire.
Les États africains ont joué un rôle critique dans la création de la Cour pénale internationale en 1998 qui est un produit des efforts progressifs redynamisés par les interventions internationales face aux atrocités commises au Rwanda en 1994 et dans l’ex-Yougoslavie en 1993. Basée au Pays-Bas, la Cour pénale internationale compte huit affaires actuellement en cours relatives à l’Afrique, notamment une affaire concernant la situation à Darfour, au Soudan, pour laquelle le Président Al Bashir a été condamné pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
D’autres organes de l’UA réalisent d’importantes fonctions centrées sur la prévention de génocides. La Cour africaine sur les droits de l’homme et la justice pénale proposée, et créée par le le Protocole de Malabo adopté en 2014, jugerait les personnes physiques pour génocide et autres crimes, et l’ACEG et le CPS pourraient renvoyer une situation devant la Cour aux fins d’enquête.
Établie en 1986, la Commission africaine sur les droits de l’homme et des peuples s’est avérée être une solution pour les victimes qui ont été soumises à des atrocités de masse telles qu’un génocide. Entre autres fonctions, la Commission est mandatée pour mener des missions d’enquête, notamment dans le cas de Darfour en 2004 et du Burundi décembre 2015. La Commission a découvert de graves violations des droits de l’homme ; la commission des crimes internationaux et ses rapports sont à présent d’importantes sources pour le procureur de la Cour pénale internationale dans le cas de Darfour et pour les enquêtes internationales sur le Burundi.
La diplomatie préventive, à l’autre extrémité de l’intervention humanitaire sur le continuum des options, est un outil essentiel pour intervenir dans des situations de conflit. L’ONU et les organes régionaux ont fait des entreprises diplomatiques un élément de base dans les zones de conflit du continent. Suite aux élections présidentielles contestées au Kenya en 2007, l’intervention ponctuelle par les leaders régionaux, ainsi que l’UA et l’ONU, a mis fin aux violences inter-ethniques. L’intervention menée par Kofi Annan est sans doute la première utilisation de la doctrine de responsabilité de protéger pour structurer la réponse de la communauté internationale face à une crise.
Le cadre normatif et institutionnel pour intervention face à un génocide, qu’il s’agisse de le prévenir ou d’arrêter la perpétration d’atrocités, est à présent bien établi depuis le génocide du Rwanda en 1994. Par exemple, des progrès ont été réalisés quant aux mécanismes d’alerte qui avertissent les responsables de l’élaboration des politiques en cas de risque d’explosion de conflit et de facteurs tels que les rejets verbaux et les incitations à la violence qui posent les bases d’un génocide.
Ce qui manque le plus souvent n’est pas la capacité matérielle à intervenir mais plutôt le courage d’étendre le capital politique et diplomatique pour le faire. La coordination entre les mécanismes régionaux et globaux est essentielle. La reconnaissance du fait que le génocide n’est pas un évènement mais une processus devrait inciter les responsables de l’élaboration des politiques à entreprendre sérieusement des mesures intermédiaires, telles que des sanctions et des embargos sur les armes. Le manque de consensus à prendre la décision de déployer ces mesures ainsi que d’autres ressources ne fait que renforcer la capacité des belligérants à commettre des méfaits sur une grande échelle.
Expert du CESA:
Godfrey Musila, Chercheur universitaire
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