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Pour une plus grande efficacité des embargos sur les armes en Afrique

Les embargos sur les armes peuvent s’avérer efficaces mais nécessitent l’adhésion des organisations régionales et internationales, un contrôle adéquat et l’application de sanctions suffisantes à ceux qui les contournent.


Making Arms Embargoes in Africa More Effective

Casques bleus examinant des armes lors des efforts de démobilisation en RDC. (Photo : ONU/Martine Perret)

La feuille de route de l’Union africaine (UA) visant à « Faire taire les armes » d’ici 2020 (désormais étendue jusqu’à 2030) prévoit de faire des embargos sur les armes un pilier stratégique et appelle à une meilleure coordination nationale, régionale et internationale. Le but est de priver les groupes armés de tout accès aux armes, à la finance et aux autres moyens de faire la guerre. Ces embargos ont longtemps fait partie d’une panoplie d’instruments utilisés pour mettre fin aux conflits les plus meurtriers en Afrique (notamment en Angola, en Côte d’Ivoire, en République démocratique du Congo, au Liberia, au Rwanda, en Somalie, en Sierra Leone, au Soudan du Sud et entre l’Éthiopie et l’Érythrée).

Au-delà des armes, ces embargos ont eu pour objectif d’entraver l’accès aux ressources naturelles (notamment aux diamants), d’interdire les déplacements, de geler des actifs et de punir plus strictement les coupables qui tirent profit de la guerre. Ils n’ont malheureusement pas toujours le résultat escompté. Des tiers, présents dans la région et au-delà, participent parfois activement à la violation des embargos, réduisant de fait leur efficacité. Les Nations unies ont dénoncé des  violations « manifestes » et « de grande ampleur » de l’embargo sur les armes décidé par les Nations unies en Libye, accusant notamment la Russie et la Turquie d’avoir vendu des armes sous embargo, comme par exemple des drones, des avions de transport, des missiles sol-air, des pièces d’artillerie et des véhicules militaires blindés, à différentes factions impliquées dans les combats, alors même que le Gouvernement d’unité nationale approuvé par les Nations unies préparait le pays à des élections.

La République centrafricaine est confrontée à une situation similaire. Elle lutte pour mettre en œuvre un accord négocié en 2019 sous l’égide de l’UA et des Nations unies, le septième en huit ans, entre 14 groupes armés. En dépit d’un embargo sur les armes édicté en 2013 par les Nations unies, les armes, les équipements militaires et l’argent continuent de circuler en direction de différents groupes, notamment au bénéfice d’une coalition de six milices formée en 2020 qui contrôle les deux-tiers du pays.

Les embargos sur les armes, et les sanctions de manière plus générale, font l’objet de nombreux débats en Afrique, ne fût-ce que parce que les pays africains ont été la cible privilégiée de ces mesures coercitives dès 1963, avec l’imposition d’un embargo des Nations unies (étendu en 1977) motivé par la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Depuis lors, les embargos en Afrique ont été utilisés dans de nombreux contextes. Toutefois, ces embargos sont régulièrement violés, mettant à mal l’engagement du continent à « faire taire les armes ».

Un épineux problème

Les Nations unies appliquent actuellement des embargos sur les armes dans six pays africains. L’Union européenne (UE), qui utilise la liste des Nations unies comme plancher à partir duquel elle élabore des normes plus strictes, a rajouté deux pays à cette liste.

Les sanctions onusiennes sont en général imposées dans le cadre du chapitre VII, Article 41, de la Charte des Nations unies. Cette clause oblige les États membres à appliquer les sanctions et à rendre des comptes sur les mesures prises en ce sens. La volonté et la capacité de chaque pays à donner suite tendent toutefois à varier, non sans compromettre l’efficacité des sanctions. Depuis 1999, Le Conseil de sécurité des Nations unies a régulièrement mis sur pied des groupes indépendants de quatre à six experts chargés de contrôler les violations des embargos sur les armes et d’adresser des recommandations aux comités chargés d’exécuter les sanctions prononcées par les Nations unies. En cas de déploiement d’une opération de maintien de la paix de l’ONU, elle est souvent chargée de contribuer au contrôle des sanctions.

Les rapports des groupes d’experts témoignent de la difficulté à contrôler et exécuter les embargos sur les armes. Dans certains cas, ils sont même structurellement inadaptés. Par exemple, l’embargo décidé par les Nations unies dans la région du Darfour fut au départ réservé à des groupes armés non étatiques dans le cadre d’un compromis demandé par des membres du Conseil de sécurité de l’ONU opposés à une application plus large qui aurait alors également visé le gouvernement soudanais. Un an plus tard, toutefois, après que le gouvernement a armé et fourni un soutien logistique aux miliciens du Darfour, les Janjawid, alors même qu’avait été signé un accord de cessez-le-feu, l’embargo sur les armes a été élargi à l’ensemble des belligérants de la région.

Concernant le Soudan du Sud, les acteurs du conflit furent en mesure de limiter l’impact de l’embargo sur les armes en constituant des réserves d’armes préalablement à cette mesure, un cas qui a permis de mettre en lumière les problèmes de définition des sanctions et de garantie de leur exécution.

« Les réseaux complexes et sans cesse changeants des acteurs ainsi que la versatilité des intérêts et des dynamiques de pouvoir en jeu dans ces conflits ne sont pas toujours pris en considération dans les décisions d’embargos sur les armes ».

Dans d’autres cas, les acteurs visés ont tiré profit de la complexité des conflits pour mettre en place des stratégies de contournement. Les milices de la RDC, par exemple, ont réussi à se procurer des armes au travers d’arrangements avec des tiers en échange de minéraux, ce qui leur a permis de mener des transactions en dehors du système bancaire officiel, d’échapper complètement aux sanctions et d’être enhardis par cette impunité. Par exemple, face à une remarque l’informant qu’il figurait sur une liste de personnes à sanctionner, le chef d’une milice congolaise a répondu : « Alors comme ça, même les Nations unies me connaissent ? Il faut croire que mon groupe devient célèbre ».

D’autre part, le NDC-R, un groupe de rebelles allié au gouvernement congolais qui avait réussi à contrôler la majeure partie des territoires dans les provinces du Kivu, s’est effondré en 2020 après que son chef, Guidon Shimiray Mwissa, a été inscrit sur la liste des Nations unies pour des violations à grande échelle des droits humains. Son adjoint l’a écarté de son poste à responsabilité indiquant que l’inscription de Guidon sur cette liste noire constituait un obstacle à l’intégration de milliers de combattants du groupe dans les forces armées congolaises.

La porosité des frontières, l’insuffisance voire l’absence de moyens étatiques mais aussi la corruption comptent également parmi les responsables de ces défis à l’application de ces sanctions. Le rapport du Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC, publié en juin 2020, indique que les chefs des milices, pour échapper aux sanctions, mettent en place des systèmes d’échanges parallèles et ce, dans une mesure telle que les volumes d’or passés en contrebande dans cette zone ont été considérablement plus importants que ceux négociés en toute légalité.

L’insuffisance des moyens étatiques s’étend à l’immigration et à son contrôle. À titre d’exemple, les autorités douanières congolaises, ne disposant pas des équipements nécessaires pour repérer les documents de voyage frauduleux, n’ont pu de ce fait interdire le déplacement des personnes concernées. Au Liberia et en Sierra Leone, des trafiquants d’armes prenaient des chemins détournés tels que cours d’eau et forêts denses pour échapper aux autorités frontalières et aux forces de maintien de la paix des Nations unies. Toutefois, de nombreuses cargaisons d’armes illicites sont simplement expédiées dans un pays cible sans plus de précautions, du fait du laxisme de la surveillance.

Pour l’heure, plusieurs groupes d’experts des Nations unies déplorent la méconnaissance générale des citoyens et des gouvernements quant au mode d’application des sanctions et quant à l’objectif poursuivi. Les contrevenants peuvent ainsi continuer leurs activités sans crainte de sanctions, le risque d’être identifié et jugé étant considéré comme faible.

UNSG Guterres visit to CAR 2017

Le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, lors d’une réunion avec des représentants des partis politiques de la République centrafricaine.
(Photo : ONU/Eskinder Debebe)

Les embargos sur les armes peinent à avoir un véritable effet en raison de cette dynamique de fond. Une partie du problème réside dans les moyens étatiques, dans la volonté politique, et la grande diversité des situations d’un pays à l’autre rend toute coordination difficile, alors que d’elle dépend la plus ou moins grande efficacité des embargos. Par ailleurs, les réseaux complexes et sans cesse changeants des acteurs ainsi que la versatilité des intérêts et des dynamiques de pouvoir en jeu dans ces conflits ne sont pas toujours pris en considération dans les décisions d’embargos sur les armes et d’autres types de sanctions, et les calculs des contrevenants peuvent continuer de plus belle.

Les obstacles à l’exécution des embargos se sont multipliés ces dernières années avec la propension de certains membres du Conseil de sécurité de l’ONU, notamment la Russie et la Chine, à tenter d’obtenir une réduction des sanctions et à bloquer la nomination de certains experts, dès lors que leurs rapports font état de violations de la part de leurs gouvernements. Des membres africains non permanents du Conseil de sécurité ont aussi cherché à entraver l’exécution de ces sanctions. Le Rwanda s’est par exemple opposé à renouvellement de membres du groupes d’experts sur la RDC qui avaient documenté le soutien continu du Rwanda aux groupes qui ont pris le relais au M23.

Cas de réussite des embargos

En dépit de ces problèmes, lorsqu’ils sont appliqués de manière innovante, les embargos sur les armes et les sanctions associées peuvent fonctionner. Par exemple, l’embargo lancé pour contester l’apartheid en Rhodésie (Afrique du Sud) fut immédiatement suivi de mesures complémentaires telles que sanctions diplomatiques et suspensions d’affiliation, boycotts culturels et sportifs et interdictions de voyager. Le régime de l’apartheid bénéficiait en effet d’une industrie de l’armement bien développée avec des importations peu importantes. D’autres mesures se sont avérées nécessaires.

« Les sanctions peuvent également jouer un rôle véritablement dissuasif par la mise au ban des contrevenants et de leurs bénéficiaires présumés ».

Grâce à une initiative de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA), les titulaires de passeports africains n’ont plus pu voyager vers l’Afrique du Sud, privant ce pays de recettes du tourisme ainsi que de sa légitimité en tant que destination touristique. L’OUA avait également réussi à obtenir de la plupart des États membres qu’ils imposent des boycotts complets sur les produits sud-africains, qu’ils refusent tout atterrissage de compagnies sud-africaines et qu’ils mettent fin à tout échange universitaire. Au plan international, l’OUA a persuadé un grand nombre d’industries et de gouvernements étrangers de se désengager de l’économie sud-africaine, avec pour conséquence une inflation qui s’est maintenue à un haut niveau, entre 12 et 15 % par an, dans les années 1980 et 1990. Ces mesures, et non les seuls embargos sur les armes, ont relégué l’Afrique du Sud au rang de paria. Le désir d’en finir avec cet ostracisme explique en partie que le Parti national ait finalement envisagé des négociations.

La pratique de mise au pilori (naming and shaming) des fraudeurs a également eu des effets bénéfiques dans le cadre d’autres initiatives, notamment pour mettre fin au commerce des « diamants de sang », grâce à la traçabilité rendue obligatoire par le processus de Kimberley. Les sanctions peuvent également jouer un rôle véritablement dissuasif par la mise au ban des contrevenants et de leurs bénéficiaires présumés.

La décision inattendue du Rwanda de placer le hors la loi Laurent Nkunda, militaire congolais ensuite entré en rébellion et assigné à résidence pour une durée indéterminée, est un bon exemple. Inscrit en 2005 sur la liste des sanctions des Nations unies pour crimes de guerre, Nkunda se trouvait alors à la tête de forces rebelles qui, selon les rapports de l’ONU, auraient été largement soutenues par le Rwanda. Pendant des années, le Rwanda a fermement nié les accusations, avant de se retourner en fin de compte contre Nkunda lorsque les partenaires donateurs ont retiré leur aide. Cette décision avait fait suite à la publication d’un retentissant rapport de l’ONU en décembre 2008. Cette « coïncidence » suggère que la rupture avec Nkunda était le petit prix à payer pour sauver la réputation internationale du Rwanda et restaurer la confiance des donateurs. Cet exemple montre que les sanctions peuvent avoir, dans certaines conditions, une incidence sur le comportement des acteurs visés.

Disarmament efforts in Burundi

Efforts de désarmement au Burundi.
(Photo : ONU/Martine Perret)

Les embargos peuvent également s’avérer efficaces lorsque les pays travaillent de concert, comme ce fut le cas avec l’embargo sur les armes régionales décrété au Burundi. Celui-ci fut imposé en août 1996 par sept États (RDC, Érythrée, Éthiopie, Kenya, Rwanda, Tanzanie, Ouganda et Zambie), à la suite d’un coup d’État orchestré en juillet et menaçant d’entraver les pourparlers de paix initiés par la Tanzanie. Toutes les exportations ont été mises à l’arrêt, et seules les fournitures de médicaments et l’aide humanitaire ont été maintenues. Durant cette période, les rebelles ont été privés de tout droit d’asile dans les pays voisins et menacés de représailles militaires s’ils tentaient de recruter parmi les communautés des réfugiés. Face à cette situation précaire, les belligérants en sont venus (malgré leur réticence) à engager un processus de négociations qui a mené à l’accord de paix d’août 2000.

Un autre exemple vient de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui a pris des mesures coercitives à l’encontre de la Côte d’Ivoire en 2011 et de la Gambie en 2017 lorsque les dirigeants en exercice se refusèrent à quitter leur poste malgré leur défaite aux élections. Dans ces deux cas, la CEDEAO 1) a retiré sa reconnaissance, 2) a coupé tout accès aux ressources financières, 3) a supprimé les possibilités de voyager, 4) a désigné des médiateurs de haut niveau et 5) a menacé une intervention militaire. En Gambie, la CEDEAO est allée plus loin en recourant à la force militaire pour fermer les frontières terrestres et maritimes du pays et en déployant une force d’intervention. Dans ces trois cas, les dirigeants mis en échec au Burundi, en Côte d’Ivoire et en Gambie ont été contraints de partir. Ainsi les crises ont pu être évitées.

« Les sanctions peuvent s’avérer d’autant plus efficaces que la motivation des acteurs clés et de leurs soutiens est bien comprise et que leur mode de survie est soigneusement identifié et étudié ».

Les sanctions peuvent s’avérer d’autant plus efficaces que la motivation des acteurs clés et de leurs soutiens est bien comprise et que leur mode de survie est soigneusement identifié et étudié. De nombreux contrevenants aux embargos sur les armes sont des individus dont la motivation réside dans des préoccupations/questions localisées qui exigent des recherches considérables.

Ces exemples montrent les tactiques qui sont susceptibles d’accroître l’efficacité des embargos. Premièrement, les États en cause ont dû s’exprimer d’une seule voix et agir de concert. Deuxièmement, les dirigeants clés ont incité les partenaires internationaux à jouer un rôle complémentaire. Troisièmement, en raison justement de cette unité dans l’effort, les acteurs ciblés n’ont pu liguer les États les uns contre les autres. Ces leçons doivent être prises en compte dans l’évaluation de l’efficacité des sanctions. Les États voisins en particulier ont un rôle crucial à jouer pour garantir l’application des sanctions.

Que dit l’UA des embargos ?

En mars 2016, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA s’est réuni afin de comprendre pourquoi les embargos sur les armes n’avaient pas le résultat escompté et comment leur impact pourrait être amélioré. Les conclusions du rapport final sont résumées ci-après :

  1. L’action coordonnée entre les différents États est nécessaire afin de mieux partager les responsabilités ;
  2. Les embargos sur les armes sont freinés par l’incapacité des États à les contrôler et les mettre en œuvre, notamment dans le cadre des contrôles aux frontières et du partage d’informations entre les États et les comités de sanctions des Nations unies ;
  3. Les mesures prises pour limiter le trafic d’armes interviennent de plus en plus en dehors de tout accord de paix formel. Cette situation nécessite une mise en œuvre robuste et des mécanismes de surveillance ;
  4. Les traités juridiquement contraignants (par example la Position Africaine Commune sur un Traité sur le Commerce des Armes) constituent les bases d’une action efficace. De nouvelles avancées sont nécessaires pour atteindre l’universalité en Afrique ;
  5. Au-delà de ces actes internationaux juridiquement contraignants, il faudra mettre en place au plan national un arsenal complet de dispositions légales et réglementaires. Les lois varient certes d’un État à l’autre, mais certaines sont incomplètes, voire désuètes.

Conclusions

Les embargos sur les armes peuvent faire progresser la paix et la sécurité, en particulier s’ils sont combinés à d’autres mesures dissuasives dans le cadre d’une approche globale. Lorsqu’elles ont fait leurs preuves, les sanctions ont eu un coût pour les contrevenants qui ont vu leur réputation et leur respectabilité internationale ternies et ont été privés de tout accès au système international.

Il convient d’insister sur la nécessité d’une action concertée au plan régional et sur le soutien des voisins immédiats. Plus la coordination est forte entre les pays, plus il sera difficile pour les contrevenants de gagner du terrain. Toutefois, il est nécessaire d’adapter les embargos à chaque dynamique de conflits, unique en soi, de tenir compte du comportement des acteurs clés et de leurs stratégies d’évasion. Par exemple, si certains malfaiteurs échappent aux sanctions en agissant en dehors de tout cadre officiel, ils ont souvent besoin de la protection de ceux qui y ont accès. Si cette intrication peut être démontrée, le réseau plus vaste dans lequel ils opèrent en temps de conflits pourra être démantelé.


Ressources complémentaires