Avec la fin de l’apartheid, l’Afrique du Sud avait besoin d’une vision nationale en matière de sécurité. Pour l’Afrique du Sud, le Livre blanc sur la défense de 1996 et l’Examen de la défense de 1998 n’étaient pas de simples exercices technocratiques. Ces deux documents devaient « aider le pays à dépasser l’apartheid », selon Helmoed Heitman. « Ils ont permis à l’Afrique du Sud d’entrer dans le XXe siècle avec une approche à l’égard de la sécurité nationale très différente de celle du passé ». Les deux processus ayant abouti à la publication de ces documents ont été menés par le parlement et « soutenus de manière exceptionnelle par la société civile en raison de son inclusion dans ceux-ci ». Enfin, ils sont le reflet d’un dialogue stratégique élargi pour le pays tout en restant ancrés dans une méthodologie technique solide. L’Afrique du Sud devrait servir de cas pratique d’analyse pour l’élaboration d’une stratégie nationale de sécurité dans les autres pays africains en transition.
L’élaboration d’une stratégie nationale de sécurité commence par l’identification des fins, des voies et des moyens nécessaires pour résoudre et atténuer les menaces. Il s’agit d’une méthodologie permettant de déterminer ce que la stratégie cherche à accomplir, avec quels moyens et quelles ressources. La cohérence des trois est vitale parce que si les fins dépassent les moyens ou si les voies ne sont pas adaptées aux fins, la stratégie est incapable de fonctionner. Une stratégie claire optimisera les structures des forces en les rattachant à une évaluation objective des menaces, de façon à éliminer le gaspillage et la corruption et à accroître leur efficacité. Même si une telle approche technique est fondamentale, comme l’expérience sud-africaine le prouve, il est essentiel de lier tout processus de stratégie de sécurité national aux buts de transformation plus ambitieux du pays et de s’appuyer très largement sur la participation et le soutien des différents acteurs. Ces thèmes étaient au centre des travaux du séminaire des hauts responsables du Centre d’études stratégiques de l’Afrique (CESA), récemment tenu, auquel 45 professionnels africains du secteur de la sécurité en provenance de 50 pays ont participé.
Sierra Leone : Dépasser le conflit
À la suite d’une guerre civile brutale, la Sierra Leone intégra à son processus d’élaboration d’une stratégie nationale le dialogue et la consultation des citoyens, car elle cherchait à institutionnaliser un cadre solide de justice transitionnelle. Dès le début, le Ministère de la défense s’engagea dans un processus participatif et inclusif, et créa très tôt des mécanismes facilitant la participation et la consultation des civils. Ensuite, le parlement mit en place des procédures de contrôle et surveillance par la société civile pour obtenir la confiance d’un public sceptique et meurtri par la guerre. Il confiait ainsi aux comités parlementaires la surveillance du Ministère de la défense et du secteur national plus vaste de la sécurité, dont la nouvelle Unité centrale du renseignement et de la sécurité qui est un organisme civil. La stratégie permit d’établir un Bureau de sécurité nationale composé d’un personnel technique et indépendant qui assumerait les fonctions de Secrétariat du conseil de sécurité nationale.
Qui plus est, la stratégie de sécurité nationale mettait l’accent sur le lien existant entre sécurité et développement, identifiant la pauvreté et le manque de cohésion sociale comme des menaces à la sécurité nationale exigeant une réponse mesurée pas uniquement dépendante de l’armée. La stratégie, qui met l’accent sur une surveillance civile forte, a validé l’inclusion de la société civile et souligné le rôle de l’armée dans le développement et la réconciliation nationale, considérés comme les principales priorités du pays.
Botswana : Préserver le développement économique
Lors de sa création en 1977, la Force de défense du Botswana (FDB) n’héritait pas d’une structure militaire coloniale, raison pour laquelle le pays a préféré par goût et par nécessité des « solutions internes », qui ont influencé la manière dont les responsables de la sécurité ont défini les menaces et les réponses à y apporter. La transition du Botswana vers l’indépendance n’ayant pas été marquée par la guerre civile et les troubles internes, les dirigeants du pays ont déterminé que le développement économique faisait figure de priorité de sécurité nationale majeure. Nulle part ne fut-ce plus essentiel que dans les domaines de la protection de la faune et de la biodiversité. Cette perspective unique sur la sécurité reflète les réalités géographiques et économiques du Botswana. Les territoires de faune sauvage constituent un tiers de la masse terrestre du pays et les parcs nationaux un pourcentage de 17 %.
Comme secteur, le tourisme représente 12 % du PIB, qui s’élève à 7 240 dollars USD par habitant, un des plus hauts d’Afrique. Les visiteurs du delta Okavango, le plus important habitat de terres humides du monde, représentent 90 %des revenus touristiques. Le succès de cette industrie a permis au Botswana de se hisser au rang des pays à revenu intermédiaire supérieur. Au fil du temps, un fort consensus s’est dégagé pour utiliser la FDB dans des opérations spéciales importantes de lutte contre le braconnage qui constituent la meilleure manière de protéger le développement économique et d’améliorer la stabilité sociale et les prestations de service. Cette approche unique en matière de sécurité nationale est issue des longues traditions de démocratie, de surveillance, de bonne gouvernance du pays et d’un engagement résolu de ce dernier envers les prestations de service. Par ailleurs, la FDB a également été envoyée lutter contre d’autres activités illicites, comme la traite des personnes, les trafics de drogue et d’armes qui peuvent à la longue alimenter et financer les trafics d’animaux sauvages.
Enseignements
S’inspirant de la stratégie de l’Afrique du Sud fondée sur des valeurs, la Sierra Leone a adopté une vision élargie de la sécurité, l’associant au développement et à la réforme du système de sécurité nationale afin de privilégier la réconciliation. Pour le Botswana, les missions de lutte contre le braconnage font partie d’une stratégie qui a identifié le développement économique comme un objectif fondamental de sécurité. Cette approche a influencé la taille, la doctrine et la capacité de la FDB à entreprendre des missions complexes et multidimensionnelles. Les trois cas étudiés suggèrent que, même si la stratégie de sécurité nationale doit être ancrée dans une méthodologie technique saine, elle doit aussi être le reflet d’une perspective stratégique, d’un dialogue public large et tenir compte des intérêts nationaux particuliers. Des processus participatifs et inclusifs sont plus susceptibles de produire de tels résultats.
Ressources complémentaires
- Rocky Williams, “Defence in a Democracy: The South African Defence Review and the Redefinition of the Parameters of the National Defence Debate,” in Rocky Williams, Gavin Cawthra, and Diane Abrahams, Ourselves to Know: Civil Military Relations and Defense Transformation in Southern Africa, Institute for Security Studies, August 2002.
- Osman Gbla, “Security Sector Reform in Sierra Leone,” Challenges to Security Sector Reform, Monograph 135, Institute for Security Studies, May 2007.
- Dan Henk, “The Botswana Defense Force: Evolution of a Professional African Military,” African Security Review, Volume 3, Number 4, Institute for Security Studies, 2004.
- Helmoed Heitman, “Optimizing Africa’s Security Force Structures,” Africa Security Brief No. 13, May 31, 2011.
- Joseph Siegle, “Security Sector Transformation Post-Crisis,” presentation at the Africa Center for Strategic Studies Senior Leaders Seminar, May 17, 2016.
En plus: Afrique du Sud Botswana Sierra Leone stratégie de sécurité nationale