Les institutions du secteur de la sécurité et la crise politique de la RDC


La tension continue de monter en République démocratique du Congo alors que vient d’expirer le second mandat du Président Joseph Kabila qui continue de s’accrocher au pouvoir. Au cours des dix-huit mois derniers, les supporters du régime ont déployé de vastes manœuvres légales, constitutionnelles et politiques pour prolonger le mandat du président au-delà des restrictions de limites constitutionnelles. Le faible équilibre des pouvoirs constitutionnel et institutionnel et la vaste opposition concertée laissent supposer une impasse politique durable. Le secteur de la sécurité sera essentiel au traitement de cette crise. Notre examen fait le bilan du secteur de la sécurité en RDC et du rôle qu’il pourrait jouer dans les espoirs d’une transition démocratique dans le pays.

Les forces armées

Les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) regroupant 140 000 éléments, a été constituée à partir de factions armées des deux guerres du Congo de 1996-1997 et 1998-2003. Le professionnalisme militaire est une des préoccupations majeures de la communauté internationale qui, en 2010, avait dépensé 14 milliards $ au soutien des efforts de reconstruction, notamment la réforme du secteur de la sécurité. En 2014, l’Union européenne a engagé plus d’un milliard de dollars pour financer ces initiatives jusqu’en 2020. De plus, les FARDC ont au moins 14 accords bilatéraux d’assistance techniques – l’une des plus importantes  séries de support militaire du continent.

Malgré ces investissements, le niveau de professionnalisme militaire demeure faible. Durant les manifestations politiques de 2016, les FARDC ont fortement réprimé les opposants au régime, notamment le 19 septembre lorsque plus de 59 citoyens ont trouvé la mort. Des enquêtes ont révélé que l’utilisation de la violence était systématique. Des soldats, dont l’identité est restée anonyme, ont déclaré à des observateurs indépendants des droits humains qu’ils avaient reçu ordre de mener des perquisitions au domicile d’opposants politiques, d’arrêter des leaders soupçonnés de protestations et d’attaquer les bâtiments du partie d’opposition. Tandis que les protestations gagnaient en intensité, des officiers de haut niveau coordonnaient les ordres d’un centre du commandement établi à cet effet. Des bonus ont été offerts pour motiver les soldats. L’armée a participé à de similaires mesures de répression contre des opposants préalablement aux élections de 2011 et durant les violents affrontements postérieurs aux élections à Kinshasa. L’agitation s’est envenimée dans l’est du pays où un bataillon spécial, mis en place pour réprimer les manifestations de la région, a subi de lourdes pertes durant ses confrontations avec les milices d’opposition, a déserté et commis des viols collectifs sur des femmes et des filles.

Les FARDS ont également été mêlées à de nombreuses activités illicites, le résultat de médiocres conditions de travail et rémunérations. L’analyste Phil Cark de l’Université d’Oxford et basé au Congo déclare que les éléments de l’armée nationale ont, au fil des années, formé des réseaux économiques et politiques irréguliers avec des acteurs non étatiques impliqués dans l’extraction de ressources, particulièrement dans la région est, fortement volatile. Une enquête de 2015 a révélé que l’armée congolaise et au moins un groupe armé non étatique étaient présents au même moment à l’une des trois mines de la région. Ces déploiements étaient supervisés par des commandants locaux des FARDC afin de faciliter l’extraction des minerais tels que l’étain, le tantale, le tungstène et l’or aux fins d’avantages privés.

Dans d’autres cas, les communautés locales ont été forcées de payer les salaires des soldats par le biais d’extorsion au passage de barrages routiers illégaux. Cette pratique, désignée par « lalasalama » ou « dort bien », est difficile à contrôler ou à surveiller étant donné la médiocrité de l’infrastructure et la facilité d’installation de barrière par des soldats individuels.

La garde présidentielle et les services de renseignement

RDC garde republicaine

DRC Republican Guard. Photo: Radio Okapi/John Bompengo.

La garde présidentielle d’élite et les services de renseignement se sont avérés être des éléments essentiels du secteur de la sécurité congolais depuis l’ère de l’ex-homme fort Mobutu Sese Seko. Au fil des années, Kabila a constitué une extraordinaire garde républicaine, anciennement désignée par le Groupe spécial de sécurité présidentielle qui, selon la plupart des estimations, a la puissance d’une division. Cette redoutable institution est mieux entrainée, équipée et payée que les FARDC et son contrôle outrepasse la hiérarchie de l’armée. Elle est également perçue comme étant plus loyale au gouvernement que l’armée, servant ainsi de tampon contre les coups d’état ou dans le cas d’officiers dotés de conscience professionnelle abandonnant le soutien au régime.

L’Agence nationale de renseignements (ANR) composée de 12 000 éléments, agence nationale de renseignement de la RDC, joue un rôle primordial dans l’instinct de survie du régime. Afin de rompre avec les pratiques de la police secrète de Mobutu et ses vastes appareils de renseignement civils et militaires intrusifs, la Constitution de 2005 a restreint l’ANR au recueil, à l’analyse et à la dissémination du renseignement. Les agences de renseignement n’ont pas le pouvoir légal d’arrêter, de poursuivre ou de mener des enquêtes à tendances politiques.

Malgré ces contrôles, l’ANR mène régulièrement des opérations de surveillances des opposants politiques ; elle est également déployée dans le cadre de rôles anti-émeutes aux côtés de la police et de l’armée. Elle est aussi accusée de fréquentes violations des droits humains, notamment de passages à tabac, actes de torture, disparitions et meurtres extrajudiciaires. Le Rapport de 2015 du Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’homme a découvert 142 violations contre des membres de l’opposition et de la société civile – en très nette augmentation depuis l’année précédente. Quatre-vingt-treize de ces violations ont été commises par des agents de la police ou du renseignement et le reste par l’armée. Contrôlée avec efficacité par la branche exécutive, la branche judiciaire n’a pu mener d’enquête indépendante sur ces violations. Le manque de procédure de recours et le climat de politisation sont autant d’éléments qui gênent la confiance du public et les perspectives d’une transition démocratique.

La police nationale congolaise

Les lois et règlements qui régissent la police sont énoncés dans des textes législatifs. La Constitution prévoit une force de police indépendante, impartiale et responsable. Par ailleurs, la Constitution interdit aux agents de police de se livrer à des activités privées aux fins de gains financiers, notamment de siéger sur des conseils d’organisations privées. Elle garantit également le droit de protester et de s’exprimer librement. La formation de la police a aussi été un élément important des initiatives de réforme du secteur de la sécurité du pays. L’UE a soutenu un programme exhaustif de formation de la police pluriannuel lancé en 2016 et qui vient de prendre fin en 2016.

Malgré ces initiatives, la PNC reste une force partisane dont le rôle principal consiste à protéger le régime. La police nationale, accompagnée de la garde républicaine, s’est constituée de manière constante, au fil des années, faisant partie d’une série d’institutions de sécurité sur lesquelles la présidence exerce un contrôle direct. Elle assume sa position de leader sur le contrôle d’émeutes et des activités d’opposition.

Le chef de la police de la région administrative de Kinshasa, Celestin Kanyama, qui a fait l’objet de sanctions des États-Unis en juin 2016, aurait mérité le surnom « esprit de morts » pour la réputation de l’institution qu’il dirige. Les violents engagements entre la police et les citoyens sont une fonctionnalité constante du conflit politique en RDC. La position héritée qui se veut agressive envers le public renforce la notion que les protestation sont une menace au pouvoir et à la survie du régime, et ne sont pas une expression légitime de la différence d’opinion qui est garantie et protégée par la constitution.

Futures perspectives

Les antécédents des dispositifs de sécurité du Congo suggèrent qu’il ne faut pas compter sur ces institutions pour manier les instruments du pouvoir de l’État au service de la protection et la sécurité des civiles.

Les contributions bien ancrées de gouvernance irresponsable ont rendu les bureaucraties de la sécurité fortement vulnérables aux abus partisans et confirment encore une culture visant à utiliser la force pour résoudre des défis politiques. Les réformateurs doivent encore se frayer un chemin parmi ces défis institutionnels afin de réussir une transition démocratique. Des réformes fondamentales de ces institutions de sécurité s’imposeront si la RDC réussit à devenir une société stable et démocratique.

Cet article est le quatrième d’une série qui analyse les défis actuels auquel fait face le processus démocratique en République démocratique du Congo, et comment divers acteurs et institutions détermineront les aboutissements.

1ère Partie: Drame en perspective en République démocratique du Congo
2ème Partie: Les institutions de contrôle de la RDC : Quel degré d’indépendance ?
3ème Partie: Le rôle de la société civile dans la prévention de l’instabilité en RDC
4ème Partie: Les institutions du secteur de la sécurité et la crise politique de la RDC
5ème Partie: The Role of External Actors in the DRC Crisis

Experts du CESA

Resources du CESA

  • Emile Ouédraogo, « Pour la professionnalisation des forces armées en Afrique ». Papier de Recherche No. 6, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, Juillet 2014.

Ressources additionnelles