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Le Sénégal a réussi un nouveau scrutin pacifique. Cette fois, leurs résultats annoncent un grand changement politique

Les élections législatives récentes au Sénégal représentent une continuation d'une tradition robuste de compétition multipartite. Leurs résultats ont des implications sans précèdent pour la surveillance démocratique.


Les gens font la queue pour voter aux élections législatives sénégalaises de 2022. (Photo : AFP/Muhamadou Bittaye)

Les électeurs sénégalais se sont rendus aux urnes en juillet 2022, poursuivant une tradition de forte concurrence multipartite dans le pays. Le Sénégal fait partie de la poignée de pays africains qui n’ont jamais connu de coup d’État militaire.

Le processus électoral lui-même n’a rien eu d’exceptionnel au Sénégal. Mais les résultats de l’élection – et leurs implications pour le contrôle démocratique – sont sans précédent.

Pour la première fois dans l’histoire contemporaine du pays, aucune coalition n’a obtenu la majorité absolue au Parlement.

Depuis l’annonce des résultats, la coalition au pouvoir a obtenu une promesse de soutien de la part de l’homme politique Pape Diop, dont la coalition n’a remporté qu’un seul siège au parlement. Avec le soutien de Diop, la coalition au pouvoir a réussi à rassembler une majorité.

Cela place le Sénégal en territoire inconnu. Des négociations sérieuses pourraient s’avérer nécessaires pour que la coalition conserve sa très mince majorité parlementaire et s’assure que les membres de son groupe parlementaire votent de manière disciplinée.

« L’inclusion des jeunes et leur engagement pacifique dans la politique seront la clé d’un avenir stable ».

En outre, la coalition au pouvoir ne dispose plus de la majorité des trois cinquièmes requise pour modifier la constitution. Cela pourrait avoir de l’importance à l’approche des élections présidentielles sénégalaises de 2024, étant donné le manque de volonté du président Macky Sall d’écarter publiquement l’idée de briguer un troisième mandat illégal.

Les camps du pouvoir et de l’opposition devront faire preuve de diplomatie et d’habileté politique pour s’adapter à ce contexte. Les enjeux ne pourraient pas être plus élevés. Les jeunes sénégalais, dont le nombre ne cesse de croître, ont déjà manifesté contre les conditions socio-économiques et l’impression que les tribunaux sont utilisés contre les figures populaires de l’opposition. Certaines de ces manifestations ont été accueillies avec violence.

L’inclusion des jeunes et leur engagement pacifique dans la politique seront la clé d’un avenir stable.

Que s’est-il passé ?

Le 31 juillet, 46% des 7 millions d’électeurs éligibles du Sénégal se sont rendus aux urnes pour choisir entre huit coalitions de partis politiques.

L’élection s’est déroulée dans un contexte relativement tendu. Le Conseil constitutionnel du Sénégal avait en effet rejeté la liste des candidats de premier choix de l’une des principales coalitions de l’opposition ainsi que la liste des candidats suppléants de la coalition au pouvoir sur une partie du scrutin.

Les deux décisions ont été prises sur la base d’erreurs techniques dans les documents de nomination.

Senegalese President Macky Sall.

Le président sénégalais Macky Sall. (Photo : MONUSCO)

La coalition Benno Bokk Yakaar (Unis dans l’espoir), dirigée par Macky Sall et qui disposait auparavant d’une majorité absolue au parlement, a vu sa représentation réduite de 125 à 82 sièges sur 165.

Les deux coalitions d’opposition les plus populaires ont ensemble remporté 80 sièges. Elles sont composées de Yewwi Askan Wi (Libérer le peuple), affiliée au populiste Ousmane Sonko, ainsi que les anciens et actuels maires de Dakar,

Les trois sièges parlementaires restants sont contrôlés par les leaders de coalitions plus petites :

Les trois leaders de cette petite coalition en deviennent faiseurs de roi.

Après avoir pris connaissance de ces premiers résultats, pour que les coalitions Benno Bokk Yakaar ou Yewwi-Wallu puissent contrôler une majorité parlementaire, il leur aurait fallu au moins un autre collègue (et dans le cas de Yewwi-Wallu, les trois) qui votent avec eux, même si ces collègues ne rejoignaient pas leur groupe parlementaire.

Diop a récemment annoncé qu’il allait rejoindre le groupe parlementaire de la coalition au pouvoir à l’Assemblée nationale. Cela donnerait à Benno Bokk Yakaar les 83 voix dont il a besoin pour adopter les lois. Mais la petite majorité la rend fragile. Elle ne tient que si les 83 votent systématiquement la position du groupe parlementaire.

Il n’y a aucune garantie à cet égard. À l’approche de l’élection présidentielle de 2024, de multiples politiciens des coalitions Benno Bokk Yakaar et Yewwi-Wallu pourraient envisager une candidature. La cohésion des deux coalitions pourrait donc s’affaiblir au fil du temps.

Pourquoi c’est important

Jusqu’à présent, l’Assemblée nationale sénégalaise a toujours eu un parti ou une coalition au pouvoir disposant d’une majorité absolue.

Le fait que la coalition au pouvoir n’obtienne que la majorité relative va accroître les négociations politiques nécessaires à une gouvernance efficace. Néanmoins, le président dispose toujours d’un pouvoir considérable. Il reste donc à voir dans quelle mesure cette configuration fragile favorise le compromis et la négociation.

Un domaine dans lequel les résultats des élections pourraient avoir une influence est l’approche du Président Sall concernant la limitation des mandats. La constitution sénégalaise les limite actuellement à deux.

Senegal's National Assembly in Dakar.

L’assemblée nationale du Sénégal à Dakar. (Photo : Astrid Muñoz)

M. Sall arrive à la fin de son deuxième mandat présidentiel en 2024. Mais ses détracteurs craignent qu’il n’utilise le référendum constitutionnel de 2016 pour justifier une nouvelle candidature.

Le référendum de 2016 a raccourci les mandats présidentiels de sept à cinq ans. Comme il a été adopté pendant le premier mandat de Sall, il pourrait tenter de faire valoir que ce changement permet de relancer le décompte de ses mandats.

Sall fait face à une pression publique croissante pour réitérer son engagement envers les règles constitutionnelles. Mais jusqu’à présent, il a évité de faire une déclaration définitive.

Il pourrait être politiquement limité par les résultats des courses municipales et législatives de 2022, qui ont révélé une demande populaire pour l’opposition.

Mais sans une majorité parlementaire des trois cinquièmes, il est peu probable que des réformes constitutionnelles supplémentaires qui pourraient faciliter la poursuite d’un troisième mandat soient entreprises.

Insister sur une candidature à un troisième mandat serait également risqué dans le contexte actuel de tensions politiques liées aux demandes des citoyens pour une gouvernance plus transparente, l’État de droit et le respect des libertés civiques.

La configuration du parlement rendra possible, mais potentiellement plus difficile, l’adoption de nouvelles lois par le président. Les politiciens de l’opposition sont incités à construire des coalitions ad hoc en piquant des voix à la majorité fragile.

Si ces conditions dissuadent Sall de briguer un troisième mandat, le Sénégal pourrait assister à ce qu’un expert appelle « l’élection présidentielle la plus ouverte de l’histoire ».

Par exemple, s’il était possible de s’allier avec les deux faiseurs de roi qui ne se sont pas ralliés à Benno Bokk Yakaar et de convaincre un autre parlementaire, l’opposition pourrait proposer une loi affectant l’équilibre des pouvoirs. Un exemple serait la réduction de l’influence présidentielle sur les nominations au Conseil constitutionnel.

Cependant, le président a toujours le pouvoir de nommer les ministres. Même si la majorité parlementaire se fracturait et que le parlement censurait le choix du premier ministre par le président, il ne pourrait y avoir qu’une seule censure par session par an. Cela signifie que les choix du président concernant la composition du gouvernement prévalent en fin de compte davantage que dans un système semi-présidentiel où le gouvernement ne répond qu’au parlement.

Le président sénégalais peut également dissoudre le parlement, mais seulement après ses deux premières années de session. Sall ne pourra pas exercer ce pouvoir avant les élections présidentielles de 2024 si elles se déroulent comme prévu.

Si ces conditions dissuadent Sall de briguer un troisième mandat, le Sénégal pourrait assister à ce qu’un expert appelle « l’élection présidentielle la plus ouverte de l’histoire ».

Aller de l’avant

Les dirigeants sénégalais des deux bords sont confrontés à la tâche délicate de naviguer au sein de la fragile majorité parlementaire.

D’une part, si cette fagile majorité devenait une justification rhétorique pour la poursuite par Sall d’un troisième mandat anticonstitutionnel, cela pourrait nuire à la démocratie sénégalaise et intensifier la division. Cela nuirait aux progrès de l’administration Sall en matière de développement économique et d’infrastructures. Cela diminuerait également l’influence bien connue du Sénégal en matière de « soft power » en Afrique, actuellement amplifiée par la présidence de Sall à la Commission de l’Union africaine.

D’autre part, il est possible de jeter des ponts entre les camps politiques. La poursuite de programmes de collaboration pourrait réduire la polarisation politique. Cela pourrait renforcer la démocratie sénégalaise bien au-delà des élections présidentielles de 2024, pour lesquelles les récents résultats des législatives constituent un baromètre utile.

Cet article a d’abord été publie par The Conversation, sous une licence Creative Commons. Lire l ’original içi.