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Le non-respect des limitations de mandats en Afrique témoigne d’une évolution inquiétante


From left: Presidents Alpha Condé of Guinea, Idriss Déby of Chad, Patrice Talon of Benin, and Yoweri Museveni of Uganda.

De gauche à droite : les présidents Alpha Condé (Guinée), Idriss Déby (Tchad), Patrice Talon (Bénin) et Yoweri Museveni (Ouganda). (Photos : DFID-UK, Amanda Lucidon, Présidence de la République du Bénin, DFID-UK/Graham Carlow)

L’Afrique a connu en 2020 un brusque déclin en matière de respect des limitations de mandats. Sur les 12 candidats aux élections présidentielles organisées sur le continent, cinq avaient déjà atteint la limite des mandats possibles. Une exception toutefois, le président du Niger Mahamadou Issoufou, qui s’en est tenu aux deux mandats permis par la Constitution. À l’inverse, Faure Gnassingbé (Togo), Alpha Condé (Guinée) et Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) se sont accrochés au pouvoir. Pierre Nkurunziza, qui avait enfreint la limite de deux mandats au Burundi en 2015, est décédé avant la tenue des élections cette année.

Cette façon de se soustraire aux limites de mandats constitue une tendance récente. Depuis 2015, des présidents africains ont à treize reprises prolongé leur exercice du pouvoir au-delà de la limite des deux mandats.

Cette situation n’est pas sans incidence sur la gouvernance, la sécurité et le développement de l’Afrique. Dans les pays qui dérogent aux limitations de mandats, les présidents sont en moyenne restés au pouvoir quatre fois plus longtemps que dans ceux où elles sont respectées. Les premiers sont d’ailleurs associés, dans les classements de Transparency International, à un niveau de corruption nettement plus élevé.

Ce n’est pas un hasard si 11 des 14 pays africains actuellement troublés par une guerre civile sont dépourvus de limites de mandats efficaces. Ces pays accueillent à peu près 90 % des 30 millions de réfugiés et personnes déplacées en interne.

Des citoyens ont manifesté pacifiquement cette année contre la suppression de ces limites dans les pays concernés. Mais ils ont parfois payé de leur vie cette bravoure, la répression des pouvoirs publics s’étant exercée sans relâche. Les organes régionaux et les acteurs internationaux se sont quant à eux peu manifestés.

La détérioration due au non-respect de ces normes sape plus de deux décennies de réforme dont le but était d’instaurer des contre-pouvoirs permettant d’encadrer le pouvoir exécutif en Afrique. Quelque 45 pays africains imposent le principe de la limitation des mandats, mais seuls 21 l’appliquent. Si rien n’est fait pour contrer cette pratique, cette détérioration pourra être interprétée comme un retour de facto aux systèmes de partis uniques dont on pensait l’Afrique débarrassée.

Les États-Unis partagent des valeurs et des intérêts communs avec les millions d’Africains qui appellent au respect de ces limitations afin de rompre avec l’héritage des « dirigeants indéboulonnables ». Les libertés prises avec les limitations de mandats ne sont pas isolées et s’inscrivent dans une tendance à remettre en cause l’État de droit, les libertés publiques, les droits de propriété et l’exécution des contrats. Ce contexte pourrait à un niveau plus vaste avoir des répercussions préjudiciables sur les relations américano-africaines, sur la coopération en matière de sécurité, les investissements, la création d’emplois et l’expansion continue de la classe moyenne en Afrique.

Cet article est extrait du Africa Year in Review 2020 publié par le Wilson Center.