La sécurité maritime dans la partie occidentale de l’Océan Indien : une discussion avec Assis Malaquias

L’océan Indien constitue un canal crucial pour le commerce mondial. Il s’agit également d’un secteur où les menaces à la sécurité sont exposées à prospérer. Assis Malaquias, ancien professeur au Centre de l’Afrique se penche sur l’importance de cet océan dans le cadre de la sécurité nationale dans l’Afrique.


Un dhow dans l'océan Indien

Un dhow dans l’océan Indien soupçonné d’être sous contrôle pirate. Notez les sacs de sable sur le pont, éventuellement une tentative de fortifier l’engin contre les armes légères.

L’Océan Indien est un centre géopolitique crucial qui relie les routes commerciales d’Afrique, la région de l’Asie et du Pacifique, le Moyen-Orient et l’Australie. Son abondance en termes de ressources économiques, partagées au niveau national, régional et maritime, s’accompagne d’une pléthore de menaces de la sécurité, notamment le trafic des êtres humains, des armes, des stupéfiants et d’autres substances illicites, la pêche illégale et la piraterie. L’ancien professeur et président du département Économie de la Défense et de gestion des ressources au Centre de l’Afrique, Assis Malaquias, nous raconte sa réflexion sur l’importance de l’Océan Indien occidental dans le cadre élargi du programme de la sécurité maritime sur le continent africain.

Question : Quelle est l’importance stratégique de la région maritime de l’Océan Indien dans le cadre du programme sécuritaire régional et international ?

ASSIS MALAQUIAS: L’importance stratégique de l’Océan Indien ne pourrait pas être exagérée. Cet océan touche quatre continents et se détend de la pointe du sud de l’Afrique au nord au canal de Suez, à l’est à l’archipel indonésien et l’Australie, et au sud à l’Antarctique. À peu près de 50 % du transport mondial de pétrole et 40 % du gaz traversent l’Océan Indien. Les ports de cet océan gèrent environ 30 % du commerce mondial et près de la moitié du volume du trafic des conteneurs. En plus, les ressources des minérales essentielles, comme l’uranium, le cobalt, le nickel, l’aluminium et les stocks de poissons sont abondant dans la région, ainsi que les États littoraux et à l’intérieur des terres. La sécurisation des points d’étranglement de l’Océan Indien – comme les détroits d’Ormuz, de Malacca et de Bab-el-Mandeb, qui relient la mer Rouge au golfe d’Aden – est vitale, d’un point de vue stratégique,  pour les commerce international. C’est pour ça que certains États extérieur de la zone maritime de l’Océan Indien y maintiennent une présence navale.

The western Indian Ocean

L’Océan Indien borde également des zones de conflit, notamment la Somalie et le Soudan, sans oublier  les pays qui souffrent de faibles structures gouvernementales ou de capacités limitées dans le cadre du contrôle des activités hors frontières. Cela a permis au commerce illicite et à d’autres activités de prospérer dans nombreuses zones de cette région. Par exemple, l’effondrement de l’autorité centrale dans la Somalie est partiellement responsable de l’émergence de la piraterie, qui a commencé le long du littoral somalien pour s’étendre progressivement jusqu’au sous-continent indien. Par conséquent, plusieurs pays possédant des intérêts commerciaux à l’échelle internationale, notamment les États-Unis, l’Inde et la Chine, ont dû lancer des opérations de lutte contre la piraterie.

Q: Quelles sont les actions en cours de conduire des efforts et des ressources dans cet important secteur maritime ?

AM : Les stratégies de sécurité nationales et régionales africaines sont généralement axées sur les menaces terrestres. Une telle approche n’est pas viable, lorsqu’on sait que 38 États du continent se situent dans les régions littorales ou insulaires, avec seulement 16 pays sans accès à la mer. Un grand nombre d’Africains qui vivent le long des 26 000 km du littoral du continent possèdent une culture maritime qui remonte à des millénaires. En plus, près de 500 millions d’Africains comptent sur les produits de la pêche pour leur apport de protéine. Quelques routes commerciales, parmi les plus vitales au monde, bordent l’Afrique, mais la part du continent ne concerne que 2 % du commerce mondial.

Les pays africains commencent néanmoins à investir dans les institutions et les processus nécessaires afin de maitriser le vaste potentiel du secteur maritime. En 2012, l’Union africaine a adopté la Stratégie Maritime Intégrée de l’Afrique de 2050. Cette approche définit une stratégie globale et un plan d’action afin de répondre aux défis maritimes auxquels l’Afrique est confrontée et d’exploiter les opportunités pour le développement durable et pour la compétitivité. Cet effort représente un revirement politique grandissant : un passage de « l’aveuglement maritime » à une connaissance accrue au secteur maritime et des  réponses coordonnées contre l’insécurité.

La stratégie 2050 est bâtie sur des efforts précédemment et a commencé, en 2008, par l’adoption d’une stratégie de la sécurité maritime régionale par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), suivie en 2011 de la stratégie maritime de la communauté de développement d’Afrique australe (SADC), et en 2014, de la stratégie de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). L’instauration de codes de conduite – notamment le Code de conduite de Djibouti (signé en 2009) et le Code de conduite de Yaoundé (signé en 2013) – a permis de rendre ces stratégies plus efficaces au niveau opérationnel.

Les pirates détenant l'équipage du navire de pêche chinois FV Tianyu 8 gardent l'équipage le lundi 17 novembre 2008, alors que le navire traverse l'océan Indien.

Les pirates détenant l’équipage du navire de pêche chinois FV Tianyu 8 gardent l’équipage le lundi 17 novembre 2008, alors que le navire traverse l’océan Indien.

Le Code de conduite de Djibouti représente la première tentative majeure des États africains afin d’établir un mécanisme de coopération dans le cadre de la lutte contre la piraterie et le vol à main armée contre les navires dans la partie occidentale de l’Océan Indien. Cela a réussi grâce à la mise en place de trois centres de partage de l’information, à Sanaa (au Yémen), Mombasa (au Kenya), et Dar-es-Salam (en Tanzanie). Ce code a également permis la création du Centre régional de formation de Djibouti avec le seul objectif de former et renforcer les compétences  des forces de l’ordre en mer. Les États qui participent sont en train de créer une architecture de lutte contre la piraterie afin de faciliter la communication, développer les capacités des garde-côtes, renforcer la dissuasion, favoriser l’arrestation des pirates et leurs poursuites judiciaires.

La mise en place d’une telle infrastructure a bénéficié d’infrastructures similaires, entrepris au sein de la CEEAC. Cette dernière a mis en place un centre de coordination de la sécurité maritime et de la sûreté des activités dans le cadre des zones A, B, et D, qui s’étend de l’Angola au Cameroun, et qui comprend notamment la marine du Cameroun, de la Guinée équatoriale, du Gabon et de São Tomé et Príncipe.

Q : Quels sont les obstacles majeurs et les leçons clés ?

AM: La plus grande difficulté consiste à continuer à faire changer les mentalités des responsables politiques afin qu’ils reconnaissent l’importance vitale du secteur maritime dans le cadre d’une stratégie globale de sécurité nationale. Deuxièmement, l’UA a développé une architecture globale pour la sécurité maritime régionale, mais il reste beaucoup à faire dans la mise en place, l’apport de ressources et le renforcement des institutions requises dans le cadre de la Stratégie Maritime Africaine Intégrée et ses différents protocoles.

Il importe également de mieux hiérarchiser les priorités, la mobilisation et l’alignement des ressources, notamment en matière de technologie et de communications, sans oublier la mise en place et la coordination des garde-côtes, la formation du personnel et le partage du renseignement et de la surveillance maritimes. De plus, des efforts supplémentaires doivent être effectués afin de rendre pleinement opérationnels les centres communs de sensibilisation au secteur maritime, à l’image de ceux envisagés dans la stratégie maritime de la SADC.

Un certain nombre de leçons clés ont été tirées. D’abord, quels que soient les ressources et les moyens dont il dispose, aucun pays n’est en mesure de faire face seul aux menaces de la sécurité maritime ou d’exploiter les opportunités. C’est pour cette raison que les mouvements visant à rendre opérationnelles les zones maritimes régionales sont d’une importance si cruciale. Ensuite, comme le suggèrent les dispositions du Code de conduite de Djibouti, il est indispensable de réunir les atouts maritimes nationaux sous un cadre commun. Il semblerait aberrant qu’un pays investisse dans des capacités de projection de puissance navale tandis que ses voisins investissent dans des capacités de type garde-côte. Les garde-côtes représentent bien souvent le dispositif le plus adapté à la lutte contre les menaces maritimes en Afrique. Il est donc souhaitable qu’un investissement conjoint s’effectue dans un cadre stratégique régional coordonné. Enfin, les protocoles maritimes régionaux doivent être, afin d’être efficaces dans le cadre de l’application de la loi, modelés au sein de cadres juridiques nationaux.

Pendant trop longtemps, le secteur maritime a été traité comme une réflexion accessoire. Mais cette situation est maintenant en train d’évoluer, grâce à une volonté politique grandissante visant à répondre aux menaces et à saisir les opportunités du secteur maritime. Une telle politique permettra, au final, de renforcer la sécurité et la sûreté maritimes dans le cadre de cet atout stratégique vital qu’est l’Océan Indien occidental.

Experts du CESA